Walter Michael Miller - Humanité provisoire - Denoël -
Présence du futur
Dans ses « Reflections » Robert Silverberg écrit que « L'histoire de la science-fiction est marquée par la présence d'écrivains qui nous ont donné une histoire d'un tel impact qu'elle a totalement éclipsé le reste de leur œuvre et les a transformés en auteurs d'un seul récit. Certains exemples classiques viennent immédiatement à l'esprit ». Il cite évidemment Un cantique pour Leibowitz de Walter Michael Miller devenu un des ouvrages emblématiques du genre dit post-apocalyptique. Mais que l’on soit l’homme d’un livre n’interdit pas la possibilité que le talent ait pu s’exprimer dans des œuvres secondaires. C’est le cas d’Humanité provisoire, recueil de cinq textes antérieurs au fameux Cantique. L’un d’entre eux « La Bénédiction en gris » réunit d’ailleurs un scientifique et des moines sur fond d’apocalypse.
De leur expérience militaire dans les grands conflits du XXe siècle, les
écrivains de science-fiction ont tiré des leçons différentes. Robert Heinlein invente
les guerres futures, Kurt Vonnegut rescapé du bombardement de Dresde et Miller engagé
dans la bataille de Monte-Cassino en gardent un sentiment d’horreur. Humanité
provisoire : ce beau titre (Conditionally Human) résume
parfaitement le propos de l’auteur. Sous couvert d’histoires de semi-humains ou
de personnages confrontés à des situations limites se dresse un constat
sans appel : la conscience morale est un visa d’humanité temporaire, une conquête
incertaine, un combat sans relâche, un choix de tous les instants.
En 2063, des
interdits de procréation frappent la Terre surpeuplée. Pour combler le désir de
parturition des couples, des émules du Docteur Moreau de Wells ont conçu au
sein de la société Anthropos des petits compagnons mutants asexués dotés de l’intelligence
d’un petit enfant. L’arrivée d’un de ces « neutroïdes »
chez leur futur propriétaire fait l’objet d’une mise en scène mimant un
accouchement. Le résultat va au-delà des espérances. Norris, un inspecteur des
fourrières assiste à une de ces cérémonies en compagnie de son épouse Anne,
quand soudain une vieille femme fait irruption dans la maison, un revolver à la
main, en réclamant « son bébé ». La créature, atteint d’une maladie
mortelle a été remplacée à son insu par une autre. Des coups de feu éclatent… Le
quotidien de Norris est néanmoins plus calme. Sous l’œil réprobateur d’Anne, il
capture des neutroïdes abandonnés et en euthanasient certains. Or un transfuge
d’Anthropos a conçu une espèce mutante capable de se reproduire. Il doit en
traquer les rejetons. Miller campe ici un personnage poussé dans ses derniers
retranchements moraux. On frémit au spectacle d’une société inhumaine où des
employés de fourrières éliminent leurs hôtes à l’aide de chambres à gaz. Bref, « Humanité
provisoire » impressionne.
« La
Bénédiction en gris » est le deuxième texte fort du recueil. Une épidémie surgie des étoiles s'abat sur Terre. Elle
se répand par contact entre humains. Les personnes contaminées subissent dans
un premier une modification de la couleur de leur épiderme qui vire au gris,
puis leur sens du toucher connaît un développement exacerbé accompagné d’une
envie irrépressible d’entrer au contact de leurs semblables. Les
« dermiques » représentent désormais le tiers de l’Humanité ; la
civilisation s’effondre. Dans le chaos universel Paul, le héros de l’histoire,
tente de rejoindre Houston. Le parcours est semé d’embuches, entre les malades,
souvent de pauvres hères, et des milices déterminés à les abattre. Prisonnier
et mis en quarantaine par l’une d’entre elles, il s’échappe et part au secours
d’une jeune dermique. Ils se réfugient dans un monastère. L’idée d’une humanité
parasitée a été traitée par Robert Heinlein dans Les Marionnettes humaines.
Mais Miller oriente son récit dans une autre direction, étonnante, chrétienne, inspirée
de l’épisode évangélique du baiser au lépreux. La bénédiction c’est de
retrouver de tels textes dans une collection disparue.
Kenny Westmore ne
jure que par les aventures du Capitaine Chronos, une série télévisée qu’il ne
manquerait pour rien au monde. Mais le monde réel lui réserve une très mauvaise
surprise : il va mourir. Le Gardien
du Temps parviendra-t-il à le sauver ? « Le testament » croise
avec émotion et simplicité la thématique des voyages dans le temps et le récit
de l’agonie d’un enfant atteint de leucémie. Je n’avais pas été autant ému
depuis la lecture du Fini des mers de Gardner Dozois.
Les deux dernières
nouvelles sont en retrait. « Moi, le rêveur » explore le thème des enfants dénaturés. Mi humaine,
mi-machine une entité se révolte contre son maitre. Sans être déplaisant le
texte accuse son âge. Enfin je botterai en touche pour la novella « Le
Darfsteller » qui raconte les difficultés d’intégration d’un acteur au
sein d’une troupe théâtrale composée d’automates et dirigée par une machine. Récompensée par un Hugo en 1955, le thème m’a
laissé indifférent. Il est vrai que le personnage principal est sommé
d’abandonner toute dramaturgie dans son jeu.
Rédigées
dans les années 50, les nouvelles de ce recueil révélaient un écrivain de
science-fiction imaginatif, dont les réflexions éthiques tranchaient avec la
production de l’époque.
Table
1 - Humanité provisoire
2 - Le
"Darfsteller"
3 - Moi,
le rêveur
4 - La
Bénédiction en gris
1 commentaire:
Hop, j'ajoute "La Bénédiction en gris" à ma longue liste de nouvelles à lire :D
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