Quelques villes improbables hantent la
littérature. Dans Le monde inverti, Christophe Priest imagine une
cité condamnée à progresser dans un espace temps impossible pour survivre.
James Blish expédie les siennes (1) dans l’univers, une partie d’échecs célèbre
dicte les agissements des citoyens de La ville est un échiquier (2), La
Fièvre d' Urbicande (3) décrit une cité dont l’architecture mute de
façon organique et autonome au grand dam de ses habitants. Liste non limitative
… d’autant plus qu’en matière de métropoles farfelues, China Miéville n’est pas
en reste.
The City & the City est un roman policier se déroulant dans
deux villes, Besźel et Ul Qoma, qui présentent la particularité
de partager le même territoire. Au début du récit, l’inspecteur Tyador
Borlu découvre dans un terrain vague de Besźel, le cadavre d’une jeune femme
d’origine américaine ; l’enquête révèle qu’elle travaillait sur un chantier
archéologique à Ul Qoma. A la difficulté de l’investigation s’ajoute une
complication de taille. Tout porte à croire que la victime et son (ou ses)
agresseurs ont accompli la transgression suprême : rompre, c'est-à-dire
changer de ville.
Le concept imaginé par China Miéville n’est
certes pas entièrement novateur. Outre l'allusion aux Villes invisibles d'Italo
Calvino, des villes comme Jérusalem ou Berlin abritent (ou abritèrent) des
nationalités, des communautés et des patrimoines architecturaux séparés. Mais
l’auteur pousse ici le degré d’intrication à un niveau vertigineux. Une même
rue peut abriter des zones plénières relevant de la
juridiction d’une seule cité ou tramées, communes aux deux
métropoles. Passer de l’une à l’autre déclenche l’intervention instantanée de
la Rupture, une police à la fois invisible et omniprésente dont les victimes
disparaissent littéralement de la circulation. Aussi dès leur plus jeune âge,
les habitants apprennent t’ils à éviter et à « éviser » les
étrangers. Une technique d’oblitération mentale dont on retrouve trace dans
« La lettre volée » de E. Allan Poe. Face à ces embûches, Tyador
Borlu, héritier d’une longue dynastie littéraire de policiers tenaces et
imaginatifs poursuit une enquête qui le mène de Besźel à Ul Qoma à la recherche
de la mythique Orciny, « la ville entre les villes ».
Il y a de tout dans ce récit : intrigue
intéressante, contexte romanesque déroutant et passionnant qui tient de Kafka
autant que de Borges, univers un peu austère à la Strougatski. Cependant The
City & the City reste avant tout un polar, et à l’instar de ses
personnages, China Miéville garde le cap d’une continuité narrative et
rationnelle propre au genre.
Concept un peu barge qui tient la
route, plusieurs fois primé, The City & the City est
un must.
(1) James Blish – Villes
nomades
(2) John Brunner – La ville
est un échiquer
(3) Schuiten et Peeters- La
Fièvre d' Urbicande
NB : texte modifié et remis en forme le 23/10/2021
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