mercredi 14 juin 2023
Quelques mots sur Cormac McCarthy
Je n’ai lu que trois romans de l’auteur américain
Cormac McCarthy décédé hier, auxquels s’ajoute l’adaptation filmée des frères
Cohen de No country for old men. C’est peu mais suffisant pour redécouvrir
« le pouvoir écrasant du langage » à travers des pages parfois hallucinantes.
A l’image de l’urbain Don DeLillo, il avait célébré l’Amérique des grandes profondeurs
mais tout au Sud dans les paysages immenses et austères de la frontière
mexicaine. Un London ou un Faulkner dont les œuvres comme Méridien de sang
ou No country for old men seraient placées « Sous le soleil de
Satan ». Transcendant cette sauvagerie il avait célébré dans La
route ou De si jolis chevaux la résilience d’une Humanité arcboutée
sur quelques valeurs fondamentales, l’amour filial et paternel, la volonté de
ne pas plier sous la contingence du réel. Comme Roth, et en attendant Pynchon, DeLillo
et King, il aura été dispensé des plus grands honneurs. Homme discret, il
dirait que le bruit n’est rien comparé à la Création.
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96 commentaires:
Quel billet délicat, sincère. La mort d'un grand écrivain... Que veut dire grand écrivain ? On sait qu'on ne se trompe pas et pourtant quel est ce mystère, ce lien entre le lecteur et lui ? On ouvre ses livres et tout ce possible de la tristesse, de la souffrance tue est là au bord des mots. On fait route avec lui. On ne sait pas où l'on va en suivant ses personnages mais on y va. Et peu à peu, la danse de ses mots nous délivre du poids du secret enfoui dans nos peurs. Ses personnages souffrent pour nous, à notre place et pas plus que Cormac McCarthy on ne sait pourquoi. On est là , nous aussi sur cette route qui trace un sillon dans la nuit.
Vous le placez avec justesse sous le soleil de Bernanos, là , dans "ces paysages immenses à la frontière du Mexique."
Nos muscles sont douloureux de leur fatigue, nos pensées écorchées par leurs questions sans réponse, par le silence de l'enfant par le regard triste du vieux.
C'est une mort qui nous tire vers un monde de fiction où il a semé tant de réel. Il est mort et il n'est pas mort.
Mais Que vient faire ici Sous le Soleil de Satan , roman monstrueusement ambigu? La Route, c’est tout de même autre chose ! MC
McCarthy semble déplacer ses personnages dans un monde en proie au Mal, à la cruauté. Un monde dévasté ou seule la tendresse de l'homme pour son enfant ( La Route) apporte un peu de douceur.
Bernanos a osé ce grand combat de l'homme contre le Mal dans un monde sans Dieu.. Comme si Dieu gisait dans une flaque de sang, victime de la folie des hommes, à jamais inatteignable.
McCarthy nous conduit dans cet enfer où fugitivement des voix viennent nous hanter venues dont ne sait où. L'apocalypse du vingtième siècle avec la bombe atomique et la haine laisse ces errants marcher dans un paysage d'une beauté inouïe traversé du galop des chevaux sauvages et du silence de la neige tombant sur la jeune morte, brillante mathématicienne et son frère survivant, coupable d'être survivant. Un "passager" bien ambigu... Quant au tueur terrible de (No country for old man) n'est-il pas une image de Satan ?
J'aime cet écrivain, ce colosse aux livres incandescents.
Mais il y a aussi une sorte de folie dans certains chapitres de ces romans ainsi cette créature diabolique, le Kid, qui apparaît à la soeur de Western,, Alice, (Le Passager", dans son miroir. Une sorte de lézard hideux qui lui parle vulgairement. On pense à la statuaire du moyen-âge. Des anomalies spectrales... C'est vraiment un monde étrange où la fiction (comme cet avion de tourisme au fond de la mer, clos, où il manque un passager, le tableau de bord, la boîte noire,la sacoche du commandant... Alors qu'aucun accès ouvert dans la carlingue n'a permis entrée ou sortie....)
Un cauchemar qui a des accents du réel quand la guerre, les camps d'extermination, la bombe atomique, la théorie des cordes, les photons, les bosons, les quarks ( un emprunt à Finnegans Wake de Joyce. Mais la ce sont des mesures de fromage blanc !), la mécanique quantique... sont évoqués.
Comme si ces deux grandes intelligences, Walter et sa sœur, n'avaient pu exprimer leur génie dans un monde voué à la destruction. Même. Feynman, Higgs, Weinberg , Stückelberg et Einstein y trouvent place.
Quant à "No country for old man", dans le film des frères Coen et le livre, se superposent horreur et dérision. Violence du monde des narcotrafiquants et évanescence présente d'un héros à la Buster Keaton.
Un monde que je n'arrive pas à préciser. Pas de la science-fiction (malgré le chapitre V du Passager), pas du roman réaliste, pas un conte. Un peu les tableaux hallucinés d'Ensor ou les peintures noires de Goya où les sorcières ricanent.
C'est une incroyable liberté pour créer, une intuition des catastrophes à venir, la mémoire de l'impossible qui pourtant a eu lieu. Et au milieu de ce tourbillon noir des personnages d'une grande pureté, un monde où les exclus, les miséreux, les vagabonds ont une place.
Il était austère, vivait à distance du monde de l'édition. Presque un ascète. Il continue à vivre par la part fictionnelle qu'il a mis au monde en écrivant, traversant le temps et l'inconnaissance que nous avons de l'univers, des galaxies, du temps. Le caractère indéterminé de la réalité.
Ce n’est pas du tout la même perspective que comparer la Route et « « Sous le Soleil de Satan ». Il y a une religion dans le premier qu’on chercherait en vain dans le second! Laissons Bernanos ou il est. Bien à vous. MC
Alice et Bobby Western dans le roman de McCarthy "Le passager" me fait beaucoup penser à Ulrich et Agathe dans "L'homme sans qualités" de Robert Musil.
Un frère et une sœur qui s'aiment intensément sans sombrer dans le l'interdit de l'inceste.
C'est rare dans les romans de McCarthy les personnages féminins. Celui-ci est splendide. Tout au long du roman on revit la folie d'Alice la conduisant à dialoguer avec ce personnage imaginaire au langage cru et violent. Comment cette mathématicienne brillante peut en venir à se suicider ? Peut-être la faute du père, chercheur qui a participé à la création de la bombe nucléaire, peut-être à cause de l'Holocauste. Comme si la vie ne valait plus la peine d'être vécue. Elle entraîne par sa mort le deuil inconsolable de son frère Bobby Western qui après cette mort abandonnera son métier d'astrophysique pour être plongeur chercheur d'épaves. Et qui le poursuit inlassablement le transformant en fugitif ? Des mystères épais dans ce roman complètement désespéré et tant lumineux. Il faut que je lise maintenant "Stella Maris".
Nous ne rangeons pas notre bibliothèque de la même façon
Voir les liens que la littérature a tissé avec le Mal...
Stella Maris" est le nom de l’institution où Alice Western s’est faite interner. On y trouve les neufs derniers entretiens avec son psychiatre.
A la fin du "Passager", page 531 :
"De mourir à la guerre ?
De mourir sans avoir cessé de croire. Oui.
De croire à quoi ?
(...)
Vous ne croyez en rien ?
Un homme croit toujours en quelque chose. Je crois à la réalité du monde. Le monde est ici. Il n'est pas autre part. Je crois que les morts restent sous terre. J'attendais un signe de Dieu et je ne l'ai jamais eu. Et pourtant il est resté croyant et pas moi. Il disait qu'une vie sans Dieu ne pouvait pas préparera ay une mort dans Dieu. A ça je n'ai pas de réponse."
Une très belle recherche de Juan Assensio dans
son site "Stalker", a propos d'une citation (non traduite) dans "Le passager" de McCarthy :
"C'est en lisant Borges dans ses Otras Inquisiciones, bizarrement traduites en français par Enquêtes, que j'ai pour la première, et dernière fois aussi, du moins jusqu'à ce que Cormac McCarthy ne me la remette sous les yeux dans son Passager (1), lu la phrase que Daniel von Czepko écrivit en 1655, extraite de Sexcenta monodisticha sapientum (III, II), qui suit : «Vor mir war keine Zeit, nach mir wird keine seyn», immédiatement suivie de ce passage que ne reprend pas Cormac McCarthy, «Mit mir gebiert sie sich, mit mir geht sie auch ein», que nous pourrions traduire par quelque proposition de solipsisme aussi radical que : Avant moi il n'y avait pas de temps, après moi il n'y en aura pas et Avec moi il est né, avec moi il mourra aussi."
Quelle belle note dans son étude du "Passager" !
http://www.juanasensio.com/archive/2023/03/10/le-passager-de-cormac-mccarthy.html
La citation se trouve au début du chapitre X le dernier), page 509.
Bobby Western est sur un bateau. Il sort son petit carnet et écrit au crayon : "Vor mir war keine Zeit, nach mir wird keine sein." Il rangea le carnet dans son filet à provisions et contempla les mouettes dans les feux de la mâture où elles vivraient au-dessus de la poupe."
Dont voici la première page :
"La patiente est une jeune Juive/Blanche de vingt ans. Charmante, éventuellement anorexique. Visiblement arrivée dans l'établissement il y a six jours en bus et dans bagages. Admission signée par le Dr Wegner. La patiente avait dans son sac à main un sachet plastique rempli de billets de cent dollars - au moins quarante mille - qu'elle a essayé de donner à la réceptionniste. La patiente prépare un doctorat de mathématiques à l'université de Chicago et a été diagnostiquée schizophrène paranoïde avec une très ancienne étiologie d'hallucinations visuelles et auditives. A déjà fait deux séjours dans l'établissement."
Suit, en contraste, le premier échange avec le docteur Cohen , qui ne manque pas de saveur !
"(...) Je suis chez les dingues.
Bon. A part ça, disons. Vous faites ça depuis combien de temps ?
Environ quatorze ans.
Vous allez enregistrer.
Il me semble que c'est ce qui avait été convenu. Ça. Vous va ?(...)
Si, c'est bon. Encore que, je précise que je ne me suis engagée qu'à bavarder. Pas à suivre une quelconque thérapie. (...)
Vous devriez me parler un peu de vous.
Oh là là.
Non ?(...)
Ça va. On fera comme vous l'entendez. Qu'est-ce que ça peut foutre."
Comme si ces deux grandes intelligences, Walter et sa sœur"
Correction : Bobby Western et sa sœur Alice ( ou Alicia).
Comme Roth, c'est un des nombreux loupés du Nobel.
Alors que Silverberg est toujours en vie : il a encore toutes ses chances ! (Mais ne rêvons pas).
Salut Olivier. Il me reste d'autres livres de McCarthy à parcourir, c'est ça le rêve. A cette heure c'est Méridien de sang qui m'a le plus impressionné.
"L'homme sans qualités" de Robert Musil.
Un de mes oublis
Oui, nous cheminons d'un roman à l'autre, tranquillement avec l'indolence des chats.
Je regarde Solaris d'Andreï Tarkovski. J'aime cette planète mémoire... Un grand film de science-fiction.
https://soleilgreen.blogspot.com/2022/01/solaris.html
Merci beaucoup pour cette superbe note.
Et en particulier pour cet extrait du roman qui est ay l'origine du film :
"Nous nous envolons dans le cosmos, préparés à tout, c'est-à-dire à la solitude, à la lutte, à la fatigue et à la mort. La pudeur nous retient de le proclamer, mais par moments nous nous jugeons admirables. Cependant, tout bien considéré, notre empressement se révèle être du chiqué. Nous ne voulons pas conquérir le cosmos, nous voulons seulement étendre la Terre jusqu'aux frontières du cosmos. Telle planète sera aride comme le Sahara, telle autre glaciale comme nos régions polaires, telle autre luxuriante comme l'Amazonie. Nous sommes humanitaires et chevaleresques, nous ne voulons pas asservir d'autres races, nous voulons simplement leur transmettre nos valeurs et en échange nous emparer de leur patrimoine. Nous nous considérons comme les chevaliers du Saint-Contact. C'est un second mensonge. Nous ne recherchons que l'homme. Nous n'avons pas besoin d'autres mondes. Nous avons besoin de miroirs. Nous ne savons que faire d'autres mondes. Un seul monde, notre monde, nous suffit, mais nous ne l'encaissons pas tel qu'il est. Nous recherchons une image idéale de notre propre monde ; »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Stanis%C5%82aw_Lem
Cette très belle notice de wikipédia sur l'auteur Stanislaw Lem
De Kritikat : "Film consacré à un oubli impossible, selon la formule de Jacques Aumont, Solaris traite de la survivance des êtres et des œuvres (voir les références entre autres à Brueghel, Dürer, Léonard de Vinci), de leur pouvoir de hantise, en vue d’une sympathie commune, d’une harmonie, d’une résonance vibratoire.
Solaris est un grand film d’amour, d’un amour coupable qui se fait rédempteur, révélant ce qui lie profondément des êtres : l’être aimé existe pour toujours en pensée, mais est aussi toujours menacé par l’oubli. "
Rappels très justes . Ces quatre tableaux de Breughel l'ancien sont une très belle halte dans le film. Cet océan qui est Solaris est d'une beauté envoûtante. Il y a un mouvement perpétuel lancinant dans ce film comme la musique de Bach.
La superposition de deux plans pleins de douceur au début et à la fin du film donne la puissance de l'imaginaire envers et contre tous quand il se met au service d'un souvenir d'amour... perdu.
Critikat.com/Solaris
Brueghel l’Ancien (correction) pour Les Chasseurs dans la neige et L'hiver. Mais il y a aussi deux autres oeuvres d'art : le Don Quichotte de Cervantes de ? et l'icône de La Trinité d’Andreï Roublev enfin pour la musique de Bach c'est le Prélude en fa mineur .
des algues qui ondulent dans l'eau et le vent qui agite les feuillages. La darcha dans un coin de verdure. Bref, la douceur de vivre.
la datcha
Aïe Solaris est avant tout un roman!
Oui de grands extraits sur internet m'invitent à le lire. Mais le film de Tarkovski est d'une grande beauté. Tout y tourne autour de cet amour qui ne veut pas mourir et que cet océan miroir duplique à l'infini. Et puis c'est l'occasion de "voir"la science-fiction autrement. Une
Interrogation spirituelle plus que les machines, une intériorité plus que la rencontre avec des entités extraterrestre.
Mais je lirai le livre qui semble aussi être une belle interrogation spirituelle.
Tarkovski ? On aime ou on refuse. J'aime infiniment ses films, son univers
J'ai eu envie de voir ce film après avoir revu récemment celui de Kubrick "2001 l'odyssée de l'espace". J'ignorais à
ce stade l'existence du roman de Stanislaw Lem.
J'ai commandé le livre que j'imagine différent.
Mais les deux films auxquels je me réfère sont intéressants à comparer. Grandiose monolithe noir, vues de l'espace, tourbillons vertigineux en approchant de Saturne, lutte avec le robot et mort du robot , étonnante séquence finale pour Kubrick.
Bricolage pour le vaisseau de Tarkovski, préférence du décor champêtre sur terre, magnificence de l'océan vivant de Solaris, richesse des débats philosophiques à la fin du film, , jeu du chat et de la souris un peu pervers avec la réapparition incessante et fantomatique de la femme morte et regrettée, ratage de ces rencontres mais espoir pour lui de la revoir encore et encore.
Le monolithe crée de l'intelligence, l'océan vivant de Solaris ne renvoie l'homme qu'à lui-même, a ses obsessions et à l'inconnaissance qu'il a de lui et de sa femme morte.
Kubrick nous renvoie à la science-fiction, Tarkovski au repliement sur soi, au huis clos - pas vraiment à la science-fiction mais au surnaturel , oui.
Les deux flirtent avec une certaine idée de Dieu, quelque chose qui le remplacerait pas vraiment angélique...
J'aime cette expérience. Et bientôt grâce au billet de Soleil vert, et au rappel anonyme, lecture du roman de Stanislaw Lem à l'origine de la création de Tarkovski.
J'adore les aventures de ce blog !
J'ai eu envie de voir ce film après avoir revu récemment celui de Kubrick "2001 l'odyssée de l'espace". J'ignorais à
ce stade l'existence du roman de Stanislaw Lem.
J'ai commandé le livre que j'imagine différent.
Mais les deux films auxquels je me réfère sont intéressants à comparer. Grandiose monolithe noir, vues de l'espace, tourbillons vertigineux en approchant de Saturne, lutte avec le robot et mort du robot , étonnante séquence finale pour Kubrick.
Bricolage pour le vaisseau de Tarkovski, préférence du décor champêtre sur terre, magnificence de l'océan vivant de Solaris, richesse des débats philosophiques à la fin du film, , jeu du chat et de la souris un peu pervers avec la réapparition incessante et fantomatique de la femme morte et regrettée, ratage de ces rencontres mais espoir pour lui de la revoir encore et encore.
Le monolithe crée de l'intelligence, l'océan vivant de Solaris ne renvoie l'homme qu'à lui-même, a ses obsessions et à l'inconnaissance qu'il a de lui et de sa femme morte.
Kubrick nous renvoie à la science-fiction, Tarkovski au repliement sur soi, au huis clos - pas vraiment à la science-fiction mais au surnaturel , oui.
Les deux flirtent avec une certaine idée de Dieu, quelque chose qui le remplacerait pas vraiment angélique...
J'aime cette expérience. Et bientôt grâce au billet de Soleil vert, et au rappel anonyme, lecture du roman de Stanislaw Lem à l'origine de la création de Tarkovski.
J'adore les aventures de ce blog !
Et maintenant l'ombre de Virginia Woolf dans "The Hours". de S.Daldry..
"Mrs Dalloway"... La mort dans la rivière... Sa vie...
De grandes actrices : Nicole Kidman, Meryl Streep, Julianne Moore...
Une femme que j'ai aimé lire passionnément et que Paul Edel évoquait récemment....
Stephen Daldry, adapte le roman de Michael Cunningham, "The Hours "(Prix Pulitzer, 1978), et propose un film sensible que j'ai plaisir à revoir alors que le soleil est au dehors. Ici fraicheur ombreuse de l'appartement volets baissés.
Petite rectification: Le monolithe ne crée pas l'Intelligence. Il en accompagne, comme un signe (alchimique? Certains le pensent.), les différentes manifestations de la Préhistoire au Voyage Final.
Bien à vous. MC
Oh merci si intuitif lecteur. Toujours un grand plaisir de penser à vos interventions.
Celle-ci en ce signe alchimique que certains voient dans le monolithe est passionnante.
Je me souviens de ces images sidérantes où l'os envoyé en l'air se transforme en vaisseau spatial et ces singes humanoïdes qui découvrent le geste qui tue.
L'homme tue, n'arrête pas de tuer et de massacrer.
mais il y a contre ce néant en marche, la création, l'acte de créer. Écrivains, cinéastes, artistes plasticiens, musiciens... Des germes d'espérance.
Belle journée à vous.
Ces trois destins de femmes liés par l'œuvre de Virginia Woolf c'est très beau et infiniment triste et reposant par grande chaleur sur le bitume parisien. Heureusement les matins sont frais et propices à la marche.
MC, j'ai revu 2001. Il faudra que je lise le livre de Clarke qui a collaboré avec Kubrick.
Les chœurs de la musique de Ligeti qui accompagnent les trois apparitions du monolithe donnent une impression de mystère, de magie et d'irrationnel.
Ce monolithe n'est-il pas le seuil de l'inconnu , de l'infini.
Signe alchimique, dites-vous...
Je le vois comme une forme abstraite, impénétrable, incompréhensible, parfaite. Ici antérieure à l'apparition de l'homme.
Je pense à Melencolia de Dürer et ce mysterieus tétraèdre qu'elle semble interroger...
Est-il aussi cette force négative qui commande à l'ordinateur HAL de tuer les astronautes.
Sur Jupiter nulle réponse. Reste ce fœtus monstrueux dont Clarke explique paraît-il la présence par une destruction de ce qui est source de mort dans cette technologie avancée, annonçant un renouveau axé sur la paix et l'harmonie.
La symbolique de Solaris est différente. Au silence et bruits de respirations de 2001 répondent les dialogues philosophiques de Tarkovski. A l'infini de Kubrick, l'introspection de ce visiteur suis ne sait que faire de cette présence anormale de sa femme puisqu'elle est morte dix ans auparavant.
Quelle réponse cherche-t-il dans les tableaux de Brueghel ou dans l'icône de Roublev ?
Le créateur, Tarkovski, a laissé beaucoup de traces mystiques dans des entretiens sur ce qu'il cherche dans l'humain : la beauté, la pureté et non un monde sans Dieu qui est le Mal pour lui.
Reste que ces deux films sont très poétiques.
Vu, hier au soir, un autre film de science-fiction très intéressant : "Source Code" de Ducan Jones. Une variation sur la liberté intérieure mais aussi une exploration d'une suggestion selon laquelle le cerveau resterait performant huit minutes après la mort . Un pari sur lequel est construit la fiction.
https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/durer/melencolia.htm
Voilà !
Voilà, j'ai le livre Solaris ( Babel) traduit parJM. Jasienko. Je lis et je vous donnerai mes impressions.
Je viens d'avaler les 50 premières pages. C'est vif, facile à lire. Impression de voir le film en accéléré. Ce qui est aérien car Tarkovski étire le début du film interminablement . Dans le livre on est très rapidement sur la station spatiale Solaris qui gravite autour de la planète aux deux soleils où la capsule s'est posée.
Et là, sortilège , ce que Kris Kelvin vit, décrit c'est tellement les images du film que je me sens entre deux, les mots et les images. C'est très agréable. Très très agréable.
J'aime beaucoup l'écriture de Stanislas (w) Lem.
La couverture de Vincent Mahé est très réussie. Sobre. Intense. Et j'aime cette matière cartonnée, douce et souple des ouvrages édités par Babel.
Quand même, que c'est bien les livres papiers... C'est tellement plus sensuel que la tablette. De plus il est neuf et sent bon l'encre.
J'ai vu que Soleil vert a mis en ligne un nouveau billet mais là trop envie de dévorer celui-ci.
Fenêtre entrouverte. Le merle chante. C'est son heure. Le ventilo gorgé de glaçons rafraîchit l'air. Tout est bien.
Ah, le livre supplante peu à peu le film. Les personnages ont une présence beaucoup plus affinée, en particulier Kris et sa femme (?) Harey. On comprend mieux cette oppression que vit Kris littéralement envahi par Harey, indestructible. Réapparaissant avec une innocence parfaite. Elle ne sait d'où elle vient, ne se souvient de rien. C'est très impressionnant et remarquablement analysé. Oui. Il faut lire le roman. Absolument.
Les déambulations dans l'espace de la station dont aussi d'une précision rendant le mystère oppressant.
Vraiment merci du conseil
Quelle expérience étrange. L'écriture entraîne le lecteur dans l'imaginaire des voix, des visages, des objets, des lumières par le verbe. Les images du film, la musique fascinent, imposent un rythme, une interprétation. Le lecteur est libre dans le mystère de l'écriture. Il crée en lisant.
Le spectateur absorbé, vaincu, délicieusement rivé à l'écran, modelé par la volonté du réalisateur par son choix des personnages, du décor, de la scène.
Je retrouve la liberté de lire à mon rythme.
Drôle d'expérience, oui...
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2023/06/14/cormac-mccarthy-liberte/
JJJ a trouvé ce lien, magnifique.
Tarkovski qui pendant le tournage de Solaris correspondait avec Lem dit lui avoir suggéré de supprimer le voyage vers Solaris et de tout tourner dans la maison et ses abords mais Lem n'était pas d'accord. Cette différence est intéressante
Cette remarque est d'autant plus intéressante que le roman de Lem offre pages 106 une explication possible de ces apparitions :
"Bon, mais n'a-t-il jamais eu des pensées incontrôlées ? Où peut-être même ne les a-t-il pas eues... Quelque chose, un fantasme, a surgi quelque part en lui, il y a dix ou trente ans, quelque chose dont il s'est défendu et qu'il a oublié, et qu'il ne redoutait pas, car il savait que jamais il ne laisserait s'épanouir cette chose et que jamais elle n'entraînerait aucun acte. Et maintenant, imagine que, tout à coup, en plein jour, il rencontre ce... cette pensée, incarnée, rivée à lui, indestructible ! (...)
De tels cas existent, n'est-ce pas ? Tu comprends, par conséquent, qu'il doit exister des choses... des situations que personne n'a osé matérialiser et que la pensée a engendrées par accident, dans un instant d'égarement, de démence, appelle ça comme tu voudras. A l'étape suivante, l'idée devient matière. Voilà. "
https://soleilgreen.blogspot.com/2022/01/solaris.html
Ah,merci !
"Dès mon entame du récit voici plusieurs décennies, l’Océan qui recouvre entièrement la planète, décrit tantôt noir, tantôt cuivré, parfois couleur mercure a transformé ma lecture en un rêve éveillé. "
Même impression.
"Outre un huis-clos, Solaris c’est aussi l’invention d’une science, la solaristique, le recensement des études et théories menées sur l’Océan. Elles alourdissent le texte comme les tentatives de taxinomie des phénomènes."
Tout à fait d'accord. Le chapitre intitulé "La conférence " (133 à 194) nous éloigne progressivement de l'ahurissement de Kris quand il découvre la composition impossible du sang d'Harey. C'est dommage.
Votre billet est équilibré et donne à repérer le meilleur du roman et ses faiblesses.
J'aborde le chapitre suivant (195)...
PS je vous trouve dur avec la couverture de Babel. Cette page presque
entièrement noire si ce n'est la terre au fin fond de l'espace et cette évocation de Solaris sur la gauche.
Qu'auriez-vous créé ? Peut-être un Magritte....
Je me cite :
"Était-ce, est-ce si difficile de réunir en un tableau ces trois éléments fondamentaux de l’intrigue, l’Océan, Kelvin et Harey ?"
BAV SV
Absolument !
Vous arrivez en même temps que l'orage. Vent. Pluie. Tonnerre. Éclairs.
Ça rafraîchit !!!
Quand je regardais et écoutais les rafales de vent, je pensais à ce beau passage et du roman et du film de la feuille de papier découpé et en bandelettes et collée au ventilateur de la station orbitale pour imiter le bruit du vent dans les feuillages.
découpée en bandelettes
Me voici dans la mémoire du feuillage"
Jean-Louis Peyre - poèmes choisis
Ce chapitre "oxygène liquide (195/216) est très intéressant pour mieux comprendre la nature d'Harey, son rapport avec la femme défunte de Kris Kelvin avec lui. Le rapport entre l'immortalité et la mortalité. Kris est rongé par un remords, une culpabilité, dûs à son attitude ayant conduit sa femme au suicide. Il se pourrait alors, que cette fiction soit un aveu, une tentative de prise de conscience et de réparation.
Kris Kelvin réussit maintenant à distinguer l'une de l'autre.
Ce chapitre éclaire aussi l'utilité de l'océan Solaris.
C'est un beau roman quand on sort de tout le verbiage qui se prend trop au sérieux pseudo scientifique sur la solaristique. Tarkovski l'a remplacé par des discussions philosophiques... sans fin.
Vous avez raison : "Était-ce, est-ce si difficile de réunir en un tableau ces trois éléments fondamentaux de l’intrigue, l’Océan, Kelvin et Harey ?"
Il y a page 268 quelques lignes qui pourraient éclairer le choix de l'illustrateur Vincent Mahé pour ce roman édité par Babel.
" Le phénomène se termina de façon surprenante. De l'ouest arriva une chape d'ombre, avançant sur une largeur de plusieurs centaines de milles ; quand cette ombre mouvante eut dépassé la Station, la partie phosphorescente de l'océan, reculant vers l'est, parut fuir le gigantesque éteignoir ; ce fut comme une aurore en déroute, repoussée jusqu'à l'horizon, que cernait un dernier halo ; et la nuit triompha."
C'est un étrange roman hybride.
J'ai noté page 254 cette ligne : "la pierre angulaire, profondément enfouie dans les fondations de l'édifice, c'est l'espoir de la Rédemption."
Une pensée qui traverse la rencontre de Kris Kelvin et Harey.
Dans les autres fictions de cet auteur, Stanislas (w) Lem, cette pensée est-elle présente ?
Il définit aussi la conquête spatiale avec beaucoup de lucidité.
Page 107, par exemple :
"C'est un mensonge. Nous ne recherchons que l'homme. Nous n'avons pas besoin d'autres mondes. Un seul monde, notre monde, nous suffit mais nous ne l'encaissons pas tel qu'il est. Nous recherchons une image idéale de notre propre monde ; nous partons en quête d'une planète, d'une civilisation supérieure à la nôtre, mais développée sur la base du prototype de notre passé primitif."
Voilà, terminé.
Très beau final dans cette rencontre entre l'océan Solaris et Kelvin.
Interrogation philosophique vers un Dieu immature, imparfait qui rappelle le drôle d'enfant à la fin de 2001, l'Odyssée de l'espace.
Donc Kelvin choisit une attente incertaine...
Je vais reprendre le roman de Cormac McCarthy, Stella Maris laissé en plan page 50 pour cause d'approche de la planète Solaris.
Méridien de sang un extrait d'un des textes de Stalker :
Méridien de sang, truffé de vocabulaire et de références religieuses, est peut-être l'un des romans contemporains les plus vides de Dieu, et nous avons vu que le Christ y est toujours moqué, souillé, parodié, tué (cf. p. 392) alors même que triomphe l'esprit du juge Holden qui est celui de la guerre : «Si la guerre n'est pas une chose sainte l'homme n'est qu'une poussière grotesque» (p. 382), affirmation qui sera infléchie de manière bouleversante dans La Route, lorsque le narrateur affirme que, si l'enfant ne résume pas l'histoire de tous les prophètes, alors plus rien, en somme, n'a de sens.
Sous le soleil de Satan donc ?
Ah oui, je me souviens.vous aviez écrit que c'était votre préféré.
Vous et Stalker, c'est le choix du roi !
Très impressionnant cet extrait... Toujours la recherche de sens...
Peut-être bien ma prochaine lecture du grand Cormac McCarthy.
Mais une épreuve certaine : cette violence qui a eu lieu réellement et d'elle et par ce gosse à la dérive, risquer de tout mélanger du bien et du mal. Opposer à ce méridien de sang la beauté du monde.
Je pense au colonel Kurtz fou de tueries, Conrad... à ces grands romanciers qui trouvent le courage d'affronter la bestialité de l'homme. Cette folie qui le saisit quand la colère, la douleur brouillent le regard.
Cormac McCarthy ne peut avoir traversé la violence gratuitement. Il cherche... il cherche...
Ça c'est de l'écriture. Ça vous happe. Et ce n'est pas de la triche. Ça sonne vrai.
Formidable conseil de lecture. Je ne suis pas prête de passer au-dessus !
Merci pour les cinquante premières pages de Méridien de sang . Du grand McCarthy.
J'y retourne.
Mais avant :
" Le visage de l'enfant est curieusement intact derrière les cicatrices, les yeux etrangements innocents. On se bat aux poings, à coups de pied, avec des bouteilles, au couteau. Toutes les races, toutes les engeances. Des hommes dont le parler ressemble au grognement des singes. (...)
Maintenant seulement l'enfant s'est enfin défait de tout ce qu'ils a été. Ses origines sont devenues aussi lointaines que l'est sa destinée et jamais plus tant que durera le monde il ne se trouvera des sols assez sauvages et barbares pour éprouver si la matière de la création peut être façonnée selon la volonté de l'homme ou si le cœur humain n'est qu'une autre sorte de glaise."
Lire ce roman exige une telle attention qu'un silence épais enveloppe tout jusqu'à ce que les mots deviennent une voix, celle de celui qui raconte.
La pâte d'écriture est violente, superbe. Les massacres se suivent et l'enfant passe avec les yeux grand ouverts et tant de questions. Pour l'instant, il marche, essayant de sauver sa peau. Aucun être sain près de lui. Tous, assoiffés dans cette fournaise ne connaissent aucune pitié. Les plus belles pages traversent une nature convulsee, électrique, rocailleuse. Des oiseaux charognards campent sur les cadavres. Les hommes, enfin, les survivants, passent, épuisés, fantomatiques. Les rares chevaux épargnés, efflanqués, cheminent hagards. D'où vient la force de ce gamin ? Comment cette vision d'horreur pénètre en lui et le transforme lentement, émoussant tout sentiment de révolte ou de compassion ?
Une écriture qui entre en nous comme un scalpel, tailladant la sérénité pour éveiller l'inquiétante intuition du pire à venir. Très très beau livre. Vos entêtements, Soleil vert, mènent au livre et c'est bien
Admiration pour ce billet inspiré fouaillant dans un de mes romans préférés :
https://pauledelblog.fr/2023/06/20/relire-aurelien-daragon-somptueux/
Ça doit être infernal dans la tête de Cormac McCarthy quand il écrit de telles horreurs qui sont la trace des hommes qui ne s'empêchent plus. Tous les instincts bestiaux se retrouvent ici pour tuer sans raison juste parce que ça démange. Tout ce sang... Et l'enfant regarde. Et je suis terrifiée dès que j'echappe à la certitude que c'est une fiction.
Dans Aurélien d'Aragon. Tout à la fin, quant tout est perdu, j'avais souligné ce passage page 682 :
"Un pays dévasté sur qui redescend le silence. Dévasté, mais non par la guerre. Un pays lentement dévasté par un cancer qu'il porte en lui. Et qui prend les champs puis les maisons. Un désert. Un désert d'hommes."
Que c'est bien d'être épargné par l'écriture. Qu'elle n'ait pas refermé ses serres diaboliques sur mon imaginaire ! Tout en moi veut que cette histoire soit fictive et pourtant... Déjà que lire met en danger mais écrire... Entrer dans ce lieu infranchissable. Au moment où il écrit c'est comme s'il était pris de folie. Le langage contient toutes les expériences qu'il nomme car le passé qui est à l'origine de ces mots a existé.
C'est aussi cela être au monde.
Un roman qui permet de ne pas oublier les ténèbres..
Comme si il projetait tous ces personnages et ce paysage en lui.
La beauté des paysages traversés est fulgurante. Lumière et ombres comme autant de touches de couleurs. L'indigo dans le soir tombant. C'est très poétique et sauvage.
Haruki Murakami...
Dans un des billets concernant cet auteur, "Kafka sur le rivage", vous écrivez : "L’identification de Tamura Kafka à Antoine Doinel suggérée par l’auteur renvoie à un thème science-fictionnesque, l’enfant comme espèce différente. Les japonais ont d’ailleurs traduit le titre du film de Truffaut Les 400 coups, comme le rappelle judicieusement Corinne Atlan, par "Les adultes ne comprennent pas".
Cette suggestion me ramène à Cormac McCarthy, à ce roman incroyable "Méridien de sang". Tellement difficile à lire quand les phrases interminables de prennent dans les ronces des mots. Tellement bouleversant. Tellement beau par la langue d'écriture dans des plages hors du sang et de la mort.
Pour quelles raisons a-t-il choisi comme meneur de son roman ce "gamin" qui va quitter certainement l'enfance dans cette traversée désespérante ?
J'en suis à la page 187... mais je me souviens avoir été happée par les premières lignes du roman :
"Voici l'enfant. Il est pâle et maigre, sa chemise de toile est mince et en lambeaux. Il tisonne le feu près de la souillarde. Dehors s'étendent des terres sombres retournées piquées de lambeaux de neige et plus sombres au loin des bois où s'abritent encore les derniers loups. Sa famille ce sont des tâcherons, fendeurs de vous et puiseurs d'eau, mais en vérité son père a été maître d'école. Il ne dessoûle jamais, il cite des poètes dont les noms sont maintenant oubliés. Le petit est accroupi devant le feu et l'observe."
Il pleut doucement sur Paris. Impression de vivre dans un temps passé. Je revois ce bel immeuble. Il fallait passer sous le porche, entrer dans le jardin et, taper un code et traverser le hall. Au premier, des petites salles propices au travail d'écriture, paisibles. Le bâtiment était presque vide le samedi. Un jeune gardien débonnaire échangeait volontiers des propos amicaux avec les uns et les autres. Aux murs les créations des jeunes résidents, des photos et vidéos des ateliers.
Parfois je m'approchais des fenêtres si belles, regardais la rue, les passants, les immeubles de la place tout en rondeur. En arrivant nous passions devant les grilles du Val de Grâce. Dôme imposant. Un autre monde...
F. nous lisait des passages des "Vies minuscules" de Michon, s'attardait sur les passages où il changeait de temps, passant du passé au présent fictif de ces vies.
Le désir d'écrire montait en chacun de nous, irrépressible. C'est là qu'elle s'éloignait discrètement, nous laissant seuls avec nos écritures. Le lieu devenait un lieu de fiction. Le jardinet en contrebas donnait des envies de rêver, de scruter cette architecture si rare, de dessiner.
Hier, tout ce souvenir a explosé dans le feu, et l'affolement, la douleur, la peur. Je regardais , hagarde, ce trou béant dévoré par les flammes, cette fumée épaisse sans doute âcre. J'écoutais ces témoignages bouleversés. Dans la nuit les clignotements des ambulances, des voitures de pompiers. Des blocs de pierre gigantesques partout, des vitres brisées.
Parfois la vie ressemble à une fiction. Où est cette maison, ce havre de paix ? Ce silence empli de mots venus dont ne sait où...
Ce matin, impossible de reprendre la lecture de "Méridien de sang". Cette chevauchée d'apocalypse où le sang gicle à toutes les pages. Les mots deviennent incongrus. Car, là-bas, un peu de mon passé a explosé.... a disparu...
Je voulais faire une pause. J'ai repris "Stella Maris", là où je l'avais laissé c'est à dire page 52, et là , ô surprise, je lis :
"Je ne suis pas sûre de ce que signifie le souvenir. Pour commencer. L'un des problèmes qui se posent est que chaque souvenir est le souvenir du souvenir précédent. On ne peut pas se rappeler les circonstances du souvenir réel. On s'y prendrait comment ? On se rappelle juste qu'on se le rappelle. Et encore seulement le souvenir le plus récent
(...) J'ai compris pour la première fois que le monde visible était à l'intérieur de notre tête. (...) Non pas créé à partir de rien mais de ce quelque chose dont la réalité est à jamais inconnaissable."
l'un
J'ai eu raison de reprendre ce livre de Cormac McCarthy. Ce que je lis maintenant me remet debout.
Page 54.
"L'une des choses dont j'ai pris conscience c'est que le monde évoluait depuis des milliards et des milliards d'années dans une obscurité totale et un silence total et que l'idée qu'on s'en fait ne correspond pas à ce qu'il était
Au commencement toujours n'était rien. Les novae qui explosaient en silence. Dans une obscurité totale. Les étoiles, les comètes. Tout était doté au mieux d'une existence supposée. Des feux noirs. Comme des feux de l'enfer. Le silence. Le néant. La nuit. Des soleils noirs qui conduisaient les planètes à travers un univers où le concept d'espace était dénué de sens parce que sans limites. Sans concept sur lequel l'appuyer. Et une fois de plus la question de la nature de cette réalité dont personne n'était témoin."
Une écriture qui fait le clair dans les pensées...
Alicia, la sœur de Bobby Western (Le passager) est vraiment un beau personnage. Elle était juste une jeune morte au début du roman, "Le passager". On découvrait peu à peu que cette brillante mathématicienne était hantée par les grandes tragediies du vingtième siècle et qu'elle sombrait peu à peu dans la folie.
Ici, dans "Stella Maris", les neuf entretiens avec son psychiatre dévoilent toute la profondeur de ses pensées. C'est un délice. Le dernier livre de Cormac McCarthy. Émouvant. Son seul personnage féminin et quel personnage !
La même obscurité au fond des océans où repose l'âme des morts....
Signe alchimique; divers symboles kubrickiens émanent de traités, y compris la fête d’ Eyes etc. Cela dit, pour le monolithe, c’est plus une intuition qu’autre chose. Bien à vous. MC
La fête, non. Une créature, oui.
Kubrick et son monolithe noir... Je suis loin de ce film, l'actualité aidant...
Je vous lis un peu sur un autre blog où se jouent d'inlassables batailles d'ego et de constructions d'images de soi idéales. Un monde devenu dérisoire...
Ici, les livres succèdent aux livres. J'ai choisi de cheminer dans ceux de McCarthy. "Le méridien de sang" . Malgré son écriture intéressante et la mémoire sanglante de la conquête de ces terres sur fond de massacres, le roman m'a lassée. Trop de sang, de tueries, pas assez de psychologie des personnages.
Pour "Stella Maris" , le dernier chapitre lu est tout entier pétri de la philosophie des mathématiques. Alice se passionne. Un peu rébarbatif...
Le roman précédent , "Le passager" commençait par sa mort puis par son dialogue avec ce Kid, créature imaginaire hantant ses délires. Alice écrivait alors une lettre à son frère, Bobby Western, entre deux séjours à Stella Maris.
Étrange ce désir de McCarthy de revenir à ce personnage féminin par le truchement de neuf entretiens avec son psychiatre. Ce fut son dernier livre...
Le Titan a implosé. Les centaines de migrants noyés en Méditerranée ont été vite remplacés par cette actualité...
Au fond de l'océan l'épave du Titanic, sombre tombeau de tous ces passagers. Les mers bercent tant de morts... Redoutables, mystérieuses, inconnues dans leur profondeur.
Vous évoquez le dix-septième siècle. Je pense aux globes terreste et céleste exposés à la BNF, a le représentation des continents, des mers, aux animaux fabuleux qui illustrent les connaissances et les rêves d'alors.
Allons, rêvons...
http://expositions.bnf.fr/monde-en-spheres/
J'évoque les Globes dits de Louis XIV, réalisés par le cosmographe vénitien Vincenzo Coronelli.
Offerts au Roi-Soleil, ils présentent une représentation de la Terre et du ciel.
Les voici :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Globes_de_Coronelli
Ils avaient échoué à Ste Genevieve où je les ai connus.
Alice a quelque chose à voir avec la sœur de C Max Carthy, qui finit folle, me semble-t-il. Et peut être Bobby… enfin vous connaissez le « Madame Bovary c’est moi « qu’on fait peser sur ces pauvres écrivains! Bien à vous . MC
Que faisaient-ils à sainte Geneviève ? En dépôt ? Oubliés ? Qui a eu l'idée de les installés at la BNF. J'ai été éblouie par toute cette représentation onirique du ciel et de la terre.
Peut-être... C'est quand même étrange ce choix pour sa dernière œuvre. Ça ne ressemble pas du tout à ses autres écrits.
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2023/05/17/limites-fiction-mccarthy/
Sébastien Omont écrit une note remarquable à propos de Stella Maris.
Ici,comme l'eau d'un étang. Toute une vie s'y développe lentement dans ses profondeurs...
Ils étaient en dépôt dans le hall d’entrée pour au moins deux d’entre eux, ceci sous verre. Ce n’était pas infamant. MC
https://fr.wikipedia.org/wiki/Globes_de_Coronelli
Ici, une notice assez détaillée que vous pourriez compléter par votre visite !
Quand je feuillette le blog de Soleil vert, je pense au bassin des nénuphars au bord duquel j'aimais écrire et dessiner. Un minuscule tuyau de plomb assurait un renouvellement de l'eau. Je regardais se transformer ces fleurs aquatiques, attendant comme un miracle le jour où leurs museaux mouillés traversaient la surface de l'eau pour offrir une corolle somptueuse d'un blanc ombré de rose autour d'un cœur jaune d'or. Je comprends la passion de Monet pour les nymphéas du bassin de Giverny.
Dans la grande salle du Jeu de Paume, ils couvrent maintenant le grand mur circulaire et l'on tourne lentement dans un mirage d'eau et de couleurs goûtant même les ombres bleues des feuillages.
Ici, chez Soleil vert, c'est exactement comme cela. Le lecteur de repose au milieu des mots nénuphars.
Oups ! C'est l'autre, le museey de l'Orangerie
http://www.musee-orangerie.fr/fr/collection/les-nympheas-de-claude-monet
Bonheur de lire Closer sur la RdL :
"closer dit: à
« Le Passager »
« Stella Maris »
Je peux me tromper mais il me semble que personne ici n’a parlé (ou par une vague allusion) des deux derniers romans publiés de son vivant par Cormac Mac Carthy et Passou moins que tout autre…
Etonnant, stupéfiant!
Je les ai lus tous les deux, le premier en français, le second en VO.
Il est tout à fait excusable de ne pas avoir aimé et même d’avoir laissé tomber en cours de route. Deux livres inclassables, déroutants, parfois incompréhensibles…Avec des passages d’une beauté envoûtante, comme CMC sait faire.
Le thème central a été mentionné partout: l’amour incestueux d’un frère et d’une soeur, surtout d’une soeur à vrai dire. Bobby Western aime Alicia, mais n’est pas prêt à renverser le tabou de l’inceste. Alicia veut carrément l’épouser (en fuyant et en changeant d’identité) et avoir un enfant de lui.
Les deux sont des sortes de génies; elle des maths; lui un peu moins et plus tourné vers la physique. Bobby a ce qu’on appellerait une vie active. Il est plongeur pour repêcher des épaves (magnifique description d’une tempête sur une plate forme pétrolière). Au début du « Passager », il rencontre en plongée l’épave d’un avion qui paraît intact et contient tous ses occupants (apparemment) encore attachés par leur ceinture. Mais il manque des choses et même un passager, « Le Passager » peut-être? On s’apprête à une recherche type polar…Et bien non. De mystérieux flics (?) tournent autour de Bobby. Tous ses biens sont saisis par le Fisc. Il est obligé de vivre en SDF sur la plage.
Là il est rejoint par « The Kid », le personnage mystérieux qui ressemble au Pingouin de Batman et hante les nuit d’Alicia avec sa troupe de saltimbanques.
Alicia est beaucoup plus jeune et sort de l’université avec un palmarès invraisemblable. Elle va à Paris rejoindre Grothendieck…Mais celui-ci abandonne les maths. Stella Maris est un dialogue entre Alicia et son psy, uniquement un dialogue qui nous éclaire (enfin, c’est beaucoup dire) sur le personnage principal. La physique quantique, les maths, la métaphysique ne sont pas absentes. Tous les grand noms défilent Wittgenstein, Dirac, notre Poincaré, Cantor, Riemann et bien d’autres. Oppenheimer aussi car leur père a travaillé avec lui sur la bombe. Leur deux parents sont morts d’un cancer, sans doute provoqué par les radiations. Encore un thème qui s’infiltre: la bombe, la culpabilité…
Mais au fait, de quoi ça parle? De la réalité avant tout. Du Kid, du monde, de l’univers, des concepts mathématiques, de la musique (oui, j’ai oublié, Alicia a investi une bonne partie de l’héritage de sa grand mère dans l’achat du violon parfait, un italien du 18ième siècle. D’ailleurs pour elle, le violon est une invention d’une perfection incompréhensible…), à quoi se raccrocher? Comment tout cela s’articule-t-il, s’imbrique-t-il, et quand on est mort? Mort? Maintenant CMC connaît la réponse.
Je n’ai pu m’empêcher de penser à Klaus Kinsky dans Aguirre. Aguirre veut épouser sa fille, car elle est la seule de sa race disponible à ses côtés et il veut la continuer. Alicia veut épouser Bobby, car il est aussi le seul de sa « race », quelque soit le sens que l’on donne à ce mot…Mais Bobby n’était pas tout à fait à la hauteur.
Il y trop de choses à dire, je m’arrête. Encore un détail: j’ai lu ces deux livres en un temps très court, sans m’arrêter, comme beaucoup de lecteurs…Va comprendre…"
Belle mémoire.
J'aurais eu un manque sans Stella Maris. Quelle profondeur qui laisse le lecteur interrogatif. Alicia a dû imploser avec ces questions a l'infini sur les mathématiques. C'est vrai. Quel mystère...
Voilà. Je referme "Stella Maris". Bouleversée. Sa mort envisagée sereinement comme la mort de Bobby dans "Que ma joie demeure" de Giono. (Il disait que l'éditeur avait refusé la fin qu'il désirait après que Bobby a été foudroyé. Giono voulait que son corps soit mangé innocemment par les petites bêtes de la forêt.) Alicia rêve de devenir "l'eucharistie" des bêtes sauvages une fois morte au milieu de nulle part, un coin retirer au milieu des loups dans la forêt. Elle confie dans son dernier entretien qu'il est difficile voire impossible de vivre dans le monde tel qu'elle le rêve. Grande âme à l'étroit dans un monde conventionnel qui se hâte de parler de folie devant sa démesure. Les sciences, les maths, un amour inconditionnel pour son frère, un Bobby aussi....
La mort que McCarthy lui offre au début du "passager" est d'une beauté saisissante.
Deux romans qui n'en font qu'un seul, atypique, excessif, magique.
retiré
"L'estimant inachevé, Giono a esquissé un épilogue en novembre 1934. Il explique pourquoi dans la préface de Les vraies richesses, terminée en janvier 1936. Cet appendice, intitulé « schéma du dernier chapitre » n'est pas vraiment rédigé — il ne comprend d'ailleurs que quatre pages — mais il est fondamental pour mieux comprendre l'auteur. À travers l'évocation du sort du cadavre de Bobi, tué par la foudre lors d'un violent orage, on comprend pourquoi et comment un être peut continuer une forme de vie, tant dans la nature qui la recueille, que dans l'esprit et le cœur des vivants. Une leçon d'humilité." (Wikipédia
"Bobi" pour le personnage de Giono
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