samedi 28 septembre 2024

Comment voyager dans les Terres Oubliées

Sarah Brooks - Comment voyager dans les Terres Oubliées - Sonatine

 

 

 

« On dit que l’on avait tellement pris à la terre qu’elle avait toujours faim. Elle s’était nourrie du sang versé par les empires, et des ossements des animaux et des hommes par eux abandonnés. Elle avait acquis le goût du sang. »

 

 

 

Au sein des Terres Oubliées un Transsibérien Express fait la liaison entre les villes de Pékin et Moscou, une solide locomotive à vapeur tractant une vingtaine de voitures et leurs passagers. Vitres et parois ont été blindées pour résister aux assauts de l’Extérieur. En effet, à la suite d’on ne sait quel cataclysme, la Sibérie s’est muée en un territoire étrange, peuplé par une flore et une faune mutantes, déserté par l’espèce humaine. L’autre alternative s’offrant aux clients désireux d’atteindre l’une ou l’autre capitale passe par les mers du Sud, au prix d’un trajet à la durée indéterminée.

 

Les voyageurs, quoique protégés, ne sont pas à l’abri des séquelles psychologiques provoquées par la vision de ce strange land. Aussi un personnel spécialement formé assiste les occupants des wagons de Première et Troisième classe. Mystère au même titre que le quai 9 ¾ de la gare de Kings Cross de Londres, les ingénieurs ont oublié de concevoir la Seconde. Un salon bibliothèque, une voiture d’observation, des restaurants, des compartiments dédiés aux stockages de nourriture et autres commodités complètent le convoi. Sitôt installés les passagers font connaissance, histoire de s’affranchir, malgré les propos rassurants de l’équipage, des légendes angoissantes nées des précédents parcours.

 

Si l’on veut bien écarter le souvenir de fameux romans à suspense, il est bon de rappeler que le train est un des plus anciens véhicules de transport de l’imaginaire. On citera en premier l’imposant cycle de La Compagnie des Glaces de G.J Arnaud, des nouvelles signées Bloch, Shepard (« Le train noir »), une anthologie de Pierre Gontier, La croisière bleue de Laurent Genefort, au cinéma le dernier volet de Retour vers le Futur, liste non limitative évidemment. Sarah Brooks, dont c’est le premier récit propose là un pitch très intéressant, servi par une écriture déjà mature.

 

Deux explorations s’offrent au lecteur, l’une dédiée à l’identité des voyageurs et à leurs motivations, l’autre à ces fameuses Terres. Deux univers séparés mais peut-être pas si antagonistes que cela. Les personnages ont vraiment de la consistance, que ce soit la jeune et ex passagère clandestine Weiwei, Marya femme mystérieuse animée d’un esprit de revanche, Henry Grey, émouvant naturaliste accroché à son rêve d’Eden.

 

Comment voyager dans les Terres Oubliées est vraiment une bonne surprise, une « weird » légère et originale, une vision d’un monde sans entrave. Ah Jeunesse …


3 commentaires:

Christiane a dit…

"Mystère au même titre que le quai 9 ¾ de la gare de Kings Cross de Londres" mais là pas de Poulard Express conduisant Harry Potter vers l'Ecole des Sorciers mais un train blindé traversant des terres dangereuses.
La saga des trains d'un livre à l'autre, d'un film à l'autre (Renoir et La bête humaine), d'un poème à l'autre (Cendrars et La prose du Transsibérien).
Leurs rêves et nos rêves.
L'odeur des rails, de la fumée (autrefois), des escarbilles dans les yeux... Les départs, cette joie des départs, de l'arrachement, du chaos quand les roues passent sur les aiguillages.
Les jeux d'enfants, les circuits à assembler, les décors à construire, les merveilleux tunnels, les déraillements intempestifs quand deux locomotives ratent l'aiguillage.
Le farwest et toutes ces mémoires de constructions de lignes de chemin de fer. Il était une fois dans l'Ouest....
Donc, Soleil vert glisse ce livre dans notre bibliothèque, "Comment voyager dans les Terres Oubliées" de Sarah Brooks.
"Un Transsibérien Express fait la liaison entre les villes de Pékin et Moscou, une solide locomotive à vapeur tractant une vingtaine de voitures et leurs passagers. Vitres et parois ont été blindées pour résister aux assauts de l’Extérieur..."
Ce livre aura-t-il le même pouvoir hypnotique que "La Croisière bleue" de Laurent Genefort et son inoubliable paquebot tracté par une locomotive ?
Qui sait ? J'irai vers ce roman quand je descendrai du "Train de nuit pour Lisbonne" de Pascal Mercier avec Gregorius et son livre.
S'évader ....

Soleil vert a dit…

Cendrars oui, Les mystères de l'Ouest, fameuse série tv …

Christiane a dit…

"(...) Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours
Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t’a nourrie, du Sacré-Cœur contre lequel tu t’es blottie
Paris a disparu et son énorme flambée
Il n’y a plus que les cendres continues
La pluie qui tombe
La tourbe qui se gonfle
La Sibérie qui tourne
Les lourdes nappes de neige qui remontent
Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l’air bleui
Le train palpite au cœur des horizons plombés (...)"

Ce long et merveilleux poème de Blaise Cendrars imprimé dans les couleurs de Sonia Delaunay.