Rich
Larson - La fabrique des lendemains - Le Bélial’
Tomorrow never knows chantaient les Beatles. Ce n'est pas le cas du recueil inédit de Rich Larson, concocté par Ellen Herzfeld et
Dominique Martel. La fabrique des lendemains propose vingt-huit
nouvelles sélectionnées dans les quelques deux cents rédigées par l’auteur. A
ce travail de défrichement conséquent, s’ajoute celui aussi titanesque du
traducteur Pierre-Paul Durastanti qui a du batailler ferme, on le devine, avec
les néologismes et des textes post cyberpunk dont la lecture donne parfois l’impression
d’emprunter un virage serré à la limite de la perte d’adhérence. La
bibliographie minutieuse d’Alain Sprauel complète le tableau et confirme que la
collection Quarante-Deux tient le haut du pavé éditorial français.
Nouvelle voix dans le
paysage de la science-fiction, Rich Larson est un jeune auteur canadien né en
1992 au Niger. Après plusieurs ports d’attache, il s’est fixé provisoirement à
Prague, une ville propice à l’imagination, peuplée de golems et de cafards
humains. Fils spirituel de Greg Egan, Larson ouvre le voile sur des futurs
vertigineux où subsistent les pesanteurs sociales de l’ancien monde. Comme le
britannique Tade Thompson, ses récits s’inscrivent dans des pays émergents,
signe d’une SF qui s’émancipe d’un certain ethnocentrisme (1)
La richesse d’inspiration
de l’écrivain éclate dès les premières fictions. La short short story « Chute
de données » par exemple n’est pas, loin s’en faut, un des meilleurs textes
; sans intrigue, elle a cependant déclenché mon acte consumériste. Cela
fonctionne comme un rêve. Dans un village du tiers monde coupé de tout (ou
supposé tel puisque le grand-oncle du narrateur s’en est enfui à bord d’un
cargo rouillé), les habitants munis de terminaux guettent le survol de serveurs
de données. Le concept d’aide alimentaire est étendu aux data, images d’un
Ailleurs violent dont une population délaissée saisit quelques bribes. En deux
pages on a une illustration de la fracture numérique et une réification
métaphorique du Cloud, « le nuage » devenant drone.
Les histoires de fin du
monde ou postapocalyptiques ont votre préférence ? « Circuits »,
publié dans le numéro 100 de la revue Bifrost, dresse le décor d’une Terre
dévastée par de multiples conflits nucléaires et bactériologiques. Les humains
sont morts ou exilés sur d’autres planètes. Seule au monde, l’IA d’un train
magnétique prend inlassablement soin de ses passagers réduits depuis longtemps
à l’état de squelette, quand elle reçoit un message d’une autre IA … Dans
« On le rend viral » une brochette de post-humains réfugiés dans une station se livre au dernier sport à la mode sur les réseaux : s’injecter des saloperies,
en abaissant si possible son niveau d’immunité. Rien de tel pour accroitre la
viralité que de s’infecter des virus. Sauf qu’à trop forcer sur la seringue …
Biotechnologies ou/et
afrofuturisme se déploient avec bonheur dans plusieurs textes majeurs comme
« Indolore » qui met en en scène un soldat augmenté transfuge.
Craint ou haï, il comprend qu’échapper à la douleur c’est échapper à
l’humanité. Alyce héroïne de « Faire du manège » s’entretient
à distance avec son compagnon quand le laboratoire kenyan, où elle participe à
des expériences de physique quantique, explose. Aucun corps n’est visible.
Ostape a alors l’idée d’enfiler son « linkwear », un tissu
intelligent pourvu d’effets feedback. Miraculeusement il sent alors la
présence d’Alyce. Histoire d’amour poignante, comme celle de « L’usine à sommeil » où un couple
plongé dans des cuves à sommeil pilote des drones dans l’espoir d’accumuler
suffisamment d’argent pour fuir vers Londres. Très voisin par sa sensibilité et
très eganien sur le thème de la conscience numérisée « Rentrer par ses
propres moyens » dévoile un monde cruel dans lequel la survie par
clonage est réservée à une élite fortunée.
« L’usine à
sommeil » de même que « Porque el girasol se lama el gurasol »
(le franchissement d’une frontière par un … trou quantique) récitent à
l’instar de Ken Liu le double thème de la séparation et de l’immigration. Le
« marionnettisme » - un être vivant prend le contrôle d’un autre - popularisé
par Robert Heinlein dans le roman Marionnettes humaines et Robert
Silverberg dans la nouvelle « Passagers » trouve ici trois
illustrations. Ça passe avec « Une soirée en compagnie de Severyn
Grimes », ahurissante histoire de prise d’otage, également avec
« L’homme vert s’en vient » qui met aux prises un chauffeur de
taxi et son hôte flic avec une secte apocalyptique dans un pitch évoquant Le
cinquième élément et Batman begins. Ça ne passe pas avec « Six
mois d’Océan »
Citons quelques
friandises, entre autres « Don Juan 2.0» et surtout « La
digue » (un bijou) qui opposent amour et technologie. « De
viande, de sel et d’étincelles » marche avec succès sur les brisées de
« Indolore ». Ku est une chimpanzé flic, unique survivante d’une
expérience d’élévation. Elle enquête sur le probable commanditaire d’un
meurtre. La tueuse arrêtée est en effet une « écho girl » soumise à
la volonté d’un tiers. Pour plussoyer l’infatigable Apophis dans sa
recension complète « Innombrables lueurs scintillantes » bénéficie
d’un work bulding impressionnant. Il s’agit d’un monde aquatique peuplé de
pieuvres intelligentes. L’une d’entre elles mène un projet de percement de la
banquise séparant son monde d’un autre. J’ai doublement pensé à Chiang, « Expiration »
pour la description d’un univers étranger et à « La Tour de Babylone »
pour la voute du ciel.
La fabrique des
lendemains s’inscrit brillamment
dans la galaxie Egan-Chiang-Liu. Beaucoup de textes forts ou simplement
intéressants et seulement deux fictions à écarter « Un rhume de tête »
et « J’ai choisi l’astéroïde pour t’enterrer ». J’espère que
cet aperçu vous incitera à plonger dans ces futurs inquiétants et intrigants.
(1) Cf les remarques de Jim du forum Culture SF
Sommaire :
INDOLORE
CIRCUITS
CHUTE DE DONNÉES
TOUTES CES MERDES DE ROBOT
CARNIVORES
UNE SOIRÉE EN COMPAGNIE DE SEVERYN GRIMES
L’USINE À SOMMEIL
PORQUE EL GIRASOL SE LLAMA EL GIRASOL
SURENCHÈRE
DON JUAN 2.0
LA BRUTE
TU PEUX ME SURVEILLER MES AFFAIRES ?
RENTRER PAR TES PROPRES MOYENS
DE VIANDE, DE SEL ET D’ÉTINCELLES
SIX MOIS D’OCÉAN
L’HOMME VERT S’EN VIENT
EN CAS DE DÉSASTRE SUR LA LUNE
IL Y AVAIT DES OLIVIERS
VEILLE DE CONTAGION À LA MAISON NOCTAMBULE
INNOMBRABLES LUEURS SCINTILLANTES
UN RHUME DE TÊTE
LA JOUER ENDO
ON LE REND VIRAL
J’AI CHOISI L’ASTÉROÏDE POUR T’ENTERRER
CORRIGÉ
SI ÇA SE TROUVE, CERTAINES DE CES ÉTOILES ONT DISPARU
LA DIGUE
4 commentaires:
Ne serait ce pas plutôt Tomorrow never knows, la chanson des Beatles..
Arf! On verra bien de quoi demain sera fait.
Corrigé merci !
C'est si éloigné de ce que je lis d'habitude et ca a l'air "barré" (selon mes critères), mais "La digue" me tente pas mal. Et puis j'adore Black Miror donc bon, je suis tout sauf fermée à ces problématiques. À voir donc :)
La digue est une réflexion sur la séduction et l'aspect "science-fictif" y est très léger. Ca devrait te plaire.
Enregistrer un commentaire