mardi 14 mai 2024

Quelques mots sur La Métamorphose


Franz Kafka - La Métamorphose - Folio classique





Gregor Samsa, représentant de commerce de son état, se réveille un matin dans sa chambre, affublé d’un nouveau corps. Une carapace recouvre son dos et de multiples pattes se sont substituées à ses bras et jambes. Le constat de l’incongruité et de l’horreur de la situation n’envahit pas son esprit dans un premier temps. Le jeune homme sort d’un rêve agité et savoure quelques instants son immobilité forcée. A l'image d'un Bartleby, il la salue même comme une trêve dans sa lutte quotidienne pour sauver sa famille de la précarité et assurer un avenir convenable à sa jeune sœur. Mais l’arrivée de son patron, le fondé de pouvoir, mécontent de son absence matinale, et les réactions de rejets de son entourage vont replacer la monstruosité au cœur du drame.

 

J’ai découvert ce court roman au cours de ma scolarité. De mémoire mon enseignant avait mis au premier plan un film sorti quelques courtes années auparavant, Johnny s’en va en guerre, odyssée tragique d’un soldat amputé de ses quatre membres et privé de la parole, de la vue, de l'ouïe et de l'odorat, n’ayant que la sensibilité de peau comme moyen de communication. Ce thème du corps étranger, du corps prison repris en 1997 dans Le Scaphandre et le Papillon semble aujourd’hui sans intérêt. Car c’est bien d’un drame familial dont il s’agit.

 

La préface de Claude David, dans cette édition bon marché, complétée/supplantée dans quelques jours par une vague de réédition des œuvres de l’auteur à l’occasion du centenaire de son décès, résume bien l’état des réflexions à ce jour : un dispositif scénique, calquant la disposition de l’appartement des Samsa sur celle des Kafka, l’inversion du regard porté sur le  monstre, rôle désormais dévolu au trio père-mère-sœur, quelques allusions sexuelles ou freudiennes comme le tableau de la dame au manchon et l’apparition de la mère effrayée et demi-nue, le père dominateur etc. L’édition scrupuleuse des écrits de l’écrivain dont sa correspondance permet d’établir la genèse de la création de La Métamorphose incluant des textes antérieurs tels Préparatifs de noce. On ne saurait reprocher au travail de Claude David que quelques notes de bas de page, sans doute destinées à un jeune public cœur de cible de ce volume vendu à un prix très modique.

 

Rien n’interdit d’élargir le cercle de lecture du récit, de se débarrasser provisoirement de l’adjectif kafkaïen pour céder à l’émotion devant le destin d’un être puni pour on ne sait quel méfait par des Dieux grecs dont les victimes peuplent la faune ou le ciel, et dont la mort pour ainsi dire sacrificielle conditionne l’émergence d’un nouvel espoir pour ses proches. Respectant un protocole induit par la structure en trois parties de La Métamorphose, Gregor Samsa, ce frère lointain d’Elephant man, franchit les portes successives de l’exclusion, l’univers professionnel, l’univers familial, l’espace vital tout en ne cessant de porter toute son attention sur ses bourreaux au détriment de sa survie.

 

Rien n’interdit de pousser encore plus l’exploration, d’abandonner le carré vertueux de l’exégèse où toute création artistique cristallise un parcours, des rencontres, des influences pour considérer ce court roman non comme un point de chute, mais comme un point de départ dans des dimensions dont les clefs d’entrées échoient à quelques rares élus. Alberto Manguel dirait plus simplement que certains livres s'affranchissent de leur date de publication et éclairent le présent. Franz Kafka disparait en 1924, « victime vraisemblablement de malnutrition ainsi que de tuberculose » dans un sanatorium près de Vienne. Autrement dit il meurt pratiquement d’inanition comme son personnage. Ce faisant il échappe, écrit Pierre Assouline  « au second acte de la catastrophe civilisationnelle. Il ne saura pas que ses trois sœurs mourront dans des camps de concentration auquel son oncle n’échappera qu’en se donnant lui-même la mort. Les quatre femmes qui avaient été ses amies de cœur seront exterminées dans des camps nazis. Son propre frère et ses meilleurs amis également. Un entourage comme une hécatombe. »

 

Les Dieux cependant ne sont pas rassasiés. Dans le numéro 669 de la Revue historique 2014/1, une étude de Johann Chapoutot Éradiquer le typhus : imaginaire médical et discours sanitaire nazi dans le gouvernement général de Pologne (1939-1944), relate les observations et mesures prises en 1941 à Varsovie par les autorités sanitaires allemandes au sein du Gouvernement général de Pologne (Pologne occupée non annexée au Reich).  Le Dr. Joseph Ruppert « affirme que l’expérience de la Pologne « dépasse de loin nos anticipations les plus folles. Tenter d’exprimer par des mots ce que nous avons vu est inutile […]. En un mot : saleté, saleté et encore saleté ». Le pire est à trouver dans le « Judenmilieu », véritable « cuve d’incubation pour la vermine, la saleté, la maladie », où ne vivent que des insectes et des criminels, où les enfants sont décrits, par un jeu de mots intraduisible, comme un « élevage de pustules » ». La solution définitive sera trouvée en 1942… Heureusement pour le lecteur, grâce à Max Brod et contrairement aux vœux de Kafka (!), le récit de l’existence de la "vermine" Gregor Samsa et d’autres écrits ont miraculeusement survécu.



jeudi 9 mai 2024

Au pays des choses dernières

Paul Auster - Au pays des choses dernières - Actes Sud - Babel

 

 


Partie dans une ville inconnue chercher un frère dont elle est sans nouvelle, Anna Blume relate dans une lettre sans fin le récit de ses pérégrinations. Elle découvre une Cité de la Destruction pour reprendre l’épigraphe de Nathaniel Hawthorne. Quelque évènement catastrophique dont nous ne saurons rien a poussé les habitants à errer dans des rues dévastées, à tenter de survivre en collectant des ordures, en troquant des objets contre de nourriture ou de l’argent. La folie s’empare de certains d’entre eux. Apparaissent des sectes pseudo religieuses : les Sauteurs s’envolent du haut des immeubles, les Coureurs croient échapper au sort commun jusqu’à épuisement, les Rampants pensent infléchir le cours des choses par l’humiliation volontaire. La dissociation de la vie collective a pour corollaire la dissociation des âmes et du langage :

  

« Il ne suffira donc pas de simplement ressentir du dégoût. Chacun est porté à oublier, même dans les conditions les plus favorables, et dans un endroit comme celui-ci, où il y a tant qui disparaît réellement du monde physique, tu peux t'imaginer combien de choses tombent en permanence dans l'oubli. Au bout du compte, le problème n'est pas seulement que les gens oublient, mais surtout qu'ils n'oublient pas toujours la même chose. Ce qui existe encore en tant que souvenir pour l'un peut être irrémédiablement perdu pour l'autre, ce qui crée des difficultés, des barrières insurmontables à l'entendement. Comment parler à quelqu'un d'avions, par exemple, s'il ne sait pas ce qu'est un avion ? C'est un processus lent, mais inéluc­table, d'effacement. Les mots ont tendance à durer un peu plus que les choses, mais ils finissent aussi par s'évanouir en même temps que les images qu'ils évoquaient jadis. Des catégories entières d'objets disparaissent - les pots de fleurs, par exemple, ou les filtres de cigarettes, ou les élastiques - et pen­dant quelque temps on peut reconnaître ces mots même si on ne peut se rappeler ce qu'ils signifient. Mais ensuite, petit à petit, les mots deviennent uni­quement des sons, une distribution aléatoire de palatales et de fricatives, une tempête de phonèmes qui tourbillonnent ; jusqu’à ce qu’enfin tout s’effondre en charabia. Le mot "pot de fleurs" n’aura pas plus de sens pour toi que le mot « splandigo ». Ton esprit l'entendra, mais il l'enregistrera comme quelque chose d'incompréhensible, comme un terme d'une langue que tu ne peux parler. Dans la mesure où de plus en plus de ces mots à consonance étran­gère affluent autour de toi, les conversations de­viennent malaisées. En fait, chacun parle sa propre langue personnelle, et, comme les occasions d’arriver à une compréhension partagée diminuent, il devient de plus en plus difficile de communiquer avec qui que ce soit. »

 

Une entrée en matière dans l’œuvre de Paul Auster vécue comme une entrée en noirceur. La lecture des premières dizaines de pages désespère de poursuivre celle des deux cents suivantes dans l’édition Poche d’Actes Sud. La narration tient à la fois des dystopies citadines de Brazil ou de Extraits des archives du district de Kenneth Bernard voir des néantisations de Cristallisations secrètes de Yoko Ogawa. Cependant, accrochée à son chariot de collecteur d'objets, Anna, en sauvant la vie d’une femme établit un premier contact social. En suivront d’autres dont une bibliothèque et une résidence médicale, orientant le récit vers une réminiscence des Bas-fonds de Gorki. Mais rien n'est jamais acquis dans cet effondrement permanent des êtres et des choses. Anna retrouvera t’elle ses proches, sortira-t-elle de cette ville ? Paul Auster dresse le portrait d’une survivante qui tente de se frayer un chemin au milieu des fondrières de l’avilissement et du désespoir. Et c’est ce qu’on retiendra de ce livre.


jeudi 2 mai 2024

La croisière bleue

Laurent Genefort - La croisière bleue - Albin Michel Imaginaire

 

 


La croisière bleue de Laurent Genefort achève un mini-cycle romanesque consacré aux « Temps ultramodernes », une uchronie dont le point de départ est la découverte en 1895 d’un minerai, la cavorite dont le principe actif le cavorium génère un rayonnement antigravitatif. Ce monde, dont nous découvrons les péripéties au cours de la première moitié du XXe siècle, ne diffère pas seulement du notre par sa science de la « lévitescence » qui propulsera l’Humanité dans le système solaire, mais aussi par l’irruption d’évènements historiques alternatifs comme une guerre franco-prussienne en 1912 remportée par nos compatriotes, une révolution russe menchevik en 1905 évinçant les Bolchevik etc. Cette uchronie se colore fortement d’une esthétique rétrofuturiste au cousinage du steampunk, du dieselpunk illustrée par ses paquebots volants, sillonnant les cités comme les véhicules de Métropolis ou les engins de Robida. Les papes et papesses de la radioactivité, Henri Becquerel et Marie Curie deviennent les thuriféraires du cavorium, star d’un paysage scientifique ou, rétrofiction oblige, la physique n’a pas aboli le concept d’éther et Mars, Vénus ou Mercure ont vocation à devenir des habitats respirables sinon fréquentables.

 

La croisière bleue n’est pas à proprement parler une suite des Temps ultramodernes. Quatre récits, séparés par des coupures de presse de faits divers du monde de la cavorite, poursuivent l’exploration de cet univers fantaisiste. Certains évènements comme le krach boursier du précieux minerai sont connus depuis le précédent opus. Les narrations se resserrent autour d’odyssées individuelles et prennent dans les deux derniers chapitres un tour dramatique. Enfin l’Abrégé de cavorologie, jusque-là édité séparément, prend place en fin de volume.

 


D’autres réminiscences sautent aux yeux du lecteur dans ce volume. C’est le cas de « Le Facteur Pégase » alias à peine déguisé du Facteur Cheval qui raconte l’édification d’un Temple volant par un émule du célèbre postier d’Hauterives. Laurent Genefort a dû se souvenir également d’Un Chalet dans les airs du même Robida voire du chef-d’œuvre des studios Pixar,
Là-haut. Cet astucieux chapitre introductif est suivi d’une histoire d’espionnage, « La croisière bleue ». L’Agénor, majestueux paquebot transcontinental volant tracté par une locomotive (!) entreprend un voyage qui doit le mener de Rome aux confins de l’Asie. Au début du trajet un vieux diplomate anglais est assassiné. Gaspard, agent français tente d’identifier les assassins et surtout de prévenir une attaque du navire. La tache s’avère difficile en raison de la multitude des mobiles, fractions politiques, tensions sur les gisements de cavorite. « Cinquante hectares sur Mars » monte en puissance. Un humble jeune homme gagne à la loterie une parcelle de terre sur Mars. Ses échanges épistolaires avec sa famille demeurée sur la planète natale racontent ses difficultés d’acclimatation sur un sol pauvre parsemé de mousses et de lichens, parcouru par des bestioles peu ragoutantes et régulièrement inondé. Pour tenter de comprendre ces phénomènes de montée des eaux, il part en expédition en compagnie d’un homme frustre. « Cinquante hectares sur Mars » est vraiment un beau récit, l’itinéraire spirituel d’un être attaché à la compréhension d’une civilisation disparue et de ses survivants colonisés par les humains. A lire et à relire. Comme le titre l’indique « Le Sisyphe cosmique » revisite un mythe célèbre. L’employé d’une compagnie pétrolière entreprend d’utiliser son savoir-faire pour extraire de la cavorite sur Mercure. Il trouve un commanditaire hélas non dénué d’arrières pensées. Ce texte et le précédent émergent du recueil. Enfin « A la poursuite de l’anticavorium », plutôt apocalyptique témoigne de la volonté de l’auteur d’en finir avec son cycle. Dommage. J’ai vraiment passé un bon moment de lecture, rehaussé par l'écriture élégante de Laurent Genefort.

jeudi 18 avril 2024

Barbares

Rich Larson - Barbares - Le Bélial’ Collection Une heure lumière

 

 


Yanna et Hilleborg, deux contrebandiers, sont engagés par des jumeaux milliardaires pour une balade touristique à l’intérieur d’un nagevide, une créature gigantesque, morte, orbitant autour d’une géante gazeuse. La bestiole, conçue dit-on par une civilisation maitrisant au plus haut point l’ingénierie génétique, n’est pas unique en son genre. Elle ne figure pas au catalogue des agences de loisir et pour cause. S’y aventurer revient à se frayer un chemin au milieu d’une flore et d’une faune particulièrement agressives. Pour corser le tout, les deux commanditaires ont un plan B derrière la tête, et une tierce personne pas animée des meilleures attentions, vient se mêler à l’expédition.

 

Comment faire du neuf avec du vieux ? Rich Larson, auteur du brillant recueil La fabrique des lendemains, répond au défi par une surenchère organique et linguistique, aidé par l’infatigable traducteur expert Pierre-Paul Durastanti. Commençons par les jumeaux baptisés X et Y, humanoïdes certes mais dont le comportement larvaire en milieu aquatique écœure Yanna. Les corsaires de l’espace ne manquent pas dans l’annuaire de la littérature de science-fiction old-age. Ici l’héroïne évoque Lara Croft, mais Larson l’a affublée d’un alter-égo réduit à sa plus simple expression, une tête plongée dans un liquide nutritif. De quoi rappeler à certains lecteurs, Simon Wright, alias « le Cerveau » dans la série Captain Future d’Edmond Hamilton, ou Modok personnage de DC Comics, sans oublier - me semble-t-il - une boite crânienne baladeuse dans Sandman Slim de Richard Kadrey.

  

Depuis le mythe de Jonas et Le voyage fantastique de Richard Fleischer les incursions dans les organismes géants ne manquent pas. Citons entre autres le beau fixed up, Baleinier de la nuit, d’un auteur oublié, Robert F. Young, les Béhémothaures du roman Le sens du vent de Iain M. Banks ou les mondes utérins de Les étoiles sont légion de Kameron Hurley. Pour animer le tout les néologismes font florès : Nagevide, Portoeil (sans doute le point d’entrée dans la bête), acarcassage, volbot, neurolié, Géingenierie (pourquoi pas ingénierie génétique ?), des bombes intelligentes dénommées vonNeumanns (!) etc. Auteur et traducteur ont pris plaisir à livrer Barbares, gageons qu’il gagnera les lecteurs de ce court roman récréatif.


dimanche 14 avril 2024

Deux hommes dans les confins

Robert Sheckley - Deux hommes dans les confins - Argyll

 

 

 

Les éditions Argyll nous avaient offert en 2022 un moment de pur plaisir de lecture avec un recueil de quelques-uns des meilleures fictions courtes de l’écrivain Robert Sheckley, Le temps des retrouvailles. Un titre en forme d’applaudissements suite à la découverte d’un nouvel opus rassemblant de façon inédite l’ensemble des textes relatifs aux aventures rocambolesques des deux fondateurs de l’entreprise « AAA Les As de la Décontamination Planétaire ». Deux hommes dans les confins collecte les huit nouvelles du corpus, dispersées au fil du temps dans les magazines et les anthologies ; six d’entre elles, rappelle Philippe Curval, dans une introduction réactualisée qui fut une de ces dernières contributions au genre, furent publiées en 1954 et 1955 dans la revue Galaxy, la septième dans Fantastic Universe et la dernière trente ans plus dans Stardate. L’ouvrage des éditions Argyll prend date avec un paratexte important, une préface et une interview de Curval, une postface du traducteur et maitre d’œuvre Leo Dhayer et enfin un texte de Sheckley, « Notes sur l’écriture » rédigé lors d’un séjour à Paris en 1984.

 

Planètes à la dérive, écosystèmes en berne, espèces extraterrestres invasives, Arnold et Gregor présidents et employés de « AAA Les As de la Décontamination Planétaire » se chargent de tout remettre en place dans la Galaxie. A la tête d’une firme en rupture de fonds et de contrats, malgré un triple A dénominatif censé la propulser en tête des annuaires, les deux compères ne reculent devant aucune mission. Sur place, la situation s’avère bien plus complexe que ne les laissaient augurer les documents ou les dires du client. Pire, la solution envisagée envenime les choses. L’intuition, la débrouillardise résolvent finalement tout, mais pas toujours à l’image de « La Clef Laxienne ». La faute bien souvent aux machines qui ne fonctionnent pas comme prévu, voir prennent la direction des opérations (« Le vieux rafiot trop zélé »). Plus que l’humoriste, l’adepte du nonsense apprécié par les lecteurs de Jarry, de Vian, Roussel, Queneau etc. (et pas forcément par ses concitoyens d’Outre Atlantique d’ailleurs), on saluera le satiriste qui nous offre un exemple de relativisme culturel dans la nouvelle « Un Sarkanais peut en cacher un autre ». Un Sarkanais « extraterrestre à tête de belette originaire de Sarkan 2 habillé en complet-veston » demande à Arnold et Gregor d’exterminer une espèce animalière, Les Meegs, des espèces de chats ; ils détruisent les cultures de leur légume préféré, le « saunicus ». Mais voilà, sur Sarkan 2, les chats en question intiment aux deux compères l'ordre d’inverser l’extermination. Pire, le choux local, objet de convoitises alimentaires ou de pratiques rituelles, se révèle télépathe. Que faire ?

  

Leo Dhayer et l’auteur du Ressac de l’espace dissertent plaisamment sur les deux personnages, figures physiques de Laurel et Hardy, sur les inventions verbales à répétition de Sheckley. Le plus émouvant reste ce dialogue entre les morts, sorte de ping-pong amical opposant le surréaliste français et le satiriste américain. Deux hommes dans les confins se doit de figurer dans toute bibliothèque de science-fiction qui se respecte, aux côtés de H2G2, le guide du routard galactique, qu’il préfigure.

P.S : si d’aventure vous retrouvez la Clef Laxienne de ce bas monde, n’hésitez pas à l’utiliser.

 

 

SOMMAIRE NOOSFERE

  

1 - Philippe CURVAL, Robert Sheckley, enchanteur paranoïaque, préface
2 - Spectre 5 (Ghost V, 1954)
3 - Une mission de tout repos (Milk Run, 1954)
4 - La Clef laxienne (The Laxian Key, 1954)
5 - Une invasion de slegs (Squirrel Cage, 1955)
6 - Le Vieux Rafiot trop zélé (The Lifeboat Mutiny, 1955)
7 - La Seule Chose indispensable (The Necessary Thing, 1955)
8 - Le Château des Skags (The Skag Castle, 1956)
9 - Un Sarkanais peut en cacher un autre (Sarkanger, 1986)
10 - Leo DHAYER, Guide de la débrouille galactique, postface
11 - Philippe CURVAL, « Les écrivains contribuent à aider les autres à s’échapper »,entretien avec Robert SHECKLEY
12 - Notes sur l'écriture :C’est toujours l’hiver quand on écrit (Notes on writing)


mardi 9 avril 2024

Golem

Pierre Assouline - Golem - Folio

 

 

 

La femme de Gustave Meyer, un fort grand-maitre d’échecs, est assassinée à la veille d’un grand tournoi auquel son mari devait participer. Lui-même sortait d’une consultation auprès de son ami le professeur Klapman, neurochirurgien réputé. Pour soulager des maux de tête à répétition celui-ci décide de l’opérer. Soupçonné par la police du meurtre de sa femme, Meyer décide de fuir après l’intervention. Mais il doit affronter une autre difficulté. Quelque chose tente de s’emparer de son esprit.

 

Dans cette relecture du mythe du Golem, Pierre Assouline fait le choix de disserter sur la mémoire et l’oubli plutôt que d’emprunter véritablement les sentiers d’une intrigue policière dont la résolution émerge rapidement aux yeux du lecteur. Les craintes liées à l’évocation de l’entité mythologique juive font écho aux inquiétudes suscitées par les développement récents des neurosciences, où néanmoins les néologismes (transhumanisme, posthumanisme) fleurissent davantage que les avancées scientifiques.

 

Soigné pour un semblant d’épilepsie, Gustave Meyer devient à son insu un être augmenté. Ses capacités mémorielles déjà considérables, explosent. Pierre Assouline ne pousse pas le trait comme Greg Egan dans son roman Isolation dont le héros déshumanisé voit sa volonté supplantée par des algorithmes de décision, mais il engage une réflexion non moins profonde sur les filiations et les traditions qui engagent notre destin sur des sentiers déjà tracés.

 

La patte de l’écrivain fait mouche, par exemple dans la description d’une salle d’attente d'hôpital dont les occupants semblent pour certains « prêts à se jeter du haut de leurs secrets ». On retrouve comme dans Le Paquebot cette faculté d’entomologiste, voire holmésienne, d’épingler des vies comme des papillons. Il y a de l’Emanuel Lasker dans ce Meyer. Ailleurs, à l’instar d’un John Brunner qui dans La ville est un échiquier, plaquait les vingt-cinq premiers coups d’une partie d’Echecs entre Steinitz et Tchigorine sur une intrigue romanesque, l’écrivain superpose les mouvements d’une autre partie à l’errance européenne de son personnage. Un pèlerinage sur les lieux des communautés disparues, une tournée des ombres : la phrase liminaire du chapitre 9 est un hommage aux Mémoires de l’ombre de Marcel Béalu.

 

Quelle voie tracer entre la mémoire et l’oubli, tel est l’objet de ce très bon livre méditatif qui revisite l’œuvre de Gustav Meyrink, hanté par les toiles du peintre Mark Rothko héritier des maitres du clair-obscur.


mardi 2 avril 2024

Shibumi

Trevanian - Shibumi - Totem

 

 

 

 

La parution en Février 2024 d’un ultime recueil de nouvelles Nuit torride en ville chez Gallmeister son éditeur français, est l’occasion de braquer le projecteur sur Trevanian, un écrivain aussi discret que son compatriote Thomas Pynchon, et de découvrir son principal opus Shibumi. Il s’agit d’un thriller de cinq cent pages au format poche racontant l’affrontement d’un tueur professionnel et d’un haut responsable d’un consortium, la Mother Company, qui protège les intérêts des compagnies pétrolières tout en tirant les ficelles d’un jeu nauséabond impliquant l’OLP et l’OPEP dans les années 70.


 

A la suite des attentats de Munich de 1972 qui vit l’organisation Septembre noir tuer des athlètes israéliens, le père d’une des victimes décide de monter une cellule de cinq personnes, chargée de l’élimination des terroristes survivants. Alertée, l’OPEP demande à la Mother Company de les intercepter. L’opération sous-traitée à la CIA aboutit à un désastre. L’une des rescapées part se réfugier dans le pays basque français auprès de Nicholaï Hel, tueur à la retraite et ami de son défunt père. Mais Diamond, l’homme du consortium, a suivi sa trace. (1)


 

Relatée telle quelle, la matière de l’intrigue fournit la trame d’un honnête roman d’espionnage. Mais plusieurs éléments narratifs le portent à plus haut niveau : une vision Balzacienne du monde où l’intérêt des uns se heurte à des codes d’honneurs ou moraux en désuétude, des reconstitutions historiques convaincantes comme la fin des enclaves européennes à Shanghai dans les années 30 – à cet égard l’épisode du petit Nicholaï déambulant dans les rues dévastées de la ville rappelle les errances du jeune James Graham Ballard à la même époque – et surtout la création d’un personnage hors du commun, un samouraï en quelque sorte, dont le destin épouse celui du monde. Nicholaï Hel nait dans la Shangaï cosmopolite d’avant-guerre, d’une comtesse russe, pas celle imaginée par Chaplin, et d’un père prussien de passage. L’invasion japonaise ne trouble gère le quotidien de la noble Alexandre Ivanovna qu’un général prend sous son aile ainsi que l’enfant. A la mort de celle-ci il emmène le garçon dans l’archipel nippon où se forgera sa personnalité.


 

Trevanian, alias Rodney Whitaker, a incorporé dans son récit quelques éléments autobiographiques, dont le séjour du héros au pays Basque. La figure de Le Cagot n’est pas sans évoquer celle d’un proche et fictif Béarnais, Porthos. Le héros du roman tient de Mishima son refus de l’occidentalisation du Japon d’après-guerre, cause de son expatriation. Aux vicissitudes de l’existence il oppose une forme de supraconscience, d’éveil, de satori, qui se brise un moment sous le poids d’événements dramatiques. La complexe théorie des jeux - Nicholaï Hel est un maitre du Go - avance un autre concept, le point d’équilibre. Le roman structuré autour d’une partie de Go évoque le passage du Seki (une position neutre) au Uttegae (un mouvement de sacrifice, un gambit) toutes choses que l’on retrouve aux Echecs où la rupture d’une position, initiative ou sacrifice, constitue un épisode à risque aboutissant à un autre point d’équilibre final, victoire ou défaite.


 

Trevanian traite les années d’emprisonnement de son personnage à la manière du cinéaste Robert Bresson. Dans Un condamné à mort s’est évadé et dans Shibumi l’échappée ou la sortie sont précédées ou traitées par/comme des reconstructions mentales. On pourrait dire, ce sont des accomplissements. Episode répété de façon dramatique comme une Pâques dans le chapitre de la cinquième partie « Le Gouffre de Port de Larrau ».


  

A ce stade il m’est difficile de définir le shibumi : l’efficacité et la simplicité dans l’élimination d’un adversaire, sobriété et discrétion d’un art de vivre ? Le roman en tout cas, malgré un petit trou d’air aux alentours de la trois centième page, est incontestablement brillant.

 

 

 

 

(1)   Le récit de l’élimination réelle des membres de Septembre noir.


lundi 25 mars 2024

Les Déserteurs temporels

Robert Silverberg - Les Déserteurs temporels - Le Livre de Poche

 

 

 

 

Terre Vingt-Cinquième siècle : le citoyen de Septième Classe Quellen s’octroie quelques moments de détente dans une résidence secondaire illégale au Congo. Quelques instants arrachés, non sans risques, à un monde citadin surpeuplé, étouffant, irrespirable au sens propre puisque chaque habitant, chaque famille dispose dans son réduit d’habitation d’une petite aération fournissant à prix d’or quelques molécules d’oxygène. Bureaucrate rattaché à un secrétariat aux affaires criminelles, Quellen jouit d’une situation relativement privilégiée à l’inverse de son beau-frère, père de deux enfants, chômeur et citoyen de Quatorzième Classe. On ne meurt pas de faim dans ces temps futurs. On éteint tout doucement ses rêves à force de drogue, de dérivatifs avant de s’éteindre soi-même.


 

Or un nouvel espoir surgit qui inquiète les instances dirigeantes des deux Premières Classes et fait vaciller l’ensemble. Un individu propose à tout un chacun de s’évader dans le passé. Promesse d’autant plus sérieuse qu’elle est tracée dans les livres d’histoire. Les autorités chargent Quellen d’enquêter et de retrouver le concepteur de la machine temporelle, tout en restant indécis sur les mesures à prendre : stopper un saut temporel n’est-ce pas modifier une histoire déjà écrite et par voie de conséquence le présent ?


 

Comme l’indique Fréderic Jaccaud dans la revue Bifrost 49, Les Déserteurs temporels paru en 1967 annonce des thématiques d’ouvrages futurs de Robert Silverberg, les « espaces inhabitables » des Monades urbaines, les fuites (ou plutôt les expulsions temporelles) des Déportés du Cambrien, l’avènement d’autocrates tel Gengis Mao de Shadrak dans La Fournaise etc. Des courts romans parfois très remarquablement écrits comme Les ailes de la nuit ou L’oreille interne. La progression du style frappe le lecteur au sein de l’ouvrage, passant de l’acrobatique (page 9 de l’édition Poche) « Il était incapable des contorsions mentales qui permettaient de considérer ce hideux surpeuplement etc. » à des phrases d’écrivain « La nuit venait comme un poing qui se ferme » (page132) ou « Le monde était trop pour lui ; il était trop peu pour le monde » (page 147).


 

Les personnages comme souvent chez Silverberg sonnent juste. Beth et Hélaine sont des Ariane abandonnées par leurs maris au bord du labyrinthe d’un monde sans espoir. Brogg, l’adjoint et maitre chanteur de Quellen, Quellen lui-même endossent le costume des opportunistes. Quant à Lanoy, scientifique féru d’antiquité romaine c’est Silverberg lui-même ouvrant les portes de la fiction à ses lecteurs. Les Déserteurs temporels se lit encore aujourd’hui sans déplaisir.


jeudi 21 mars 2024

Central Station

Lavie Tidhar - Central Station - Mnémos

 

                                                                                                       

 


Une des ambitions plus ou moins avouées de la littérature de science-fiction est d’explorer les avenirs lointains et les ailleurs improbables afin de jeter un éclairage indirect sur notre présent. Ce chemin détourné en forme de ruban de möbius ne lui appartient d’ailleurs pas en propre, en témoignent les célèbres Lettres Persanes de Montesquieu. La thématique ou l’inquiétude écologique, climatique, a fait l’objet de plusieurs romans récents dont Le Ministère du futur de Kim Stanley Robinson ou Les Flibustiers de la mer chimique de Marguerite Imbert. Un autre champ d’investigation semble se développer, celui du vivre ensemble, tellement mal en point ces temps-ci, qu’avec Rossignol d’Audrey Pleynet et Central Station de Lavie Tidhar il prend les couleurs de l’Utopie.

 

Dans un futur indéterminé, « Central Station » un spatioport édifié entre Tel-Aviv et Jaffa devient le point de rencontre de réfugiés et d’astronautes débarqués de Titan ou de Mars. Un melting-pot, un inventaire que n’aurait jamais imaginé Prévert, où se croisent humains juifs, arabes, robotnik (des êtres de chair et d’acier), des I.A, des E.T, des robots prêtres, des robots circonciseurs, des enfants éprouvettes, des data-vampires (!). Lavie Tidhar a transposé Au Carrefour des étoiles de Clifford Simak en carrefour d’une Humanité transformée, métallisée, décorporée, virtualisée, bref extraterrestre… Contre toute attente cette population hétéroclite forme une communauté de vivants heureux de se retrouver comme Miriam Jones propriétaire d’une shebeen, (un débit de boisson informel) et Boris Aharon Chong médecin revenu de Mars, le vétéran de guerre Motl, homme de chair et d’acier, amoureux d’Isobel Chow qui travaille … dans la virtualité. Quant à Carmel, humaine vampirisée par un Nosferatu de passage, elle prend refuge chez un bouquiniste, déconnecté de tous les réseaux.

 

Ce monde hallucinant contenu en un fix-up de 13 chapitres, et porté par une écriture toute aussi hallucinante et humoristique, ce monde donc porte dans ses gênes des écrits légendaires de science-fiction : Les neufs milliards de nom de Dieu, Le robot qui rêvait, Un Cantique pour Leibowitz, Dune, L’anneau-monde, Shambleau pour ne citer qu’eux. L’attribution du Prix John-Wood-Campbell Memorial trouve là une explication. Car Central Station, si futuriste soit-il est paradoxalement à sa manière un mémorial.

 

 

P.S : cet article est dédié à la mémoire de Vernon Vinge, auteur de science-fiction plusieurs fois primé et l’un des pères du concept de Singularité technologique.


mardi 12 mars 2024

La papeterie Tsubaki

Ogawa Ito - La papeterie Tsubaki - Picquier Poche

 

 



Comme le roman d’Hiro Arikawa, Au prochain arrêt, La papeterie Tsubaki est tombée par hasard dans mes mains. C’est l’histoire d’une jeune femme qui a hérité de sa grand-mère une boutique à Kamakura, une petite ville côtière située à quelques encablures de Tokyo. Amemiya Hatoko a été élevée par son aïeule surnommée L’Ainée. De ses parents nous ne saurons pratiquement rien et cette absence n’est d’ailleurs pas prétexte aux développements romanesques habituels dont l’histoire littéraire regorge jusqu’à plus soif. Tout est à plat dans ce récit. Le mot « histoire » ne semble pas non plus qualifié pour évoquer un ouvrage chapitré en quatre saisons. Le quotidien d’Amemiya Hatoko s’inscrit dans un Temps cyclique et non linéaire. Les souvenirs de l’aïeule disparue, à la fois mère de substitution et préceptrice, constituent certes un élément central de la narration mais, pour reprendre les propos d’un de ses clients : « Plutôt que de rechercher ce qu’on a perdu, mieux vaut prendre soin de ce qui nous reste ».

 

En dehors de l’activité consacrée à la papeterie Amemiya Hatoko dite « Poppo » exerce le métier d’écrivain public, une longue tradition attachée à la famille Amemiya. L’Ainée lui a enseigné l’art difficile de la calligraphie décliné sur trois types de caractères, les plus courants, les kanji - de provenance chinoise -, les hiranaga et katakana. L’apprentissage laborieux de leur reproduction exacte, qui a phagocyté l’enfance de Poppo, n’est qu’un préalable à la rédaction d’un message dont la teneur détermine le choix et la composition de l’encre, du papier, du support d’écriture, pinceau, plume, stylo sans oublier celui de l’enveloppe, du timbre et du sceau. « Pour des condoléances, la règle veut qu’on broie l’encre à l’envers, de droite à gauche ». Plus loin « Délayer l’encre, c’est le signe d’une grande tristesse » et « Normalement, pour une correspondance formelle, on utilise une enveloppe doublée, mais pour les messages de condoléances, on choisit au contraire une enveloppe simple pour éviter de redoubler le malheur. » Les lecteurs de Stupeur et tremblements se souviennent que la persécutrice japonaise d’Amélie Nothomb lui enverra un message calligraphié après l’envoi de son premier roman, reconnaissance de la promotion sociale de la jeune femme passée du statut de dame-pipi à romancière.

 


Ce faisant, pour reprendre les termes d'une notule journalistique, Amemiya Hatoko crée ou reconstitue un tissu social dont elle devient le pôle, attirant une clientèle toujours plus nombreuse. Comme dans un ouvrage en cours d’élaboration, des personnages inquiets, angoissés ou irrésolus franchissent le seuil de sa boutique pour narrer, clore une histoire personnelle, et disparaitre. Certains restent et intègrent son entourage.

 

Insensiblement le texte d’Ogawa Ito glisse – et ce n’est guère étonnant venant du Japon – d’un art de la belle écriture à un art de vivre. En témoigne la carte du Tendre liminaire semée de temples et de plats culinaires dont « Poppo » raffole. La papeterie Tsubaki est la chronique d’une vie ritualisée, d’un Présent éternel. Il existe une suite, La république du bonheur.


vendredi 8 mars 2024

La bataille de Dorking

Sir Georges Chesney - La bataille de Dorking - PRNG éditions

 

 

 

Il faut dit-on tenter d’isoler le battage médiatique né de la sortie d’un livre, du livre lui-même, pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur. Or le bruit, La bataille de Dorking du colonel Sir George Tomkyns Chesney n’en manqua pas. Et pour cause, puisque le récit de cette invasion de l’Angleterre par la Prusse parut en magazine en 1871, année de l’armistice franco-allemand et fut aussitôt traduite dans l’Hexagone.

 

La défaite militaire d’une Nation auréolée du prestige de l’exposition universelle de 1867 surprit les esprits outre-Manche. On craignit dans un premier temps qu’un « bismarckisme » succède au « napoléonisme » et que Paris ne puisse honorer le paiement des indemnités de guerre imposées par l’Allemagne. La longue nouvelle de Sir Chesney cristallisa ces inquiétudes. Le récit raconte dans une langue élégante le déroulé d’une bataille décisive perdue par imprévoyance et impréparation avec pour résultat une recomposition du monde : les Etats-Unis absorbent le Canada, l’Espagne, Gibraltar. Enfin le commerce avec l’Inde et la Chine s’effondre.

 

L’effet de sidération du texte influença sans doute H.G Wells dans la rédaction de La guerre des mondes. Mais plus qu’à une véritable uchronie qui s’appesantirait sur le monde d’après, on a affaire ici à une fable inspiratrice de romans d’un nouveau genre, « Les guerres de fiction ». Il y a trois ans le ministère des armées a réuni un collectif d’écrivains, la « Red Team », pour plancher sur des scenarii de conflits futurs.

 

La longue et étouffante préface à l’édition française de 1871 cible, au détour d’un éloge de la Restauration (!), ses attaques sur Napoléon III, oubliant une phrase de Bismarck prononcée alors  « Sans Iéna, pas de Sedan ». La bataille de Dorking reste une nouvelle d'intérêt historique.


mercredi 6 mars 2024

Les Oiseaux d’Argyl

Christian Léourier - Les Oiseaux d’Argyl - Argyll

 

 

 

C’est une des figures centrales de la science-fiction française depuis un demi-siècle, une présence paradoxalement essentielle et discrète, empruntant dit-on les chemins tracés par Murray Leinster ou Jack Vance, qui nous fait signe ; après le remarquable roman court Helstrid publié au Bélial’ en 2019, les éditions Argyl proposent en ce premier trimestre 2024 une anthologie de vingt-sept nouvelles retraçant le parcours de Christian Léourier dans le registre court. Le livre refermé on est frappé par un classicisme affranchi des courants qui ont secoué le genre voici quelques décennies, tout autant que par les ressources inentamées d’une plume défiant le Temps.

 

De ses années de jeunesse, de la SF turbulente des seventies emmenée par Joël Houssin, l’auteur a conservé une méfiance instinctive pour les sociétés inhumaines et totalitaires. En témoignent « L’ouvre-boite », où un code de couleurs régit la vie des habitants d’une cité, « La guerre des riches » description d’une société en état de guerre permanente sauf pour les nantis, le don d’organe pour subsister, pitch de « Toute chose à un prix » :

 « — Ainsi, me coupe-t-il, vous pensez que l'instinct de propriété est profondément ancré dans l'homme, de même que l’instinct d'accumulation. Qu'ils lui sont, peut-on dire, consubstantiels.

— L'idée n'est pas de moi.

—Bien sûr. Je connais les travaux de l'école de Détroit : Homo rapax, Les Fondements naturels des droits de l'homme et du consom­mateur, toutes ces sortes de choses. D'ailleurs, eux non plus n'ont rien inventé : on pourrait remonter à Hobbes, aussi bien. Je voulais seulement dire : vous adhérez entièrement à cette conception ?

—L'histoire la démontre. Ne partagez-vous pas ce point de vue ?

—Vous établissez une distinction entre la propriété collective et la propriété individuelle. Vous soutenez que lorsque la pénurie augmente la propriété collective est accaparée par les individus forts ou les plus habiles. Ce qui aggrave d'autant plus le dénuement des autres, lesquels n'ont plus alors d'autre choix pour survivre qu'aliéner leur liberté. C 'est bien votre thèse ? »

 

Le mensonge fondateur est le support de deux des plus forts textes du recueil, « Le triptyque de Kohr » et surtout « Celui qui parle aux morts ». Le premier relate l’avènement d’une Eglise Universelle à la faveur de la découverte sur une planète étrangère et morte d’un « triptyque » dont le contenu évoque celui des Evangiles. Problème, le « Bienheureux » découvreur a dissimulé un troisième volet sulfureux. Dans le second, un homme, ayant acquis le respect d’une communauté par un heureux concours de circonstances, entreprend de saper leurs traditions obscurantistes et les entraine sur les rivages de la curiosité et du doute.

 

La découverte de cultures extraterrestres et les incompréhensions mutuelles constituent l’autre grand volet thématique du recueil. On se précipite dans « La roulotte », un bijou de conte de fée séminal de 1972 à lire avec la préface du livre ; un E.T embringué dans une troupe de forains prend son mal en patience en attendant un « go home » façon Spielberg. Bien que datés, « Le jour de gloire », « Visages », « Une faute de goût » auraient mérité leur place dans La Grande Anthologie de Science-Fiction, française ou pas. Le premier évoque la décision funeste d’un astronaute de postuler à un poste d’Empereur d’une terre étrangère, le second raconte une méprise fatale sur l'interprétation de l’expression faciale d’habitants d’un autre monde. Le dernier texte est l’occasion de rappeler que Talleyrand fut à l’origine de la cuisine diplomatique. Communiquer par les saveurs avec un E.T s’avère un exercice délectable mais que se passe t-il lorsque le plat ne rencontre pas l’approbation du Haut Plénipotentiaire ?

 

Quelques récits inclassables ou poétiques complètent l’ensemble. Citons une farce en clin d’œil, « Le syndrome de Fajoles » tout droit sorti de la moliéresque pièce Knock, ou Le triomphe de la médecine de Jules Romain, immortalisée au cinéma par Louis Jouvet. A la suite d’une erreur typographique journalistique, le village de Fajoles-Corps-Saint devenu Fajoles-Corps-Sains devient un foyer mondial de guérison. De quoi transformer le célèbre aphorisme « Les gens bien portants sont des malades qui s'ignorent » en « Les gens bien portants sont des convalescents qui s'ignorent ». Pas question enfin de clore ce rapide tour d’horizon sans citer la nouvelle qui donne son titre à l’ouvrage et dans lequel un homme détestant les oiseaux se trouve en quelque sorte mis en cage par une épouse ornithophile.

 

Ce ne sont là que quelques choix subjectifs de fictions dont l’ensemble appartient au patrimoine français du genre.





lundi 26 février 2024

Rossignol

Audrey Pleynet - Rossignol - Le Bélial’ Collection une heure lumière

 

 

 

Quelque part dans l’espace, une station spatiale abrite des représentants d’espèces venus des quatre coins de la Création. Réfugiés ou expatriés volontaires, ils ont expérimenté le vouloir-vivre ensemble à l’extrême, pratiquant un métissage poussé à un tel point que l’identification des individus a abandonné la notion de morphotype pour lui substituer une carte d’identification génétique. Au sein de cet univers clos des dispositifs complexes appelés Paramètres facilitent au mieux les interactions d’êtres issus d’écosystèmes radicalement différents. Cependant ce modus vivendi encouragé par les « Fusionnistes » génère une contre réaction d’une autre fraction de la population les « Spéciens », favorables à un retour aux différenciations. Une humble stationnienne va cristalliser les tensions.

 

Avec Marguerite Imbert et Emilie Querbalec, Audrey Pleynet est l’une des autrices montantes de la science-fiction française. « Rossignol » a remporté un prix aux Utopiales 2023, le jury ayant apprécié les réflexions autour de l’identité et de l’altérité. Peu importe au fond que le récit ait pour cadre une station spatiale, figure centrale de la série Babylon 5, ou du film de Luc Besson Valérian et la Cité des mille planètes. Les écrivains, écrivaines de talent savent s’affranchir des codes et des thèmes pour créer leur propre espace-temps. Le huis clos d’Audrey Pleynet aurait pu reprendre le titre d’une nouvelle de Ted Chiang « L’histoire de ta vie » popularisée par le film Premier Contact. Dans celui-ci, à la suite de l’apprentissage d’un langage extraterrestre, le personnage principal, Louise recevait des visions de sa vie passé et future. Dans la novella, le génome de l’héroïne contient des matériaux génétiques d’une espèce étrangère, les Spic, qui naissent « avec la conscience complète de leur vie ».

 

Ainsi voyons-nous se dérouler l’existence de cette « Humania » proche des Fusionnistes, dans un ordre pas forcément chronologique, plutôt dicté par les états d’âme et les émotions. Au souvenir d’étranges déambulations synesthétiques dans la station où les perceptions des uns et des autres se reparamètrent, se réalignent constamment pour atteindre un seuil de communication, à l’évocation des amitiés de Lou’Ny’Ha et Ooxyo, succèdent des épisodes de souffrance comme l’hostilité de la mère ou la séparation d’avec son propre fils Joshua. Porté par une écriture impressionniste, pointilliste, qui apporte peu à peu tout son éclairage à l’ensemble, le récit bascule de l’utopie au drame.

 

Brouiller les cartes, pousser une idée à son extrême est une des attentes d’un ouvrage de science-fiction. Mission réussie ici.


mercredi 21 février 2024

A la recherche de Howard Waldrop

Nouvelles

 

 

Les textes courts de Howard Waldrop n’ont pas fait l’objet de beaucoup de publications en France : un recueil en Présence du futur de 1990, quelques nouvelles éparpillées dans les anthologies Univers de Jacques Sadoul ou de Georges R.R Martin entre autres. La plus célèbre « Les vilains poulets » (The ugly chikens) côtoie dans Univers 1982 « La grotte du cerf qui danse » de Clifford Simak que Pierre Paul Durastanti avait remis en lumière dans le recueil Voisins d’ailleurs. Deux histoires de créatures surgies du Passé, décimées ou supplantées par l’Homo sapiens. Et deux sacrés récits.

 

Intéressons-nous au premier. Il met en scène un ornithologue du nom de Paul Lindberl. Dans le bus qui l’emmène à l’université du Texas une vieille dame affirme avoir vue dans sa jeunesse une des bestioles illustrant son ouvrage sur les espèces disparues. Il s’agit d’un dodo, oiseau mythique des iles Mascareignes. C’est le point de départ d’une traque qui mènera Lindberl au nord du Mississipi et, ironie du sort, aboutira à l’ile Maurice. Plus que l’humour noir de ce petit chef d’œuvre, le travail documentaire préparatoire impressionne. On apprend que des dodos fréquentèrent les cours européennes au XVIIIe siècle ce qui n’eut pas pour effet, hélas, d’infléchir leur destin d’hécatombe.

 

Le recueil Mes chers vieux monstres publié en 1990 en Présence du futur contient dix textes :

- L'Horreur, nous avons ça (Horror, we got, 1979) 
- Le Gorille secret du Dr Hudson (Dr. Hudson's secret gorilla,1977)
- Gentian, l'Homme-Montagne (Man-Mountain Gentian, 1983)
- Ainsi va le monde... (The world as we know't, 1982)
- Ces chers vieux monstres (All about strange monsters of the recent past, 1980)
- Flying saucer rock and roll (Flying saucer rock and roll, 1985)
- Lui-Que-Nous-Attendons (He-we-await, 1987)
- Mary Margaret la Niveleuse (Mary Margaret road-grader, 1975)
- Légataires de la Terre (Heirs of the perisphere, 1985)
- Ce soir dorment les lions (The lions are asleep this night, 1986)

 


La moitié vaut le détour. « L’Horreur, nous avons ça » raconte l’effort radical entrepris par une diaspora juive munie d’une machine temporelle pour s’attaquer à l’antisémitisme. Comment ? En donnant vie et corps aux vieux démons, par exemple aux insanités décrites dans Les Protocoles des Sages de Sion et en partant à la conquête du monde. Waldrop raconte avoir effectué une lecture publique de cette nouvelle en s’attendant à chaque instant à voir voltiger des pavés. Quant à moi, après en avoir vérifié la date de publication, je me suis précipité sur le contenu prévisionnel de The last dangerous visions, mais « L’Horreur, nous avons ça » n’y figure pas. C’était pourtant la vision dangereuse par excellence.

 

Dans « Ainsi va le monde… » une équipe de chimistes ou d’alchimistes n’ayant pas eu vent des travaux d’Antoine Lavoisier sur la combustion, tente d’isoler le phlogistique – « un fluide particulier, qu'on supposait inhérent à tout corps et qui était censé produire la combustion en abandonnant ce corps”. Résultat, la fin du monde, et un bon récit ayant nécessité des semaines de préparation.

 

Le jeune Leroy vit à New-York à la marge, réfugié le plus souvent chez son frère. Il a deux passions, la musique, qu’il pratique au sein d’un groupe vocal « Les Kool-Tones », et les soucoupes volantes. On est en 1966 et les Beatles, Rolling Stones et Animal ne pèsent pas lourd à ses yeux face à la Motown. Un jour son groupe désireux de s’isoler pour répéter, s’aventure sur le territoire des « Bombers » une bande qui elle a réussi à publier un disque. L’affrontement inévitable se transforme en une nuit de joute musicale cependant que les soucoupes volantes débarquent. Le lecteur du réjouissant « Flying saucer rock and roll », inspiré d’une chanson de Billy Lee Riley & The Little Green Men a aujourd’hui grâce à Internet, la possibilité de ressusciter « The Contours », « Frankie Lymon et les Teenagers » et autres « Drifter » « Crows » ou « Token », tous mentionnés dans le texte.

  

1500 ans après un ou des évènements que l’on suppose apocalyptiques, une usine de fabrication de robots pour les parcs d’attraction Disney se remet à fonctionner temporairement le temps de sortir trois exemplaires.  Sans doute méfiant sur la question des droits (voir la préface de « Flying saucer rock and roll »), Waldrop ne les nomme pas, mais on reconnait tout de suite les figures de Dingo, Mickey et Donald. Dotés d’une IA rudimentaire, ils rentrent en contact avec un satellite qui les dirigent vers un cylindre de survie à 18 000 km de là. Le sympathique « Légataires de la Terre » évoque l’anime Wall-E et « Leçon d'histoire » une nouvelle d’Arthur C. Clarke.

  

« Ce soir dorment les lions » est peut-être la plus forte fiction du recueil. Son héros, un enfant encore, pratique l’école buissonnière, effectuant régulièrement un détour par le marché d’Onitsha, une ville portuaire du Niger. Il s’y tient une foire aux livres (Onithsa Market Literature) et Robert Oinenke saute de temps à autre un repas à la cantine pour s’en offrir quelques-uns. Pire il utilise un des cahiers achetés par sa mère pour rédiger une pièce de théâtre en cachette. Grand lecteur de romans anglosaxons, de théâtre élisabéthain, de réflexions sur les puissances colonisatrices, son cerveau absorbe tout comme éponge. La force de la narration ne vient pas d’une diatribe anticoloniale mais d’un renversement de l’Histoire. Car Robert puise dans la littérature occidentale les matériaux nécessaires, au service, de la conception de sa pièce inspirée d’une légende africaine.

  

Pour le reste « Le Gorille secret du Dr Hudson » est un texte très basique de transplantation de cerveau d’un homme dans celui d’un gorille, « Gentian, l'Homme-Montagne » évoque l’univers des sumotoris. « Ces chers vieux monstres » ressemble à un mauvais tournage d’envahissement de bestioles géantes, « Lui-Que-Nous-Attendons » pourtant fruit d’une longue préparation évoque un de ces innombrables films sur l’Egypte comme La momie, et « Mary Margaret la Niveleuse » ressemble à un Mad Max où s’affronteraient des engins de chantier, et là on est loin du compte du Killdoser de Théodore Sturgeon.




samedi 17 février 2024

Les sentiers de Recouvrance

Emilie Querbalec - Les sentiers de Recouvrance - Albin Michel Imaginaire

 

 

En rupture de ban, le jeune Ayden quitte le domicile familial quelque part dans le sud-ouest de la France où il se remettait d’une longue hospitalisation consécutive à des feux de mortiers. Il file vers le Morbihan lieu de naissance paternel. Anastasia, une adolescente originaire de la région d’Aragon en Espagne, suit le même chemin. Ravagée par le décès accidentel de son père, elle laisse en partant une mère meurtrie. Tous deux font route vers l’île de la Recouvrance en quête de jours meilleurs.

 

Les sentiers de recouvrance est le troisième roman d’Emilie Querbalec publié par AMI. Née au Japon, quelques premières années passées dans l’archipel nippon lui ont inspiré la matière de Quitter les monts d’Automne. Traces que l’on retrouve dans cette présente odyssée de deux êtres abimés dans un monde qui ne l’est pas moins, avec l’influence discrète de Nausicaä de la Vallée du Vent, voire du Château dans le ciel de Hayao Miyazaki. Le titre de son dernier opus évoque une autre filiation : « Recouvrance est le nom d'un quartier historique de Brest situé rive droite de la Penfeld, la rivière le long de laquelle Brest s'est construite, avec son arsenal militaire. Le nom Recouvrance vient du fait que dans la paroisse de Sainte-Catherine (l'ancien nom de Recouvrance), on honorait une statue de vierge, Notre-Dame de Recouvrance qui a donné son nom au quartier. Recouvrer la terre c'est retrouver la terre : on priait Notre-Dame de Recouvrance pour faire un bon retour à sa terre de départ » (1).

 

Restaurer le lien des hommes et de la terre : comme toute une génération d’écrivains de science-fiction française Emilie Querbalec rêve d’une planète habitable pour les décades futures. Alors que Marguerite Imbert immerge son lecteur dans les eaux chimiques d’une dystopie ou qu’Audrey Pleynet envisage de mettre l’Humanité en jachère (« Encore cinq ans »), l’auteure livre un récit légèrement utopique architecturé dans sa première moitié comme un road trip au sein d’un univers altéré :

« Les vagues s'écrasaient presque sans bruit, une vingtaine de mètres plus bas. Les mouettes ricanaient dans le vent. Les poissons filaient silencieusement dans le noir, loin de la surface et de la lumière du jour. Un satellite passait, braquant vers eux l'œil froid de ses caméras. Quelque part, des bombes éventraient des immeubles, arrachaient des ponts et des toits d'hôpital. Des femmes et des enfants fuyaient. Des bébés souffraient de dysenterie. Un homme se félicitait d'avoir conquis un nouveau marché. Un autre tuait un au nom d'une idée. Seconde après seconde, des particules fines engorgeaient les poumons de milliers nouveau-nés. Des abeilles mouraient. Des oiseaux. Des ours. Des dauphins. »

 

La seconde partie nous embarque dans un lieu qui n’est ni celui de La Montagne Magique ni l’Abbaye de Thélème mais celui de la guérison. Ce mot utilisé en quatrième de couverture frappe l’esprit. Guérir le monde, guérir les êtres. On peut croire et on peut ne pas croire comme l’auteur de cette fiche de lecture en l’espoir d’une restauration de l’alliance antique entre l’homme et la nature, aux révolutions et à tous ces termes saccagés par des générations de politiciens comme réforme, changement etc. On peut cependant en toute humilité leur substituer un vocable apparenté à guérison, il s’agit de réparation : réparer le monde, réparer les vivants. C’est un concept mentionné dans quelques vieux écrits rabbiniques, que Bernard-Henri Levy résume ainsi : « […] L’idée de « Réparation ». Oui, c’est cela l’idée de Haïm. Non plus sauver le monde. Encore moins le recommencer. Mais juste le réparer, à la façon dont on répare les vases brisés. J’aime ce mot de réparation. Il est modeste. Il est sage. Mais il est aussi vertigineux. C’était celui d’Isaac Louria, bien sûr. Mais ce sera celui, aussi, que retrouvera Walter Benjamin, quand, sans rien ou presque rien savoir du judaïsme, il dira de la traduction, c’est-à-dire du transport, d’un grand texte d’une langue vers une autre langue, qu’il est une « réparation du monde ». Il ne dit plus, ce concept de réparation, la nostalgie d’un corps plein ou d’une pureté perdue. Il ne rêve plus d’un vase d’avant la brisure ou d’un vase dont on hallucinerait qu’il n’a jamais été brisé. Il ne véhicule rien qui ressemble à de l’eschatologie ou de la théodicée. Il nous parle du présent. Du présent seulement. De ce présent dont un autre grand Juif a dit qu’il est juste un instant que l’on a su et pu sauver. Et dont il aurait pu dire, et dont je dis après lui, qu’il est la seule réponse à la mauvaise prophétie de Nietzsche sur le bel avenir du Mal. » (2)

 

Pour en revenir aux Sentiers de recouvrance c’est un ouvrage sensible que j’ai beaucoup aimé pour sa fraicheur, la modestie de son propos et d’où j’ai vu surgir, malgré le ressentiment des années, une petite flamme d’espérance magnifiquement illustrée par une couverture en forme d’estampe.

 

 

 

 

 

 

(1)   Wikipedia

(2)   BHL - Contre le mal, s’il est absolu, que faire ?