vendredi 17 juin 2022

Gens de Dublin

 

James Joyce - Gens de Dublin - Pocket

 

 

Première œuvre remarquable de l’écrivain James Joyce, Gens de Dublin est un recueil de quinze nouvelles, publié en 1914. Ces textes restituent l’atmosphère d’une ville et d’une époque avec un sens de l’observation et un réalisme qui inquiétèrent l’éditeur. La première édition fut achetée, nous dit Valery Larbaud, en bloc par un inconnu, et aussitôt brulée. La diffusion des romans suivants, y compris l’illustrissime Ulysse, fut contrariée par des censeurs moraux. Les commentateurs attachés à l’influence des naturalistes sur les premiers écrits de Joyce trouveront au moins ici un point commun incontestable avec Flaubert.

 

Il n’y avait pourtant rien d’immoral dans cette description d’une société dublinoise corsetée dans laquelle les personnages hésitent à franchir le seuil des conventions ou impulser une nouvelle direction à leur existence. Eveline, dans la nouvelle éponyme, vit sous la férule d’un père tyrannique balzacien. Elle tombe amoureuse d’un jeune homme qui compte s’établir en Argentine, mais renonce à le suivre. Dans « Pénible incident » M Duffy, banquier célibataire fait la connaissance d’une femme mariée à un capitaine marchand et mère d’une jeune fille. Un lien affectif se tisse progressivement entre eux, encouragé par le mari qui voit trompeusement en M Duffy un prétendant à sa fille. Mais le banquier casse brutalement le début de cette relation amoureuse. L’issue tragique sera travestie en un fait divers lié à l’alcoolisme.

 

Le Dublin de Joyce ne se résume pas à un assemblage d’individualités soumis à des destins singuliers, c’est une communauté de personnes unies par un ensemble de valeurs notamment religieuses. Les pensions, les fêtes familiales de Noel donnent l’occasion à l’auteur de dresser une galerie de personnages pittoresques, exercice dans lequel il excelle. La musique, les chants constituent l’autre lien social. L’action importe peu, l’atmosphère prime. La vérité du récit surgit de façon presque allusive, comme dans le meilleur texte « Les morts » où une chanson rappelle à Mme Conroy le souvenir d’un tragique amour de jeunesse. La nouvelle raconte pourtant une joyeuse fête de Noel. Les invités des tantes de M Conroy festoient et chantent, M Conroy admire la beauté de sa femme. « The Lass of Anghim » et la neige nocturne dessinent en contrepoint, de façon incongrue, l’allégorie de la mort telle que l'a représenté Holbein dans l’anamorphose du tableau Les ambassadeurs. John Huston réalisera une adaptation cinématographique de ce chef d’œuvre miniature.

 

Les différends religieux ou sociaux sans être mis sous boisseau ne donnent pas matière à récit, même si « On se réunira le six octobre » ravive le souvenir du nationaliste irlandais Charles Steward Parnell. L’auteur jette un œil égal sur les catégories sociales, mais ne jette pas de pont comme Maupassant. A Dublin on se conforme à son rang et l'emprise cléricale rassemble les âmes.

 

Joyce a construit son recueil de façon chronologique mettant successivement en scène des enfants dans « Les sœurs », « Une rencontre », un adolescent (« Arabie »), des jeunes gens (« Eveline », « Les deux galants ») … jusqu’à l’ensevelissement de la neige dans « Les morts ». Est-ce une biographie déguisée ? L’enfance y est maltraitée. En école buissonnière (« Une rencontre »), deux gamins tombent sur un pervers qui leur explique la façon dont il fouetterait un gosse récalcitrant. Ailleurs (« Correspondances ») un père alcoolisé se défoule sur son fils. Cependant les personnages féminins donnent une tout autre tonalité à l’ensemble. Mère protectrice, Mrs Mooney, après avoir écarté un mari ivrogne, tient de main de fer « La pension de famille » et compte bien préserver l’honneur de sa fille ; mère protectrice et femme de tête – « assise au milieu du cercle glacial de ses talents » - Mrs Kearney, confrontée à quelques incompétences masculines, entend bien mener une série de concerts à son terme et faire rémunérer la prestation de sa fille. Avec « Ursule » Joyce raconte une vie de servitude dans la lignée d’« Un cœur simple » de Flaubert. Tour à tour domestique, blanchisseuse et promise au couvent, d’une douceur jamais prise en défaut, elle laisse entrevoir l’espace d’une chanson le songe d’un ailleurs :

 

« J’ai rêvé d’une demeure de marbre,

De vassaux, de serfs à mes côtés,

Et que de tous ceux assemblés en ces murailles

J’étais l’espoir, j’étais l’orgueil.

 

J’avais des richesses incalculables,

Je pouvais me réclamer d’une haute et noble lignée,

Mais j’ai aussi rêvé, ce qui me charma plus que tout,

Que votre amour n’avait point changé »

 

La bonté de ces femmes trouve son épilogue dans l’incarnation des sœurs Morkan, les tantes de M Conroy, fragiles cocons de prières et de chants, comme toutes celles qui dressent, un court instant, un rempart de tulle et d’affection contre les avanies de nos destins personnels. Ainsi s'achève ce magnifique recueil.

 

« Des larmes coulèrent de ses yeux, et dans la pénombre il crut voir la forme d'un jeune homme debout sous un arbre, lourd de pluie. D'autres formes l'environnaient. L'âme de Gabriel était proche des régions où séjourne l'immense multitude des morts. Il avait conscience, sans arriver à les comprendre, de leur existence falote, trem­blotante. Sa propre identité allait s'effaçant en un monde gris, impalpable : le monde solide que ces morts eux-mêmes avaient jadis érigé, où ils avaient vécu, se dissolvait, se réduisait à néant. Quelques légers coups frappés contre la vitre le firent se tourner vers la fenêtre. Il s'était mis à neiger. Il regarda dans un demi-sommeil les flocons argentés ou sombres tomber obliquement contre les réverbères. L'heure était venue de se mettre en voyage pour l'Occident, Oui, les journaux avaient raison, la neige était générale en toute l'Irlande, Elle tombait sur la plaine centrale et sombre, sur les collines sans arbres, tombait mollement sur la tourbière d'Allen et plus loin, à l’occident, mollement tombait sur les vagues rebelles et sombres du Shannon. Elle tombait aussi dans tous les coins du cimetière isolé, sur la colline où Michel Furey gisait enseveli. Elle s'était amassée sur les croix tordues et les pierres tombales, sur les fers de lance de la petite grille, sur les broussailles dépouillées. Son âme s'éva­nouissait peu à peu comme il entendait la neige s'épandre faiblement sur tout l’univers comme à la venue de la dernière heure sur tous les vivants et les morts. »

 

 

 

 

 

TABLE

 

  • Les Sœurs (The Sisters)
  • Une rencontre (An Encounter)
  • Arabie (Araby)
  • Eveline (Eveline)
  • Après la course (After the Race)
  • Les deux galants (Two Galants)
  • La Pension de famille (The Boarding House)
  • Un petit nuage (A Little Cloud)
  • Correspondances (Counterparts)
  • Cendres / Argile (Clay)
  • Pénible incident (A Painful Case)
  • On se réunira le 6 octobre (Ivy Day in the Committee Room)
  • Une mère (A Mother)
  • De par la grâce (Grace)
  • Les Morts (The Dead)

96 commentaires:

Christiane a dit…

Vos chroniques de science-fiction sont agréables mais celles concernant de grands textes littéraires sont éblouissantes. Là, vous prenez le temps de sonder une œuvre, un style, une mémoire littéraire (Flaubert).
Votre regard sur ces nouvelles de James Joyce est incisif et délicat. Vous savez frôler ce qui est dénoncé sans appuyer - ce que Joyce fait avec ses points de suspension.
Dublin en ce début de siècle est décrit par Joyce comme une ville en déclin, paralysée, mesquine qui se prépare à une explosion ("la horde d'enfants crasseux"... "un grouillement de vie animale"). Elle va mal. Joyce l'écrit avec un réalisme sombre. L'argent, l'ascension sociale, l'aliénation obsèdent beaucoup de ses personnages. Dans les premières, on sent que l'enfant anonyme n'a pas tout dit... le lecteur se glisse dans le regard du garçon qui est le narrateur. Les adultes commentent avec beaucoup de phrases inachevées.
"Un petit nuage", mis à part, (Vous l'aviez souligné), le recueil est assez déprimant.
La dernière nouvelle "Les Morts", je la classe à part. Oui, le titre est énigmatique et ne s'éclaire qu'à la fin de la nouvelle où Gabriel Conroy, tout en tendresse envers sa femme, perdant ses illusions, se voit entrainé vers la mort commune. Deux sœurs comme dans le premier texte. Je garde la blancheur de cette neige...
Très beau billet.

Soleil vert a dit…

Comment me passerais-je de vos commentaires désormais ?

Ah, oui cette phrase énigmatique de la première nouvelle "je sentis mon âme se retirer en un lieu de débauche et de plaisir; et là encore je le trouvai qui m'attendait". C'est un garçon qui s'exprime !?

Christiane a dit…

Peut-être Joyce revit, en écrivant, son enfance ou celle de ses amis... Le clergé, dans ces nouvelles a un rapport à l'enfance malsain, perverti et abuse de son autorité.
Il était en exil pour écrire la plupart de ses nouvelles. Il se souvient de cette ville qu'il aime et qu'il a fui dans un sentiment contradictoire d'amour -répulsion. Je crois qu'il aurait aimé que ce climat de décomposition, de compromission, d'aliénation laisse place à plus de cœur, de fierté. C'est un rebelle.
Ce n'est pas tout à fait une écriture réaliste, c'est aussi un règlement de compte dans une écriture magistrale.
Oui, j'apprécie votre analyse. Elle met de l'ordre dans mes sensations embrouillées de lectrice de Joyce et me prépare à relire "Portrait de l'artiste en jeune homme / Stephen le héros".

Biancarelli a dit…

Excellente chronique Soleil Vert.
Finalement Dublin était à Joyce ce que Buenos Aires était à Borges.
A la fois synonyme d’aversion mais aussi d’attirance.C’est ce que dit aussi le commentaire de Christiane.
D’ailleurs je suis tombé sur une invocation à Joyce de Borges dans Eloge de l’ombre .
L’exil était leur point commun.
Borges disait que même lorsqu’il n’était pas à Buenos Aires,il y était toujours..
Encore bravo à vous.

Anonyme a dit…

Juste signaler que des differents religieux ou autres , sont en fait des différends. Il y a une petite différence entre les deux…

Soleil vert a dit…

... aie aie aie... corrigé merci

Christiane a dit…

Merci, Biancarelli, pour ce rapprochement : "Finalement Dublin était à Joyce ce que Buenos Aires était à Borges.
A la fois synonyme d’aversion mais aussi d’attirance."
Oui, c'est tout à fait cela.

Pour laisser reposer toutes ces pensées si justes , j'écoute, sur Mezzo, Nicolas Angelich. Lui et son piano, c'est tellement reposant et profond. Tout en discrétion mais bien présent, bien planté. Ses doigts ont un rapport familier avec les touches du piano. C'est très beau à regarder, à écouter ça fait naître des mots chrysalides pas pressés de s'envoler.


Vous avez raison de saluer ce billet limpide et clair pour une œuvre si complexe.





Soleil vert a dit…

>Biancarelli : "D’ailleurs je suis tombé sur une invocation à Joyce de Borges dans Eloge de l’ombre ."

Retrouvé et lu; il me semble faire allusion à Ulysse."Le temps d'un de nos jours, c'est tout le temps du monde" etc. Dans New England (toujours in Ferveur de Buenos Aires) il dit : L'Amérique m'attend à chaque carrefour,/mais je sens dans le jour qui lentement décline/le présent vraiment lent et le passé si court./Buenos Aires, je ne cesse de parcourir/tes coins de rues, quand et pourquoi je ne sais pas

Christiane a dit…

7 heures. Le ciel est fou d'oiseaux. Les martinets le traversent en bandes, lançant leurs cris perçants. Il fait bon.

J'ajoute une pierre à votre cairn, Soleil vert et Biancarelli. Borges écrit dans un essai consacré à Flaubert (Flaubert et son destin exemplaire) à propos de Joyce : "l'irlandais enchevêtré et presque infini qui trama Ulysse.
Enchevêtré et infini... Comme cela va bien à Joyce. (comme son pseudo "Stephen Dedalus". Dédale... le père d'Icare. Des plumes et de la cire pour fuir le minotaure et s'échapper du labyrinthe... Ovide a encore frappé ! Dédale l'architecte qui conçut la prison du minotaure et s'y perdit avec son fils, comme Joyce avec la construction de son écriture où le lecteur se perd. Léopold Bloom et Stephen...)

Pour en revenir à votre remarque, Soleil vert, l'enfant-narrateur des Sœurs, quand il repense au père Flynn, se dit encore : "J'avais l'impression d'être allé très loin, dans quelque contrée aux coutumes étranges - en Perse, me disais-je... Mais je n'arrivais pas à me rappeler la fin du rêve."
Et dans Une rencontre l'enfant ne lève pas les yeux quand Mahonny lui dit : "Regarde ce qu'il fait ! .. Quel drôle de vieux bonhomme !".

Et pour Dublin, dans une lettre, Joyce écrit : "Parfois, quand je pense à l'Irlande, il me semble avoir été inutilement dur; Je n'ai représenté (au moins dans Dublinois) aucun des attraits de cette ville ; or je ne me suis jamais senti bien dans aucune ville, sauf Paris, depuis que je l'ai quittée. Je n'ai pas d son insularité candide, ni son hospitalité. (...) Je n'ai pas rendu justice à sa beauté."

Dans la nouvelle Un petit nuage, little Chandler baigne dans sa beauté, en la regardant par la fenêtre du bureau : "Un coucher de soleil rutilant, digne de cette fin d'automne, inondait les pelouses et les allées. il faisait pleuvoir une bienfaisante poussière dorée sur les nourrices négligées et les vieillards décrépits qui sommeillaient sur les bancs ; il papillotait sur toutes les figures animées - sur les enfants criards courant dans les allées de gravier et sur les passants qui traversaient les jardins. Little Chandler observait la scène et pensait à la vie."

Dans Les Morts c'est la neige qui tombe, évanescente, à travers tout l'univers, sur tous les vivants et les morts; La mort hante ce dernier récit comme la vie se répandait sur la rêverie de little Chandler.

Christiane a dit…

Je n'ai pas décrit son insularité candide

Soleil vert a dit…

Les portraits délicats des femmes de "Gens de Dublin" m'ont renvoyé au titre d'une bio de J.G Ballard, "La bonté des femmes" (ouvrage non lu)

Christiane a dit…

Alors là... Vous êtes vraiment surprenant. Je n'ai encore jamais rencontré un lecteur ayant formulé cette impression face aux Gens de Dublin.
Je me souviens du monologue de Molly Bloom, solitaire et fragile (autre livre). Je me souviens de la détresse de Gretta Conroy pleurant son amour perdu. Les autres sont souvent aliénées par les conventions sociales et religieuses, les obligations de remplir un rôle de dévouement à la famille, de filles légères évoquées par les jeunots qui veulent crâner. Mais la bonté des femmes...
Bonté... c'est une force tranquille qui protège, qui accompagne, une vigilance, pour l'enfant, le parent, le compagnon. Y a-t-il cette sorte de bonté dans cette galerie de personnages si souvent empêchés de se réaliser socialement, sentimentalement, sexuellement ?
Pourriez-vous m'éclairer ?

Soleil vert a dit…

"Y a-t-il cette sorte de bonté dans cette galerie de personnages si souvent empêchés de se réaliser socialement, sentimentalement, sexuellement ?"

->La bonté ? Ursule
Les deux mères protectrices évoquées plus haut, qui se sont socialement réalisées, les tantes Morkan sortes de vestales

A côté bien sur des portraits de femmes en détresse …

Christiane a dit…

Je comprends mieux votre remarque. Vous me faites penser au jeune fils d'un de mes amis. Nous marchions le long d'une rivière presque à sec. Lui pieds nus dans l'eau penché en avant et ramassant de temps à autre un caillou. Nous, sur le bord, bavardant. Il me confia qu'il cherchait des pépites, des pierres qui brillent, que plus tard il serait orpailleur. Ses tiroirs étaient pleins de cailloux et de son rêve.
Donc, vous me faites penser à lui.
Vous aussi, saisissez dans ces textes vos cailloux de rêve. Remontant les Dublinois comme lui, sa rivière.
Pour Ursule j'ai vu cette vie de servitude, ses oublis, la moquerie des enfants. Pour les sœurs Morkan et leur nièce, le poids des traditions où les invités sont comme des marionnettes un peu poussiéreuses réunies rituellement une fois par an, un peu plus proches de la mort chaque année.
Ce que vous repérez c'est la bonté de Joyce pour peindre ces femmes. Tout en délicatesse. Une aquarelle.
Ce grand rebelle si intelligent était homme de cœur même si la débauche érotique se glissait dans sa délicatesse pour Nora Barnacle. Couple infernal toujours entre deux ruptures et toujours si fidèles l'un à l'autre.
La bonté des femmes dans ces trois nouvelles est le terreau de bien des méchancetés des autres qui les exploitent ou les font s'ajuster à leurs conventions, leurs besoins, leurs renoncements.
Ce Dublin me donne la chair de poule. Étouffante ville refermée sur ses captifs, emprisonnés dans un milieu stérilisant.
J'ai encore pensé à vous en regardant un très beau film documentaire sur la vie de Boris Vian. Savez-vous qu'il adorait les romans de science-fiction ?


Christiane a dit…


Boris Vian et la science-fiction :

https://science-fiction-fantastique.com/article-31560988.html

Soleil vert a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Christiane a dit…

Je n'ai pas trouvé dans la colonne de droite, trop de pépites ! Vous auriez pu mettre un lien, l'orpailleur !
"Je vis parmi des formes lumineuses et vagues
qui ne sont pas encore la ténèbre.(...)"
Je continue à lire ce poème très étrange.
"Cette pénombre est lente et ne fait pas mal ;
elle coule sur une pente douce
et ressemble à l'éternité. (...)
J'arrive à mon centre
à mon algèbre et à ma clef,
à mon miroir.
Bientôt je saurai qui je suis."

MERCI

Anonyme a dit…

Comment taper » le Monde des Non A? « Accessoirement , Dédale est celui qui conçoit le Labyrinthe, non celui qui s’y perd…Et l’on retrouve Borges avec « La Demeure d’ Asterion » !

Christiane a dit…

Le labyrinthe n'est pas un lieu où l'on se perd mais un lieu d'où l'on ressorty perdu.

Christiane a dit…

Ce que "Sens critique" en dit :
"Là où la Science-Fiction se base sur des connaissances (réelles ou supposée) d'une ou plusieurs disciplines scientifiques comme l'astrophysique, la biologie, l'intelligence artificielle ou autres et de leurs avancées probables, le monde des  s'inspire de quelque chose de beaucoup plus large que ça : le concept de la sémantique générale, non-aristotélicienne (ou non-A) au cœur de ce livre, n'est pas scientifique. Il s'agit d'une réflexion sur la science elle-même, sur la validité de ses méthodes et des connaissances qu'elle produit, sur ses alternatives.
Le monde des  ce n'est donc pas de la Science-Fiction, mais de l'Épistémologie-Fiction.
Rien de moins.
Voilà pourquoi il convient de se gratter assez souvent la tête pendant la lecture, parce que putain, qu'est-ce que c'est complexe ! Qu'est-ce que c'est que ce mode de pensée qui interroge les connaissances de manière totalement contraire à celle dont on nous a rabâché les oreilles ? J'ai constamment eu l'impression d'être à la limite de la compréhension, que j'en tenais le début, et que le fond n'était plus très loin, pas complètement inaccessible.
Rajoutez à cela la traduction de Boris Vian remarquable (enfin une traduction qui a du style !), et le plaisir de tenir entre ses mains une œuvre intelligente est à son comble."

Il dit : "J'ai constamment eu l'impression d'être à la limite de la compréhension". Nul doute que j'en ressortirai, perdue ! Mais le Boris Vian de L'écume des jours aux manettes, cela vaut le voyage.

Christiane a dit…

"Borges et Joyce sont ainsi liés par une parenté culturelle forte et par une même ambition, puisque leurs œuvres peuvent être lues comme une récapitulation ludique et souvent subversive des savoirs humains constitués. Mais cette communauté apparente de projet débouche sur des œuvres très différentes : Borges est un adepte de la forme courte et écrit dans un castillan impeccable, Joyce conçoit des romans d’une ampleur à donner le vertige et bouleverse la langue anglaise. Du fait de cette disjonction, il paraît intéressant d’éclairer l’œuvre de Joyce à travers sa réception par Borges et de voir comment les poétiques des deux écrivains se réfléchissent l’une l’autre."

https://www.cairn.info/revue-litterature-2009-1-page-3.htm

Christiane a dit…

Finnegans Wake (Ce livre-là me plaît) est pour Borges un roman labyrinthique (voir le lien ci-dessus) où on n'ose s’aventurer de peur de s'y perdre. Parvenu à la dernière ligne, on est, effectivement, invité à recommencer car le roman est inachevé.
Oui, Joyce est un constructeur de «labyrinthes ardus / infinitésimaux et infinis» comme l'écrit Borges (qui reprend là sa métaphore préférée) car le lecteur éprouve, mêlés, un sentiment d’infini et celui d'être perdu.
C'est un labyrinthe monstrueux où j'ai aimé m'attarder par jeu.
Identités incertaines, objets non reconnaissables, cris, borborygmes confus, un vrai cauchemar carnavalesque ! Les lieux : un pub du village où les parents versent à boire pendant que les enfants jouent, se battent, font leurs devoirs ; un parc, lieu de rencontres étranges, où l'on visite des champs de bataille, l'Histoire, un promontoire sur la côte où dort le géant des contes.
Le titre Finnegans Wake, espièglement né d'un chant irlandais racontant la chute mortelle du maçon Tim Finnegans - assez imbibé... et pour lequel se tient une veillée funèbre "wake". Sans oublier un grand éclat de rire quand le bruit d'un bouchon qui saute le ramène à la vie.
Tout cela, Jean-Michel Rabaté l'expliqua lors d'une séance savoureuse des "petites bibliothèques" de l'Odéon.
De la vraie science-fiction car l'écriture nous maintient dans une sorte de cosmos vide où l'on fait des rencontres étranges : Napoléon, Wellington, Brutus, césar, Tristan et Isolde, des Vikings, Mussolini...
Le schéma donné par Joyce dans les marges du manuscrit est un renvoi cocasse à celui des 15 nouvelles :
"schéma décoratif
je n'ai aucune conviction de quelque ordre que ce soit
les 8 premiers épisodes sont une sorte d'immense ombre
petite famille habite au lieu de naissance d'Isolde.
Les enfants jouent l'histoire mondiale.(...)
La nuit est une chose absurde.
Le livre est absurde."
Le livre s'achève sur une phrase... inachevée...
Beckett aimait ce livre et en parlait bien. il y trouvait une construction claire (mais c'est Beckett !) : la naissance, le jeu de l'amour et le mariage, (la maturité), le sommeil (les funérailles), la quatrième et dernière partie : le recommencement. Un Cycle qui recommence à l'infini et que Beckett voyait comme une histoire burlesque qui ressemble à des rêves se superposant mêlant des personnages historiques et ceux de cette famille bancale. Une machine verbale écrite dans une langue souvent inventée.
Joyce imaginait un lecteur idéal : insomniaque !
J'adore cette halte dans ce grand blog où souffle une nouvelle version des mille et une nuits.

Christiane a dit…

La fidélité...
Qui est Jacques Drillon pour Pierre Assouline depuis que sa proximité n'est qu'une absence ? (Le dernier billet de Passou, très émouvant, troué par des éclats d'une peinture giflée au couteau (Fautrier ?). Une passerelle jetée sur la disparition. Un visage pour une écriture.

Soleil vert a dit…

Merci à tous pour ce lien entre Borges et Joyce.
Et …
Dans "Ferveur de l'ombre", les sentiers ne bifurquent plus, ils convergent …

Christiane a dit…

Oui, Soleil vert, les sentiers de lecture convergent, des lignes de fuite qui nous donnent accès à des univers différents du notre. Avec vous les personnages de cette immense littérature font effraction dans le réel, échappent à l'écriture. Le monde du roman est un monde hors du temps créé grâce à ces mots comme un labyrinthe inclus dans notre monde incertain. J'aime bien votre bibliothèque infinie et les aquarelles de Paul Edel.

Anonyme a dit…

Vian et la SF. Mieux vaut «Tout smouales étaient les borogroves «  que le Van Vogt, a mon humble avis….

Anonyme a dit…

Bonjour.
Je crois que le poème de Borges auquel vous vous référez est Ferveur de Buenos Aires et Eloge de l’ombre(in l’or des tigres).
Je ne connais pas Ferveur de l’ombre,à moins que.
Merci pour cette belle chronique sur Joyce.

Christiane a dit…

Le mystère est dévoilé. Pierre Assouline a choisi de faire découvrir pour son dernier billet une oeuvre d'Eugène Leroy inspirée par "La Ronde de nuit" de Rembrandt, un «nu" et un "Autoportrait ». (L’oeuvre d’Eugène Leroy est actuellement exposée au Musée d’art moderne de la ville de Paris jusqu’au 28 août).
En regardant mieux la première toile, en l'agrandissant on distingue les personnages de la Ronde de nuit. Quant à l'autoportrait, il semble surgir d'un monde enfoui... Mystérieuse transmission. Choix magnifique quand , à travers les mots, il faut retrouver une présence disparue.
Oui, M.C. cette chronique sur Joyce est très belle.
Je me suis régalée et croiser Borges et Beckett rend cette joie encore plus intense.

Soleil vert a dit…

Mea culpa, c'est Eloge de l'ombre dans le recueil du même titre (1969)

Christiane a dit…


M.C., vous affirmez : "Accessoirement , Dédale est celui qui conçoit le Labyrinthe, non celui qui s’y perd…"
S'il ne s'y était perdu avec son fils, bien que l'ayant conçu, ils n'auraient pas eu besoin de plumes et de cire pour sent échapper.

Soleil vert a dit…



Borges – Eloge de l’ombre

Première œuvre remarquable
La vieillesse (c'est le nom que les autres lui donnent)
peut être le temps de notre bonheur.
La bête est morte ou presque morte.
Restent l'homme et son âme.
Je vis parmi des formes lumineuses et vagues
qui ne sont pas encore la ténèbre.
Buenos Aires,
qui jadis se déchirait en banlieues
vers la plaine incessante,
est redevenue la Recoleta, le Retiro,
les rues incertaines de l'Once
et les vieilles maisons précaires
que nous appelons toujours le Sud.
Tout au long de ma vie les choses furent trop nom¬breuses ;
Démocrite d'Abdère s'arracha les yeux pour penser ;
le temps a été mon Démocrite.
Cette pénombre est lente et ne fait pas mal ;
elle coule sur une pente douce
et ressemble à l'éternité.
Mes amis n'ont pas de visage,
les femmes sont ce qu'elles furent il y a déjà tant d'années,
je ne sais pas si ce coin de rue a changé,
il n'y a pas de lettres sur les pages des livres.
Tout ceci devrait m'effrayer,
mais c'est une douceur, un retour.
Des générations de textes qu'il y a sur la terre,
je n'en aurai lu que quelques-uns,
ceux que je continue à lire dans la mémoire,
à lire et à transformer.
Du Sud, de l'Est, de l'Ouest et du Nord,
convergent les chemins qui m'ont conduit
à mon centre secret
Les chemins ont été des échos et des pas
des femmes des hommes, des agonies, des résurrections
des jours et des nuits,
des demi-rêves et des rêves,
chaque infime instant de la veille
et des veilles du monde,
la ferme épée du Danois et la lune du Persan,
les actes des morts,
l'amour partagé, les mots,
Emerson et la neige et tant de choses.
Maintenant je peux les oublier.
J'arrive à mon centre
à mon algèbre et à ma clef,
à mon miroir.
Bientôt je saurai qui je suis.

Christiane a dit…

Joie de relire ce grand texte de Borges au seuil de la nuit. Ce centre secret qu'il cherchait, dont il approchait. Cette révélation de lui-même qu'il sait proche
Ce chemin est magnifique. Aveugle et voyant, il savait.
Quelle belle page de dialogues s'est déroulée ici. Gratitude.

Anonyme a dit…

Vous êtes sûrs qu’ils s’y sont perdus? Je n’ai pas ce souvenir là. ….MC

Tomtom a dit…

Je suis d'accord avec Christiane. Tes chroniques (trop rares pour moi !) sur des livres hors science fiction sont éblouissantes. L'analyse du l'univers de Joyce est brillante, même si j'y reste indifférente. Bravo !!

Christiane a dit…

Chic, TomTom !

Christiane a dit…

M.C.
Quand Thésée retourna à Athènes, libre, Minos fit enfermer Dédale et son fils, Icare, dans le labyrinthe pour se venger de l'aide donnée à Ariane (l'idée du fil de laine donné à Thésée). Condamné à errer dans sa propre construction, Dédale eut l’idée de créer des ailes faites de plumes et de cire, afin que lui et son fils quittent le labyrinthe par les airs.




Christiane a dit…

Merci, Soleil vert, d'avoir par ce choix des "nouvelles" de Joyce, rendu l'accès à cette oeuvre, possible.
"Ulysse" et "Finnegans Wake" restent des livres intimidants. Comme si c'était de la nourriture pour colloques d'universitaires et que les lecteurs autres en étaient exclus.
Et pourtant, même opaques, ces deux récits sont tentants. Une écriture d'explorateur du langage qui se libère de tous les carcans de la littérature classique.

Soleil vert a dit…

Content de te revoir Tomtom. J'aimerais bien parcourir de fond en comble les textes comme tu le fait. L'intérieur de la nuit celui là je vais le cocher

Soleil vert a dit…

""Ulysse" et "Finnegans Wake" restent des livres intimidants."

Oui le dernier surtout, j'ai l'impression. Mais comment deviner que Joyce après Les gens de Dublin beau recueil mais sage, allait bouleverser l'ordre romanesque ?

Christiane a dit…

Oui, bonne question ! C'est comme si un vertige s'était emparé de lui et qu'écrivant s'ouvrait sur sa page une superposition infinie d'histoires, de personnages, de langues.
Observer des pages de ses manuscrits c'est entrer dans un mêli mélo de notes, de ratures. Il est un peintre fou de matière et de couleurs. Racle, remet une couche, travaille sa matière. Toujours insatisfait.
Et pourtant dans cette lutte il y a l'étrange "oui" de Molly Bloom comme un acquiescement malgré les soubresauts de la vie.
J'aime me perdre dans leurs labyrinthes : Joyce, Beckett, Borges...
Pourquoi faudrait-il tout comprendre, tout expliquer de l'immense énigme de la vie et de ses miroirs dont l'écriture et l'art ?
Borges écrivait : "L'univers, la somme de tous les faits, est un assemblage aussi chimérique que celui de tous les chevaux font rêva Shakespeare..."
Dans l'éternité tout revient....

Anonyme a dit…

Alors ne pas tenir compte de ma remarque.Mes competences mythologiques s’émoussent avec le temps, et l’eloignement de l’Edith Hamilton n’arrange rien!

Christiane a dit…

Pas de problème, MC.
La chute d'Icare si présente dans l'art et le labyrinthe présent dans la cathédrale de Chartres m'ont conduite ay ce mythe. Quant au fil à introduire au fond du coquillage, c'est la suite ! Vive les fourmis !

Christiane a dit…

Apollodore, 1.14-15) 34 :

« Minos poursuivit [Dédale] et, dans tous les pays où il le cherchait, il apportait un coquillage en spirale (κόχλιας), en promettant une forte récompense à celui qui ferait passer un fil à travers le coquillage, persuadé que, par ce moyen, il retrouverait Dédale. Arrivé à Camicos en Sicile, à la cour de Cocalos, là même où Dédale se cachait, Minos fit également voir le coquillage. Cocalos le prit et se fit fort de faire passer le fil, puis porta le coquillage à Dédale. Celui-ci attacha un fil à une fourmi, perça un trou dans le coquillage et le fit parcourir tout du long par la fourmi ».

Me suis demandée comment attacher un fil au dos d'une fourmi !

Christiane a dit…

http://www.pierdelune.com/icare.htm

Voilà le texte d'Edith Hamilton.
Rendez-vous au prochain billet de Soleil vert

Christiane a dit…

http://www.beji-mozaike.com/labyrinthe-chartres-histoire.html

Un dernier cadeau avant d'écouter un beau concert.
Bonne soirée à tous

Anonyme a dit…

Je soupçonne fort un rituel à la Dumezil dans cette histoire de fourmi, de fil, et de coquillage….

Christiane a dit…

Pourtant dans mes livres préférés (esquisses de mythologie / Dumézil - Les noces de Cadmos et Harmonie / Calasso) , rien sur ce coquillage !
Ce n'est pas de la mythologie c'est de la... science-fiction ! Ou encore un poème de Desnos. Si "une fourmi de dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête, ça n'existe pas, ni un pingouin tirant un char plein de canards", pourquoi une 🐜 tirant un fil dans les volutes d'un nautile existerait ! Ovide ne devait pas s'ennuyer !

Christiane a dit…

désolée pour l'illustration d'Icare (moche) ! Impossible de ne laisser apparaître que le texte de d'Edith Hamilton.

Anonyme a dit…

Le fait qu’il n’y ait rien signifie simplement qu’on a pas trouvé.Dans les épreuves imposées à Psyché, l’heroine ne doit -elle pas se transformer en Fourmi pour ramener un peu de beauté dans une boîte ? Je chercherais dans cette direction là quitte à me tromper, bien sur!

Christiane a dit…

Apulée, Ovide, Canova, Jean Cocteau... En aura-t-elle fait rêver cette Psyché... La beauté jalousée...
Tous ces mythes ont construit notre imaginaire et font naître des images porteuses d'inquiétude et de beauté, des paroles obscures cherchant la clé des secrets et deviennent mémoire collective.
Un acte de poésie.
La maison des Grecs c'est le cosmos... y cohabitent les mortels et les dieux.
Lire, c'est participer à cette aventure..
Soleil vert participe à cette jubilation par ses chroniques de science-fiction. Il habite l'Ailleurs...

Soleil vert a dit…

Ma pauvre contribution au débat (deux vers qui me trottent dans la tête depuis belle lurette)
"Ariane ma sœur de quel amour blessé/Vous Mourûtes aux bords ou vous fûtes laissée" ou l'amour comme labyrinthe

Autre axe de réflexion: les cœurs simples en littérature : Tolstoï, Flaubert, Joyce ...

Christiane a dit…

"L'amour comme un labyrinthe"...
De quoi méditer...

Anonyme a dit…

« De quelle Amour blessée, » je crois.

Anonyme a dit…

Si j’ai risqué cette piste sur Dédale, c’est parce qu’il y a quelque jour je l’ai croisé dans ce qui est peut-être un récit de rêve, transformé Dieu sait comment en parrain putatif d’un enfant. Les paroles «  si c’est un garçon nous l’appellerons x , si c’est une fille, nous l’appellerons y » lui sont prêtées en latin. De meme il est le pius Dedalus. Oui mais…impossible de remettre la main sur le texte! MC

Christiane a dit…

Quel bonheur, Soleil vert, de revenir à Racine par la musicalité de la langue. Ainsi vous rapprochez Phèdre de sa sœur Ariane. Oenone sa nourrice, la conduit peu à peu à l'aveu. Phèdre amoureuse de son beau-fils, Hippolyte... passion incestueuse, coupable, secrète. Amour impossible.
Dans cette scène 3 de l'acte I, de Phèdre , elle en appelle au souvenir du malheur de sa sœur Ariane, trahie par Thésée qui l'abandonna sur l'île de Naxos.
Viennent ces deux vers inoubliables que vous citez :
"Ariane ma sœur de quel amour blessée/Vous Mourûtes aux bords ou vous fûtes laissée"
(avec tous ces "é" et ce "e" muet... Elle est à terre et se traîne...)
La mythologie fait lien, oui, Soleil vert. (Comme DHH/D.A.) aimerait intervenir ici, elle qui a si magistralement commenté Iphigénie dans les petits classiques Larousse.)
Puis viendra la longue tirade où Phèdre revient sur la naissance de son désir amoureux pour Hippolyte et l'avoue à Oenone.
De cette scène, je retiens : "Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue /
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue..."
Sublimes alexandrins... harmonie, nuances et justesse. si proche d'Euripide, Eschyle, Sophocle, Virgile, Sénèque... l'héritage des Anciens, des Grecs.
Merci, Soleil vert.

Anonyme a dit…

« L’héritage des grecs », mais curieusement Racine est muet sur Seneque dont la Phoedra n’a pas joué un rôle nul . « Non me quies nocturna/ Non me altus sopor… »

Anonyme a dit…

Il y a aussi Giraudoux; «  les beaux prénoms dans notre famille! » - « Medee,Phedre, Ariane… » qui y met un humour bien venu…

Christiane a dit…


Racine / Sénèque...

https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2010-3-page-431.htm

Une réponse possible dans la dernière partie de cette étude mise en lien, intitulée : " La conscience de soi chez Phèdre".
Pour Racine c'est un cheminement intérieur qui mûrit la prise de conscience.

Christiane a dit…

Oui, les femmes sont très présentes dans le théâtre de Giraudoux. De beaux personnages.
Mais "La guerre de Troie n'aura pas lieu" est une charge contre la bêtise humaine toujours avide de guerres. Il était bien placé pour connaître l'horreur de la guerre et la responsabilité des hommes dans ces conflits. Ce n'est pas une tragédie épique. Avec humour et lucidité, il donne de l'importance à cette forme négative (n'aura pas lieu) à contre-histoire.
Auteur contemporain se souvenant de ses études classiques mais bien ancrée dans le XXe siècle et ses horreurs. Un pacifiste aimant la vie.

Biancarelli a dit…

J’ai entamé la lecture du recueil.

Eveline est une nouvelle très touchante.La vie donne à cette jeune femme des opportunités, sans certitudes, mais elle résiste.Elle ne peut s’échapper de son milieu.
Ça a suscité quelques curiosités de ma part.Ce Franck ,marin, aventurier, qui lui conte des histoires d’autres pays,le père le prend pour un Italien et peste contre les italiens. Je doute qu’à cette époque l’immigration italienne soit si importante en Irlande.
Cet aventurier lui propose d’aller respirer ”un autre air” à Buenos Aires. En vain. La fin de la nouvelle est d’une tristesse..
L’autre curiosité est l’évocation de la Sainte Marguerite-Marie Alacoque, une française née en Bourgogne et béatifiée en 1920. Je pense que Joyce fait un parallèle avec cette religieuse qui a eu une vie de souffrance (au sens chrétien du terme,souffrir pour les autres)avant le couvent et pendant, élevée de façon rude.Elle mourut jeune. On retrouve cette passivité chez la pauvre Eveline.
Et bien sûr cette écriture de Joyce magnifique.
Merci pour les suggestions de lecture.

Christiane a dit…

Oh, bonjour, ça fait plaisir de vous lire.
Eveline, tellement piégée par sa vie familiale, désirant et ne désirant pas quitter sa famille pour suivre cet homme. Une vie meilleure à Buenos Aires serait pour elle un rêve et une telle culpabilité ( laisser son père et les deux petits), quitter son emploi dans avertir.
Le souvenir de la mère , la promesse qu'elle lui avait faite... angoissant. Le passage où elle s'accroche aux grilles est terrible. Étrange crainte de la noyade... L'inconnu ?
Elle se prépare à une vie aussi étriquée que celle de sa mère.
Mais ce Franck, que sait-elle de lui, de son passé ?. La nouvelle des Deux Galants jette une ombre sur ses intentions.
Eveline l'aime-t-elle vraiment ou a-t-elle surtout envie de partir, de se libérer de ce père violent et semble-t-il incestueux ? "Il lui fallait s'enfuir". Elle tangue entre deux désirs , indécise.
Oui, Biancarelli, une nouvelle bouleversante.

Soleil vert a dit…

"Eveline" est la première nouvelle du recueil qui m'ait touché par son style. J'ai pensé un moment mettre un extrait.

Christiane a dit…

Il n'est pas trop tard pour le faire !

Christiane a dit…

Par contraste avec ces nouvelles des Gens de Dublin, j'aime interroger vos rubriques science-fiction, Soleil vert. Je suis alors au calme pour comprendre ce qui me fascine dans leur lecture. Je crois que c'est le lien entre absurde et cohérence. Un univers impossible et pourtant, pour les grands auteurs, impeccablement organisé.
Dans cet univers, car rien n'est vraiment impossible, la mythologie grecque est assez proche avec son cosmos peuplé de dieux jaloux ou amoureux des mortels. La mort et le néant habitent leurs aventures nous balançant entre archaïque et futur.
Dédale par l'invention de son labyrinthe est devenu lui-même un mot signifiant un lieu impossible où l'on se perd.
Borges, évoqué sur cette page, fait de son labyrinthe un passage entre l'impossible et le réel un lieu où les deux coïncident.
Joyce n'a-t-il pas tenté le chemin inverse ? manipulant peu à peu le langage, les règles linguistiques, le temps, comme installer son écriture dans un miroir déformant (Finnegans Wake) ou dans un puzzle mathématique. Son rire comme celui de Beckett nous plonge dans un cauchemar. Se mettre dans les pas d'Ulysse ou de Murphy pour essayer d'en sortir...

Soleil vert a dit…

Dans ma bibliothèque virtuelle, essayez ce Kafka miniature :

https://soleilgreen.blogspot.com/2013/12/villes-etranges-2.html

Christiane a dit…

Mais c'est une passerelle magnifique que ce voyageur immobile entreprend de franchir. Je vais commander ce livre avec curiosité.
Le billet pose des questions qui me sont familières....

Anonyme a dit…

Marguerite Marie Alacoque est, avec un chapelet d’autres, connues ou pas connues, sœurs ou pas une des promotrices de la dévotion de la France au Sacré-Coeur. Son confesseur Jésuite, le musclé Claude de la Colombiere, l’oriente dans ce sens. Cette dévotion est très mal accueillie à la Cour de Louis XIV, ou on la surnomme la « Mère aux oeufs ». Elle revient en force à la fin du Dix-neuvième. Joyce à pu lire soit le livre de l’Abbe Bougaud, soit la vita expurgée de la Sainte, dont l’originale sans coupures - et on se demande ce qu’il y avait à couper!- ne paraîtra que vers 1930. Pour les liens entre SF et mythologie, exemplaire est le cas Paul Atreides dans Dune. A la fois une très ancienne famille, et cependant pas une réécriture de ses malheurs…Bien à vous. MC

Christiane a dit…

Quel beau cadeau de Pierre Assouline, cet entretien avec Borges !
(mené par Ben Amí Fihman en décembre 1969 à New-York, Jorge Luis Borges y élucide trois énigmes de son œuvre.
Introduction, traduction et notes de Christine Bini.)

J'ai noté :
"La deuxième énigme se trouve dans votre essai sur Hawthorne. Vous y affirmez : «dans le cours d’une vie consacrée moins à vivre qu’à lire.»

- Oui, mais aujourd’hui je crois que c’est une erreur, que c’était une fausse opposition. Je crois que lire est une des manières les plus vivaces de vivre. Je crois que je croyais alors que la vie était la vie active, et je ne voulais pas comprendre que ce que les latins nommaient vita umbratilis, la vie dans l’ombre, la vie de la méditation et de la lecture, n’est pas moins vivace que la vie de ceux qui sont simplement rapides et se laissent percuter."
Il est tellement étonnant, lumineux et simple dans ses réponses.

Merci de l'avoir signalé, Soleil vert, j'oublie toujours de regarder "à twit’ vitesse" ! JJ-J signale les nouveaux billets de Paul Edel. Vous êtes mes sentinelles !

Christiane a dit…

" Pour les liens entre SF et mythologie, exemplaire est le cas Paul Atreides dans Dune. A la fois une très ancienne famille, et cependant pas une réécriture de ses malheurs."
Vous pourriez en dire plus, M.C. ?

Christiane a dit…

A ne pas rater : le dernier billet de Paul Edel : Journal d’un curé de campagne, ou décrire l’invisible.
Ce jeune prêtre d'Ambricourt, marcheur titubant de l'invisible dans cette paroisse du nord où il est méprisé, vit un consentement, un abandon à quelque chose d’inatteignable. L'écriture seule faisant contrepoids. Ce bondissement nécessaire à la fin de tous ces brisements, de ce mal obscur, il le trouvera dans la chute "Tout est grâce". Une vie ratée en apparence pour cet éternel vaincu comme l'affirmation terrible d'un autre monde, lieu de la tourmente apaisée. Réconciliation surhumaine.
Ecriture envoûtante de Bernanos.

Dans le journal de Gide, (année 1942),j'avais noté : "La solitude n'est supportable qu'avec Dieu"

(Edel est toujours hors du tournoiement des bavardages. Il dérange et bouscule, c'est bien. Puis, il peint des aquarelles. c'est bien aussi.
Sa citation de Bernanos sur la guerre est acérée et lucide.)

Anonyme a dit…

Atreides. Atrides. Paul voit périr son père. Sa mère. . Il est doué d’un don de prophétie ( la, c’est Tiresias!) qui attire sur lui l’attention de l’ordre occulte du Bene Gesserit dont sa mère fut l’élève. C’est un Grand. Fils du Duc Leto Atreides. Il va pourtant devoir fuir sur ce monde hostile de Dune, s’ appuyer sur la population, et renverser la situation en détruisant la Maison Harkonnen qui a provoqué la chute de la sienne avec la mort du Duc Leto. Là ne s’arrêtent pas ses métamorphoses ni sa postérité et les troubles qu’elle apporte, mais je ne veux pas trop resumer. Qu’il me suffise de dire qu’il y a là le souvenir revisité des Atrides, couple à d’autres thèmes: une guerre féodale entre deux maisons encouragée en sous-main par un empire qui pense réguler ainsi le trafic d’une épice devenue indispensable pour ses navigateurs, et qui l’est tout autant pour ses effets prophétiques. Dune se construit ainsi sur un imaginaire greco-moderno-feodal qui en innerve la structure. Depuis 1963, c’est une performance. Il n’y a pas que cela dans le roman, mais il y a cela. Et ce fatum continue dans l’Emoereur Dieu de D’une et les Enfants de Dune, de beaucoup le plus haut du cycle. Bien à vous. MC

Christiane a dit…

Merci, M.C. pour cette longue réponse. Cette saga me paraît très compliquée
Je lis des SF plus modestes, plutôt tournées vers les questions d'identité, de langage, de temps, un peu philosophiques. Pas prête à aborder une histoire qui se continue en six livres, je crois ! un peu comme le film de G.Lucas "La guerre des étoiles".
Peut-être le film de Villeneuve me séduirait plus que le livre. Qui sait, peut-être un jour.
Pour l'instant encore dans le bain Joyce ( je lis "Portrait de l'artiste en jeune homme", de quoi voyager dans ses premières années .,)
Puis, ce sera ce livre qui m'intrigue fort "épépé" de Ferenc que Soleil vert évoque, avant de retourner à ma bibliothèque où j'ai laissé une lecture en friche.

Christiane a dit…

Yves Coppens est mort.

Anonyme a dit…

Limitez-vous aux trois premiers opus de Dune, Christiane. Après, le Père s’ensabler, et le fils Bill Herbert passe du statut de terminateur de roman à celui d’ auteur, mais, comme Paul Feval fils, ce n’est plus la même chose!

Christiane a dit…

Merci. Un jour peut-être....

Anonyme a dit…

Bon , lisez le premier, vous verrez si vous ne serez pas tentée de poursuivre les autres…. J’oubliais l’aspect borgesien de l’entreprise: ces chapitres introduits de maîtresse façon par des oeuvres qui n’existent pas: Dits de la Princesse Irulan, Œuvres de MuadDib, etc, etc, vous verrez, on y prend très vite goût. MC

Christiane a dit…

Ah, vous m'intriguez !

Anonyme a dit…

Soleil Vert, rien à dire sur la question?

Christiane a dit…

Tiraillée entre deux désirs de découverte et ayant trouvé les deux romans en même temps, j'ai amorcé deux chemins de lecture , hier.
"Épépé" de Ferenc Karinthy et "Dune" (tome 1) de Frank Herbert..
Entre les deux expériences, une longue marche, à l'ombre, pour être prête à changer de livre.

Deux belles écritures. Deux atmosphères envoûtantes.

Le premier, "Épépé" me plonge dans une aventure familière, un rêve récurrent où je marche épuisée dans un paysage urbain d'abord familier puis devenant peu à peu complètement étrange et immense. Beaucoup de gens autour qui se déplacent comme s'ils ne comprenaient pas mes demandes. Je m'éloigne peu à peu du quartier où je désirais me rendre. J'oublie mon projet. Je marche.
Donc pas de surprise. J'ignorais qu'un jour je rencontrerai un de mes rêves dans un roman. La suite du roman viendra certainement préciser ce rêve, lui donner un sens ou peut-être pas.
Le deuxième "Dune" m'embarque dans un monde où les accents futuristes de la SF ne me gênent pas car la quête amorcée par ce jeune homme parle de choses essentielles comme la mémoire.
Il me faut maintenant choisir entre les deux tentations de lecture et habiter durablement un des deux romans.
Dans un cas comme dans l'autre, je sais que je vais aimer.

Soleil vert a dit…

Anonyme Anonyme a dit...
Soleil Vert, rien à dire sur la question?


Oui. Allons y pour les trois premiers volumes. Le piège c'est qu'avec la sortie du film, les éditeurs en période de vache maigre se sont précipitées sur la réédition de cet interminable cycle.

Au niveau traduction il faut prendre ceci :

https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146618522

Soleil vert a dit…

Dune : sur le fond j'y vois un croisement entre un fatum grec et un monothéisme religieux. Un prophète saisi d'une fureur mystique renverse une civilisation sous l'emprise d'une drogue.

Christiane a dit…

Bon, deux bonnes nouvelles pour Dune :
1. j'ai la "bonne" traduction et édition
2. je n'ai pas vu le film
Votre résumé-éclair de Dune, "un prophète saisi d'une fureur mystique", me donne envie de prendre du recul...

Si vous (Soleil vert et M.C.) continuez à évoquer en même temps deux romans différents, je vais me créer une sœur jumelle. Elle lira l'un pendant que je lirai l'autre. Puis d'une gémellité nous ferons un, comme cela j'aurai lu les deux romans et je discutera avec je puisque je n'est pas un autre pour les jumeaux. Voilà ce que c'est que de mettre un pied - plutôt un œil - dans ce blog en trompe-l’œil !
Merci à tous deux. Je laisse à nouveau Joyce en pleine adolescence (Portrait de l'artiste en jeune homme) ! et j'attends la pluie, les oiseaux aussi, l'arbre proche aussi. Hier, les rues de Paris étaient chauffées comme le fer sur l'enclume. Mais ailleurs que de dégâts... Dans quelle région êtes-vous en ce moment ? Grêle ou pas grêle ?

Christiane a dit…

Je relis. Il s'agit d'un autre roman de Frank Herbert High Opp, mais Dune est évoqué.
Vous écrivez : "S’il ne devait rester qu’un auteur emblématique de la maison Ailleurs & Demain, peut-être faudrait il désigner Frank Herbert. Pour de bonnes et de mauvaises raisons d’ailleurs. Dune, livre phare de la littérature de science-fiction, suivi d’autres excellents ouvrages du Maître, lança commercialement la collection de Gérard Klein. Suivirent hélas, à la mort de l’auteur, une avalanche de préquelles du monde de sable rédigées par son fils Brian en collaboration avec Kevin J. Anderson.
Pourquoi publier une œuvre de jeunesse de Frank Herbert ? Faisons abstraction des difficultés actuelles de l'éditeur pour nous concentrer sur l’essentiel ; High-Opp est un inédit d’un géant littéraire."

Quels embrouillaminis ! (J'apprends un nouveau mot "préquelles". C'est comme dans "La guerre des étoiles", des épisodes pour inventer ce qui pourrait être la genèse de l'histoire, des épisodes d'avant...)

Christiane a dit…

Plus fort que la science-fiction, Yves Coppens raconte "comment sommes-nous devenus humains ?"
L'émission "La méthode scientifique" nous offre la rediffusion de l'émission du 29 août 2016, son tout premier numéro !
Il communique son savoir avec tant de simplicité.
C'est une belle initiative pour marquer sa disparition.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-methode-scientifique/yves-coppens-comment-sommes-nous-devenus-humains-2541097

Anonyme a dit…

Hipp Hopp si vous voulez! Jamais reussi à terminer ce roman trop précoce. Sévérité justifiée sur Bill Herbert, qui ne sera jamais que le fils de son père. Bonne lecture. MC

Christiane a dit…

Mais qui parle de lire ce roman ? J'en étais à chercher si Soleil vert avait écrit un billet sur "Dune". J' ai trouvé un écho de ce roman dans son billet sur "High opp".
Pour l'instant je continue la lecture de "Épépé". Très fin roman où l'observation scrupuleuse des gens, de leurs réactions, des objets, du décor seraient presque ceux d'un réel normal s'il n'y avait - qui plus est étonnant pour un linguiste - une impossibilité de comprendre la langue parlée ou écrite de cet étrange pays comme de se faire comprendre. Le titre est, je suppose, un reflet de ce charabia. Un vrai cauchemar pour le héros dont les nuits ne sont pas plus reposantes sur les jours à cause des mauvais rêves. Donc un rêve dans le rêve.. Ces superpositions donnent le vertige.
Nos propres rêves ont la grâce de laisser place à un réel semblable à celui que nous avions laissé avant l'endormissement. Leur brièveté, leurs dissemblances font que nous les classons dans le dossier "soubresauts de l'inconscient". Les surréalistes aimaient les noter, les explorer.
J'aime assez un monde où le bon sens fait le tri et où l'imaginaire se goûte avec plaisir mais modération.
Les romanciers qui se serrent via leurs livres dans ma bibliothèque où dans mes piles de livres suivent des chemins qui mènent vers le réel. L'être humain, notre contemporain, son apparition sur cette terre, l'Histoire, réservent tant d'émotions. Je crois que l'angoisse des lendemains germe dans la SF comme un nuage envahissant.
Je préfère celle de Bernanos, de Camus, de Beckett, de S. Bellow, de Pavese, de Updike, de McCullers, de Musil, de Valéry, de Duras, de Giono, de V.Woolf et C.Wolf....

Christiane a dit…

Qu'est ce qui en moi est si dur à vaincre ?

Soleil vert a dit…

- "Pour l'instant je continue la lecture de "Épépé"." Bravo !
- On parle d'abbayes … bien je vais rebondir sur ce mot dans la prochaine chronique.

Christiane a dit…

Toujours du mystère, chic alors.
Oui, je me place peu à peu dans les pensées de ce voyageur qui lutte contre ce qui lui paraît illogique tout en songeant qu'il pourrait fort être prisonnier de cette cité où tout semble se reproduire. Le voici maintenant sans ressources après avoir payé la première semaine d'hôtel, isolé, presque invisible aux yeux des autres qui le rudoient avec indifférence. N'être rien, tout petit, perdu, balloté avec une langue qui ne lui sert à rien, faite de sons confus pour celle qu'il entend autour de lui. Ne pas se dissoudre. Résister. Ne pas couler dans la nostalgie d'un récit perdu, celui de sa vie d'avant.
Je crois que ce personnage traduit bien des angoisses de notre temps. Un peu "Le procès" de Kafka. Vous l'évoquiez. Les problèmes de traduction des langages...
Je n'ai pas lu les introductions, préférant le choc du roman.
Celui-ci ne manque pas de psychologie. Merci de l'avoir proposé.
J'essaie de me souvenir des rêves de la nuit. Un seul sort de l'oubli. Je proposais à des enfants de graver avec leurs doigts dans du plâtre frais les tourbillons de Van Gogh. Puis tout était une exploration du jaune. Puis... j'ai oublié...
Ce lien aux enfants dans l'apprentissage d'un geste m'est familier bien que dans le plâtre nous ne tentions que des empreintes. Mais Van Gogh, je leur proposais pour libérer leurs gestes au pinceau. Trop d'entre eux, passé l'âge des balbutiements, voulaient être soigneux, ne pas déborder, ne pas mélanger les couleurs, ne pas se salir.
Joie de les voir apprivoiser les couleurs et la plasticité de la gouache plus tard et le dessin, pouvant être précis où embrouillé. Les esquisses précieuses que peu à peu ils n'effaçaient plus.
Nous dessinons aussi des plantes, des objets. L'occasion d'être précis, d'analyser, d'observer, de vérifier. Les exercices précédents ayant servi à assouplir le poignet pour que le trait traduise justement l'observation.
Leur rapport permettait de réfléchir aux paradoxes.
Et la transmission du savoir, école de la liberté, de l'accomplissement.
On sort de l'enfance souvent perdus, cherchant dans une mémoire étrange un langage qui ne doit pas être celui de l'obéissance sans discussion, celui de la normalisation, de la soumission. La formation de l'esprit ne doit pas tomber en désuétude. Le premier non est une victoire. Le oui doit être un acquiescement libre.
Enfin, tout cela est loin, plein de questions sur le métier, sur la parentalité.
Wittgenstein et ses études sur le langage me donnaient l'impression d'un jeu d'échec avec des règles pour chaque pièce et la façon de les déplacer.. pas de règles, pas de jeu.
Oui, parler c'est combattre dans "Épépé", exposé au péril de se perdre pour ce voyageur. J'aime sa façon d'interroger la société dans laquelle le hasard l'a planté. Cette société qui est comme une grande machine à broyer. La question du lien social devient ici celle du langage. Et ce personnage ne peut plus compter que sur lui-même. Il doit ruser, obliquer, simuler pour s'en sortir. Un peu comme Ulysse

MC a dit…

Avant les surréalistes, les spirites se livraient parfois au dessin d’outre-tombe. Eux pensaient à l’esprit. Victorien Sardou, qui en fut,s’en est un peu amusé. -va me chercher un crayon , dit l’Esprit » il reste que, comme il le dit lui-même, entre dessiner et dessiner ça, ( la maison de Mozart sur la planète Mars, une architecture folle dans un décor onirique qui ne correspond en rien à ce qu’on en savait à l’époque,) il y a quelque chose qu’on ne peut expliquer. Et qui rejoint la SF!

MC a dit…

Dessin reproduit par son secrétaire in « Victorien Sardou d’après ses papiers intimes, »je crois

Christiane a dit…

Les spirites rejoignant la SF ? pas pour moi.
Je crois que les auteurs de SF que Soleil vert nous présente ont bien les pieds sur terre et travaillent avec précision la machinerie de leurs manuscrits. C'est cette précision qui me passionne.
Ainsi le héros d'Epépé, Budaï, ayant pris possession de plusieurs textes, excelle dans sa capacité de raisonnement méthodique. Il fait un problème de logique de cette observation et m'évoque, dans sa façon d'explorer ces écrits, Wittgenstein face au langage. (forme phonétique, formes verbales, sens de la lecture, où commence-t-elle ?...). Il cherche à résoudre le problème linguistique posé par cette langue incompréhensible par des hypothèses.

Quant au dessin, il est pour moi, observation du réel, rapprochement du réel tel que je le perçois (forme, matière, lumière et ombre...).

Dans mon métier d'enseignante, c'était plus complexe. Il me fallait trouver des chemins entre les plages de liberté où l'enfant dessine ou peint ce qu'il veut comme il le veut, des temps autres où lui apprendre à tenir un pinceau, un porte-plume, un crayon, assouplir les poignets, les doigts, se détendre, bien se positionner face à la feuille horizontale ou verticale ; d'autres temps où l'habituer à des retours incessants de la chose regardée à la feuille ; d'autres, encore, à échanger avec le groupe sans désir de critiquer, d'évaluer. Les habituer également à regarder beaucoup d’œuvres d'art (reproductions et livres en classe ou œuvres originales dans les musées)...

Les spirites et les tables tournantes ne m'ont jamais attirée. Beaucoup de charlatanisme et d'esprits fumeux. Des modes aussi.
Bref, tout un monde d'illusionnistes.

Petite-fille de vigneron (père), et d'un pêcheur breton (mère), j'ai les pieds bien sur terre et j'aime le travail.
L'écriture des romans - quand ils sont de qualité - me fascine, surtout quand à une belle écriture se joint une construction solide. l'imaginaire est un monde où tout peut advenir et je suis une lectrice avide de rencontrer ces ouvrages sortis d'une imagination, d'une sensibilité et d'un métier, ou êtreune passante de musées avide de rencontrer ce mentir vrai des créateurs.
Par exemple, une certitude : Rembrandt était indifférent au caractère spécifique de la beauté, seule lui importait cette sensation immédiate de vie.
Il acceptait le risque d'échec. Beaucoup de ses dessins étaient inachevés pourtant chacun d'eux était une totalité et ils s'enchaînaient les uns aux autres.

Le chemin de réflexion de Soleil vert est solide, argumenté. Souvent vous le brouillez en attirant le regard, la pensée vers autre chose. J'aime revenir, là où j'en étais. Ici avec Epépé. Suivre de près l'évolution du roman, le rapprochement esquissé par Soleil vert avec l'imaginaire de Kafka, interroger certains de mes rêves à la lumière de cette aventure de Budaï.
Bonne journée. La pluie avance car la lumière décline. On dirait une eau-forte de Rembrandt.

Christiane a dit…

Quel bonheur de sortir de ce labyrinthe en accompagnant le ruisseau. J'imagine Budaï marchant le long des berges dans le sens de l'eau qui coule, de l'eau qui le mène ailleurs...

Christiane a dit…

Il y a dans ce roman, Epépé un passage étonnant vers la fin du roman quand Budaï, las de voir tous ses efforts de communication voués à l'échec, se laissera dominé par une fureur violente et transgressera le plus d'interdits possible se transformant en étranger ennemi qui dégrade, détruit, casse.
Seuls le printemps, le soleil, la brise, un matin lui mettront à nouveau un peu de fête dans le cœur. Il se dirigera un matin vers le parc, le lac et en jetant une boulette de papier dans l'eau se rendra compte que son papier s'éloigne, que l'eau bouge, qu'elle a un courant. Il découvrira un petit ru paisible qui s'insinue dans l'épaisseur du parc...
J'ai beaucoup aimé de grand roman de Ferenc Karinthy.

Anonyme a dit…

Je crois simplement devoir compléter. Le voyage interplanétaire naît au dix-huitième siècle à la fois dans une soupe pseudo-religieuse ( Swendenborg) et dans le roman ( Micromegas et alii). Le dessin de Sardou participe à la fois des deux imaginaires, sans doute dans le savoir. C’est l’inconscient d’une époque. Dans le même temps, il participe de la SF (planètes habitées) et si on veut, de lambeaux religieux d’un paradis : la maison de Mozart sur Mars est un lointain reliquat du Parnasse. Au vrai, pour les scientifiques l’affaire des Canaux martiens prouvera que ceux-ci peuvent verser involontairement dans la Science-fiction, tout comme le spiritisme. Ce sera le cas de Flammarion, d’ Albert de Rochas,et de bien d’autres…Bien à vous. MC

Christiane a dit…

Votre univers est si riche, MC. Vous tirez un fil et votre bibliothèque donne à votre mémoire des chemins inconnus d'autres lecteurs. Ce qui me surprend c'est qu'à cette culture essentiellement historique et littérature du XVIIIe se mêlent parfois des élucubrations comme celle des spirites ou des jugements erronés comme cette classification méprisante des femmes dans la litterature de SF ou dans la recherche scientifique (ethnologie). De même, et là c'est un compliment, votre façon d'aborder l'art contemporain avec beaucoup d'intuition alors que votre cadre de prédilection semble être celui des siècles passés.
Dans cette discussion, ce que je vous reprochais était de m'entraîner loin de ma lecture vers d'autres livres, d'autres explorations litteraires.
A part cela, j'ai beaucoup de plaisir à vous lire.




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