Shinji Kajio & Kenji Tsuruta - Souvenirs d’Emanon
- Latitudes
1967 : de retour de voyage, un étudiant emprunte
un ferry en direction de l’ile de Kyushu dans le sud du Japon. Fauché comme
tous les jeunes gens de son âge, il s’apprête à passer une longue nuit dans un
dortoir en compagnie de poivrots, quand une jeune fille vient s’installer près
de lui. De naturels réservés l’un comme l’autre ils finissent par faire
connaissance. Le narrateur - dont on ignore davantage l’identité que sa
mystérieuse interlocutrice - trouve un exutoire à un spleen existentiel dans la
lecture de livres de … science-fiction. L’adolescente s’appelle Emanon,
anagramme de No name. L’histoire qu’elle raconte est tout simplement
incroyable : elle est âgée de trois milliards d’années ! Au petit
matin elle disparaît sans laisser de traces. Le temps passe, l’adolescent
construit sa vie, fonde une famille, quand treize ans plus tard …
La trame très simple de Souvenirs
d’Emanon suggère deux niveaux de lecture. Le récit d’un flirt amoureux
sans lendemain - les êtres aimés viennent parfois d’ailleurs pour paraphraser
Pierre Bachelet -, ou la rencontre d’un esprit immortel comme dans les romans
de Henry Rider Haggard et Pierre Benoit, voir « Le Conte de Suzelle »
de Jean-Philippe Jaworski. La suite des évènements, les allusions à la
littérature de science-fiction, qu’il s’agisse de La mémoire du mort
de Curt Siodmak ou du prix Hugo récompensant en 1967 Robert Heinlein pour Révolte
sur la lune, inclinent à considérer la seconde hypothèse.
Au-delà des œuvres évoquées plus haut, la thématique de Souvenirs d’Emanon fourmille
d’entrées SF tels les deux ouvrages de Robert Silverberg consacrés à la légende
de Gilgamesh, Le grand secret de René Barjavel, Hedrock des Armureries
d’Isher, le cycle du Monde du Fleuve etc. Quartier Lointain, manga
de Jirô Taniguchi, évoque un personnage qui
s’affranchit aussi des barrières du Temps. A l’instar de ce dernier, Kenji
Tsuruta livre un graphisme de qualité, au-dessus des productions du genre.
Emanon, concentre en elle les figures du
sphinx, de la réincarnation et des archétypes jungiens. Et pour cause puisqu’elle
incarne la mémoire de l’humanité. Ce fardeau énorme qu’elle lègue à ses
successeurs tranche avec une apparence d’adolescente bohème. C ’est tout le mystère
de ce manga fort bien réalisé et publié où l’on appréciera comme chez Taniguchi
les moments de respiration qui aèrent l’intrigue. Les auteurs ont hélas poursuivi
l’aventure avec des suites fort dispensables.
2 commentaires:
Très beau manga et je vais poursuivre le cycle des Emanon.
Belle réflexion sur le temps,la mémoire et l'humanité.
Merci pour cette découverte et pour votre chronique fort documentée.
Une libraire
Merci !
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