samedi 15 mai 2021

Humanité provisoire

 

Walter Michael Miller - Humanité provisoire - Denoël - Présence du futur

 

 




Dans ses « Reflections » Robert Silverberg écrit que « L'histoire de la science-fiction est marquée par la présence d'écrivains qui nous ont donné une histoire d'un tel impact qu'elle a totalement éclipsé le reste de leur œuvre et les a transformés en auteurs d'un seul récit. Certains exemples classiques viennent immédiatement à l'esprit ». Il cite évidemment Un cantique pour Leibowitz de Walter Michael Miller devenu un des ouvrages emblématiques du genre dit post-apocalyptique. Mais que l’on soit l’homme d’un livre n’interdit pas la possibilité que le talent ait pu s’exprimer dans des œuvres secondaires. C’est le cas d’Humanité provisoire, recueil de cinq textes antérieurs au fameux Cantique. L’un d’entre eux « La Bénédiction en gris » réunit d’ailleurs un scientifique et des moines sur fond d’apocalypse.

 

De leur expérience militaire dans les grands conflits du XXe siècle, les écrivains de science-fiction ont tiré des leçons différentes. Robert Heinlein invente les guerres futures, Kurt Vonnegut rescapé du bombardement de Dresde et Miller engagé dans la bataille de Monte-Cassino en gardent un sentiment d’horreur. Humanité provisoire : ce beau titre (Conditionally Human) résume parfaitement le propos de l’auteur. Sous couvert d’histoires de semi-humains ou de personnages confrontés à des situations limites se dresse un constat sans appel : la conscience morale est un visa d’humanité temporaire, une conquête incertaine, un combat sans relâche, un choix de tous les instants.

 

En 2063, des interdits de procréation frappent la Terre surpeuplée. Pour combler le désir de parturition des couples, des émules du Docteur Moreau de Wells ont conçu au sein de la société Anthropos des petits compagnons mutants asexués dotés de l’intelligence d’un petit enfant. L’arrivée d’un de ces « neutroïdes » chez leur futur propriétaire fait l’objet d’une mise en scène mimant un accouchement. Le résultat va au-delà des espérances. Norris, un inspecteur des fourrières assiste à une de ces cérémonies en compagnie de son épouse Anne, quand soudain une vieille femme fait irruption dans la maison, un revolver à la main, en réclamant « son bébé ». La créature, atteint d’une maladie mortelle a été remplacée à son insu par une autre. Des coups de feu éclatent… Le quotidien de Norris est néanmoins plus calme. Sous l’œil réprobateur d’Anne, il capture des neutroïdes abandonnés et en euthanasient certains. Or un transfuge d’Anthropos a conçu une espèce mutante capable de se reproduire. Il doit en traquer les rejetons. Miller campe ici un personnage poussé dans ses derniers retranchements moraux. On frémit au spectacle d’une société inhumaine où des employés de fourrières éliminent leurs hôtes à l’aide de chambres à gaz. Bref, « Humanité provisoire » impressionne.

 

« La Bénédiction en gris » est le deuxième texte fort du recueil. Une épidémie surgie des étoiles s'abat sur Terre. Elle se répand par contact entre humains. Les personnes contaminées subissent dans un premier une modification de la couleur de leur épiderme qui vire au gris, puis leur sens du toucher connaît un développement exacerbé accompagné d’une envie irrépressible d’entrer au contact de leurs semblables. Les « dermiques » représentent désormais le tiers de l’Humanité ; la civilisation s’effondre. Dans le chaos universel Paul, le héros de l’histoire, tente de rejoindre Houston. Le parcours est semé d’embuches, entre les malades, souvent de pauvres hères, et des milices déterminés à les abattre. Prisonnier et mis en quarantaine par l’une d’entre elles, il s’échappe et part au secours d’une jeune dermique. Ils se réfugient dans un monastère. L’idée d’une humanité parasitée a été traitée par Robert Heinlein dans Les Marionnettes humaines. Mais Miller oriente son récit dans une autre direction, étonnante, chrétienne, inspirée de l’épisode évangélique du baiser au lépreux. La bénédiction c’est de retrouver de tels textes dans une collection disparue.

 

Kenny Westmore ne jure que par les aventures du Capitaine Chronos, une série télévisée qu’il ne manquerait pour rien au monde. Mais le monde réel lui réserve une très mauvaise surprise : il va mourir.  Le Gardien du Temps parviendra-t-il à le sauver ? « Le testament » croise avec émotion et simplicité la thématique des voyages dans le temps et le récit de l’agonie d’un enfant atteint de leucémie. Je n’avais pas été autant ému depuis la lecture du Fini des mers de Gardner Dozois.

 

Les deux dernières nouvelles sont en retrait. « Moi, le rêveur » explore le thème des enfants dénaturés. Mi humaine, mi-machine une entité se révolte contre son maitre. Sans être déplaisant le texte accuse son âge. Enfin je botterai en touche pour la novella « Le Darfsteller » qui raconte les difficultés d’intégration d’un acteur au sein d’une troupe théâtrale composée d’automates et dirigée par une machine.  Récompensée par un Hugo en 1955, le thème m’a laissé indifférent. Il est vrai que le personnage principal est sommé d’abandonner toute dramaturgie dans son jeu.

 

Rédigées dans les années 50, les nouvelles de ce recueil révélaient un écrivain de science-fiction imaginatif, dont les réflexions éthiques tranchaient avec la production de l’époque.

 

 

 

Table

1 - Humanité provisoire 
2 - Le "Darfsteller" 
3 - Moi, le rêveur 
4 - La Bénédiction en gris

5 - Le Testament 

1 commentaire:

Lve a dit…

Hop, j'ajoute "La Bénédiction en gris" à ma longue liste de nouvelles à lire :D