jeudi 15 février 2018

Station : la chute


Al Robertson - Station : la chute - Denoël Lunes d’encre





« Après sept ans de Guerre Logicielle entre les intelligences artificielles rebelles de la Totalité et l'humanité - dirigée par les dieux du Panthéon, des consortiums qui se manifestent très rarement à leurs adorateurs -, la Terre n'est plus qu'un gigantesque champ de ruines. La plupart des humains ayant échappé au conflit vivent à bord de Station, un immense complexe spatial.
Jack Forster a combattu les IA de la Totalité pour le compte du Panthéon, secondé par Hugo Fist, une marionnette virtuelle, un logiciel de combat ultra-sophistiqué installé en lui. Considéré comme un traître parce qu'il s'est rendu à la Totalité, Jack revient des confins du système solaire pour laver son honneur et trouver sur Station les réponses aux questions qui le taraudent depuis sept ans. Mais le temps presse : le contrat de licence de Fist arrive bientôt à échéance ; au-delà, c'est la marionnette qui prendra le contrôle, effaçant irrémédiablement l'esprit de Jack, le condamnant au néant. »



La collection Lunes d’encre entame l’année 2018 avec un thriller cyberpunk de bon aloi, non seulement lisible, ce que ce sous-genre de SF ne garantit pas toujours, mais de plus original. Loin des sophistications hasardeuses des dernières productions gibsoniennes, Al Robertson propose un premier roman nerveux emmené par un duo de personnages épatants. Saluons le travail de traduction et de relecture et écartons d’emblée le sujet qui fâche. Qu’est ce que c’est que ce titre incompréhensible Station : la chute ? L’ouvrage raconte la lutte prométhéenne d’un humain contre les Dieux qui gouvernent un complexe spatial abritant les derniers survivants d’une Humanité en guerre contre des IA. Le titre original Crashing Heaven semble explicite : c’est le Ciel qui tombe, pas la station…


La littérature de science-fiction n’est jamais aussi intéressante que lorsqu’elle remplit son rôle de poil à gratter de la modernité. Considérant d’un œil narquois les gentils assistants virtuels qui polluent nos portables et écrans, Al Robertson ressuscite la marionnette Hugo Ficht issue d’un vieux film d’horreur des années 50 (1) et en fait le compagnon logiciel et insupportable d’un aventurier dégoûté de la guerre. Jack Foster revient  régler ses comptes sur la Station et retrouver la belle Andrea, une chanteuse de bar.




Déambulant entre Homeland et Dockland l’Humanité rescapée tente d’oublier son triste sort en s’absorbant dans la réalité virtuelle de la Trame et en remettant son destin aux mains de consortiums divinisés. A sa manière l’auteur crée une sorte de Divine Comédie 2.0. A Heaven siègent les Dieux du Panthéon. Sandal est responsable des transports, Kingdom entretient les infrastructures, East, Venus des temps futurs, gère la communication etc … Tous entretiennent des relations privilégiés avec certains de leurs adorateurs. « Tout en bas », dans l’Allée des Cercueils circulent les Revenants. En effet dans cette espèce de rond de serviette orbitant autour d’une Terre défunte, nul ne meurt jamais complètement.


La quête de vérité du héros et l’évolution des rapports entre marionnette et marionnettiste constituent la trame de la narration. Mais ils n’occultent pas le plaisir de l’immersion propre au genre. En mode cyberpunk nos vies sont elles autre chose qu’un peu de tôle froissée peuplée d’images ?





(1)   Merci à l’auteur et à Pascal Godbillon d’avoir communiqué ces pistes aux lecteurs.

mercredi 7 février 2018

Annihilation


Jeff Vandermeer - Annihilation - Le livre de poche





Une expédition composée de quatre scientifiques pénètre dans la zone X. Les onze précédentes incursions dans ce no man ‘s land mystérieusement apparu sur Terre, se sont toutes soldées par un échec. Les volontaires ont disparu ou sont revenus gravement malades. D’autres comme le mari de la biologiste, une des quatre femmes de la douzième équipe, souffrent de troubles mentaux. Poussée par le désir de comprendre les phénomènes responsables de l’altérité de son conjoint et qualifiée pour ses compétences en écosystèmes divers, elle franchit le seuil accompagnée d’une anthropologue, d’une géomètre et d’une psychologue, qui dirige les opérations. La biologiste tient le rôle de la narratrice, nous lisons son journal.


Jeff Vandermeer, écrivain rare et auteur de La Cité des Saints et des Fous, primé par le site du Cafard Cosmique en 2007, livre avec Annihilation le premier tome de la trilogie du Rempart sud. Le début de l’ouvrage donne l’impression de s’aventurer dans l’univers de Stalker, mais rapidement le lecteur est plongé dans la biosphère des textes de Lovecraft. La zone X ressemble à une région côtière, où s’enchevêtrent bizarrement des biotopes différents, forêts, marécages, plages. D’une tour enterrée surgit un ululement vespéral. Sur ses murs court un étrange texte végétal.


Annihilation appartient à cette catégorie romanesque qui fait la part belle autant à l’exploration qu’à l’introspection (1). L’étrange biosphère de la zone X est en quelque sorte la réplique de celles qu’explorait l’héroïne adolescente, comme la piscine non entretenue de ses parents. On pourrait d’ailleurs étendre cette dimension mystérieuse au roman lui-même. Les personnages sont désignés par leur fonction et non par leur nom, les motivations des commanditaires des missions successives comportent des zones d'ombre.


Récit d’une expédition qui part en déglingue tout autant que description d’un univers étrange, Annihilation tient et impressionne par son écriture. Il est vrai que Gilles Goulet est aux manettes de la traduction.  










(1) à l’instar de Vision aveugle de Peter Watts ?