Stanley G. Weinbaum - Aux limites de l’infini - L’Arbre Vengeur
Petite
surprise éditoriale de l’année 2019, Aux limites de l’infini, recueil de
nouvelles de Stanley Grauman Weinbaum rappelle au bon souvenir des amateurs de
science-fiction, l’existence d’un auteur phare de l’ère pré-Campbell. Son « Odyssée
martienne », publiée en 1934, bouleversa l’écriture des fictions nous dit
Isaac Asimov. Ce fut le premier texte court à figurer dans « The Science Fiction Hall of Fame ». Le choix des
récits opéré par l’éditeur L’arbre vengeur met en valeur l’intelligence
et l’humour du propos d’un écrivain qui partagea son oeuvre romanesque entre
littérature de l’imaginaire et mainstream. A lire le spirituel « Les
Mondes du Si », on se prend à rêver, si le temps ne lui avait
pas été si tragiquement compté, à d’hypothétiques scénarii pour Howard Hawks ou
Billy Wilder. Weinbaum lègue au genre une trentaine de nouvelles et quelques
romans dont les illustres Le nouvel Adam et La flamme noire.
A tout seigneur, tout honneur
« L’odyssée martienne » conte les pérégrinations d’un
astronaute dont l’appareil s’est abimé sur le sol de la planète rouge au cours
d’un vol de reconnaissance. Qu’à cela ne tienne, il se met en marche pour
rejoindre le camp de base. Comme chacun le sait, l’air de Mars est raréfié mais
respirable, quoique les nuits soient un poil fraîches ! Au cours de son
expédition il sauve la vie d’une créature intelligente qui ressemble à Bip-bip !
à ceci près qu’elle se déplace par bonds immenses et plante son bec-trompe littéralement
à chaque atterrissage. Comment communiquer avec un
oiseau pareil ? “Write me a creature who thinks as well as a man, or better
than a man, but not like a man” aurait déclaré Campbell. Weinbaum avait semble-t-il déjà tout compris avec
ce récit léger et pittoresque.
A l’inverse je serai
moins admiratif des « lotophages », qui sur un thème semblable,
- le contact avec une espèce extraterrestre douée de conscience - m’a semblé par
instant lourd et didactique, privilégiant la réflexion sur l’action à l’image d’un
conte philosophique du XVIIIe siècle. Du philosophe l’auteur à d’ailleurs la
hauteur de point de vue : « L’intelligence n’a pas une grande
valeur pour la survie ».
« Aux limites de
l’infini » met en scène un mathématicien emprisonné par un de ses confrères.
Sa libération est conditionnée à la résolution d’un problème mathématique. La brièveté
de la nouvelle en fait la saveur et rappelle que Weinbaum, grand admirateur de
Lewis Carroll était ingénieur de formation.
Dixon Wells souffre d’un défaut
persistant, il est toujours en retard. Cela n’a pas grande incidence sur son
activité professionnelle car son père dirige l’entreprise où il travaille. Mais
un jour il loupe un vol privé. Après l’avoir l’attendu en vain, l’appareil
décolle et en percute un autre. Bouleversé par les conséquences de son acte,
Wells croise un de ses anciens professeurs dont les travaux portent sur les
mondes alternatifs. Le Temps nous échappe, ainsi peut-on résumer « Les
Mondes du Si ».
« Dérive des mers »
constitue LA surprise du recueil. Alors que Ted Welling survole et cartographie
pour le compte du Département de Géologie des Etats-Unis une région du
Nicaragua, la Ceinture de feu du Pacifique, c’est dire la chaine de volcans qui
bordent l’Océan Pacifique, explose. L’Amérique Centrale coule sous les flots.
Le Gulf Stream qui alimente en eau chaude l’Europe de l’Ouest voit sa course
déviée au Sud vers l’Afrique. Publiée en 1937, rédigée dans un style rappelant
Wells, cette nouvelle fait écho aux inquiétudes contemporaines liées
au changement climatique. Weinbaum ne se préoccupe pas de la description de l’irruption
d’un hiver glaciaire façon The day after. Il se projette sur les
modifications géopolitiques, le renversement des alliances, les migrations de
population et perspectives de guerre. Impressionnant !
Passons outre le très
anecdotique « Le graphe » pour reluquer « Les lunettes
de Pygmalion » texte dont on retiendra surtout le dispositif inventé par
le Professeur Ludwig, qui plonge son utilisateur au cœur d’une forêt du carbonifère
et préfigure de façon presque caricaturale un casque de réalité virtuelle.
Qu’est-ce que la réalité,
qu’est ce que le rêve, cette interrogation court tout au long de ce beau recueil,
superbement maquetté. Pour y répondre, comme le suggère le grand Stanley G.
Weinbaum, réanimons quelques vieux souvenirs d’algèbre : pour passer de l’imaginaire
au réel il suffit d’élever au carré !
6 commentaires:
Je ne savais pas que l'air de Mars était respirable, encore moins que les nuits pouvaient être "un poil trop fraîche" ahah. En tout cas, tu es très porté sur cette planète en ce moment :)
Il y a bien Le malheur indifférent de Handke qui me lorgne en haut de la pile, mais j'ai pas la force d'affronter une joyeuseté dans le style de La promesse de l'aube de qui-tu-sais. Déjà j'ai quitté la Lune pour Mars c'est un progrès …
Sinon vous avez John Updike qui est pas mal aussi.
Rien que pour "Les mondes du si" et "Dérive des mers", je suis très content de cette découverte.
Justes jugements sur le recueil de ce Maitre.
Recueil que je me suis procuré en son temps, me souvenant des contes recueillis par Sadoul…
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