Walter M. Miller Jr - Un
cantique pour Leibowitz - Folio SF
CONCEPTION
En avril 1955, Miller publie dans
F&SF la nouvelle (une novelette, c'est à dire un texte entre 7.500 et
17.500 mots en VO suivant la définition usuelle des Hugos et de la SFWA) :
"A Canticle for Leibowitz". Ce texte sera renommé une fois
pour une anthologie "The First Canticle" et connaitra trois
titres différents en VF (dans Fiction comme "Le gardien de la flamme",
dans Le matin des magiciens comme "Un cantique pour saint
Leibowitz" et dans la Grande Anthologie de Science-Fiction
comme "Frère Francis", les premières et troisièmes versions
étant identiques).
En août 1956, il publiera dans F&SF "And the Light Is Risen",
une novella (donc entre 17.500 et 40.000 mots) qui ne sera jamais reprise
ailleurs.
En février 1957, il publiera dans F&SF "The Last Canticle",
une novella (donc entre 17.500 et 40.000 mots) qui ne sera jamais reprise
ailleurs.
En 1960 ou fin 1959 (les sources se contredisent là-dessus, le copyright est
bien 1959 mais Currey donne 1960), il publie le roman (qui apparait parfois
comme un recueil) A Canticle for Leibowitz. Le livre est divisé en trois
parties : "Fiat Homo" (« A Canticle
for Leibowitz"), "Fiat Lux"
("And the Light Is Risen") et "Fiat Voluntas Tua"
("The Last Canticle"). Ces trois parties reprennent donc les
nouvelles originales mais sont toutes modifiées à des degrés divers (la
première est rallongée, la deuxième est restée stable, la troisième a été
rallongée), il s'agit donc techniquement d'un fix-up.
Les dates de parution semblent indiquer que les trois textes n'ont pas été
rédigés d'un seul tenant (16 mois entre les deux premiers textes avec au milieu
parution de « The Hoofer/Le retour à la Terre » (1)). Toutefois,
ils forment clairement un tout (le troisième est annoncé comme la fin de la
trilogie).
Pour aller plus loin on pourra se
référer à deux ouvrages :
Un dictionnaire sur Miller :Walter M. Miller, Jr. : A Reference Guide to His Fiction and His Life par William H. Roberson chez McFarland & Company
Un ouvrage qui détaille les modifications apportées aux textes : Glorificemus:
A Study of the Fiction of Walter M. Miller, Jr. par Rose Secrest chez
University Press of America
Il est convenu d’aborder l’œuvre
de Walter Michael Miller Jr par son célèbre et unique roman, le second – sa
suite - ayant été complété par Thierry Bisson à la mort de l’écrivain.
Néanmoins le recueil Humanité provisoire relaté dans ce blog mettait en
évidence des qualités de novelliste reléguées dans l’ombre du livre culte.
L’auteur, comme Vonnegut, tirait de son expérience militaire matière à récit et
dressait un constat peu aimable de l’espèce humaine. Durant la seconde guerre mondiale, engagé dans l’aviation
comme mitrailleur de queue et ingénieur radio, il participa aux campagnes de
bombardement en Italie aboutissant entre autres à la destruction de
l'abbaye bénédictine de Monte Cassino. Ce drame est l’origine de
la rédaction d’Un cantique pour Leibowitz et d’un syndrome post
traumatique. Dans le chapitre 29 il met en scène en quelque sorte son propre
écrasement moral, prélude à son suicide survenu en 1996.
Vers le XXVe ou XXVIe siècle les
humains tentent de renaitre des cendres d’une apocalypse nucléaire survenue six
cents ans auparavant qui a déclenché par ricochet une folie meurtrière contre
la communauté scientifique. L’âge dit de la Simplification a mis au ban la
Science, son enseignement et ses ouvrages, renvoyant de fait l’Humanité au
Moyen-Age. La première partie du roman a pour cadre une abbaye située dans l’Utah.
Son lointain fondateur, un technicien du nom d’Isaac Leibowitz rentré dans les
Ordres, eut le temps de dissimuler quelques documents avant d’être mis à mort. Fiat
Homo raconte la découverte fortuite par Frère Francis, un novice un peu
simplet – mais Dieu aime les innocents – d’un ancien abri atomique et de
quelques reliques. Ces trouvailles consécutives à la rencontre d’un ermite
mystérieux agitent la communauté religieuse et provoquent l’ire de l’abbé Arkos
face aux réponses évasives du jeune homme. A-t-il vu ou non le Béatifié ? Outre
le parcours de Frère Francis, Fiat Homo dresse le tableau d’un monde
rejeté dans les ténèbres de l’inculture, de moines vénérant des imprimés – en
l’occurrence ici le dessin d’un circuit imprimé réalisé par Leibowitz – dont
ils ignorent la signification à l’instar de leurs prières : « Délivre-nous
Seigneur de la pluie de Cobalt, de la pluie de Césium, de la pluie de Strontium ».
Cette première partie est à mon avis la mieux conçue, la plus littéraire avec,
comme le rappelle la quatrième de couverture, une parenté d’inspiration avec Le
nom de la rose.
Fiat Lux se déroule six
cents plus tard. La technologie opère un début de percée. Mais le Savoir, comme
dans l’Antiquité, ne se répand pas immédiatement dans le monde. On vient à lui,
chercher un enseignement ou rencontrer un nom illustre. Le souvenir de la
Simplification hante les esprits. Il s’agit avant tout de préserver et non de
diffuser. Thson Taddéo, un scientifique, se rend à l’abbaye de Leibowitz pour
rencontrer un moine inventeur d’une dynamo utilisée comme éclairage, et consulter des archives. Pendant
ce temps hors des murs du monastère, des luttes territoriales font rage. Un
certain Hannegan seigneur de la ville de Texarkana s’empare de la monarchie de
Laredo et vise la Nouvelle Rome. Ce second volet moins linéaire que le premier
comporte nombre de digressions. Une controverse amicale sur la responsabilité
et la culpabilité, entre le chrétien responsable de l’abbaye et un ermite juif
qui prétend avoir connu Frère Francis six siècles auparavant, alimente le
chapitre 16. Nous voici aux portes du Codex du Sinaï et du légendaire Hadj
Harun vieux de mille ans.
Enfin Fiat Voluntas Tua franchit
six cent années supplémentaires et propulse le lecteur dans un univers plus ou
moins contemporain. L’Humanité parcourt les étoiles. Mais tout le monde n’est
pas logé à la même enseigne. Sur Terre, fruit de l’ancien Holocauste, surgit
une population de mutants dégénérés. L’expansion continue de Texarkana a donné naissance
à une Confédération Atlantique. Un conflit l’oppose aux Asiatiques. Et tout
recommence. La destruction d’une base militaire adverse située sur la face
cachée de la lune entraine une riposte nucléaire sur la capitale de la
Confédération. Dans l’enceinte du monastère de Leibowitz les moines
enregistrent une montée inquiétante de radioactivité. L’abbé Zerchi avec l’accord
de la Nouvelle-Rome prend alors une décision radicale. Comme précédemment la réflexion
morale s’incarne dans l’opposition d’un couple de personnages. Ici Zerchi et le
docteur Cors s’affrontent sur le problème de l’euthanasie. Que faire des
humains victimes de mutations létales à courte échéance ? Le visage
bicéphale de la mutante Mme Grales devient celui de l’Humanité : malédiction
et promesse d’absolution.
Roman phare du genre postapocalyptique,
l’œuvre de Walter Miller, entre désespoir et rédemption, délivre une vision
pessimiste de l’espèce humaine. La religiosité rebutera certains lecteurs mais
la hauteur de vue impressionnera les autres. Restent des histoires, des
personnages émouvants et une couverture formidable d’Aurélien Police pour l’édition
de 2013 qui reproduit, jusqu’aux altérations commises par des mains impies, le
parchemin de Frère Francis. Enfin la retraduction de Thomas Day épaulé par la
crème des traducteurs du genre magnifie le tout. Cela fait beaucoup pour une
édition de poche.
Cette fiche a été réalisée par
Sandrine et Soleil vert
(1) Paru
en France in Histoires de cosmonautes (GASF)
21 commentaires:
Merci, pour ce travail d'analyse et de synthèse remarquable du tryptique impressionnant contenu dans le roman Un cantique pour Leibowitz de Walter Miller, à Sandrine et Soleil vert.
Pour l'instant je retiens ce traumatisme dans la vie de W.M. Miller :
"Durant la seconde guerre mondiale, engagé dans l’aviation comme mitrailleur de queue et ingénieur radio, il participa aux campagnes de bombardement en Italie aboutissant entre autres à la destruction de l'abbaye bénédictine de Monte Cassino. Ce drame est l’origine de la rédaction d’Un cantique pour Leibowitz et d’un syndrome post traumatique. Dans le chapitre 29 il met en scène en quelque sorte son propre écrasement moral, prélude à son suicide survenu en 1996."
Larguer des bombes au-dessus de l'Italie, l'une d'elle sur la prestigieuse abbaye bénédictine de Monte Cassino fondée par Benoît de Nursie, censée par sa position pouvoir abriter une garnison allemande, oui, cela doit être un traumatisme qui dure des années après.
(Et quelle actualité ! tant de bombes dévastent un pays proche...)
En faire un roman de SF, voilà une désir de résilience pas ordinaire. Se suicider en laissant un roman inachevé semble être la réponse finale à ce traumatisme. ("sa suite - ayant été complété par Thierry Bisson à la mort de l’écrivain. Néanmoins le recueil Humanité provisoire relaté dans ce blog mettait en évidence des qualités de novelliste reléguées dans l’ombre du livre culte.")
Comme fond de cette fiction, la vie d'une communauté monastique installée en Amérique du nord dans une abbaye imaginaire celle fondée par Leibowitz. Les trois parties du tryptique sont introduites par des citations en latin extraites de la Bible.
Au XXXIIIe siécle (?) un moine se rendra à l'abbaye de Leibowitz à la recherche de manuscrits de cette époque où les livres furent détruits et un savoir perdu, anéanti.
Le don du retour : "Fiat Homo raconte la découverte fortuite par Frère Francis, un novice un peu simplet – mais Dieu aime les innocents – d’un ancien abri atomique et de quelques reliques."
Mais aussi, plus tard, vision terrible d'une humanité survivant dans un décor interplanétaire de ruines et de violences, "une population de mutants dégénérés"... "l’œuvre de Walter Miller, entre désespoir et rédemption" ne cesse - à lire ce billet - de parler de recommencement de l'horreur : "Un conflit (...). Et tout recommence. La destruction d’une base militaire adverse située sur la face cachée de la lune entraine une riposte nucléaire sur la capitale de la Confédération. Dans l’enceinte du monastère de Leibowitz les moines enregistrent une montée inquiétante de radioactivité."
Est-ce qu'on peut s’arrêter au début du cycle quand les manuscrits sont retrouvés ?
Oui Christiane, la première partie sonne comme un tout pour moi, d'autant plus que ce roman est un assemblage de trois nouvelles, une pratique courante à l'époque.
Cela dit l'intention de l'auteur était bien de montrer que l'Histoire est un cycle perpétuel de violence, d'où les deux autres parties.
J'ai commencé à lire. Ce moine un peu naïf tout plein de craintes et se récitant des prières protectrices est très attachant. Sa rencontre avec le vieil ermite qui ne manque pas d'humour, très fine, la chute dans le trou lui donnant accès à une cavité emplie de meubles et d'objets divers, le squelette vénérable, tout cela est palpitant. Un peu l'atmosphère du "Nom de la Rose" d'Umberto Éco avec ce rapport entre l'ancien lettré et le jeune écuyer très naïf sur fond de monastère. Beaucoup de citations en latin. Quelle ambiance ! Ne serait-ce cet abri antinucléaire ( là le lecteur est en avance) on se croirait au moyen-âge. Vous avez le don de présenter des ouvrages de littérature de qualité où la science-fiction joue souvent avec le temps. C'est très agréable d'autant plus que le ciel est bleu que la température extérieure a chuté offrant un agréable rafraîchissement.
Est- ce que Pauwels n’en a pas placé une partie dans le Matin des Magiciens? Je n’ai pas le souvenir des deux autres mais je peux me tromper…. Bien à vous. MC
Tout fait, la première partie du Cantique en compagnie de Arthur C. Clarke, (Les Neuf milliards de noms de Dieu), d' un extrait du Visage vert de Gustav MEYRINK, et de L'Aleph de Jorge Luis Borges
Bien à vous SV
Merci Soleil Vert! Je lirai la version intégrale.
Étrange début de roman, très ce agréable à lire. Si vous ne l'aviez signalé je n'aurais fait aucun lien avec ce pilote américain traumatisé par les bombardements auxquels il a participé.
L'écrivain semble avoir une bonne connaissance des communautés monastiques du moyen-âge, de la hiérarchie entre les pères prieurs, les moines, les novices à cette époque.
Le personnage du novice est très réussi, complètement dépassé par ce qu'il a vécu dans cette crypte et ce qu'il y a trouvé. Un élément vient semer un décalage temporel dans ces premières pages : des inscriptions qui n'ont rien de moyenâgeuses. Il y a donc un faux moyen-âge dans les aventures contées. Peut-être une régression des us et coutumes. Ce mystérieux Leibowitz semble avoir eu une double personnalité : mysticisme et violence. Bref, je plonge plus avant dans la lecture pour me faire une idée plus claire de cette aventure pas ordinaire et d'une belle écriture..
Je viens de lire avec attention votre résumé de la première partie du roman de W.Miller. ce qui correspond bien et éclairé les cent premières pages.
Je comprends mieux ce qui se joue dans cette oeuvre de fiction et qui pourrait se jouer dans l'actualité de ces derniers mois. Une escalade des armes, des conflits, des tueries, une guerre bactériologique, atomique et la façon inique de réagir des survivants : la simplification. Tuer les savants, les intellectuels, brûler les livres. Donner aux abbayes des rôles doubles : camoufler les survivants de ces boucs émissaires, chercher et protéger les livres sauvés, le savoir.
Ce grand roman est traversé par la présence de Leibowitz, mort supplicié et peut-être réincarné dans ce vieil ermite qui traverse le désert et par ce novice frère Francis qui déchaîne la suspicion et l'envie par son témoignage et n'en finit pas d'être isolé dans le désert jusqu'à l'arrivée des émissaires de Rome qui n'est plus à Rome.
Merci pour ces quelques lignes :
"Restent des histoires, des personnages émouvants et une couverture formidable d’Aurélien Police pour l’édition de 2013 qui reproduit, jusqu’aux altérations commises par des mains impies, le parchemin de Frère Francis. Enfin la retraduction de Thomas Day épaulé par la crème des traducteurs du genre magnifie le tout. Cela fait beaucoup pour une édition de poche."
Oui, Le matin des magiciens de Pauwels et Borges pour L' Aleph.
Bien, je continue le roman puisque je l'ai commencé puis je reprendrai mes recherches. Merci.
J’ajoute que la première partie servait admirablement le propos de Pauwels et Berger quant à une Histoire Cyclique et toujours recommencée, avec son cortège d’ anéantissements et d’ apogées! Sur ces deux phénomènes, il faut attendre la parution de la thèse de Damien Karbovnik. En attendant Quelques éléments dans Jacques Bergier, une Légende… un Mythe, Paris L’ Harmattan, 2010. Ou « Vol 714 pour Sidney, » c’est selon!
La première partie du Leibowitz bien sûr! MC
Beaucoup aimé la fin sarcastique de cette première partie.
Beaucoup aimé la remarque du pape quant à l'utilité de la copie enluminée réalisée par frère Francis et que le voleur a pris pour l'original, trompé par les enluminures d'or. Ainsi dit ce dernier - Ces quinze années pour la réaliser n'auront pas été vains puisqu'ils ont protégé l'original !
Beaucoup aimé cette flèche qui met fin à cette aventure et ce cadeau du pape : la rançon... Final rocambolesque...
et ces busards dont la tranquillité est à peine dérangée par le geste de l'ermite ...
C'est un roman qui a beaucoup de personnalité. Tout y est absurde, cocasse. Et ce plan qui n'a trouvé aucune signification...
Je comprends mieux ce W.M.Miller. Il est désabusé, ne croit plus en l'humanité, écrit avec grâce, une si fine ironie. Très chouette !
puisqu'elles ont protégé l'original
L'Histoire Cyclique, il y avait aussi un peu de cela dans le Fondation d'Asimov
Oui je pense que c’est entré par la dans le roman français. Après tout les voitures automobiles du rivage des Syrtes remontent à 1953!
Ce soir dans Libé article sur les scénarios produits par les auteurs de SF pour la Grande Muette. On en sait un peu plus long, et c’est intéressant….
A propos de l’étui d’or qui protege le texte, on notera que Jules Verne a recours à la même recette dans Hier et Demain, pour faire connaître à l’humanité qui nous a succédé le récit de notre décadence et de notre pénible relèvement. L’or doit être ici remplacé par l’aluminium. En revanche, les secrets scientifiques que, dans un moment de relèvement, les survivants ont confié à la terre sont eux à jamais perdus ! (Je dis Jules Verne par commodité, cette nouvelle étant, c’est maintenant établi, de son fils Michel, mais ceci est un autre débat. MC
>La Read Team : Laurent Genefort dont j'ai chroniqué un ouvrage en fait partie
>"Hier et Demain" : je ne connaissais pas. Merci !
correction : la Red team
(la read team c'est ici :)
C’est un recueil disparate ou des nouvelles authentiquement de Verne sont recueillies et qui culmine avec la dernière, proprement géniale, sans doute de Michel. Elle fut éditée naguère séparément. « le Zartog Sofr. a-t-on Chu remontait la grande rue de Basidra » On n’y résiste pas. PS Voir aussi de Michel, « la Journée d’un Journaliste en 2889 »,plus folâtre…
Plus important. Ces deux nouvelles sont les seules qui concernent la SF…
Et pas Hier et Demain, mais l’Eternel Adam, pour cette nouvelle cyclique. « « « Excusez les fautes de l’Auteur! »
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