mercredi 4 mai 2016

Incursions en terres coréennes (1)



Kim Hoon - Le chant des cordes - Gallimard Du monde entier








« Le vieux roi de Gaya se meurt. Ara, l’une de ses demoiselles d’honneur, s’enfuit dans la nuit afin de n’être pas enterrée vivante avec lui, selon la coutume en vigueur. Tandis qu’elle s’échappe, trente autres élus sont conduits à leur dernière demeure et Ureuk, le maître de musique, est convoqué à la cour afin de trouver le son parfait pour accompagner les funérailles royales. Yaro le forgeron est lui aussi rappelé à son devoir. On lui demande non seulement de réarmer le pays qui est sous la menace du royaume voisin de Shilla, mais aussi de couler les fondations de la tombe du souverain défunt. »

A la lecture de cet extrait du 4eme de couverture du chant des cordes de Kim Hoon - et l’impression se renforce grandement à la lecture de l’ouvrage -, on se demande bien en quoi la Corée a pu mériter le qualificatif de « pays du matin calme ». Il est vrai que l’auteur situe son roman dans la période historique dite des Trois Royaumes entre le 1er siècle avant JC et le VII siècle après JC, marqué par une série de conflits qui opposa dans la péninsule Baekje, Shilla, et Goguryeo, mais aussi d’autres territoires limitrophes comme Gaya, lieu natal du musicien Ureuk.

Récit borderline, inspiré des traditionnels Samguk Sagi et Samguk Yusa, Le chant des cordes hésite entre la forme épique et contemplative. Il raconte une double histoire, la conquête implacable du sud de la Corée par les troupes d’Isabu généralissime de l’armée de Shilla d'une part, et la naissance de la kayageum, la cithare traditionnelle à douze cordes d'autre part. C’est le règne de l’acier qui voit se succéder interminablement combats, massacres et cérémonies funéraires. Pas moins de quinze mille soldats sont ainsi passés au fil de l’épée. Les recherches sonores et méditatives du maître musicien rompent heureusement cette litanie funèbre et embarquent le lecteur dans une rêverie sidérale peuplée d’étoiles et de forêts de bambous. Deux formes de sauvageries cohabitent, la frénésie destructrice et prévisible des hommes et la beauté incompréhensible de la Nature.

Les figures de Yaro, le maître forgeron de Gaya qui équipe la soldatesque et d’ Ureuk donnent visage à cette dualité. Yaro et Isabu imposent un royaume de terreur et de fer, le second établit le sien par l’intermédiaire d’une cithare révolutionnaire. Dans cet univers cruel, les femmes prennent rang au nombre des victimes. Ara et Bihwala la compagne d’Ureuk sont filles de la terre et du vent autant qu’humaines.

De ce roman, aux personnages frustres, dont l’intrigue minimaliste prend la paresse des fleuves, surgit une étrange beauté issue d’un monde de sensations brutes où les guerres et les saisons semblent participer d’un même élan cosmique

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