dimanche 21 mars 2021

Desolation Road

 

Ian McDonald - Desolation Road - Ailleurs et Demain

 



« Dans le pire désert de Mars, il y a un coin plus perdu que les autres. Le docteur Alimantado l'atteignit par accident et le baptisa Desolation Road. Il sera rejoint par une série de personnages baroques, excentriques, marginaux, à la dérive, oubliés du destin et en quelque sorte dépourvus d'avenir.

On rencontre à Desolation Road des personnalités aussi singulières que Persis Tatterdemalion, pilote d'élite clouée au sol qui devient la tenancière du premier bar ; Rajandra Das, vagabond du rail, que les machines aiment tant qu'il les répare d'une caresse ; Paternoster Jericho, haut dignitaire du crime organisé qui fuit ses assassins. Et d'autres, nouveaux Martiens, sainte, pèlerins, militaires, terroristes, réunis sous la houlette du fondateur involontaire de Desolation Road, le docteur Alimantado, chronodynamicien génial, qui disparaîtra dans les couloirs innombrables du temps pour sauver sa ville. »

 

Trente et un ans après une première lecture (mars 1990 !) Desolation Road n’a rien perdu de sa superbe à mes yeux. A l’instar de Gabriel Garcia Marquez, mais on pourrait tout aussi bien citer Bagdad Café, obscur troquet échoué sur la Route 66 comme les baraques du docteur Alimantado sur les rails de la Bethlehem Ares Railroads Company, ou le chantier de la cité ferroviaire du film Il était une fois dans l’Ouest, Ian McDonald avait compris que les lieux de nulle part sont le centre du monde. Avant que l’enfer industriel ne broie la région, le village du chronodynamicien est un lieu de sortilège comme Macondo. On remarquera au passage qu’Alimantado et José Arcadio Buenda se passionnent tous deux pour la technologie. L’auteur prend soin de ne pas embarquer d’emblée le lecteur dans un exotisme martien. La terraformation a été un tel succès qu’hormis la couleur du sable les premiers méandres du récit empruntent les voies d’un Far West bien terrestre. Dès lors peuvent s’abattre les merveilles, singulières personnalités, cirques ambulants, sainte patronne des machines ou guitariste fabuleux échappé d’une station orbitale.


Le temps de la révolution industrielle initié par la découverte des oxydes ferreux des sables du Grand Désert, de la bureaucratie et des guerres placent la narration sur une nouvelle tessiture. Adieu Marquez, Orwell pointe le bout de son nez. Johnny Staline, enfant de Desolation Road embrigadé dans les usines de la Bethlehem Ares Railroads en devient une des redoutables huiles justifiant son nom. Les machines prennent le pouvoir, la population terrestre s’apprête à débarquer sur Mars. Que deviendra Desolation Road ?


On trouve dans cet ouvrage séminal ce qui fera le sel du Fleuve de Dieux et de La Maison des derviches, une inventivité extraordinaire, une écriture cumulative, qui est à elle seule un world building à l’intérieur du récit :

 « Et quand il eut fini de relater ses aventures dans des forêts plastiques mortes depuis des milliards d'années, dont il dessinait dans ses carnets les bizarres faunes et flores polymères, et ses croisières touristiques autour des triomphes futurs de l’humanité, colossales prouesses scientifiques dont la connaissance faisait du joyau de la couronne actuel, la terraformation de ce monde, une performance triviale et médiocre par comparaison; quand il eut raconté ses voyages dans la jungle planétaire d'arbres efflorescents, en quête d'hommes qui n'étaient plus humains, qui s'étaient eux-mêmes tellement transformés qu'ils avaient la forme de mélanges d'organes d'un rouge pulpeux, créatures arboricoles bulbeuses aux dures coquilles, aux tentacules tenaces, qui jetaient leurs intelligences créatrices de réalité dans les abîmes du Multivers pour communier avec les hautaines volontés inter dimensionnelles qui y siégeaient, lorsqu'il eut dit tout cela, nais aussi qu'il avait vu le soleil se couvrir de glace, marché sur les rochers tièdes comme lave de la terre nouvelle-née tandis que les éclairs de la Genèse dardaient leurs fourches tout autour de lui ; et qu’il avait vu Sainte Catherine planter l'Arbre du Commencement du Monde dans la roche nue de Chrysé et qu'il était aussi monté au sommet de l'Olympe, la plus haute des montagnes, pour voir le ciel fuser violet sous les fulgurants faisceaux des accélérateurs de particules lorsque ROTECH affronta les envahisseurs extraterrestres appelés les Célestes le tout premier jour de la 22ème Décennie, et que ce matin-là, oui, ce matin-là, il avait dégusté son thé à la menthe sur la calotte glaciaire de la planète à l'heure où le soleil bouffi et moribond emplissait l'horizon tandis qu'autour de sa tente sous la surface de la glace, rampaient les curieuses configurations géomé­triques dont il déduisit qu'elles devaient être les vestiges de l'humanité en cette époque de fin du monde : quand il eut fini de narrer tout cela, les ombres s'allongeaient déjà sous l’arbre parasol il y avait dans l'air comme une pointe de froideur vespérale, le chapelune commençait à scintiller là-haut dans le ciel et Eva Mandella avait déjà indu le docteur Alimantado et toutes ses histoires terribles et extraordinaires dans sa tapisserie sous forme d'un nœud coloré de verts jungle, de violets cataclysmiques, de rouges morbides et de bleus glaciaires traversés par le fil gris du voyageur temporel. »

2 commentaires:

Ubik a dit…

Faudrait que je le relise. J'en garde un souvenir émerveillé.

Soleil vert a dit…

Ian McDonald, un funambule de l'imaginaire comme Whittemore ou Morrow