lundi 20 avril 2020

Typhon


Joseph Conrad - Typhon - Folio



                                                                                                       



Rédigé après Lord Jim, auquel il emprunte quelques éléments narratifs et bien avant La ligne d’ombre, Typhon met de nouveau à l’épreuve un capitaine dans la mer de Chine. MacWhirr, marin expérimenté doit conduire un vapeur transportant des coolies vers un port du sud-est de la Chine. Les travailleurs chinois, qui dans l’imagerie coloniale se hissent de justesse sur le barreau social un cran au-dessus de celui des esclaves, sont logés avec les marchandises dans l’entrepont. Les petits coffrets contenant leurs maigres économies s’éparpillent en tous sens lorsqu’un typhon vient s’emparer du vaisseau. La panique des hommes accrue par l’obscurité se transforme en une furieuse empoignade. Sur le pont aussi c’est le chaos. Les vagues et la tornade balaient l’équipage, brisent les volontés, épouvantent les esprits. Mais quelqu’un tient bon :


« A nouveau, il entendit cette voix qui, bien que forcée et sans grand impact, dégageait un calme péné­trant au milieu de cette épouvantable cacophonie, comme issue d'un lointain havre de paix au-delà des noires étendues dévastées par la tempête. A nouveau, il entendit la voix d'un homme — fragile et indomp­table voix humaine à même de rendre une infinité de pensées, de résolutions, de desseins et qui, au jour du jugement dernier, quand les cieux se seront effondrés et que justice sera rendue, prononcera des paroles d'espoir. De nouveau, il l'entendit, et elle lui criait, venant de très loin : « C'est bien ! » »


MacWhirr est un homme sans aspérité, un "taiseux" comme on disait d’un Tabarly, concentrant ses actes et ses paroles sur son métier. Il passe aux yeux du tout-venant y compris ceux de sa femme pour un individu stupide, suscitant l’étonnement et parfois le désagrément de son second, le jeune Jukes. Pourtant lorsque l’armateur lui fait découvrir le Nan-Shan tout juste sorti du chantier naval, le capitaine en pointe immédiatement les défauts. Le même homme choisit de ne pas dérouter son navire malgré la tempête annoncée. Son entêtement peut rappeler celui d’Achab. Sa volonté cependant n’est pas guidée par un arrière-plan obsessionnel. Il décide de respecter un contrat de navigation en s’appuyant sur son expérience maritime. Le destin contraire n’altère en rien son jugement et ses principes moraux :


« Le capitaine MacWhirr s'interrompit, et Jukes demeura silencieux, à regarder tout autour de lui.
« Ne vous laissez pas abattre par quoi que ce soit, reprit précipitamment le capitaine. Maintenez le navire face au vent. On dira ce qu'on voudra, mais c'est toujours au vent que les lames sont les plus grosses. Face au vent, toujours de face, c'est le seul moyen de s'en tirer. Vous n'êtes encore qu'un jeune marin. Sachez toujours faire face. C'est déjà beau­coup. Et gardez la tête froide.
— Oui, capitaine », répondit Jukes, le cœur battant. »


Contrairement à La ligne d’ombre, le second tient le rôle du narrateur, le procédé donnant de l’épaisseur et du mystère au personnage principal. Les coups de butoir de la tempête dominent le récit, comme le ferait le compte-rendu d’un match de boxe. Forces aveugles et impitoyables barrées par une volonté inébranlable, avec dans l’écriture de subtiles et nombreuses références bibliques. Mais MacWhirr n’est pas seulement un titan caché. Conrad, qui s’est indigné au cours de sa vie maritime des exactions commises par les sbires du roi Leopold au Congo, au point d’en fournir la matière d’Au cœur des ténèbres, dévoile en fin de roman un Salomon.


Typhon est un court mais grand roman propulsé par un personnage tout à fait extraordinaire.

7 commentaires:

Greg a dit…

Et comme disait STUBB dans Moby Dick,”Je ne sais pas tout ce qui risque de se passer mais quoiqu’il arrive,j’irai de l’avant en riant”.
A appliquer en 2021.

Sinon Conrad m’a bien plu.

Soleil vert a dit…

Bonne année 2021 aussi. Faudra que je lise Moby Dick dans sa nouvelle traduction. Le Conrad, formidable.

Greg a dit…

Un air de Conrad,avec un auteur colombien Alvaro Mutis,et les aventures d’un marin bourlingueur Maqroll le Gabier.
Moins connu que Garcia Marquez dont il était l’ami.

Soleil vert a dit…

Alvaro Mutis.... je note
Merci

Anonyme a dit…

C’est une nouvelle traduction de François Maspero qui est pas mal mais je n’ai pas comparé avec celle de Gide.
B à V

Biancarelli

Paul Edel a dit…

la traducton de gide était mollassonne. Merci pour ce blog littéraire intelligent

Soleil vert a dit…

Je suis très touché.
Merci.

Ce récit, peut-être pas le meilleur de Conrad (J'hésite à me lancer dans Nostromo) est devenu un livre de chevet.