Jean Baret - Bonheur ™ - Le Bélial’
Dans un futur
peut-être proche, le détective Toshiba traque les contrevenants à la Loi sur la
consommation. En ces temps nouveaux ne pas dépenser ou diminuer ses dépenses
constitue en effet un acte délictueux, épargner un crime et le concept de temps
libre relève d’une hérésie de moins en moins tolérée. Le héros et son collègue
Walmart - on les appelle des « chasseurs d’idées » - extirpent tous les jours dans leurs holo-files des noms de suspects fournis par des algorithmes
sophistiqués et vont les appréhender. Concomitamment à son activité
professionnelle Toshiba se prête inlassablement aux multiples sollicitations dépensières
délivrées par des hologrammes harceleurs.Chaque matin
débute par le même rituel : le message « Avez-vous consommé ? »
et une invitation à une séance de sexe oral de la part de sa femme. Une femme
qui n’en est pas une puisqu’il s’agit d’une love doll, d’un androïde. Tout est
faux dans l’univers du policier à commencer par son nom en fait celui de son sponsor
et de sa voiture. Toshiba soigne ses angoisses en avalant des antis dépresseurs
ou en cognant la créature qui partage son lit.
La dystopie imaginée
par Jean Baret ne dépaysera pas les lecteurs de P. K. Dick et consorts : un
monde peuplé de toutes les créatures issues de la littérature cyberpunk sur
lequel se déverse l’océan du Big Data. Mais autant l’intérêt suscité pour Identification des schémas de Gibson relève
encore pour ma part de l’insondable au même titre que le mystère de la
Sainte-Trinité, autant le propos de l’auteur de Bonheur ™ me semble lui parfaitement clair. Une responsable
d’un fournisseur d’accès internet en donne une des clefs : « Aujourd’hui l’Humanité produit autant
de données en deux jours que durant les deux mille premières années de la
civilisation ».
Le calvaire
du détective Toshiba peut donc se lire en première instance comme celui d’un
cerveau humain sursaturé d’information et en apnée constante. Baret illustre
parfaitement ce constat à l’aide d’une écriture « stroboscopique » (j’emprunte
le qualificatif à Dany-Robert Dufour) procédant par accumulation, digressions etc…
Le procédé noie l’intrigue mais justifie l’analogie relevée par le philosophe
avec la pièce de théâtre de Beckett En
attendant Godot. En un sens il ne se passe rien. La théorie de
la pléonexie, qu'on pourrait traduire par le désir de vouloir toujours posséder davantage, constitue l’autre soubassement idéologique du roman. Je ne
comprends pas que Dany-Robert Dufour dans sa postface ne cite pas au nombre de
ses allégeances La société de
consommation de Baudrillard. Tout y était déjà ou presque : le besoin
de différenciation sociale se substituant à la satisfaction comme objet de l’acte
de consommation, le culte de l’objet et des images, la perte de la
transcendance, la soumission de l’esprit au corps …
L’ouvrage de
Jean Baret s’apparente à un tour de force. J’ai apprécié cette réactualisation du culte du Veau d'or, l’humour,
le délire, mais terminer le roman a nécessité un effort soutenu. Satisfecit donc
mais pas l’enthousiasme espéré.
7 commentaires:
Le sujet est grave:la course à la consommation et à l'euphorie perpétuelle, et donc à l'individualisme,mais j'ai passé un bon moment.
j'ajouterai la chasse au temps de cerveau disponible, pour citer … Patrick Lelay.
Entièrement d'accord avec toi;les propos de Lelay sont stupéfiants:"a la base,le métier de tf1 c'est d'aider Coca Cola à vendre son produit!!!
J'ai cité Baudrillard mais plus en amont Edgar Morin et Roland Barthes se sont attaqués - sur le plan théorique - au sujet. A signaler le roman de Georges Perec Les choses.
https://www.babelio.com/livres/Perec-Les-choses--Une-histoire-des-annees-soixante/12903
Vive les dystopies !
Merci pour cette suggestion du roman de Pérec,je vais le relire avec plaisir,il remonte a mes souvenirs de lycée. En plus j'adore Perec.
Le père Zola "au bonheur des Dames"faisait déjà du consumerisme,non?
Pas faux, mais Perec comme Baret (et les philosophes cités plus haut) en font une aliénation et se polarisent sur "le fétichisme de la marchandise". Zola décryptait le mécanisme, montrait les acteurs producteurs et consommateurs, les tenants et aboutissants en quelque sorte. On passe d'une description d'une société marchande (ou capitaliste) à l'évocation d'un monde vénérant un dieu Baal. Zola décrivait un microcosme social, Baret évoque des individualités sans identité réduits au rôle de presse bouton.
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