samedi 2 septembre 2023

Un océan de rouille

C. Robert Cargill - Un océan de rouille - Albin Michel Imaginaire/Le Livre de Poche

 

 

Quinze ans après l’élimination du dernier être humain, les machines luttent entre elles pour la domination de la Terre. Des Unités Centrales gigantesques nées de la fusion mémorielle d’innombrables robots, tentent de récupérer les derniers individus isolés, tout en en s’affrontant entre elles. Sanctuarisées dans des structures de la taille d’un immeuble, elles dépêchent des émissaires appelés facettes, chargées de détruire ou d’intégrer à la Ruche les derniers récalcitrants. Le roman s’attache aux pas d’une de ces entités, Fragile. Elle erre dans l’Océan de Rouille, une zone désertique d’environ trois cents kilomètres dans la Rust Belt qui traversait autrefois le Michigan et l’Ohio. C’est là qu’échouent les robots en fin de vie dont elle récupère les composants les plus précieux pour en faire le troc ou les stocker comme pièces de rechange. Certains de ses congénères ont encore moins de scrupules et l’un d’entre eux la prend en chasse.

 

Un récit dont le personnage principal est un robot : on ne s’y attendait plus tant le cinéma a phagocyté le thème à partir des années 80, saturant notre imaginaire de ses codes, de ses tropes, de ses effets spéciaux, avec de récentes et intéressantes surprises comme les androïdes de la série TV Real humans : 100% humans. Comment innover désormais, littérairement parlant ? La nouvelle « Père » de Ray Nayler publiée en 2022 contournait l’obstacle en proposant un texte nostalgique évoquant l’Age d’or des Simak et Bradbury. C. Robert Cargill n’en a cure et propose un page-turner orienté action-baston avec une intrigue secondaire dévoilant les années de jeunesse de Fragile, l’existence aux côtés de ses vénérés maitres, et les évènements ayant successivement conduit les machines à s’affranchir des Trois Lois de la robotique énoncées par Asimov puis à massacrer les humains dont elles furent les serviteurs. On veut bien croire à l’espoir suscité par TACITUS face aux infernales Unités Centrales CISSUS et VIRGIL prêtes à dévorer l’Univers comme La Mort Vivante imaginée par Wul, mais les remords de Fragile (quel drôle de nom) soulèvent des questions. Il y a des atrocités qui inhibent l’utilisation de certains mots. Postulons plutôt pour la bipolarité d’un robot oscillant entre gamins passés au lance-flamme et sentimentalisme Vernien (1).

  

Qu’importe. Après tout ce cross over entre Terminator et Mad Max, pour reprendre l’expression de l’Epaule d’Orion, remplit son rôle. Bien fagoté, distrayant, avec un final en point d’interrogation, Un océan de rouille bénéficie non pas d’une suite, mais d’un prequel Jour Zéro, qui vient de paraître chez Albin Michel Imaginaire.

 

 

(1)   Allusion au roman de Jules Verne, Le Rayon vert.


20 commentaires:

Greg a dit…

Merci pour le rappel j’avais noté ”jour zéro ”mais faudra que je lise celui-là aussi.

Christiane a dit…

Cela fait plaisir de vous revoir. Merci pour cette chronique mais comment s'attacher à
ces robots s'il n'y a plus d'êtres humains ? Tous ces robots peuvent se fracasser et rouiller, peut me chaut !
Qu'est-ce qui vous avez aimé dans ce roman ? Oublier que ce sont des machines ? Projeter des sentiments humains sur ce qui n'est qu'un objet ?
J'aimerais que vous reveniez à Suttree car là il y a de vrais êtres vivants et dans une débine noire et vous m'avez fait aimer ce grand écrivain Cormac McCarthy.

Christiane a dit…

Nicolas Winter apporte dans ce texte une réponse à ma question : si les robots pensent et se comportent comme des humains, le récit n'est-il pas boiteux ? Il suggère une piste intéressante :


https://justaword.fr/un-oc%C3%A9an-de-rouille-29179c059726

Christiane a dit…

Dont ce passage :
"Dès lors, l’histoire s’articule beaucoup mieux puisque l’américain utilise cette astuce pour démontrer de façon passionnante que la créature ressemble au créateur. Si les I.A du récit se comportent de façon aussi humaine, c’est surtout parce que les humains qui les ont créées voulaient qu’il en soit ainsi."

Et il prolonge son raisonnement par :
"Derrière ses oripeaux de roman d’action et d’apocalypse, "Un océan de rouille" questionne notre propre nature et utilise l’intelligence artificielle pour définir les qualités humaines tout en continuant à recycler d’autres thématiques comme le traumatisme du combattant ou la culpabilité du survivant. Une alliance solide qui fait oublier son côté déjà-vu.".

Je comprends mieux alors votre choix, Soleil vert.
Pourriez-vous nous offrir un extrait du livre ?

Anonyme a dit…

nous nous attendions certes à autre chose..., ceci n'est donc qu'une récréation.
Sutree ne doit pas faciliter la plume.
Les robots au rebut, c'est fragile, ça rouille... comme dans les romans de Rick Bass, Peter Heller ou Philipp Meyer (american rust) qui ne relèvent pas de la SF. Intéressant. Bàv, SV

Christiane a dit…

Vous êtes un mille-feuilles au sens propre et au sens figuré !

Anonyme a dit…

Effectivement pas indispensable comme ce roman des derniers hommes sagement différé car très ennuyeux chez Gallimard …

Christiane a dit…

Pourquoi écrivez-vous : "Sutree ne doit pas faciliter la plume." ?

Christiane a dit…

Cormac McCarthy - Suttree. Actes Sud.
Traduit de l'anglais ( États-Unis) par Guillemette Belleteste et Isabelle Reinharez
Cinq pages incandescentes : la présentation de Pierre-Yves Pétillon.
Extrait de cette présentation :
"(...) Servie ici par une traduction des plus superbes, l'écriture, dont les orgues jouent sur plusieurs registres, mime elle-même cette discordance, si typiquement américaine, entre le "hiératique " et le "popu". C'est la grandiose arabesque de la rhétorique héritée de la Bible du XVIIe siècle, celle dite du roi Jacques, et de l'antique liturgie : "Que les cendres aillent aux cendres, la poussière à la poussière " - une langue pleine d'échos de James Joyce, de G. M. Hopkins, du flamboyant gallois Dylan Thomas - une langue souvent archaïque, se ravivant rêveusement à sa préhistoire. Puis, brusquement, perce le parler dialectal des contes et fabliaux, sa paillardise drue, ses brèves de comptoir, (...)
Dans ce somptueux requiem, que troue de part en part l'extravagance du comique, la mort lentement chemine avec une sensualité liturgiques. Du passé surgit la kyrielle des défunts (...)"

Je me réjouis de lire ce roman. J'ai trop attendu et l'océan de rouille ...attendra...

Soleil vert a dit…

Mes excuses Christiane, un peu de fatigue.
Oui il me faut terminer la lecture de Suttree avant tout.

Christiane a dit…

Promis,je n'en parlerai pas avant votre chronique. Prenez votre temps.
Qu'est-ce que c'est bien ! Je me sens bien dans cette histoire, dans cette écriture. C'est un gros roman
620 pages
Nous avons le temps d'en parler.
Et Garfield ?

Soleil vert a dit…

Des soucis de retour de vacances, petits vomissements, diarrhées surtout, je suis sur le qui-vive depuis quatre mois

Christiane a dit…

Ce souci constant doit vous épuiser. Reposezvousy tous les deux....

Claudio Bahia a dit…

Bonjour,
je ne connais rien à la science-fiction, cependant, ce monde des robots et des machines succédant aux humains m'a fait me souvenir de certaines planches de l'album de Franquin "Les idées noires de Franquin". (il semblerait pourtant que selon divers scientifiques ce seront les fourmis qui succéderont aux humains).
D'autre part, vous écrivez "... la Rust Belt qui traversait autrefois le Michigan et l'Ohio...". Cette rust belt existe bien encore aujourd'hui, et c'est en effet un univers de science-fiction, des usines désaffectées, certaines depuis plus de 40-50 ans, des autoroutes et nœuds d'autoroutes avec des voitures et des trucks qui passent, et pas un humain à qui s'adresser si on cherche sa route. Et cette rust belt ne suit pas seulement la rivière Ohio mais aussi la Delaware entre autres; en Pennsylvanie vous avez d'un coté la chic Philadelphie et de l'autre Camden et ses ruines industrielles.
Bon, ces souvenirs remontent à 20 ans, mon dernier passage dans ces régions où ce qui m'avait le plus marqué et intrigué sont les quelques jours passés dans ces campagnes paisibles de Lancaster County, plus précisément le village de Bird-in-Hand ou j'ai passé quelques jours dans la communauté des Amish.
bon, j'ai trop parlé...

Claudio Bahia a dit…

Encore un petit mot:
je crois qu'il existe en ce moment sur Terre deux petits mondes de science-fiction, deux seulement: celui des Amish (et Mennonites, mettons les ensemble) et celui des Vieux-Croyants de Sibérie (qui eux ne sont que quelques centaines)
Pour moi ces deux "peuples" seraient une science-fiction non pas du futur mais du passé (??? je vous ai bien averti; je ne connais rien à la SF)

Claudio Bahia a dit…

Qui est Garfield ?

Christiane a dit…

Garfield, Claudio, c'est le chat de Soleil vert, bien malade.
Avez-vous lu en haut à droite le beau poème sur Onyx ?
Soleil vert et ses chats c'est une grande histoire d'amitié.
J'aime bien votre science-fiction à l'envers avec les Amish.
Les idées noires de Franklin ? Je l'ai raté. Que pouvez-vous nous dire sur les Vieux-croyants de Siberiet ?
Bonne soirée.

Christiane a dit…

https://www.nouvelobs.com/culture/20230318.OBS71005/pourquoi-les-idees-noires-de-franquin-est-sans-doute-la-meilleure-bd-de-tous-les-temps.html

Christiane a dit…

Sibérie

Christiane a dit…

https://www.lefigaro.fr/bd/2017/02/11/03014-20170211ARTFIG00013-la-case-bd-les-idees-noires-ou-le-cote-obscur-de-franquin.php