samedi 22 juillet 2023

Au prochain arrêt

Hiro Arikawa - Au prochain arrêt - Actes Sud - Babel

 

 

 

Comment un livre se retrouve-t-il dans nos mains ? Un conseil, une critique, un bruit de fond favorable ou parfois, comme ici, la sollicitation d’un proche coïncidant avec le désir de se libérer de précédentes lectures sérieuses et de regagner un instant, ne fut-ce qu’en pensée, les régions calmes de l’existence. Au prochain arrêt est la création la plus récente de l’auteure japonaise Hiro Arikawa. Sa bibliographie recèle de l’hétéroclite, le très vendeur … Les Mémoires d’un chat et surtout une série de light novels (romans légers), The library wars parue en 2006, 2007, adaptée en mangas et en anime. Elle raconte dans un Japon futur la lutte de deux groupes paramilitaires pour le contrôle des bibliothèques, l’un défendant la liberté d’expression, l’autre partisan de la censure. Une pure dystopie bien entendu.


Source Wikipédia


Au prochain arrêt embarque le lecteur sur la petite ligne ferroviaire Hankiu Imazu qui relie la gare de Takarazuka à la gare de Nishinomiya-Kitaguchi. Ses huit stations aller et retour constituent les têtes de chapitre de l’ouvrage. Chaque halte est le point de départ d’un nouveau récit, les uns se télescopant d’ailleurs aux autres dans une tonalité rappelant les mangas Shônen et Shôjo. Il s’agit bien souvent d’adolescents lycéens ou étudiants aux préoccupations sans surprise : le choix d’une université, les camaraderies incertaines, une rencontre amoureuse, une séparation difficile. De ces petites bulles narratives toutes en retenue et aux fins heureuses, émerge le personnage de Shoko, une jeune femme éconduite par un fiancé qui épouse une rivale. Par vengeance elle se rend à la cérémonie de mariage en vêtements de mariée, et provoque un scandale. Hiro Arikawa ne force pas le trait, mais on se prend à rêver d’une Jeanne Moreau filmée par Truffaut, ou d’une héroïne racinienne.

  

Une fois refermé, que reste-t-il des deux cents pages de ce livre ? Sa couverture, un petit train rouge évoluant comme nos existences entre précipices et nuages couleurs cerisiers.


67 commentaires:

Christiane a dit…

https://books.google.com/books/about/Au_prochain_arr%C3%AAt.html?hl=fr&id=WjUqEAAAQBAJ#v=onepage&q&f=false

Quelques pages...

Anonyme a dit…

Eh non ! Camille est une héroïne de Corneille, et il faudra attendre vingt ans le triomphe de Racine. Serait-ce que la dystopie affecte aussi la chronologie littéraire ?! MC

Soleil vert a dit…

Hélas hélas hélas

Christiane a dit…

"Cette fleur tellement vivante
Toute jaune toute brillante
Celle que les savants appellent
Hélianthe
Toi tu l'as appelée soleil ...
Soleil...

Hélas ! hélas ! hélas et beaucoup de fois hélas !

Qui regarde le soleil hein?
Qui regarde le soleil ?
Personne ne regarde plus le soleil
Les hommes sont devenus ce qu'ils sont devenus
Des hommes intelligents..."
Prévert - Fleurs et couronnes.

Christiane a dit…

Mais Racine a ecrit :
"Et Rome, unique objet d'un désespoir si beau.
Du fils, le Mithridate est le digne tombeau."(Mithridate)

Christiane a dit…

de Mithridate

Christiane a dit…

https://pauledelblog.fr/2023/02/07/faites-moi-un-bon-papier-dambiance/


Rome ? Un promeneur dans Rome ?

Anonyme a dit…

Si on cherche Racine et Rome, il faut voir Britannicus, et , peut-être, la prière de Junie a Auguste à la fin de la pièce. Avant Mithridate, et nettement plus optimiste, il y a eu Nicomede!

Anonyme a dit…

MC

Christiane a dit…

"Une fois refermé, que reste-t-il de ce petit livre ? Sa couverture, un petit train rouge évoluant comme nos existences entre précipices et nuages couleurs cerisiers."

Quelle jolie fin de billet !

Christiane a dit…

"le désir de se libérer de précédentes lectures sérieuses et de regagner un instant, ne fut-ce qu’en pensée, les régions calmes de l’existence. "

Quel tentant début de billet !

Soleil vert a dit…

Petite correction sur la fin

Christiane a dit…

C'est un très beau billet, apaisant et bienvenu après le dernier roman lu de Cormac McCarthy : La mémoire de l'ombre.

Christiane a dit…

Eh oui, bien sûr on pense à Jeanne Moreau dans "La mariée était en noir" ! Ce si beau film de Truffaut, je crois !
Cette Shöko est irrésistible. Cette robe blanche, c'est délectable.
Le livre est léger et acide. Fleurs de cerisiers et citron.
Les voyageurs qui montent et descendent du train font le lien entre les actes de cette tragicomédie.

Christiane a dit…

Je comprends que vous ayiez penser à Racine, car comme certaines héroïnes
de Racine, Shöko parait emprisonnée dans sa passion. Il se pourrait que cette faiblesse la rende destructrice, “ni tout à fait bonne, ni tout à fait méchante” comme le dit Racine dans la préface d’Andromaque.

(J'en suis à la page 40, ce livre me plaît beaucoup.)

Danièle Achach (DHH/ RdL), dans la notice littéraire qu'elle a écrite pour introduire "Iphigénie" de Racine (Larousse) écrit avec subtilité : "Racine tire de l'aveuglement des personnages des effets d'ironie tragique. (...) A mesure que la tragédie avance, le spectateur voit les personnages d'enfoncer dans l'erreur et sécréter un monde de plus en plus étouffant. Mais l'horreur de cet univers disparaît au dénouement, semblant marqué par une intrusion de la justice."
J'espère qu'il en sera de même pour Shöko...

Christiane a dit…

C'est le train des révoltées ! La jeune Misa qui a pris le relais, est en plein orage intérieur.
Le vent souffle dans les cerisiers...

Christiane a dit…

Soleil vert a dû être heureux de lire page 72 :
"- Tu ne t'y attendais pas, hein ?
Un Torii, c'est-à-dire un portique rouge de sanctuaire shintô, était visible sur ce toit banal.
- Pourquoi y en a-t-il un là "

Que de surprises dans ce voyage !

Christiane a dit…

Captivant ! Les réactions, commentaires, pensées de ces voyageuses dans ce train parfois bondé. Les coquettes excentriques, les réservées qui se font piquer la place assise quelles convoitaient, le vieil homme moralisateur qui tance les collégiennes effrontées. Des haltes entre deux trains, une rencontre à la va-vite dans une chambre d'hôtel ou une jeunette a très envie de vivre ce que ses copines se vantent d'avoir vecu... ou la cabine d'essayage d'un magasin fort utile à Shöko...
L'histoire de Shöko et Misa continue, bousculée par d'autres histoires.
Il s'en passe des choses sur cette ligne, mais ce Torii sur le toit d'un immeuble est tellement invraisemblable. J'aime beaucoup.
Son style pétillant, ces paroles d'ado bien actuelles cohabitent bien avec des introspections graves sur le couple, la fidélité, le machisme de certains hommes, l'élégance morale d'autres.
On sent qu'Hiro Arikawa est modeste . Elle écrit carnet à la main, observant, écoutant,... inventant. C'est vrai que c'est une lecture reposante, un froufrou d'oiseaux piaillards quand les ados envahissent les compartiments ou se bousculent dans les couloirs et les escaliers.
Ce petit train rouge devient le narrateur et on lit le nez sur la page !

Christiane a dit…

qu'elles

Christiane a dit…

Yuki et Masashi... Voilà le cerisier...
Merci pour ce dimanche.

Christiane a dit…

Soleil vert dit:
Décès d’Isabelle Choko

https://www.europe-echecs.com/art/isabelle-sztrauch-choko-9062.html

Christiane a dit…

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/03/23/isabelle-choko-celle-qui-a-tenu-la-mort-en-echec_6118762_3224.html

Christiane a dit…

Mais aussi les obsèques de Jane Birkin à saint Roch. Ces deux filles portant aussi son cercueil. Leurs paroles émues. Le beau témoignage d'Olivier Rolin.

Christiane a dit…

C'est intéressant. Je regarde sur LCP, "rembob'ina", un entretien filmé entre Jean-Luc Godard et Marguerite Duras sur les rapport des écrivains au cinéma. Sur le témoignage de la Shoah. Sur la musique. Sur d'autres cinéastes. Parfois sur leurs films.
Il y a de l'amitié et de la confiance entre eux et c'est une douceur de regarder l'échange de leurs regards, leurs gestes. Mais ils ne dialoguent pas vraiment. Ils s'appuient l'un sur l'autre pour soliloquer. Ils ne se comprennent pas alors ils s'engueulent un peu puis s'excusent de s'être engueulés. C'est aussi absurde que les personnages de Beckett doliloquant sur un plateau.
Leur réponse préférée : non !

Christiane a dit…

"Le dernier mot au Suisse, qui s’en sort d’une formule : "On ne peut pas se parler et la télévision peut montrer ça." Il a raison. Le film soulève une question supplémentaire, somme toute bouleversante : avec qui parle-t-on quand on est Duras ou Godard ?"

Arnaud Lambert
Réalisateur

Anonyme a dit…

Pas faux en effet. On signale la ressortie de Samuel Delany -Babel 17-chez’Mnemos!

Christiane a dit…

Oui. J'ai trouvé M.D. assez imbue d'elle-même, autoritaire voire condescendante. En face d'elle, , JL.G était fuyant, hésitant, dépassé... Bâillant...
L'apparente familiarité de M.D. n'était que le visage d'un ego surdimensionné.
De plus si les livres de M.D. sont intéressants, ses films ne m'ont jamais convaincue.

Anonyme a dit…

C’est la même qui assène en 1965 que De Gaulle n’a pas de sens politique mais seulement des réflexes conditionnés, face à une jeune Sagan qui y voit, elle, l’incarnation d’une politique de gauche…MC

Christiane a dit…

"qui assène"... Oui, c'est tout à fait cela.
Mieux vaut lire ses plus beaux livres que de l'écouter dans ce genre de miroir pour personne narcissique manquant de modestie et d'écoute.

Christiane a dit…

comme réalisatrice

Christiane a dit…

Je reprends les deux mangas de Tanigushi "L'Homme qui marche" et "Quartier lointain". C'est de la littérature mais aussi une énigme sur le plan du dessin. Comment, en effet, expliquer que les mouvements des personnages figés dans un moment particulier, peuvent rendre sensible un mouvement déployé dans le temps Comme dans la réalité où le temps ne s'arrête pas ? Voyage entre un "ici", un "avoir été" et un "sera".
Cette question, je l'ai mâchée devant "L'homme qui marche de Rodin.
Mystère....

Christiane a dit…

Une oblique qui le porte en avant.

Christiane a dit…

Je crois que ces créateurs prennent deux mouvements pour n'en faire qu'un.

Christiane a dit…

Ou, dans le roman graphique , par la juxtaposition de deux vignettes déployant le mouvement d'un personnage en deux instantanés presque superposables.
Dans le roman ou la nouvelle, l'art n'est pas plus facile. Tout est dans l'enchaînement des actes sans trop en dire.

Anonyme a dit…

D’Olivier Rolin ”Vider les lieux ”.

Libraire.

Christiane a dit…

Ah merci, Anonyme.
Olivier Rolin redécouvert grâce à Paul Edel, des années après "Port Soudan".
C'est un écrivain qui me passionne. Un grand voyageur (presque la matière de ses romans), un grand lecteur. J'imagine que dans ce "Vider les lieux", les livres tiennent une grande place ! Mémoires de lecture propices aux méandres et aux paysages (tant de paysages sont dans ses livres et certainement dans sa bibliothèque.)... mais aussi des morts aimés. J'ai eu un coup de cœur pour "Le Météorologue". Car la Russie et ses crimes d’État et sa beauté et ses écrivains (Tchekhov...) et artistes, c'est un peu de son cœur.
Je voulais le lire puis il a échappé à mon désir. Peut-être un imprévu. D'ailleurs, Olivier Rolin ne dit-il pas que "la vie est digressive" !
Donc, il quitte la rue de L'Odéon. Un déménagement forcé. Avec Olivier Rolin en observateur ! ce doit etre un chemin plein de bifurcations dans ses souvenirs.
Ah, je suis bienheureuse de lire enfin ce livre. MERCI, Anonyme.

Christiane a dit…

Premier souvenir émouvant : la voisine d'en face...
"Une femme que j'aimais et qui m'aimait, et qui souvent traversait la rue en pyjama, le matin,..."
Ainsi donc, elle était là. ..

Christiane a dit…

La tête me tourne. Ça virevolte. Et des livres, et des gens et tant de souvenirs souvent espiègles...
Que c'est agréable.
Quel beau partenaire de livre !
On l'imagine, immobile, rêveur au milieu de toutes ces traces...
Ah, Soleil vert, ce livre vous enchanterait.

Christiane a dit…

Oh là,
"1922, c'est dans cette maison que Sylvia Beach publia "Ulysse" deJoyce"... Inouï !
Et page suivante : "l'autre librairie, celle d'Adrienne Monnier."
Voilà le Paris que j'aime dans cette petite rue ombreuse à deux pas du jardin du Luxembourg.
Un banc, un livre, l'ombre d'un arbre ou une de ces chaises en métal autour du bassin.

Christiane a dit…

Ainsi, Joyce est un des écrivains qui lui a donné envie d'écrire. Lui montrant "que tout est possible, qu'il y a dans les mots une puissance immense, que le dictionnaire est comme un coffre des "Mille et Une Nuits" où serait enfermé un génie. Pas un, mille génies, et parmi eux peut-être un qui vous attend pour être libéré."
Je suis tellement contente qu'il se soit régalé en lisant Joyce, et rit.
Épatant !

Christiane a dit…

J'arrête un peu. J'ai faim. Je sais mon trésor à portée de main pour toute la journée, un trésor qui efface de vagues soumissions au quotidien comme le ménage et les courses. Volupté que de pouvoir s'adonner en toute quiétude à lecture.
Que coule le temps sous le pont Mirabeau et les autres qu'importe, j'ai retrouvé le nautonier.

Christiane a dit…

"Paris lui-même n'est sans doute plus cette "grande salle de lecture d'une bibliothèque que traverse la Seine" qu'aimait Walter Benjamin."

Au fil de la lecture...

Christiane a dit…

Parfois, il marche à l'amble de Paul Edel et de l'évocation de ses amis disparus...
"Et ces visages sont pour moi ceux d'un être imaginaire, androgyne, qui se tiendrait aux côtés de Rimbaud l"Abyssin, et ce que je vois à travers ces yeux ecorchant à peine le bois c'est une caravane de cent chameaux cheminant dans les tremblements de l'air brûlant au-dessus du lac Assal, menée par un homme taciturne, grand, maigre, aux yeux gris, aux cheveux grisonnants, veut de coton gris, coiffé d'une calotte grise."
Des visages sculptés sur la crosse d'un vieux fusil rapporté f"Aden. Et là une cascade de livres et de voyages jaillit. Il écrit : "des éclats du monde et du temps montent vers moi, tournent autour de moi : et je ne sais si les clins d'oeil qu'ils m'adressent me sont un réconfort, ou bien si au contraire m'attriste le rappel de ce dont je suis désormais privé".

Christiane a dit…

Aïe ! Moment difficile quand il retrouve toutes ces lettres reçues et entassées .

"Le temps qui a passé a rendu inaudible le chœur des voix qui y sont encloses - milliers de paroles gelées enchâssées dans ce bloc énorme de papier, prisonnières de cette forêt de feuilles. Il y a des noms qui ne me disent plus rien, des sentiments comme désaffectés par l'absence de tout visage à quoi les relier. Il y a des ecritures que je reconnaissais, que je reconnais encore, qui m'ont fait battre le cœur. Il y a au dos, surtout, des noms de correspondants morts aujourd'hui qu'on a atteint cet âge où, comme le dit Michel Leiris, "vos témoins, tués les premiers, vous laissent poursuivre votre duel tout seul".

Christiane a dit…

Contre Sainte-Beuve.
Il lit le très beau chapitre que Proust consacré à Nerval.
"Ce n'est pas dans les mots, c'est "entre les mots" sur gisent le "charme secret", la brume sur le Valois, la puissance du rêve. "Bien écrire" ne veut rien dire :angoissante vérité."
Page 112. "Vider les lieux" - Olivier Rolin.

Christiane a dit…

Relisant "Le grand Meaulnes", il pense si justement : "Étrange vie des souvenirs : la veille encore j'aurais été incapable de dire deux mots sur ce livre, et à mesure que je le relisais, des pans entiers me revenaient."
Et ce qui est très "Olivier Rolin", c'est qu'il écrit tout ça en lisant ce livre dans un train traversant la Sibérie, donc "infiniment loin des brumes de Sologne"...
" Le train longeait dans la brume des rivières violentes, gonflées par la fonte des glaces, la locomotive ne cessait de beugler, j'aimais ce bruit cette trompe grave et vibrante, et l'idée qu'il accompagnait : que j'étais loin. Loin de quoi ? C'est un mot qui peut s'employer absolument, sans avoir à préciser, mais s'il le faut : du monde qui est le mien sans que je m'y sois jamais trouvé vraiment chez moi."

C'est étonnant comme le flux de sa langue d'écriture sculpte la phrase faisant de la ponctuation sa façon de se saisir de sa pensée advenant en mots.

Christiane a dit…

C'est un drôle décrit. Pas linéaire. Un texte qui part dans tous les sens suivant les objets de ce déménagement et les souvenirs qu'ils engendrent. Le passé est morcelé, depuis l'enfance en Bretagne, en passant par les années militantes, jusqu'à ce confinement en 2000 où il doit dans l'urgence remplir des cartons de déménagement. Mais si cette mémoire fragmentée est parfois mélancolique, elle est parfois alerte et gaie. Il y a les livres, les lieux où il les lit et de très savoureux portraits du monde où il est projeté.
La part de l'oubli est très importante et allége le poids du passé. Il l'accepte avec sagesse.
Il me semble que ce livre est en lien avec "Extérieur monde", le monde le renvoyant à ces traces.
Ça a été...

Soleil vert a dit…

Vider les lieux d'Olivier Rollin, je note.

Christiane a dit…

Merci de ne pas vous agacer de cette chronique qui vient parasiter la lecture de vos cerisiers !
Olivier Rolin,c'est un homme qui écrit de façon inhabituelle, aimant suivre les pensées qui le traversent. Il est disponible à l'appel des mots. Et ne se prend pas au sérieux alors qu'il est créateur de livres difficiles à oublier. Tigre de papier en fait partie. Quelle beauté cet homme qui tourne toute une nuit autour de Paris avec la fille de son ami qui est mort comme... Icare.... Il lui raconte leurs rêves et cette nuit de folie. L'ado l'écoute, silencieuse.
Là c'est quelque chose qui ressemble à une autobiographie sans en être une. Ce déménagement forcé le rend multiple. Tous ces souvenirs font de lui presque une surprise comme s'ils lui permettaient de forer l'oubli jusqu'au retrouver ou découvrir qui il a été, qui il est.
Parfois je le lis comme on regarde une toile. Je sais que c'est à lui, ses souvenirs, je meczrte un peu, histoire de le laisser seul avec lui-même , alors j'écoute entre les mots le bruit de son silence.
Vous êtes chic, Soleil vert
Comment va le chat ?

Christiane a dit…

je m'écarte

Christiane a dit…

Soleil vert, vous aviez évoqué un jour l'épreuve de devoir "vider" une maison où vous aviez tant de souvenirs.

Christiane a dit…

Il se passe quelque chose de très beau vers les pages 155 et suivantes.
C'est à propos de Luc, le coiffeur dont le salon occupé l'emplacement de la librairie d'Adrienne Monnier.
Olivier Rolin aime l'écouter. longuement.
Et il écrit ; "j'ai décrypté des dizaines de pages de tretien avec lui, j'ai pensé un moment livrer tout ça brut, parce qu'il y a quelque chose d'envoûtant dans ce flot de paroles, cette évocation d'ombres quelquefois bien pâlies. Finalement j'ai reculé, je ne reprends ici que des extraits de son monologue mais en conservant l'oralité non ponctuée, pas pour faire Molly Bloom mais pour rendre un peu de sa vitesse entraînante (et déroutante parfois), de ses zigzags et coq-à-l'âne qui font partie de son charme. Avec Luc on quitte l'histoire strictement littéraire de la rue. (...)"

Voir le texte en italique dans le livre.

C'est un moment très fort.
Vous vous souvenez de 'a période où Paul Edel notait les bribes de conversation des gens qui passaient ou étaient assis sur un banc
C'est la même recherche.

Et c'est là que "Ulysse" de Joyce a été édité, dans cette rue, dans cette petite librairie tenue par Sylvia Beach.
C'est un cadeau merveilleux.

Christiane a dit…

Enfin, les dernières pages...
"Puis, le dernier soir, je me souviens qu'il tomba une pluie écrasante, tropicale, comme pour tout effacer. L'eau crépitait, hérissait le macadam de petits plumets blancs comme l'eût fait une grêle de balles. Les lampadaires, et loin là-haut la façade éclairée du théâtre, jetaient le long de la rue des lueurs noyées comme on en voit dans les ports que fouetté le mauvais temps. (...)"

Merci, Anonyme pour cet immense cadeau. Et en plus , Soleil vert va lire ce beau livre.
Bonne soirée à tous.

Christiane a dit…

Tigre en papier (Seuil)

Christiane a dit…

J'ai retrouvé dans "Extérieur monde" (Gallimard) , page 24, ces quelques lignes qui éclairent l'écriture de "Vider les lieux" :
"Nous en étions là avant ces digressions qui seront je le pressens la matière même du livre, comme la liberté anarchique, rayonnante des branches, des rameaux, des feuilles, est l'être des arbres, et j'aime concevoir un livre comme un arbre, cette comparaison me venant peut-être de Flaubert qui voulait "que les phrases s'agitent dans un livre comme les feuilles dans une forêt, toutes dissemblables en leur ressemblance (...)"

Christiane a dit…

Et page 28, cette remarque :
"Les écrivains qu'on aime ne sont pas seulement ce qu'ils sont, mais ce qu'on croit qu'ils sont, ce qu'on croit qu'ils ont écrit forme comme un halo incertain autour de ce qu'ils ont véritablement écrit, et on pourrait soutenir, de façon un peu sophistique, que ce pouvoir irradiant mesure leur influence. Cette incertitude, d'ailleurs, illustre assez ce qu'est le miroir déformant de la mémoire (...)"

Anonyme a dit…

« Ni tout à fait bonne ni tout à fait méchante ». Ça, c’est moins Racine qu’ Aristote dans la Poétique, me semble-t-il. …

Christiane a dit…

Première préface d'Andromaque par Jean Racine
"(...) Quoi qu'il en soit, le public m'a été trop favorable pour m'embarrasser du chagrin particulier de deux ou trois personnes qui voudraient qu'on réformât tous les héros de l'antiquité pour en faire des héros parfaits. Je trouve leur intention fort bonne de vouloir qu'on ne mette sur la scène que des hommes impeccables mais je les prie de se souvenir que ce n'est point à moi de changer les règles du théâtre. Horace nous recommande de peindre Achille farouche, inexorable, violent, tel qu'il était, et tel qu'on dépeint son fils. Aristote, bien éloigné de nous demander des héros parfaits, veut au contraire que les personnages tragiques, c'est-à-dire ceux dont le malheur fait la catastrophe de la tragédie, ne soient ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants. Il ne veut pas qu'ils soient extrêmement bons, parce que la punition d'un homme de bien exciterait plus l'indignation que la pitié du spectateur ; ni qu'ils soient méchants avec excès, parce qu'on n'a point pitié d'un scélérat. Il faut donc qu'ils aient une bonté médiocre, c'est-à-dire une vertu capable de faiblesse, et qu'ils tombent dans le malheur par quelque faute qui les fasse plaindre sans les faire détester.(...)"

Voilà...

Christiane a dit…

«Racine met à mal l'idéal chevaleresque qui jadis avait fait la gloire de Corneille. Dans Andromaque, l'exaltation des valeurs guerrières n'a plus lieu d'être. La guerre de Troie a vu les plus grands soldats s'entretuer, les héros devenir des barbares. Ce retour de Troade est donc vécu sur un mode désenchanté, profondément désillusionné. Le poète démythifie la guerre de Troie, jadis auréolée de ses batailles légendaires et de ses héros mythiques.»
Anne Ubersfeld

Christiane a dit…

Anne Ubersfeld ajoute : «Andromaque est la tragédie des vaincus, la tragédie du mal historique, de la guerre, de la mort, et c’est aussi du destin des peuples qu’il s’agit. […] Le mal fait aux vaincus se retourne brusquement contre les vainqueurs, comme si son fardeau invisible de haine et d’oppression s’était mystérieusement déplacé.»

J'aime beaucoup l'humanité et la lucidité de Racine, beaucoup plus que les fanfaronnades clinquantes de Corneille. Quant à sa langue poétique, si proche de la prose, c'est un délice.

Christiane a dit…

Tout en utilisant Aristote, Racine qui se sent fort de son succès auprès du public, modifie avec esprit la fin de sa préface lorsqu’il la reprend en 1675 :

"Et c’est à propos de quelques contrariétés de cette nature qu’un ancien commentateur de Sophocle remarque fort bien qu’il ne faut point s’amuser à chicaner les poètes pour quelques changements qu’ils ont pu faire dans la fable ; mais qu’il faut s’attacher à considérer l’excellent usage qu’ils ont fait de ces changements, et la manière ingénieuse dont ils ont su accommoder la fable à leur sujet."

Christiane a dit…

Le dernier mot à La Bruyère ?
Après j'ouvre "Le Journal de mon Père" de Jirô Taniguchi (Casterman) que je viens de recevoir.

La Bruyère qui module, en 1688, l’opposition entre Corneille et Racine :

"Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées, Racine se conforme aux nôtres ; celui-là peint les hommes comme ils devraient être, celui-ci les peint tels qu’ils sont. […] L’un élève, étonne, maîtrise, instruit ; l’autre plaît, remue, touche, pénètre. Ce qu’il y a de plus beau, de plus noble et de plus impérieux dans la raison, est manié par le premier ; et par l’autre, ce qu’il y a de plus flatteur et de plus délicat dans la passion. Ce sont dans celui-là des maximes, des règles, des préceptes ; et dans celui-ci, du goût et des sentiments. L’on est plus occupé aux pièces de Corneille ; l’on est plus ébranlé et plus attendri à celles de Racine. Corneille est plus moral, Racine plus naturel."

Soleil vert a dit…

Vous êtes chic, Soleil vert
Comment va le chat ?

Chère Christiane, nous avons décidé Garfield et moi de nous bagarrer. Il a repris 500 g depuis la dernière chimio.
Moi qui n' ai jamais été confronté à la maladie hormis un pb cardio, je compte le temps en journées.
Aujourd'hui en fut une bonne avec engloutissement d'aiguillette de dinde.

Soleil vert a dit…

"celui-là peint les hommes comme ils devraient être, celui-ci les peint tels qu’ils sont. […"
Cité dans les Tontons flingueurs ?
Je devrai bien relire ces deux dramaturges.

Christiane a dit…

Cet aparté de MC m'a permis de retrouver le charme si mystérieux des textes de Racine. Une douceur grave si proche du réel quand nous hésitons entre les tiraillements de notre conscience.
Plus jeune je bravais insolemment les aléas du destin avec la fougue des héros de Corneille.
La vie se charge de nous rendre plus modestes... Alors il est bon d'écouter la musique du théâtre de Racine pour bercer nos douleurs....

Christiane a dit…

Bravo à vous deux. Beau travail d'équipe !

J'aime "Le Journal de mon père" . Jirô Taniguchi nous offre là un récit bouleversant.
Le grand incendie est magnifiquement dessiné et écrit.
J'ai aimé retrouver Tottori.
Il est très attachée à ses racines.
Le drame intérieur de l'enfant aurait pu être également un choix d'un autre moyen d'expression : l'écriture seule, bien que ces planches soient d'une grande pureté. Les regards des personnages sont vraiment présents et réussis. L'évolution du personnage du fils quant au jugement qu'il portait sur son père, au fil des confidences de ses proches, est touchante comme dans "Quartier lointain"
Connait-on vraiment ses parents ?
Un grand rendez-vous manqué à cause de la mort...


Christiane a dit…

Les Tontons flingueurs ! Magnifique clin d'oeil !