Cormac McCarthy - La route - Points
Un homme, un enfant déambulent dans une contrée sans
nom, poussant un caddie rempli de bric et de broc, en direction d’un Sud
approximatif. Une apocalypse, sans doute nucléaire au vu de l’interminable recensement
de métaux et ferrailles fondus, a tout dévasté, hommes et paysage confondus. Le
père et le fils progressent au sein d’un brouillard de suie et de cendres. Les
nuits sont profondes comme définitives, les aubes sales. Eviter les cannibales,
fouiller les ruines à la recherche de nourriture et de tout ce qui pourrait
contribuer à la survie, se protéger du froid et de la pluie tel est l’enjeu
quotidien. Entre les deux êtres quelques paroles de réconfort comme seule
lumière.
Vingt ans après l’Enfer pourpre de Méridien de sang,
Cormac McCarthy récidivait avec une désespérance monochrome traversée par un contre-chant
d’amour illuminant le requiem aeternam. La litanie des actes de survie, la
découverte des forêts en deuil des oiseaux et des bêtes, l’irruption dans des maisons
abandonnées, sont égrenées dans de courts paragraphes à la mesure du souffle
court de l’homme atteint d’une pneumonie ou d’une tuberculose. Comme dans L’Iliade
la vie du texte nait de la mort, ici des répétitions descriptives mais toujours
renouvelées de lieux à l’agonie. Les dialogues brefs mais essentiels dérogent
aux mises en forme habituelles. Pas de guillemets, de tirets. Les voix font
corps avec la narration, lâchées dans
un minimalisme à la Beckett :
Il y a d’autres gentils.
C'est ce que tu as dit.
Oui.
Alors où ils sont
?
Ils se cachent.
De qui est-ce qu'ils se
cachent ?
Les uns des autres.
Il y en a beaucoup ?
On n’en sait rien.
Mais il y en a
quelques-uns ?
Quelques-uns. Oui.
C'est vrai ?
Oui. C'est vrai.
Mais ça ne l'est
peut-être pas.
Je crois que c'est vrai.
D'accord.
Tu ne me crois
pas ?
Si je te crois.
D’'accord.
Je te crois toujours.
Ça m'étonnerait.
Mais si. Il le faut
bien.
Le père protège le fils, mais le fils sauve – au sens
spirituel - le père. Tu ne tueras pas ton prochain, tu ne le mangeras pas, tu
lui fourniras une aide. Dieu, plusieurs fois invoqué ne répond pas, mais son
souffle s’incarne dans la respiration paternelle. Le passage de témoin entre
les deux générations constitue l’essentiel du livre, au sein du mystère de
« ces choses plus anciennes que l’homme », d’un Univers incompréhensible.
Faut-il répéter chef d’œuvre ?
« Autrefois il y avait des truites de torrent dans les montagnes. On pouvait les voir immobiles dressées dans le courant couleur d'ambre où les bordures blanches de leurs nageoires ondulaient doucement au fil de l'eau. Elles avaient un parfum de mousse quand on les prenait dans la main. Lisses et musclées et élastiques. Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir. Des cartes et des labyrinthes. D'une chose qu'on ne pourrait pas refaire. Ni réparer. Dans les vals profonds qu'elles habitaient toutes les choses étaient plus anciennes que l'homme et leur murmure était de mystère. »
87 commentaires:
Il y a dans cet univers glacé, terrible, la douceur incomparable qui lie le père et le fils. Cet enfant qui est la raison de vivre, de survivre du père.
"L'enfant était tout ce qu'il y avait entre lui et la mort."
Quant au "petit", malgré ce désastre, il est confiant, veut aider les rares personnages en difficulté qu'ils rencontrent.
Mais on sait peu de choses d'eux, de leurs apparence physique, de leurs pensées. Ils sont un père et un fils, marchant sur une route vers le sud.
Autour d'eux des bandes de cannibales, la terreur,. On ne sait rien de la catastrophe qui a précédé. On est juste dans un présent et dans une attente. Trouver de quoi se nourrir. Et peut-être un pays sans violence... La mer ?
Le relisant, je pense à une autre "route" , celle de Jack Kerouac son roman "Sur la toute" (1957). Une fuite aussi. Une route dans un monde imaginaire, un monde dévasté, l'autre dans la réalité de l'Amérique des années soixante.
Les mots finissent par manquer comme le souffle dans le roman de McCarthy. C'est un roman de la transmission, de l'initiation. Les histoires du père portent de l'espoir, la possibilité du bien.
La fin... N'aurait pas déplu à Camus...
Plus qu'un roman de science-fiction, ne serait-ce pas une méditation philosophique.
Je l'aime toujours autant.
Des écrits de Juan Ascensio sur "La route"", je retiens la mention d'une scène de "No country for old men" qui préfigure ce roman - et qui m'a échappé - et le sentiment d'un abime derrière toute chose, d'un Univers incompréhensible (là je me cite), froid, étranger, quelque chose de Lovecraftien.
La refondation d'une église ? J'effleure le sujet (modestement et en toute ignorance)
Pourquoi parlez-vous de la refondation d'une église ? Bizarre...
Refondation ? :
https://www.juanasensio.com/archive/2007/12/22/la-route-the-road-cormac-mccarthy.html
Oui, j'ai lu... Mais c'est Juan... Dieu et le mal...
Je ne partage pas toujours ses idées même s'il a une plume qui ne me laisse pas Indifférente.
Je ne vois pas tout ce qu'il ressent dans ce beau livre. Un homme et un enfant qui marchent absurdement dans un paysage désolé. Le rêve d'un monde ressemblant à celui d'avant -que l'enfant n'a pas connu- fera place à cette eau noire et poisseuse pleine de poissons morts, à la mort des arbres puis sans dévoiler la fin, à la rencontre de cette famille avec laquelle la route absurde recommencera... Un peu Sisyphe... Je pense plus à Camus qu'à Bernanos, le dieu de Juan.
J'aime lire ce conte sans penser à la religion, seulement à ces deux là, le père et le fils qui s'aiment, s'épaulent, apprennent l'un de l'autre. Souffrent. Ont faim. Sont en danger.
Vous parlez bien du dialogue père/fils. Je le trouve très beau. Innocent.
Vous êtes tellement dans le fil du roman quand vous écrivez : "Dieu, plusieurs fois invoqué ne répond pas, mais son souffle s’incarne dans la respiration paternelle."
Ce que la femme à la fin du livre (avant la mémoire des truites) dit à lenfant : "Elle lui parlait quelquefois de Dieu. Il essayait de parler à Dieu mais le mieux c'était de parler à son père et il lui parlait vraiment et il ne l'oubliait pas. La femme disait que c'était bien. Elle disait que le souffle de Dieu était encore le souffle de son père bien qu'il passe d'une créature humaine à une autre au fil des temps éternels."
Souvenir d'une réflexion de Michel Alba, "Qui veut assumer pleinement le réel ne peut pas ne pas assumer l’horreur". C'était à propos d'"Au cœur des ténèbres". En SF on a un spécialiste : P. K . Dick.
Mais je ne sais pas où ça nous entrainerait.
"No country for old men" fait intervenir un personnage qi pourrait être le Diable et Méridien de sang c'est un peu aussi "sous le soleil de Satan"
Mais comme dit plus haut, ce qui me plait dans "La route" c'est cette idée d'un cosmos aveugle dont nous ignorons les tenants et les aboutissants.
Michel Alba, quelle intelligence pour parler de littérature. J'aimais réfléchir sur ses analyses. Puis il a disparu. Je ne crois du tout qu'il convolé en Israël. Quelque de grave a dû lui arriver. Il était toujours sur la frontière entre raison et folie. Une sorte de voyant parfois halluciné...
Je comprends sa remarque sur le réel et l'horreur.
L'horreur, je ne l'ignore pas mais j'essaie toujours de la contourner en cherchant l'homme blessé dans le monstre.
Le livre et le film que vous citez ont longtemps étaient pour moi source de questions sans réponse.
Dans le roman de McCarthy, le père pense en regardant l'enfant dormir près du feu : " l'enfant-fée".
Là est la clé des songes...
Je ne connais pas ce livre.
Oui, cela est formidable dans toute vie, pas seulement dans ce roman. J'aime ces deux inconnaissances : l'origine et après la mort où tout pour moi de dissout dans le cosmos, se transforme.
L'idée de Dieu me vient parfois. Il m'a fallu ôter toutes les bondieuseries, les peurs, les abus des religions. Puis l'idée de la beauté m'a saisie me liant au sacré. Quelque chose de plus fort que l'horreur, quelque chose de rond, un cercle magnétique dont la lumière aspire. Un trou noir lumineux quelque part au milieu de l'immensité ... qui a un lien avec ce miracle : la vie.
Le plus grand mystère : la bonté naturelle. Celle de l'enfant dans ce conte. Jyt suis très sensible.
été
j'avais envie de dire quelque chose, mais non, je ne sais pas dire; quelque chose m'étreint dans le coeur quand je pense à ce roman (je lis très peu de romans).
Je suis content de lire votre brève présentation de cette ouvrage. merci
"L'enfant dit à son père mort: je te parlerai tous les jours..."
c'est de cela que nous avons besoin, dont nous avons besoin? nous parler, et aussi que les papas parlent à leur enfant.
Enfin, ce n'est rien d'important, je ne peut pas apporter seulement partager
Claudio Bahia
Ah, Claudio Bahia. Je me souviens, je vous lisais sur la RDL.
Vous dites les choses simplement et avec cœur. "quelque chose m'étreint dans le coeur quand je pense à ce roman."
C'est exactement ce que j'ai ressenti quand, sous le billet précédent, Soleil vert a annoncé qu'il allait chroniquer "La route" de McCarthy.
J'ai revu le petit si fragile, le père inquiet qui presse les pieds de son fils endormi contre lui pour les réchauffer. Le père qui lui raconte des histoires d'avant pour entretenir un espoir. Il sait qu'il est malade, très malade, que faire pour ce petit bout d'homme dans cette terre inhospitalières parcourue de bandes de "méchants " ? Où trouver à manger ? Où s'abriter ? Et ce petit tout préoccupé de son père et des autres.
Vous avez raison, ce mot "papa" qui revient tout au long de cette marche est une joie.
Oui, lui parler tous les jours... L'enfant désespéré le lui promet.
Un moment de leur vie cueilli comme un miracle de tendresse dans un monde de mort et de nuit. Cette tendresse illumine la fin du roman comme dans "Le Septième sceau" de Bergman où la farandole conduite par le diable traverse le ciel de nuit pendant que l'enfant sourit entre père et mère sauvés du désastre dans un matin lumineux.
Ici la mère est morte. Le père aussi va mourir mais une petite famille tendresse va prendre l'enfant par la main.
Heureuse, Claudio de vous avoir lu toujours aussi accordé aux choses essentielles.
Ce caddie de supermarché où ils entassent leurs objets de survie est une échancrure dans le réel. Trop de SDF font de même... misère au coeur des villes... Trop de gens fuyant des villes bombardées rassemblent aussi leurs possessions dans un baluchon, une valise crevée, sur un vélo surchargé, dans une poussette. Et puis il y a ceux qui n'ont plus rien à transporter et qui marchent jusqu'à épuisement.
Douloureux roman de la survie.
Le caddie sera abandonné dans leur fuite. Ils le retrouveront pillé.
Le père fabrique des chaussures avec des sacs en plastique...
Un abri antiatomique... des vivres...une pause...
Le vieillard en guenilles rencontrer leur dit "Il n'y a pas de Dieu et nous sommes ses prophètes". Prophètes de rien, prophètes du néant. Invention de Dieu ?
Trouver des ressources dans l'humain. La bonté ?
Un nourrisson embroché. Le comble de l'horreur.
Et la mer, plus jamais bleue. Noire.. des squelettes de poissons sur une berge noire aussi. Ciel noir aussi.
Surgissement du désespoir, pour d'autres, de la haine.
Le temps est immobile, fait de répétitions : marcher, manger, trouver un abri.
Toute la tension, le courage dans cette marche malgré tous les échecs. Là, je pense à Camus.
Repousser le jour où ils ne pourront plus marcher, où ils abandonneront. Porter le feu comme dit le père. Temps des cavernes...
L'enfant se referme. Parle de moins en moins. Il ne peut plus que le silence.
La possibilité du bien ? Épilogue....
Lu dans le "Stendhal" de J-P. Amette :
"Les héros stendhaliens sont emportés par leur rêve intérieur pour ne plus jamais tomber. Ils entrent dans le miroir de Cocteau, dans l'image même de leur séduction. Ils veulent d'abord retrouver une naissance idéale et sans pesanteur, où la grâce, enfin, s'éparpille dans un grand songe nuageux . On les verrait volontiers peints sur le plafond d'une Sixtine romanesque.
Ils brûlent leurs dernières cartouches, leurs chemises, leurs papiers, pour courir vers la victoire, l'échafaud, la conquête amoureuse : ils prennent tous les risques, même celui de disparaître..."
Deux écritures qui explorent un même rêve... Deux écrivains qui regardent les hommes. Des personnages qui les quittent pour entrer dans l'imaginaire du lecteur
Plutôt Camus (Sisyphe) que Stendhal alors
Camus pour la marche toujours recommencée.
Stendhal pour ne pas tomber.
Il n'y a aucun animal vivant dans ce roman.
Ce qui reste de l'humanité sensible n'est longtemps que le père et le fils.
Besoin de Camus et Stendhal pour dépasser la conscience de mort imminente de ce grand et terrible roman La route de McCarthy
Dans votre lien "Gérard Klein (billet précédent), j'explorais ce qu'il disait du temps dans l'oeuvre de Wells "La machine à explorer le temps" et j'ai beaucoup pensé à la fin du roman de McCarthy en lisant ces lignes :
"Le déclin de l'Humanité : le ciel est crépusculaire, les rivages de sable battus par la mer, fade et grise, portent les énormes crabes de la fin du temps qui, un million d'années plus tard encore, ont disparu, laissant place à des êtres inertes, sortes d'hydres couleur de néant, rampant sur la planète immobile, au temps zéro de l'Histoire. La vie se réfugie enfin en ce lieu d'où elle est venue, la mer. La tristesse des dernières pages de la Machine à explorer le temps est extrême (...)pour restituer ainsi l'émotion qui s'exhale des mondes morts, des ruines sur lesquelles le temps n'aura plus prise.
Ainsi Wells aboutit à un non-lieu ; le temps n'a de fin qu'en lui-même, l'Homme ne saurait le dépasser, et pourtant le héros, de retour à son point de départ, n'aura de cesse qu'il disparaisse dans les profondeurs du passé, mort, enfui, mangé."
C'est un peu comme cela que j'imagine la suite du roman de McCarthy, pour cette famille qui a recueilli le "petit" et pour les autres.
Une belle chronique.
Pas encore lu,un jour certainement,hors lectures estivales.
Disons que entre ,les prochaines canicules,la pandémie qui repart et la démagogie de nos politiques,je vais passer cette fois ci.
Rose et JJJ, je suis bien ici mais je vous lis tous les jours.
Le Noble Coeur là -dedans serait dans la relation fils-père en ce qu'elle est salvatrice, précisément? MC
C'est une belle image, "le noble coeur".
Oui, la relation père-fils est belle. Dépendance mutuelle que la mort tranchera. Le père a fait de son fils sa raison de survivre. L'enfant a une confiance absolue en son père sauf.... quand il refuse d'aider un être en souffrance ou quand il le conduit dans sa maison d'enfance. Le fils sent qu'au-delà des histoires qu'il lui raconte et qui se terminent toujours bien, il n'y a plus rien à espérer.
Il ne reste qu'à s'aimer même si l'amour ne suffira pas à sauver la situation. Ils s'aiment malgré tout , même malgré la mort, même si ça ne sert à rien et justement parce que c'est sans espoir.
C'est un beau livre pour comprendre la gratuité, la force de l'amour pour ces êtres si fragiles et condamnés à une mort certaine.
Je crois que dans Le Septième sceau ou dans Les Visiteurs du soir, c'est l'amour que le mal ne peut vaincre. Dans Faust c'est plus ambigu.
Et chez Stendhal se vit aussi l'amour véritable comme celui de madame de Rênal, un don de soi sans réserve, qui défie les règles morales, les convenances, où elle accepte le risque de perdre le respect et l'affection de son mari, le jugement de la société.
Un amour qui défie, qui donne la force de se lever, de se dresser contre l'impossible comme dans ce roman, La route. Il faut aussi cette force, cette sorte d'amour pour qu'ils avancent tous les deux, unis contre l'horreur. Le noble cœur, oui...
Je relis le roman de McCarthy lentement. J'avais oublié bien des détails. Ainsi, je m'interroge sur cet enfant. Il y a tant de bonté en lui. C'est presque surnaturel. Le père en a conscience, se sent "missionné" pour le protéger. Missionné par qui ? Mystère et boule de gomme... Pourquoi pense-t-il qu'il est le porteur du feu ? La fin du livre pourrait alors être destinée à un autre fin que la mort. Mais que peut cet enfant si petit dans un monde sous l'emprise de bandes de tueurs, un monde où les plantes tombent en poussière, où il n'y a plus d'animaux, où l'eau est sale ?
C'est bien qu'il n'ait pas donné de suite à cette énigme. Est-ce son dernier roman ? McCarthy est-il encore en vie et si oui, écrit-il encore ?
Il y a page 54 ces quelques lignes importantes. Je n'avais jamais songé à cela.
"Toutes les choses de grâce et de beauté qui sont chères ay notre cœur ont une origine commune dans la douleur. Prennent naissance dans le chagrin et les cendres."
Ce roman je ne lui vois pas de suite. Il n' y a pas d'antériorité, pas de détails sur les évènements ayant conduit à la guerre nucléaire. Le passé ressurgit en rêve, mais ce sont des bribes. L'enfer c'est le présent perpétuel ou la repetition selon Camus.
J'ai du mal à ne pas imaginer une frange de mots après la dernière page. Ce que vous dites justement, le présent perpétuel comme un enfer, il faut en sortir d'une façon ou d'une autre.
L'éternité ne m'a jamais tentée mais la mort ça fait un peu peur, non ?
Pour l'autre message... c'est bien que vous soyez né. Ah oui, je m'en réjouis !
Oui, c'est bien aussi comme cela. Un morceau de vie, sans précédent, sans suite. Juste dans l'oeil de l'écrivain. Voir ce qu'il voit grâce à l'écriture. Mais le roman est aussi visuel. Une lumière sombre, des silhouettes, de la boue, de la pluie et ces deux là qui marchent vers le sud ou qui dorment serrés l'un contre l'autre. Puis l'enfant qui suit cette famille, son père dans le cœur pour toujours.
Ça fait du bien à l'humain ce roman. Je crois que c'est cela que Juan Ascensio a senti. Cette force d'amour.
Pour Camus, oui, c'est tout à fait cela.
Il y a un passage important page 73 bien que tout soit traduit en langage d'enfant. Une interrogation sur le partage du bien et du mal.
Le père a tué un homme qui voulait enlever son fils. L'enfant depuis ne dit plus rien. Il a vu, a reçu le sang de l'assaillant sur lui.
Il demande au père
"- On est encore les gentils
Et on le sera toujours, "répond le père.
Il explique
"- Ça pourrait se reproduire. Mon rôle c'est de prendre soin de toi. J'en ai été chargé par Dieu. Celui qui te touche je le tue."
On sent que l'enfant se pose des questions sur le geste du père qui l'a sauvé.
Tuer pour se défendre ou défendre un des siens fait-il basculer dans le camp des "méchants " ?
Et cette référence à Dieu tout à fait insolite.
La mère s'est suicidée après la naissance de son fils pour qui elle craignait le pire dans ce monde de fin du monde.
Sauver le petit... La mission que s'est donnée le père.
Mais le sauver pour lui offrir un monde glaçant, horrible où plus rien de bon ne survit.
Parfois je me dis que la vie dans ses conditions n'est pas un cadeau pour l'enfant.
Il faudrait que tout changé. Ça paraît impossible. C'est un univers de mort annoncée.
Un autre passage essentiel : l'effacement progressif du langage.
"Il essayait de trouver quelque chose à dire mais il ne trouvait rien. Il avait éprouvé ce sentiment-là avant, au-delà de l'engourdissement et du morne désespoir. Le monde se contractant autour d'un noyau brut d'entités sécables. Le nom des choses suivant lentement les choses dans l'oubli. Les couleurs. Le nom des oiseaux. Les choses à manger. Finalement les noms des choses que l'on croyait être vraies. (...) L'idiome sacré coupé de ses référents et par conséquent de sa réalité. Se repliant comme une chose qui tente de préserver la chaleur. Pour disparaître à jamais le moment venu."
C'est, je crois, le moment où tout pourrait basculer : la perte du langage.
"Au commencement était le Verbe. Et le Verbe était Dieu."
Je me souviens de cette première phrase de la Genèse. Comme elle est belle... Rien d'autre que le Verbe. Et la vie jaillit ...
Bon j'ai tout faux ! Ce n'est pas la Genèse, cest l’Évangile selon saint Jean, chapitre 1:
"Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement auprès de Dieu.
C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.
En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ;
la lumière brille dans les ténèbres, (...)"
Dre de roman, quand même, vous ne trouvez pas ? C'est presque une métaphore philosophique.
Drôle
Vous voyez, Soleil vert, c'est étrange. J'ai lu ce livre, il y a quelques années. Je le relis grâce à vous.
Je m'aperçois que la mémoire est sélective.
J'avais oublié toutes ces questions sur la mort que le petit pose au père. Et cette maturité quand il lui répète, si tu le savais tu ne me le dirais pas.
J'avais oublié les descriptions pourtant précises des charniers laissés par les cannibales.
J'avais oublié la présence diffusé du chien. Ainsi que l'enfant que le petit aurait tant voulu prendre en charge.
Il est loin d'approuver toutes les décisions du père mais il lui fait confiance donc il se tait, pleure parfois. Difficile de saisir ses pensées. Difficile de l'imaginer. Je lui donne six, sept ans. Une sacrée maturité. Une lucidité sur ce qui les attend : une mort certaine à laquelle il semble indifférent. Trop épuisé, trop affamé, trop grelottant.
Les cèdres qui tombent c'est comme des hommes qui meurent.
Vous êtes un guide étrange faisant confiance à vos lecteurs pour aller avec eux je ne sais où. Le chemin de vos lectures, bien que sombre, réserve des plages d'une grande pureté, d'une grande transparence. Comme dirait le petit, vous n'êtes pas un méchant.
Hier, j'ai lu un autre livre pour me laver la tête de toutes ces images désespérantes. C'était bien. Un livre sur les oiseaux. Pas Audubon , un livre de Marielle Macé " Une pluie d'oiseaux" ( Corti / Biophilia) En quinze ans, près d'un tiers de nos oiseaux ont disparu de nos milieux. J'aime les oiseaux. Je ne saurais vivre dans leurs chants, leurs vols, et tous ces froufrous de plumes.
Des poèmes au fil des pages dont celui-ci de Michaux :
"Il bat de l'aile, il s'envole.
Il bat de l'aile, il s'efface.
Il bat de l'aile, il réapparaît.
Il se pose. Et puis il n'est plus.
D'un battement il s'est effacé dans l'espace blanc.
Tél est mon oiseau familier,
L'oiseau qui vient peupler le ciel de ma petite cour.
Peupler ? On voit comment..."
C'est presque une métaphore philosophique.
Oui
L'effacement du langage
Oui
Bien à vous
Clair et net ! Merci.
J'ai relu votre billet, celui de Juan Ascensio. La ligne du vôtre est plus claire. Celle de Juan, tortueuse, fulgurante par instants. J'ai relu tous les commentaires, dont celui émouvant de Claudio.
J'ai refermé le livre, labouré de mes questions en marge.
Ce soir, je pense à Beckett. L'Innommable... Une voix de Silence... Une filiation entre lui et McCarthy.
Vous citiez Michel Alba pour le réel qui doit rendre visible aussi l'horreur.
Dans ce roman La route on plonge dedans régulièrement comme un hamster dans sa roue qui ne peut échapper au retour du même.
Les catastrophes du XXé siècle, les guerres, les tortures sont si pleines à ras bord de régressions innommables. Que d'abjection...
Alors, cette marche vers une fin inexorable pour ceux qui n'ont plus de place en ce monde, devient quand même lumineuse, noir de lumière, même si c'est un éclat éphémère par la bonté de l'enfant, celle du père pour son enfant, redoutée par l'homme si elle doit mettre en péril la protection, la survie de son fils. Il sait tuer qui les menace. peut-être, avant cette apocalypse a-t-il participé à ce qui a conduit à cette catastrophe nucléaire ?
Je pense à votre billet précédent, à cet écrivain qui a basculé de l'horreur des bombardements à l'écriture. W.M.Miller Jr - Un cantique pour Leibowitz.
Quelle prouesse que ces romans... que ces écrivains qui osent écrire la déchéance physique et mentale, les abjections, les débris, les épaves, les insanités, le sang, les ordures... la totalité du réel. Plume vaillante, dure au mal.
Et soudain, un petit quelque chose, un enfant, se glisse dans cette horreur, inséparable de "l'homme", "papa". Étrange couple, morceaux de dialogues inoubliables. McCarthy couche tendrement ces deux personnages. Moments suspendus dans ce désastre.
Quand il n'y a plus rien qu'une vie misérable, il reste la tendresse, la douceur. Le silence habite la fin de ce roman de l'épuisement, de l'échec, du déclin.
L'enfant voudrait tant voir le soleil et le père revoir les truites bondissant dans la rivière.
Merci pour ce beau moment de lecture, Soleil vert.
Roman de la dépossession, aussi. Du dénuement jusqu'au silence.
Merci de vos partages Christiane.
Sans votre billet, je n'aurais jamais relu ce livre. Cette relecture m'a apporté tant de nouvelles pistes de réflexions. C'était une joie.
Merci Chistiane pour cet ouvrage de Marielle Macé.
Dans Nos cabanes elle parlait des oiseaux qui nous avertissent de la détérioration du monde.
Je note Une pluie d’oiseaux.
Vous ne regretterez pas,Biancarelli. Cet ouvrage, rare est un délice de lecture et des questions essentielles sur le monde que nous habitons, partageons avec les oiseaux et autres bêtes
Pour vous (page 68), ce beau regard qui devient le notre.
"Plus que tout autre vol peut-être, stupéfiants sont les vols groupés d'étourneaux qui forment des figures éblouissantes dans le ciel juste avant le crépuscule. Vastes respirations plastiques, formes qui se font et se défont dans une sorte de travelling métamorphique, qui se creusent en leur centre, s'étirent, se densifient, se dispersent, esquissent des chorégraphies tout en élans et en abandons. On dirait l'organisation acéphale d'un petit peuple sans chef, guidé par l'acquiescement secret de ses membres à tour à tour s'accorder et de désaccorder. Fluides, continus, liquides, ces vols transforment le ciel en une espèce d'écran océanique, et les nuées d'oiseaux en orages, en baleines ou en méduses lentement allongées. C'est un véritable concert plastique, des phrases en plein vol - qu'en anglais on appelle d'ailleurs du mot formidable de "murmurations". (...)
A chaque fois, c'est l'aventure d'une forme qui vient, et qui vient au monde par les oiseaux, en voyage dans le ciel "vers elle-même"."
Une pluie d'oiseaux - Murielle Macé - Corti / Biophilia. Avril 2022.
Pour vous aussi, Soleil vert, une page du livre de Marielle Macé. C'est à propos d'un film de Pasolini, une fiction délirante, qui a un côté SF et un côté religieux (parodie ? François ?), dont les deux personnages sont un père et un fils qui cheminent sur une route... (!)
Pour saluer votre sens de l'humour et votre culture, un film que j'ai beaucoup aimé, pour lequel j'ai souri moult fois : Uccellacci e Uccellini
Et puis, il n'y a pas d'oiseau dans ce beau roman de McCarthy.
Voilà, c'est pour vous, page 342 et suivantes.
"François est aussi revenu avec Pasolini en 1966, quelques années après les Fioretti (qu'il adorait), avec Uccellacci e Uccellini où il réinvente pendant près d'un tiers du film la prédication aux oiseaux.
Pasolini connaissait bien les oiseaux, les vrais et ceux de la poésie (...) Mais la question qu'il pose avec insistance, dans Uccellacci e Uccellini, avec ces "oiseaux, petits et gros", c'est celle de la bonne parole, de la chance de faire parvenir la bonne parole, la marxiste comme la chrétienne.
L'histoire est gigogne Toto et Ninetto, père et fils, cheminent dans la pauvre banlieue romaine, l'un comme Charlot l'autre comme son double adolescent, hilare et sautillant. Ils sont bientôt rejoints par un corbeau. C'est un corbeau marxiste, très bavard : c'est lui qui sermonne. Idéologue à la fois compatissant et professoral, c'est la voix d'une gauche désorientée, un peu perdue. Voix pour les pauvres mais voix péremptoire, entraînante mais pas très gracieuse, et qui peine à faire entendre la bonne parole. Ils finiront d'ailleurs par le manger rôti à la broche, lassés de ses sermons !
Dove va l'umanità ? Boh !"
C'est pourtant le corbeau qui leur raconte l'histoire du sermon aux oiseaux, (...) comme un récit d'apprentissage, profond et rieur (...)
Mais "le saint François de Pasolini n'est pas homme de paroles : il est plongé dans une longue méditation silencieuse, égayée par le chant des oiseaux."
Une conclusion burlesque et dansante si un jour vous lisez ces pages.
(PS : tout rapport avec la politique actuelle serait fortuit.)
Hubert reeves sur les oiseaux et Georges Schéhadé :
Les arbres qui ne voyagent que par leur bruit
Quand le silence est beau de mille oiseaux ensemble
Sont les compagnons vermeils de la vie
Ô poussière savoureuse des hommes
Les saisons passent mais peuvent les revoir
Suivre le soleil à la limite des distances
Puis − comme les anges qui touchent la pierre
Abandonnés aux terres du soir
Et ceux-là qui rêvent sous leurs feuillages
Quand l'oiseau est mûr et laisse ses rayons
Comprendront à cause des grands nuages
Plusieurs fois la mort et plusieurs fois la mer
Hubert reeves et Georges Schéhadé...
Je les imagine sous l'arbre aux mille oiseaux écoutant ce beau silence des feuilles comme "les anges qui touchent la pierre
Abandonnés aux terres du soir"
Nuages, morts douces et houle, regard perdu dans les étoiles .
Joie de me promener dans les mots-mages de ce poème.
Ce poème m'a surprise. Bien que fluide et d'une grâce infinie il ne se laisse lire qu'à condition de laisser vaciller sa forme jusqu'à la dissolution du paysage. Georges Schehadé est un poète d'ailleurs, d'une quatrième dimension. Mystère et merveilleux. Il aime les mots autant que les oiseaux couvés par la nuit. Sa langue poétique est inattendue, légère, agile et bouleversante. C'est une nuit magique. Un miroitement d’icône pour ce poète libanais se souvenant des églises d'orient où les anges miroitaient, des bords du Nil où il a grandi. Alexandrie... avant son retour à Beyrouth. Voyage d'un mage, d'un berger. Lui aussi a connu l'exil, l'oubli, le sommeil des oiseaux.
Etoile qui trace la route.
Autre mage rencontré, Hubert Reeves qui écrit les choses du ciel. Poussières d'étoiles... "Ô poussière savoureuse des hommes". Tourbillons des galaxies, pouponnières d'étoiles. Un voyage dans l'immensité...
Le texte se dérobe. Comment exprimer la coupe de la nuit versant sur les oiseaux endormis les songes du dévoilement ?
"Il y a des jardins qui n'ont plus de pays
Et qui sont seuls avec l'eau
des colombes les traversent
bleues et sans nids
Mais la lune est un cristal de bonheur
Et l'enfant se souvient d'un
grand désordre clair."
Georges Schéhadé.
Je n'avais pas encore retenu : "Suivre le soleil à la limite des distances"... Lumière verte de votre pseudo aux portes du secret. Mais l'Aleph, est muet, Soleil vert.
Bonsoir. Je découvre un nouveau livre formidable. MH.Lafon l'évoquait à la dernière de La Grande Librairie.
Superbe découverte.
Nous évoquons des enfants, ici, celui de La Route et ceux qui traversent les nouvelles de Joyce.
Dans "C'est la guerre" Louis Calaferte raconte avec une écriture drôle, bouleversante, cruelle, fine ce qu'il voit, ce qu'il entend dans son village quand cette guerre éclate. Il ne comprend pas tout, s'interroge, se demande ce qu'est cette guerre, pour quelles raisons les habitants de son village réagissent ainsi. C'est un livre magnifique.
La guerre racontée par un enfant. P.A en a parlé ?
Je me défie par principe des livres évoqués au Grand Souk Littéraire. Il y a la prestation de l’auteur, et du mamamouchi en titre. Deux choses qui peuvent faire bondir du mediocre au pathétique un livre somme toute banal…Et je crains que ce ne soit ici le cas….
Oui, un enfant de douze ans. Celui qu'il a été, je suppose ? Ce qui est vraiment bien c'est qu'il est sans arrière-pensée par rapport à Pétain, l'exode, l'armée allemande, Hitler... Il regarde, il écoute, traduit les informations selon ses connaissances (La ligne Siegfried est-elle un fil de fer comme dans la chanson ?). Son regard se pose sur les êtres avec humour, tristesse ou roublardise. Il est un vrai garnement aimant les jurons, les gestes obscènes et tendre cœur, aussi.
Les avis de Marie-Hélène Lafon (excellente narratrice) sont en matière de critiques littéraires pertinentes. Elle est au plus près de la langue, du texte, n'abobnde jamais dans les superlatifs.
Non, je ne crois pas que Pierre Assouline en ait parlé. Louis Calaferte ? Une sacrée plume.
Le mieux c'est de vous faire une opinion en lisant le livre. Je me régale.
Un avis de Paul Edel retrouvé sur la RDL en décembre 2020 :
"Paul Edel dit: à
"Jazzi, je n’ai pas dû suivre assez attentivement ton cours de littérature car je me demande pourquoi tu mets des numéros à tes gélules d’extraits de Kundera ou de Chateaubriand. Les bars et cafés parisiens avec terrasses doivent te manquer cruellement.A moi aussi! Alors je sors un bouteille de Quincy et je regarde les films de Woody Allen, surtout ceux où les personnages se réfugient dans les bars les plus chics de Manhattan; je te conseille « Un jour de pluie à new-york », bonne cuvée,bons dialogues. et comme tu es sympa de signaler mon blog germanico-mannien devenu sanatorium pour les intoxiqués de littérature du passé, tu devrais vraiment suivre mon dernier conseil de gardien d’écrivains oubliés sur une étagère du fond:découvrir Louis Calaferte,il a ascendance italienne comme toi. Un de ses meilleurs livres « Septentrion » fut condamné pour obscenité.ça mérite respect et relecture.Bref, un écrivain rare. Je vois qu’imperturbable, tu causes livres,Bible, Jeanne d’Arc,les grands sujets existentiels, ,sans te soucier des nuées de flèches au curare que certains commentateurs envoient à heure fixe entre tes interventions ou carrement sur toi..Voilà, c’était ma carte postale de Saint-Malo entre deux averses.J’évite les Ehpad du haut quartier de la Roulais et leurs halls vitrés qui,dans mes insomnies, semblent vouloir me happer tout cru.
Quelques lignes du roman de Louis Calaferte :
"Ils parlent. Ils tapent sur la table. Ils reniflent. Ils se grattent dans les poils. Ils se grattent la tête. Ils se renversent sur leurs chaises. Ils mettent leurs pouces dans leurs bretelles. Ils font semblant, mais ils ne sont pas bien. Ils griffent de l'ongle le bois de la table. Ils parlent. Ils se comprennent. Et pourtant, c'est quoi 14, c'est quoi l'Armistice, c'est quoi Daladier, c'est quoi les Boches, c'est quoi Hitler, c'est quoi la politique, c'est quoi le Taureau du Vaucluse, c'est quoi Chamberlain, c'est quoi le pape, c'est quoi la guerre ?
- C'est quoi, la guerre ?
- Occupe-toi de ta soupe. Mange."
"Louis Calaferte est né le 14 juillet (jour de la fête nationale en France) 1928 à Turin (en Italie donc) d’un père maçon et d’une mère couturière vivant dans la région lyonnaise[1]. Orphelin de père à l’âge de douze ans, il se contente du certificat d’études et travaille dans une usine de piles électriques mais très vite décide de monter à Paris pour devenir écrivain. Malgré une vie de misère, il écrit pour le théâtre mais c’est Joseph Kessel (1898-1979) qui le soutiendra jusqu’à la publication de deux romans chez Julliard qui lui assurent un début de succès. Il se retire toutefois dans les Monts du Lyonnais, avec Guillemette, en devenant producteur-réalisateur-animateur radiophonique. Il écrit beaucoup mais bon nombre de ses écrits attendront (vingt-et-un ans pour Septentrion !) la publication chez Denoël grâce à Gérard Bourgadier à partir de 1982 – Calaferte ouvrira avec Memento Mori la collection L’Arpenteur chez Gallimard que dirige le même Bourgadier depuis 1988. Il dessine et peint. Le public le découvre surtout par le théâtre dès 1972 avec Chez les Titch puis Les Miettes jusqu’à Opéra bleu en 1993… Il se réfugie dans le village de Blaisy-Bas et ne cesse d’écrire pendant que son théâtre est joué régulièrement en France et à l’étranger. Il y meurt le 2 mai 1994. C’est dans ce village de Bourgogne que le Centre d’études et de ressources Louis Calaferte promeut l’œuvre considérable de celui qui a publié plus d’une centaine de livres (23 récits ou recueils de récits, 6 essais, 16 carnets, une cinquantaine de recueils de poèmes, des correspondances, des livres d’entretiens…) et de nombreuses œuvres picturales, dessins et objets. Alors pourquoi reste-t-il marginal dans le panorama des Lettres françaises au point de faire souvent entendre une plainte qui d’ailleurs vise bien au-delà de sa seule situation : « Mais personne n’entend. Mais personne n’écoute » (Satori, Gallimard, p. 82) ?
Avec Calaferte, on est bien obligé de parler de « continent inexploré », comme l’écrivait le traducteur américain du Sang violet de l’améthyste[2] ! Pour s’aventurer sur un tel continent, il ne faut pas compter sur les vieilles cartes littéraires avec frontières et typologies bien établies, parcours balisés. Au-delà de la métaphore, il semble en effet que ce continent Calaferte demande un changement de conception de la littérature, exactement comme l’exige toute œuvre forte. (...)"
la suite sur : https://ver.hypotheses.org/3664
"Avec Louis Calaferte, la liberté de vivre pour être la vie"
24/12/2021 - Serge Martin
Un dernier extrait car ce n'est pas le sujet du billet !
C'est à propos de mon commentaire précédent :
"On chante On ira pendre notre linge sur la ligne Siegfried. Je ne comprends pas ce que sont ces lignes Maginot et Siegfried. Je les vois comme des décimètres de bois à tête de cuivre sur cahier. l'inventeur de la ligne Maginot est M.Maginot. c'est un ingénieur. Je ne comprends pas ce que ça veut dire aller pendre son linge sur la ligne Siegfried. Un matin, je vois la petite femme maigre étendre le linge dans le jardin sur le fil de fer. La ligne Siegfried est un fil de fer. est-ce que les soldats à la guerre doivent laver leur linge ? Sur la place du village, les copains font les soldats. ils marchent au pas,ils saluent, ils chantent à tue-tête On ira pendre notre linge sur la ligne Siegfried. les gens leur donnent des sous et des bonbons. Je trouve cette chanson bête."
Voilà, je retourne à ma lecture. Bon samedi.
Ah, quand les Collegiend de Ray Ventura dont enrôles dans la propagande, ça peut en effet donner de drôles de choses ! Dont cette chanson là.
Il raconte comment le portrait de Pétain avait envahi le village et comment les gens pensaient surtout à manger et à éviter les bombes en descendant dans les abris et plein d'autres choses tantôt tristes (les morts), tantôt moqueuses (le marché noir), tantôt très réalistes (les réactions mesquines de certains). C'est un livre (le dernier je crois) entre autobiographie et fiction. J'ai beaucoup aimé jusqu'à maintenant.
Il ne raconte sans doute pas l’anecdote du libraire de Toulouse, qui, contraint de mettre deux effigies de Laval et Pétain en vitrine avait fait précéder la première de la mention « Vendu. » ´et la seconde de la mention »épuisé »… il me semble que c’est Jules Moch qui raconte cela dans ses Mémoires…. Bien à vous. MC
Il grandit, devient amer, révolté :
"Il n'y a autour de moi que vol, mensonge, compromission, passion de l'argent, égoïsme, indifférence, corruption, hypocrisie, prostitution déguisée, violence, lâcheté, bassesse, obséquiosité intéressée.
J'ai treize ans. Quatorze ans. Quinze ans.
J'apprends l'homme.
L'homme est une saloperie.
Ils font tous du marché noir.
Les autres ont faim."
Un livre attachant par cette voix d'enfant qui mûrit.
Superbe livre. Lu la fin en apnée. Milice, torture, gestapo, dénonciations, crimes... La dernière page se termine sur une femme qui pleure. On vient de la tondre.... Les américains ont débarqué avec leurs jeeps.
Grand livre.
Merci à Marie-Hélène Lafon.
Une belle respiration d'infini sur le blog de Paul Edel. Il sait si bien noter ses sensations. C'est reposant, étrange. Quel peintre...
Il broie ses mots comme on broie des pigments puis il étale la couleur calmement, doucement. Je pense à l'école de Bologne. Giotto. Piero Della Francesca. Couleurs delayées, claires, sur le blanc du papier. Variations chromatiques subtiles, illuminées par une clarté solaire posée sur le miroir de la mer. Peintre des séries profondément ancrées dans la quotidienneté.. Souvent un fond monochrome . La lumière devient une variable dans un système de constantes . Presque un exercice spirituel. Artiste solitaire, contemplatif. Ecriture métaphysique de l'effacement. La réalité est recomposée et retranscrite avec tant de métier et de poésie que le lisant on est dans un ailleurs perpétuel .
C'est un blog de traducteurs : mots /mots, couleurs/mots, mots/couleurs...
MC, vous connaissez mal mes goûts de lectrice. Disons que nous n'avons pas les mêmes. Vous m'aviez conseillé de lire Dune de Frank Herbert, ajoutant que je ne pourrais plus me passer de la suite. J'ai donc acheté ce livre. Il m'ennuie profondément. Rien ne m'inspire dans cette saga. Par contre j'ai beaucoup apprécié C'est la guerre de Louis Calaferte, et des livres partagés avec Soleil vert : les nouvelles de Carson McCullers, celle de Joyce Les Dublinois, Le Paquebot de Pierre Assouline, certains romans SF : Le disque rayé de Steiner, (que vous dîtes avoir apprécié), Épépé de Karinthy, Au nord du monde de Theroux, Rendez-vous demain de Priest, La solitude est un cercle de verre etLhomme de Bradbury .... Et bien d'autres romans , essais, poésies dont ceux recommandés par Paul Edel à qui je dois la découverte de Saul Bellow
Et L'homme illustré de Bradbury
Suite pour MC
Je vous dois la découverte Carlo Ginzburg. Pierre Assouline c'est Simenon .
Tant d'autres livres habitent ma maison. Je ne sais plus pour certains comment je les ai choisis. Ce qui est certain c'est qu'ils sont comme une seconde peau.
Bon je vous laisse. Désolée pour la coupure, le commentaire était parti alors que j'effleurais l'écran.
Bonne journée.
Oui Christiane j’ai apprécié Le Disque Rayé. Aussi Gens de Dublin, mais c’est un sommet, Carson Mac Cullers dans sa vie - l’anecdote Flaubert- certainement Dune, et à ce sujet laissez-le livre venir à vous plutôt que de le prendre comme une corvée. Il se peut d’ailleurs que dans un monde où le Djihâd est devenu une réalité, il ait perdu de son acuité sur ce plan, mais en 1963, et durant de longues années, ce n’était pas le cas du tout !. J’ai lu aussi , certainement Priest, que depuis plus longtemps que vous., cela fait si je ne me trompe quelques points communs avec les bouquins évoqués par Soleil Vert. Je disgresse un peu, comme vous d’ailleurs, et vous repond Moch pour Calaferte. Ou est le mal? A très bientôt, Grande Prêtresse du présent Soleil.De Bretagne, je vous salue. MC’
Karinthy…. S’agit-il de Ferenc, auquel cas j’aurais un autre titre, avec Merlin l’Enchanteur se réincarnant dans le monde moderne?
Il n'y a pas de mal, M.C. Juste vous dire que Dune n'est pas une priorité. Lu une centaine de pages et rien n'a retenu mon attention. Je suis restée complètement imperméable à cette histoire, au nom des personnages, aux lieux.
Comme j'ai d'autres lectures qui m'appellent, je le laisse dans la bibliothèque. Peut-être un jour...
La science-fiction est vraiment une tres petite partie de mes lectures. Un peu comme Tomtom. Je ne m'y sens pas à l'aise sauf en ayant insisté pour les quelques romans cités.
A propos de nage dans une piscine, puisque vous avez chroniqué le roman Le Paquebot de Pierre Assouline, vous souvenez-vous de ce passage inoubliable où au cœur de la nuit, dans l'eau de la piscine à peine éclairée, le narrateur suis à la nage une ravissante ondine qui n'a pas mis de maillot ? Nul doute que l'expérience érotique du nageur a du être puissante ! L'imagination des écrivains est étonnante...
Elle est un peu plus la mienne, Christiane. Cf Ballard en 1971: j’écris de la SF parce que, d’ici vingt ans, toutes les les œuvres importantes seront de la Science-Fiction. » Soleil Vert doit se souvenir de cette déclaration. Il est arrivé à Ballard de faire du Bourget (l’Astronaute mort) il lui est arrivé aussi de tomber juste. C’est cette aptitude à rendre le progrès ou son inverse dans la modernité qui m’attache à ce courant beaucoup plus qu’au Nouveau Roman et autres turlutaines. Bien à vous. MC
Alors vous devez être un lecteur heureux.
Pour l'heure je suis plutôt versée dans des essais sur la littérature, des ouvrages philosophiques, de la poésie, des biographies, des correspondances, des journaux d'écrivains,des ouvrages sur l'art.
Le monde est une énigme pas seulement l'univers et d'autres sociétés imaginaires. L'humain ici présent est l'étranger par excellence, celui qu'il faut comprendre. Les générations aussi et leurs transmissions complexes.
Le nouveau roman ? Qu'appelez-vous le nouveau roman ? Les romans qui paraissent doivent-ils être dédaignés comme des vins trop jeunes qui n'ont pas encore assez vieilli ? Relire les anciens , proches ou lointains, fait aussi partie de cette aventure de la lecture.
Parfois j'ai du mal à vous suivre. Vous êtes prompt ay mépriser...
Cela ne me gène pas que vous soyez addict à la science-fiction, souffrez que nos chemins de lecture soient différents.
Bonne journée à vous qui m'êtes de plus en plus une énigme.
Ainsi cet après-midi j'écoutais l'émission en rediffusion "La salle des machines" animée par M.Enard . Antoine Wauters été invité pour parler de ce roman qui a eu le prix du livre inter 2022 : "Mahmoud ou la montée des eaux", paru chez Verdier.
Un débat entre lecteurs m'avait donné envie de le lire. J'avais beaucoup aimé ce vieil homme sur sa barque plongeant dans le lac artificiel qui avait ennoyé son village pour retrouver son passé. Tout cela sur fond de guerre en Syrie.
L'auteur invité rappelait le barrage de Taqba et des risques de dévastation s'il était détruit. Il évoque ce roman vertical à deux personnages. L'eau étant la frontière entre deux mondes : le présent et le passé. Entre la lumière du jour et le vert trouble et froid des grandes profondeurs . Noir presque, percé la lumière de sa lampe.
Rejoindre ce qui est perdu.
Rejoindre le temps perdu.
Retrouver l'image de la femme aimée Leïla de ses enfants.
Des petits chapitres courts comme autant de couches de vie et de mémoire se superposant .
Il parle à la femme qu'il a aimée, assassinée pendant cette guerre .
Cette mort de la femme et du village sont des non-existences dans le bruit des combats . Il se souvient des olives, des abricots de l'ail et du thym, de l'église, de la mosquée, des maisons, des gens, du café, du four à pain, des brebis, de la vaisselle ancienne, des tapis, des fleurs, de la menthe, des citronniers, des dattes, de ses livres de poésie.
J'ai aimé suivre les pensées de vieil homme au visage raviné, à la barbe pleine d'écume.
L'auteur parle de l'Euphrate, de la civilisation millénaire qui s'est installée sur ses rives. Du péril si le barrage venait à céder.
La mémoire est-elle rongée par le temps ? Ce vieillard est-il immergé dedans ? Il est trop tard. Il est déjà de l'autre côté...
Combat de solitude . Il est enfermé dans un rêve...
"La mort chante dans le gosier du rouge gorge."
Est-ce cela le nouveau roman que vous méprisez ?
Une barque à la coque bleue danse au milieu de l'eau. Elle dérive aussi... Je me souviens de ce livre . "La vie passe et n'éclaircit rien."
Pour le commentaire de 22.55, j'évoquais le dernier billet de Paul Edel : "le Sillon de Talbert" ou Talberv . Une merveille.
"il lui est arrivé aussi de tomber juste (Ballard)
oui MC, je dis souvent que Ballard c'est le Roland Barthes des Mythologies.
… si je relis un jour Le Fleuve de l'éternité de Farmer, j'aimerais en parler en évoquant deux nouvelles de L'Aleph de Borges.Le récit d'un tribun romain qui découvre une source d'immortalité et dans un autre le témoignage du Capitaine Burton qui contempla un miroir où se reflétait la totalité de l'univers … et peut-être une porte d'entrée sur tous les possibles.
La SF quel vertige parfois …
Farmer, je ne connais pas mais Borges m'accompagne depuis de nombreuses années par ses livres, par ses pensées. J'aime ce qu'il a apporté à la littérature, à la pensée. Farmer, je ne connais pas mais Marcel Schwob, je connais. Ces "Vies imaginaires" sont belles car elles s'attachent à un petit détail irremplaçable. (comme dans les textes de Paul Edel que j'aime tant lire).
Borges a écrit un temps double, à la fois celui des jours qui se succèdent et celui dans lequel quelque chose revient toujours. Une écriture poétique qui me conduit en douceur vers un cosmos où la mémoire persiste comme une ombre, une empreinte. Mais où se conserve cette mémoire ?
Le dernier texte de Raymond Prunier se pose sur ce mystère.
L'éternité de Borges c'est aussi de la poésie. Une sorte de contemplation du temps. le temps y est suspendu.
Il faut remonter en amont. Raymond a raison. Le présent dans le passé.
Ainsi dans L'Aleph, je retourne souvent vers ce prisonnier qui habite une cellule souterraine plongée dans l'ombre, qui a perdu le sens du temps et qui parage ce temps avec un jaguar imaginaire qui apparait par intermittence. Pour lui c'est l'écriture de Dieu perdue dans les taches mouvantes du pelage de l'animal qu'il ne perçoit que lorsque la trappe haute s'ouvre et que descend par la roue d'une poulie un panier de nourriture et un rai de lumière crue fugitive qui éclaire le mur où est le jaguar. Un signe comme un instantané. Nul ne peut résider dans la révélation. (Le Paradis de "La Divine comédie" de Dante où là aussi apparait la roue, le cercle où le héros ne peut demeurer.)
Comme lui, nous sommes obligés de sauter d'un instant à l'autre.
Il faut que les personnages échappent à l'écriture, qu'il ne reste que l'écriture comme à la fin de Citizen Kane : "Rosebud" (Voir le si beau livre de Pierre Assouline).
Jean, le prophète, je le citais récemment, parle aussi de l'écriture de Dieu, le Verbe à l'origine de la Vie.
Le monde est en attente d'une rencontre, peut-être de Godot... Il n'y a plus de frontière entre réel et fiction.
Logique paradoxale des contes...
Ah Farmer, ses méchants nazis qui se désintègrent et que l’on retrouve au long de son fleuve. Vous avez du courage,ou il y a quelque chose que je n’ai pas compris là dedans !
Sur
Beckford a commis me semble-t-il des Vies de Peintres totalement imaginaires. Plus tard Walter Patter et son Marius aussi. Schwob ne fait je crois qu’acclimatement cette veine. Personnellement, je vous recommande les Contes: « le Roi au Masque d’ Or « principalement. Bien à vous Christiane. MC
J'ai lu ces Vies imaginaires à l'époque où j'ai découvert les Vies minuscules de P.Michon. je pense que ce dernier a été fortement influencé par ces biographies imaginaires mais incluant du réel, avec très peu de renseignements sur les lieux et l'époque. Beaucoup d'indices aussi volontairement d'incertitudes. Un mélange savant d'hommes et de femmes remarquables et de petites gens, un mélange d'époques. Une écriture qui me ravit. Un très grand conteur amoureux des langues. Une grande culture. Une obsession de la mort. Bref, un livre souvent réouvert, relu.
Puis il est parti comme Rimbaud, est revenu pour mourir, jeune. Des écrivains majeurs l'ont aimé, entouré. Il s'est marié avec Polaire, l'amie de Colette. C'était aussi un journaliste littéraire, un traducteur de haute volée. J'ai aimé passer du temps à le lire. Mes science-fictions aimées. Toutes tournées vers le temps énigmatique et des êtres dont on saisit quelques détails singuliers, dont le destin reste une question sans réponse. Empédocle et le volcan, Clodia la sensuelle, Paelo Uccello ( mon préféré), le juge de Jeanne d'Arc (Nicolas Loyseleur).... Oui, je lirai certainement ce livre que vous évoquez. Merci.
Pas Polaire mais Marguerite Moreno
J’avais rectifié. Bonne soirée
À vous. MC
Oui, rien à voir l'une avec l'autre !
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