Villa triste
Les plus anciens lecteurs se souviennent de ses prestations balbutiantes à Apostrophes en dépit des encouragements de Bernard Pivot. Une forme d’hésitation remarquablement traduite dans la photographie de couverture du Quarto de Gallimard. Voici l’auteur assis un peu excentré sur un divan, dans une attitude traduisant le repli, le regard concentré sur l’appareil ou peut-être au delà, cherchant à préciser les contours d’un objet ou d’un souvenir. Sur le mur deux toiles représentant un œil et un paysage.
On se dit que pour 23,50 euros Quarto en donne bien plus que d’autres collections prestigieuses : dix romans et quelques photos aussi explicites qu’un appendice critique.
Un hommage à un des écrivains français les plus brillants de ces quarante dernières années, bardé de prix littéraires.
Les récits choisis ici forment selon Modiano une espèce d’épine dorsale sur laquelle se seraient greffés les autres volumes. Peut-être un projet de méta roman à la manière de Balzac.
Le premier d’entre eux, Villa triste, publié en 1975 présente les caractéristiques de son oeuvre : une entreprise mémorielle en forme d’autobiographie imaginaire. Victor Chmara, le narrateur, se souvient d’un été des années 60, douze ans auparavant. Jeune homme souffrant d’une santé précaire, le conseil de famille l’avait expédié à Annecy, comme on envoyait autrefois les organismes maladifs dans les villes d’eau ou sur les bords de la Méditerranée. L’écrivain ne nomme pas précisément le lieu, de même qu’il entretient le doute sur certains éléments biographiques. Victor habite Paris place Malesherbes chez sa grand-mère. Son père a disparu. C’est un juif russe, peut-être issu d’une lignée aristocratique, avec dit-on une ascendance égyptienne.
Isolé dans son hôtel, il rencontre au cours d’une promenade Yvonne Jacquet. Cette jeune femme mannequin à qui on vient de proposer un petit rôle dans un film devient sa maîtresse. Par son entremise et celle d’un ami le docteur Meinthe il intègre « la bonne société ». Mais n’est ce pas une illusion ?
La narration suit les chemins discontinus de la mémoire, comme de vieilles photographies exhumées racontant chacune une parcelle d’un récit disparu. Dans cet univers éthéré fleurant bon le dahlia et le jasmin, dont la vie est rythmée par les concours d’élégance et autres événements mondains, surgit parfois l’écho vite refermé de la guerre d’Algérie. Modiano en prenant comme personnages un juif et un homosexuel (le docteur Meinthe) a-t-il voulu évoquer les exclus des périodes troubles de notre Histoire ? Comme Philippe Sollers, se remémore t-il les voyages de Proust à Venise, fuyant l’atmosphère d’antisémitisme ?
Les dialogues se terminent en points de suspension, ou plutôt en points de départ de monologues intérieurs. Chaque protagoniste garde son secret, encore que l’oncle d’Yvonne soit un peu plus disert. Au centre de ces interrogations, la jeune femme aimée dont Victor Chmara croit cerner l’esprit de même qu’il possède son corps. Un peu à l’image du roman où la focalisation sur la description des lieux dissimule la vérité des êtres.
L’écriture lente et chatoyante emporte le lecteur vers des réalités mystérieuses comme jadis Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier. Qu’ajouter de plus ?
3 commentaires:
C'est vrai qu'il s'agit là d'un des meilleurs romans de Modiano, où l'on trouve déjà tout ce qui constituera l'essentiel de ses textes...
Très belle analyse du portrait de Modiano comme un avant-gout de votre méditation du roman.
Merci beaucoup !
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