Jean-Pierre
Andrevon - Le désert du monde - Denoël Présence du
futur
Nota : cet article
contient de nombreux spoilers dans sa deuxième partie.
Un homme sans nom et sans
passé s’éveille un matin dans une maison inconnue. Il n’a aucune idée de son
identité ni des circonstances qui l’ont jeté en ce lieu. Un silence total,
mortel règne. Une lente et anxieuse exploration des autres pièces confirme son
pressentiment : il y a des cadavres partout. Dehors, dans le village, la
même scène se répète. Dans les boutiques gisent des commerçants, des clients.
Des détails intrigants le frappe. Dans le Café, les bouteilles sont vides et
les étiquettes illisibles. Dans la boucherie, la viande n’a pas d’odeur. Plus
étrange encore, les mouches n’envahissent pas cette avalanche de corps sans vie.
Mais une autre espèce a subsisté : les rats. Ils déferlent partout et
s’attaquent à la chair humaine. L’homme sans nom, affolé, se retranche en vain
dans une pièce. Alors qu’il sombre dans l’inconscience, des voix off,
les mêmes qui précédèrent son réveil, s’élèvent…
Tel est l’enfer du Désert
du monde selon Jean-Pierre Andrevon. Le jour, un univers inanimé, des nuits
peuplées de rêves de guerres sans fin. Et ce ne sont pas les apparitions
successives et miséricordieuses d’un chien et d’une femme qui changeront la
donne. L’écrivain publie en 1977 ce texte de science-fiction post apocalyptique
dont l’écriture intense l’apparente à un récit d’horreur. Quarante ans après
l’alliage de l’incongruité et du désespoir ne se défait pas. Les paroles de l’Internationale
- surgies inopinément - sonnent le glas d’une époque et de l’espoir d’une
fraternité humaine.
Avec l’irruption de
Marie-Françoise au cours de la seconde partie, le récit prend un nouveau départ
sous les auspices de la fameuse short short story de Fredric Brown (« Le
dernier homme sur terre était assis dans une pièce. On frappa à la
porte. »). Mais comment édifier un quotidien dans un monde
absurde réduit à un village de quatorze maisons ceint par une brume
infranchissable ? La vérité entrevue dans les rêves communs de Philippe et de
Marie-Françoise finira par éclater. Un final prévisible aux yeux des lecteurs
actuels.
Cela n’enlève rien à la
beauté de ce texte dont les collectionneurs se procureront la seconde édition
de 1984, à préférer à l’originelle de 1977 affublée d’une couverture typique
des moches pastilles illustrées des Présence du futur de l’époque. Cette
fois Andrevon avait pris les choses en main insérant en plus un dessin du
village et des deux héros.
*
Quatre ans après la
publication du désert du Monde, Jean Baudrillard dans Simulacres et
simulation poursuivait une réflexion entamée avec L’Échange symbolique
et la mort. Selon le philosophe, le réel n’intéresse plus les sociétés dites
postmodernes ou encore sociétés du spectacle pour paraphraser Debord. L’explosion
de l’information épuise en quelque sorte l’événementiel. A l’ère de la
représentation succède l’ère du simulacre. Nous générons désormais des images
sans rapport avec quelque réalité que ce soit. Le concept d’hyperréalité conçu
par Baudrillard anticipe le virtuel contemporain. Un monde où les images ne
renvoient qu’à elles-mêmes, désertifiant le réel : « le désert du réel ».
Il est beaucoup question
de science fiction dans cet ouvrage. Philip K. Dick a en effet renouvelé le
genre et accapare le regard des essayistes. Crash de Ballard fait également
l’objet d’une analyse approfondie et admirative de la part de l’auteur de La
société de consommation. Mais l’intuition d’Andrevon, non cité, plane au
dessus de l’ouvrage, particulièrement dans un passage consacré à l’ethnologie.
« Pour que vive l’ethnologie, il faut que meure son objet »
lit on dans Simulacres et simulation. N’est ce point le destin de
Philippe et Marie-Françoise enfermés dans le « simulatron »
comme les indiens de Tasaday dans leur cocon de forêt vierge, par des
ethnologues étranges ? Et plus loin « Bien sûr, ces Sauvages-là
sont posthumes : gelés, cryogénisés, stérilisés, protégés à mort, ils sont
devenus des simulacres référentiels, et la science elle-même est devenue
simulation pure ». Mais en imaginant un dialogue entre les
extra-terrestres et le couple d’humains, Andrevon apporte une dimension
supplémentaire. Philippe et Françoise deviennent à leur tour ethnologues de
leur propre espèce, simulacres errant dans un espace virtuel, indiens ayant
détruit leur propre monde.
2 commentaires:
"Nous générons désormais des images sans rapport avec quelque réalité que ce soit. Le concept d’hyperréalité conçu par Baudrillard anticipe le virtuel contemporain. Un monde où les images ne renvoient qu’à elles-mêmes, désertifiant le réel : « le désert du réel ».
Une réflexion qui s'ouvre aussi sur l'art contemporain. Mais plus que jamais l'attention portée au réel aussi modeste soit-il est source d'émerveillement et de sagesse.
Baudrillard a si bien su regarder les toiles de Rothko. Il y décelait cette contradiction : «imprenable de l’extérieur, et totalement ouverte vers l’intérieur par leur opacité transparente."
C'est exactement cela : les voir du dedans. Oser entrer dans la couleur par le regard.
Je crois que la mystique de Baudrillard c'était le réel. Il y croyait comme on croit en Dieu après avoir annoncé sa mort. C'est à eux (Dieu et le Réel) de prouver qu'ils existent !
C'est vraiment bien cette partie de votre blog que je n'avais jamais explorée . Il y a là des heures de méditation et certains textes sont signés comme vos poèmes (Jean-Louis Peyre). Cela fait plaisir.
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