jeudi 24 décembre 2020

La fabrique des lendemains

 

Rich Larson - La fabrique des lendemains - Le Bélial’

 

 

 

Tomorrow never knows chantaient les Beatles. Ce n'est pas le cas du recueil inédit de Rich Larson, concocté par Ellen Herzfeld et Dominique Martel. La fabrique des lendemains propose vingt-huit nouvelles sélectionnées dans les quelques deux cents rédigées par l’auteur. A ce travail de défrichement conséquent, s’ajoute celui aussi titanesque du traducteur Pierre-Paul Durastanti qui a du batailler ferme, on le devine, avec les néologismes et des textes post cyberpunk dont la lecture donne parfois l’impression d’emprunter un virage serré à la limite de la perte d’adhérence. La bibliographie minutieuse d’Alain Sprauel complète le tableau et confirme que la collection Quarante-Deux tient le haut du pavé éditorial français.

 

Nouvelle voix dans le paysage de la science-fiction, Rich Larson est un jeune auteur canadien né en 1992 au Niger. Après plusieurs ports d’attache, il s’est fixé provisoirement à Prague, une ville propice à l’imagination, peuplée de golems et de cafards humains. Fils spirituel de Greg Egan, Larson ouvre le voile sur des futurs vertigineux où subsistent les pesanteurs sociales de l’ancien monde. Comme le britannique Tade Thompson, ses récits s’inscrivent dans des pays émergents, signe d’une SF qui s’émancipe d’un certain ethnocentrisme (1)

 

La richesse d’inspiration de l’écrivain éclate dès les premières fictions. La short short story « Chute de données » par exemple n’est pas, loin s’en faut, un des meilleurs textes ; sans intrigue, elle a cependant déclenché mon acte consumériste. Cela fonctionne comme un rêve. Dans un village du tiers monde coupé de tout (ou supposé tel puisque le grand-oncle du narrateur s’en est enfui à bord d’un cargo rouillé), les habitants munis de terminaux guettent le survol de serveurs de données. Le concept d’aide alimentaire est étendu aux data, images d’un Ailleurs violent dont une population délaissée saisit quelques bribes. En deux pages on a une illustration de la fracture numérique et une réification métaphorique du Cloud, « le nuage » devenant drone.

 

Les histoires de fin du monde ou postapocalyptiques ont votre préférence ? « Circuits », publié dans le numéro 100 de la revue Bifrost, dresse le décor d’une Terre dévastée par de multiples conflits nucléaires et bactériologiques. Les humains sont morts ou exilés sur d’autres planètes. Seule au monde, l’IA d’un train magnétique prend inlassablement soin de ses passagers réduits depuis longtemps à l’état de squelette, quand elle reçoit un message d’une autre IA … Dans « On le rend viral » une brochette de post-humains réfugiés dans une station se livre au dernier sport à la mode sur les réseaux : s’injecter des saloperies, en abaissant si possible son niveau d’immunité. Rien de tel pour accroitre la viralité que de s’infecter des virus. Sauf qu’à trop forcer sur la seringue …

 

Biotechnologies ou/et afrofuturisme se déploient avec bonheur dans plusieurs textes majeurs comme « Indolore » qui met en en scène un soldat augmenté transfuge. Craint ou haï, il comprend qu’échapper à la douleur c’est échapper à l’humanité. Alyce héroïne de « Faire du manège » s’entretient à distance avec son compagnon quand le laboratoire kenyan, où elle participe à des expériences de physique quantique, explose. Aucun corps n’est visible. Ostape a alors l’idée d’enfiler son « linkwear », un tissu intelligent pourvu d’effets feedback. Miraculeusement il sent alors la présence d’Alyce. Histoire d’amour poignante, comme celle de « L’usine à sommeil » où un couple plongé dans des cuves à sommeil pilote des drones dans l’espoir d’accumuler suffisamment d’argent pour fuir vers Londres. Très voisin par sa sensibilité et très eganien sur le thème de la conscience numérisée « Rentrer par ses propres moyens » dévoile un monde cruel dans lequel la survie par clonage est réservée à une élite fortunée.

 

« L’usine à sommeil » de même que « Porque el girasol se lama el gurasol » (le franchissement d’une frontière par un … trou quantique) récitent à l’instar de Ken Liu le double thème de la séparation et de l’immigration. Le « marionnettisme » - un être vivant prend le contrôle d’un autre - popularisé par Robert Heinlein dans le roman Marionnettes humaines et Robert Silverberg dans la nouvelle « Passagers » trouve ici trois illustrations. Ça passe avec « Une soirée en compagnie de Severyn Grimes », ahurissante histoire de prise d’otage, également avec « L’homme vert s’en vient » qui met aux prises un chauffeur de taxi et son hôte flic avec une secte apocalyptique dans un pitch évoquant Le cinquième élément et Batman begins. Ça ne passe pas avec « Six mois d’Océan »

 

Citons quelques friandises, entre autres « Don Juan 2.0» et surtout « La digue » (un bijou) qui opposent amour et technologie. « De viande, de sel et d’étincelles » marche avec succès sur les brisées de « Indolore ». Ku est une chimpanzé flic, unique survivante d’une expérience d’élévation. Elle enquête sur le probable commanditaire d’un meurtre. La tueuse arrêtée est en effet une « écho girl » soumise à la volonté d’un tiers. Pour plussoyer l’infatigable Apophis dans sa recension complète « Innombrables lueurs scintillantes » bénéficie d’un work bulding impressionnant. Il s’agit d’un monde aquatique peuplé de pieuvres intelligentes. L’une d’entre elles mène un projet de percement de la banquise séparant son monde d’un autre. J’ai doublement pensé à Chiang, « Expiration » pour la description d’un univers étranger et à « La Tour de Babylone » pour la voute du ciel.

 

La fabrique des lendemains s’inscrit brillamment dans la galaxie Egan-Chiang-Liu. Beaucoup de textes forts ou simplement intéressants et seulement deux fictions à écarter « Un rhume de tête » et « J’ai choisi l’astéroïde pour t’enterrer ». J’espère que cet aperçu vous incitera à plonger dans ces futurs inquiétants et intrigants.

 

 

(1) Cf les remarques de Jim du forum Culture SF


Sommaire :

 

INDOLORE

CIRCUITS

CHUTE DE DONNÉES

TOUTES CES MERDES DE ROBOT

CARNIVORES

UNE SOIRÉE EN COMPAGNIE DE SEVERYN GRIMES

L’USINE À SOMMEIL

PORQUE EL GIRASOL SE LLAMA EL GIRASOL

SURENCHÈRE

DON JUAN 2.0

LA BRUTE

TU PEUX ME SURVEILLER MES AFFAIRES ? 

RENTRER PAR TES PROPRES MOYENS

DE VIANDE, DE SEL ET D’ÉTINCELLES

SIX MOIS D’OCÉAN

L’HOMME VERT S’EN VIENT

EN CAS DE DÉSASTRE SUR LA LUNE

IL Y AVAIT DES OLIVIERS

VEILLE DE CONTAGION À LA MAISON NOCTAMBULE

INNOMBRABLES LUEURS SCINTILLANTES

UN RHUME DE TÊTE

LA JOUER ENDO

ON LE REND VIRAL

J’AI CHOISI L’ASTÉROÏDE POUR T’ENTERRER

CORRIGÉ

SI ÇA SE TROUVE, CERTAINES DE CES ÉTOILES ONT DISPARU

LA DIGUE

  






4 commentaires:

Anonyme a dit…

Ne serait ce pas plutôt Tomorrow never knows, la chanson des Beatles..

Arf! On verra bien de quoi demain sera fait.

Soleil vert a dit…

Corrigé merci !

Ed a dit…

C'est si éloigné de ce que je lis d'habitude et ca a l'air "barré" (selon mes critères), mais "La digue" me tente pas mal. Et puis j'adore Black Miror donc bon, je suis tout sauf fermée à ces problématiques. À voir donc :)

Soleil vert a dit…

La digue est une réflexion sur la séduction et l'aspect "science-fictif" y est très léger. Ca devrait te plaire.