lundi 13 avril 2020

Yama Loka Terminus



Léo Henry & Jacques Mucchielli - Yama Loka Terminus - L’Altiplano/Dystopia



                                                                                                       

Très récemment offert par Dystopia dans le cadre de l’Opération Bol d’Air, Yama Loka Terminus, conçu en 2008 par Léo Henry et le regretté Jacques Mucchielli, offre en miroir à nos journées carcérales actuelles, la vision d’un univers délétère et désespéré, le nôtre peut- être demain. Le titre de ce recueil de 21 nouvelles désigne le nom d’une station ferroviaire de la ville de Yrminadingrad. Lieu dystopique par excellence, la cité portuaire située dans une Russie imaginaire est en guerre contre un pays tout aussi imaginaire la Mycrønie. Evoquant un anti-Vermillion Sands mais aussi la trilogie de béton de J. G. Ballard, les récits croquent des lieux improbables où des personnages en proie à la déréliction errent dans des labyrinthes existentiels et rêvent de fuite. Rien d’exotique ici, on est plutôt dans le sillage revendiqué du post-exotisme d’un Antoine Volodine.


Sacrifiant beaucoup à une forme d’écriture expérimentale Yama Loka Terminus offre des textes pleinement réussis comme Cheval cauchemar, Pøwer Kowboy, Au-delà il n'y a que le ciel, ...toutes les flammes sont égales... Demain l'usine. Le premier, à travers la figure d’un cheval cloitré dans une cave et participant à des courses sur l’asphalte, incarne une forme de perversion. Le second raconte la fuite d’un gosse dans l'imaginaire. Dans le suivant, très légèrement inspiré de L’écume des jours, un couple ne cesse de déménager pour laisser place à des cercueils mortuaires qui envahissent progressivement les appartements de leur immeuble. Le quatrième vaut surtout par son écriture. Un patient interné vend ses cauchemars au psychiatre censé le soigner. On pense au Syndrome du scaphandrier de Brussolo et à Antonin Artaud. Il y a un manifeste surréaliste :

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« Il n’est pas de naissance sans destin,
La vie est étonnamment brève,
La nécessité est un mensonge,
Le rêve est un océan.
Le réveil est toujours mortel. »

Et ceci : « « … Si les murs de la morgue n’étaient pas uniformément blancs, si éloignés de l’idée même de couleur qu’ils en paraissent incarcérés de blancheur, dans cette odeur d’éther et de produits désinfectants qui ne s’efface que devant la puanteur de la mort, et si les sols ne reflétaient pas mon visage hagard à l’infini, comme dans une galerie des glaces qui serait aussi un piège et une farce grotesque, ou s’il n’y avait pas tant de couloirs où les pas résonnent et se perdent, tant de murs épais, de cloisons étouffantes, de portes fermées – sans doute moins trompeuses que les portes ouvertes qui donnent l’illusion qu’il est possible, qu’il est imaginable, souhaitable peut-être, de les traverser pour se retrouver ailleurs – oui, s’il n’y avait pas des portes fermées sur des pièces inconnues, sur des chambres et des débarras, des salles de repos, des remises, des escaliers en nombre infini et d’autres couloirs encore, des couloirs qui s’étirent et me perdent, me font rebondir d’errements en errements, et s’il n’était pas impossible qu’une fenêtre, quelque part, s’ouvre dans un mur et que, même si cette fenêtre est fermée, scellée, rendue presque opaque par de la laque sombre, il soit juste permis d’apercevoir au-delà quelque chose qui n’est pas la morgue, avec ses couloirs, ses couloirs insupportables et immaculés, insupportables parce qu’immaculés, immaculés parce qu’insupportables, les uns à la suite des autres, toujours les mêmes puisque toujours différents, et qui interdisent qu’on puisse entrevoir un autre lieu, l’espoir même mensonger de quelque chose d’autre, un dehors, ces murs qui m’empêchent de croire que je ne suis pas moi, pas K., que je ne suis pas tenu à errer, à faire semblant d’errer pour ne pas arriver où je ne pourrais qu’arriver finalement, là où je suis attendu et où mes pas ne peuvent que me guider. »
Enfin
Demain l'usine pousse la logique productiviste jusqu’à l’absurde : un atelier construit des pièces qu’un autre est chargé de détruire.


Ces photos de moi que l'on n'a jamais prises, Clair de lune, chienne de ville, La Pluie, extérieur jour ne déméritent pas non plus et racontent l’odyssée d’individus perdus dans des environnements délabrés ou des trips mortifères. Bienvenu dans une mythologie de la souffrance, qui à l’heure où j’écris ces lignes, commence à franchir les portes du réel.  

3 commentaires:

Emmanuel a dit…

Oh purée, ça fait des années que j'ai envie de le lire, va vraiment falloir que je m'y mette. Merci pour la piqûre de rappel.

Ed a dit…

"un pays tout aussi imaginaire la Mycrønie"
Si on remplace le "y" par un "a"...c'est troublant !

Soleil vert a dit…

Manu : oh que oui !
ED : ça m'a démangé, mais vraiment démangé :) :)