Francis Carsac - Pour patrie
l’espace - L’Arbre vengeur
Soldat d’un Empire belliqueux en déroute, le lieutenant
Tinkar est éjecté d’un vaisseau spatial saboté. Les Stelliens, un peuple vivant
dans des cités nomades, le recueille juste à temps. D’essence pacifique,
lointains descendants de pionniers incluant des religieux persécutés qui ont
fui la Terre impériale, ils ignorent les conflits secouant leur antique patrie
mais luttent eux-mêmes contre une espèce prédatrice les Mpfisfis. En butte à
l’hostilité traditionnelle des habitants du Tilsin contre ceux qu’ils nomment
les planétaires, le militaire essaye de se trouver un chemin d’existence,
partagé entre ses anciennes fidélités et la perspective d’un nouveau destin.
Publié la même année que Ce monde est notre, Pour Patrie
l’espace est contemporain des Villes nomades de James Blish dont il
partage le world building. Space opera classique, bourré d’adrénaline, il
raconte, en dehors des péripéties propres au genre, l’odyssée d’un individu en
crise existentielle et morale qui ne cesse de réajuster ses convictions au long
de son parcours. Un homme qui doute, qui se transforme, il faudra attendre le
Silverberg des années 70 pour voir se généraliser ce thème. Cerise sur le gâteau,
à l’inverse de ses homologues américains, Carsac crée des personnages féminins autonomes,
éloignés du stéréotype de supplétives masculines en vigueur alors.
Le final (pages 267-281) - à lire et relire et qu’il
faudrait citer tout entier - est parsemé de réflexions magnifiques comme
celle-ci « Le plus important est la conquête de l’intelligence par
elle-même » ; il parachève le récit d’une envolée métaphysique
voire mystique rappelant l’aphorisme de Nietzche « Si tu plonges
longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme te regarde aussi ».
Une profession de foi en quelque sorte du professeur François Bordes. Etonnante
lecture d’un roman remarquable dont la première phrase flirte subtilement avec « Le
Bateau ivre » de Rimbaud et qui nous gratifie en bout de course d’une
nébuleuse planétaire, écho lointain de « L’étoile » d’Arthur C.
Clarke.
20 commentaires:
La préface de Laurent Genefort. "Un os lancé dans l'espace" est formidable. Elle pose tous les problèmes que je me pose aussi face à l'itinéraire très particulier de Francis Carsac/ François Bordes.
Chercheur au CNRS, professeur de réputation mondiale, directeur des Antiquités préhistoriques de Bordeaux, archéologue. Pourquoi cette vie bien remplie ne lui suffisait pas ?
Son admiration pour J.-H. Rosny l'inventeur du roman préhistorique, est telle qu'il ne se sépare pas de "La Guerre du feu".
Genefort précise que la science n'est pas l'enjeu des récits mais qu'il désire que le moindre mot soit employé à sa juste valeur. Qu'il n'hésite pas à réécrire des chapitres.
Donc une grande rigueur d'esprit .
J'aime la façon dont Genefort interroge le titre. "Pour patrie l'espace".
"L'espace, lieu de passage plutôt qu'un territoire, s'accommode mal de la notion de patrie".
Il place alors l'incipit : "Tinkar tombait entre les étoiles ".
Pour lui, Carsac est un écrivain.
Il s'attarde pour évoquer l'évolution de ce personnage, Tinkar, "fasciste" au début de l'histoire.
Il écrit : Bordes/ Carsac avait une devise : "Hier et demain'.
Ce passage, écrit-il, de l'un à l'autre a été magnifiquement mis en scène par ce fémur lancé dans les airs dans le film "2001, l'Odyssée de l'espace", qui se mue dans un même mouvement de caméra en vaisseau spatial".
Une même transition que Bordes / Carsac fait entre l'homidé préhistorique et l'homme moderne, le passé et le futur. D'où le titre donné à sa préface : "un os lancé dans l'espace."
Magnifique.
Vous avez raison, Soleil vert, ces premières lignes évoquent "Le bateau ivre" de Rimbaud.
"Tinkar tombait entre les étoiles. Partout, autour de lui, au-dessus de lui, sous lui, l'infini, leurs points lumineux brillaient, impassibles. Il tournoyait en tombant et voyait passer la Voie lacteet, comme une zone de feu glacé. (...)
Il était seul, épouvantablement seul, à des milliards de kilomètres de toute vie, humaine ou autre."
C'est très beau ! Quelle belle scène d'introduction !
Hier et demain est aussi un titre de Jules Verne, et cela, Carsac le savait peut-être. Et peut-être avait-il lu l’Eternel Adam, la plus forte nouvelle du recueil. Tout revient un jour ….A la fois le même et différent.
Peut-être...
Mais pour cet homme dont la vie a exploré la trace des premiers homidés, choisir un futur dépassant le présent, c'est un saut vertigineux. Le même que Clarke avec 2001 L'Odyssée de l'espace.
Entre les deux un présent indéchiffrable qui teinte la SF d'une angoisse sombre. Être perdu dans l'espace, ballotté par la chute, penser à une mort certaine c'est le début du roman. J'ai cessé de le lire, ce soir, pour regarder le très long film très étrange de Chantal Ackermann avec une Delphine Seyrig réglant sa vie familiale comme un automate entre lumières allumées et éteintes,épluchage des légumes, ménage, courses , repas silencieux partagés avec son fils et , de l'autre côté de la porte de sa chambre., des clients, vite expédiés sauf le dernier qui lui donne accès à une jouissance qui la rendra meurtrière.
Très étrange film, très long, découpant avec une précision diabolique trois jours dans la vie de cette femme. Un automate qui se dérègle peu à peu. On le voit à certains détails. Un fils adolescent qu'elle élève seul, mutique, froid, perdu dans une lecture érotique... Tout cela mériterait quelques explications. Je nage à contre-courant, déstabilisée par cette fiction plus que par celle de Carsac.
"Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles"
1975 ‧ ‧ 3h 18m de Chantal Ackermann.
"Joseph-Henri Rosny Aîné (1856-1940) est un écrivain franco-belge, précurseur de la science-fiction. Il écrit jusqu’en 1908 sous pseudonyme commun avec son frère, Séraphin-Justin. Rosny Aîné est considéré comme l’un des inventeurs de la fiction préhistorique, même si certains précurseurs avaient déjà tracé la voie. Néanmoins, il a durablement marqué le champ littéraire par ses nombreux romans préhistoriques, comme Vamireh (1891), Eyrimah (1893) ou encore la nouvelle Les Xipéhuz (1887). Son œuvre ne se limite pas à cette veine et est généralement rattachée au courant du merveilleux scientifique.
Le plus connu des romans préhistoriques de Rosny Aîné est "La Guerre du feu" (1909), premier volume d’une trilogie "des âges farouches" avec Le Félin géant (1918) et Helgvor du Fleuve Bleu (1929). Entre désir de vulgarisation scientifique, intérêt historique pour la Préhistoire, et pure invention romanesque, les œuvres de Rosny Aîné ont marqué toute une génération et ont connu, pour certaines d’entre elles, un grand succès."
https://www.poetica.fr/poeme-1906/arthur-rimbaud-le-bateau-ivre/
Je cherche et je trouve : "L'Éternel Adam" est une nouvelle de Michel Verne, publiée dans le recueil "Hier et demain" en 1910 sous le nom de son père, Jules Verne."
Confirmé par la BNF.
https://data.bnf.fr/fr/ark:/12148/cb18021044j
C'est une nouvelle de Verne est assez sombre, pessimiste. Après l'extermination de l'humanité un groupe de rescapés tente de reconstruire un monde possible mais retournent à la sauvagerie..
Dans le roman de Carsac, il semble qu'un homme dur, voire fasciste, par une rencontre avec des êtres différents change, en bien.
Pour quelle raison astronef est au féminin dans le roman ?
Peut-être à cause d'une nef... Mais pourquoi astronef est-il au masculin dans le dictionnaire ? Je donne ma langue au chat !
OUI, c'est surprenant. Nef est féminin mais astronef masculin. SV
Je crois que la mémoire de différents mots connus joue sur cette modification. Ainsi nef et son féminin entraîne vers une rêverie qui peut naître de ce voyage imaginaire dans des espaces inconnus. Un peu comme le poème de Rimbaud , que j'ai relu et mis en lien , est proche du début de ce roman.
Le masculin d'astronef entre dans le classement des engins volants, une teinte plus virile et dans ce contexte peut-être proche d'éventuelles guerres de l'espace comme dans beaucoup de visions écrites ou filmées ces dernières décennies de l'avenir de l'espèce humaine.
Ce féminin impromptu déstabilise le lecteur, introduit une "brume" comme 'es nuages de Magellan comme le sfumato des peintres italiens.
Ainsi la SF joue avec des indices imperceptibles pour nous entraîner de l'autre côté du miroir.
Bordes/ Carsac est trop scrupuleux, trop savant pour avoir commis une erreur grammaticale. L'écriture semble pour lui la liberté d'imaginer un monde à sa façon.
Ainsi, il revient longuement sur l'enfance et l'adolescence de Tinkar, un véritable dressage dur , inhumain pour faire de lui et de ses compagnons des automates prompts à tuer sans s'attendrir. Et là , le talent de Carsac chamboule tout du destin de Tinkar avec ce choc émotionnel, intellectuel qu'il vit en découvrant les valeurs humanistes de la communauté qui l'accueille.
Tout cela est vraiment intéressant. C'est un scientifique... poète.
Guillaume Jeanmaire, dans un excellent article que je vais mettre en lien, écrit :
"Tandis que l’analogie sémantique avec avion pourrait l’aider pour le mot aéronef, il se fourvoie sur le genre du mot aérogare (gare) par rapprochement avec aéroport. "
https://shs.cairn.info/revue-langue-francaise-2010-4-page-71?lang=fr
Et il termine par cette remarque : "Accepter des mots nouveaux, c’est également les prendre tels qu’ils nous arrivent, munis d’un genre parfaitement subjectif que nous devrons bien intégrer, d’une manière ou d’une autre."
J'ai recherché dans la mémoire de la langue française. Tant de mots ont changé de genre au cours des siècles. Le doute quant au genre des mots est d'actualité.. ainsi je suis allergique à écrivaine, poétesse... Je me régale quand un amour prend le féminin au pluriel, l'inverse pour œuvre....
Voilà une dimension imprévue de cette lecture.
A vrai dire j'aime beaucoup une astronef....
Je n’ai pas risqué l’attribution à Michel Verne, celle-ci ayant été fondée par Gondolo Della Riva sur les seules « frappes d’ Amiens » et une lettre de Michel Verne. Mais je ne l’ignorais pas.J’aime bien le ton SF à la Française des premières lignes. Cela dit, le groupe de rescapés échoue dans la transmission de son savoir, et la date , 1910 , est un argument solide pour une lecture par Carsac…
Merci. J'apprécie.
Dans ce roman, Tinkar découvrant la vie sur le vaisseau Tilsin, est déstabilisé par la liberté qu'on lui octroie. Il était habitué "à une vie bien réglée où il n'avait que peu de décisions à prendre, où tout était prévu par les supérieurs, où la vie coulait dans la routine des jours."
Ici , sur cette planète errante on le laisse faire à sa guise.
De plus, il est méprisé, lui qui avait connu sur sa base une grande considération. Tous l'appellent "le planétaire" avez mépris.
Un duel termine cette première partie....
Oui, le final est magnifique. Sur fond d'Odyssée, un homme s'interroge sur son rapport au monde, à la vie, à Dieu. On retrouve le scientifique passionné de paléontologie et un peu, dans ces tourbillons d'étoiles, une place pour l'absurde....
Un livre tout en action traversé d'amours où les femmes ont un rôle important. Des vues de l'espace qui font frissonner de crainte. Une aventure en cours d'évolution d'un philosophe déguisé en homme du futur. Belle lecture. Merci, Soleil vert.
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