Rudyard Kipling - L’Homme qui
voulut être roi - Folio
A la fin des années 90 je fis une balade au Rajasthan,
excursion touristique fort prisée des français. Dans cette région rurale du
Nord de l’Inde, entre deux visites d’anciens palais somptueux quoique
défraichis et parfois reconvertis en hôtels, on croisait une population parfois
misérable et une paysannerie étonnante. Je me souviens de femmes vêtues de saris
colorés qui surgissaient des champs comme des apparitions divines antiques. A
Samode je dégustai un thé servi avec un sucre dont l’emballage portait une inscription
en langue française. Je ne me souviens plus que de son signataire, un certain
Allard. Quelques décennies plus tard, Olivier Litvine, ancien patron de
l’Alliance Française de Pondichéry, me rappela l’existence hors du commun de
cet aide de camp du Maréchal Brune qui après Waterloo quitta le pays et offrit
ses services au maharaja Ranjît Singh dans le royaume du Penjab. Il mit
sur pied une armée régulière, se frotta victorieusement aux ennemis du Rajh y
compris Anglais. Il vécut et fut enterré à Lahore. « Ses appartements
au fort de Sheikhupura, nous dit Olivier Litvine, ne sont pas ouverts au
public, mais nous avons pu les visiter avec le département d’archi du NCA de
Lahore, ancienne Mayo School of Industrial Arts dirigée par le père de Kipling,
John Lockwood située devant le canon Zam-Zammah, sur lequel Kim est perché au
début du roman de Rudyard. « Who hold Zam-Zammah, that ‘fire- breathing
dragon,’ hold the Punjab »
Cette longue digression passée, remarquons que la quête de Dravot et de son compagnon s’inspire d’une autre entreprise couronnée, elle, de succès, celle de James Brook, soldat anglais qui fonda une dynastie dans l’Etat de Sarawak au sein de l’ile de Bornéo. Pour en venir au recueil « L’Homme qui voulut être roi » et les huit nouvelles qui l’accompagne réservent une mauvaise surprise au lecteur de cette édition. Parue en 1973 elle souffre d’une traduction plus que centenaire qui alourdit l’écriture caillouteuse de Kipling. Il eut été élégant, comme on l’a vu ailleurs, de décliner en folio le travail effectué pour La Pléiade, hors paratexte évidemment.
Trois récits ont retenu mon attention, la nouvelle éponyme
qui domine de la tête, des épaules et du reste du corps les autres textes, puis « L’étrange chevauchée de Morrowbie
Jukes », « La marque de la Bête » et peut être
pour la curiosité « La Porte des cent mille peines »,
confessions d’un fumeur d’opium. Point n’est besoin de présenter « L’Homme
qui voulut être roi » passé à la postérité cinématographique grâce au
film de John Huston. Deux ex sergents de l’armée britannique envisagent de
s’emparer du Kafiristan, un royaume imaginaire dans le Nord Est de
l’Afghanistan. Ils présentent leur projet à un journaliste médusé, arguant d’un
droit naturel à la conquête du trône d’une terre inexplorée, s’exprimant à l’aune
d’une volonté irrésistible. Sur place quelques coups de fusils facilitent les
choses et la présence d’une loge maçonnique à laquelle appartiennent Daniel
Bravot et Peachey Taliaferro Carnehan semble achever la quête. On pardonnera à
Kipling ce deus ex machina tant l’épopée emporte tout sur son passage et parce que la figure
des deux protagonistes principaux symbolisant la dualité de l’hubris et de la
prudence à l’œuvre dans l’esprit humain, est inoubliable. Dans ce récit comme dans les autres
Kipling fait l’éloge de l’impérialisme britannique. « L’indigène » y est
renvoyé à sa caste ce qui ne nuit pas à une certaine forme d’humour :
« Les Etats indigènes furent créés par la Providence afin de pourvoir
le monde de décors pittoresques, de tigres et de descriptions ». Il y
a tant de morceaux de bravoure dans cette nouvelle (la recension d’ intrusions de
fâcheux dans la salle de rédaction par exemple) que l’on s’étonne de tenir dans
les mains une épopée de seulement soixante pages et tout ce quelle peut
contenir de vérité humaine.
En matière de colonialisme, l’histoire racontée dans « L’étrange
chevauchée de Morrowbie Jukes » opère un renversement inattendu. Un ingénieur
anglais bivouaquant dans une région désertique du Penjab est pris d’un accès de
fièvre. Délirant, énervé par les aboiements de chiens errants il se lance à
leur poursuite et finit par tomber dans un cratère de sable dont il ne peut s’extirper.
Surprise, les lieux sont habités par des morts vivants ou pour être plus précis
par des individus que l’administration indienne a déclaré morts. Rescapés des crémations
ils forment une communauté, une sorte de cour des miracles. Morrowbie Jukes y
retrouve un ancien télégraphiste et exige son aide. Mais
Gunga Dass lui signifie rapidement la perte de son statut de Sahib. Pour
survivre, l’ingénieur va devoir remettre à plat certaines conventions sociales,
tout au moins provisoirement …Une histoire subtile. Je me suis remémoré en
lisant « La marque de la Bête » Le chant de Kali de Dan
Simmons. Venu en Inde pour affaires le dénommé Fleet prend part à une soirée de
Nouvel An. Le personnage s’enivre considérablement. Rentrant chez lui, il fait
un crochet et pénètre dans un temple dédié au dieu Hanuman. Il écrase son
cigare au front de l’idole. Les prêtres grondent quand soudain un lépreux se
jette sur Fleet. Quelque chose alors s’empare de son esprit …
Récits de bataille, récits d’autre temps, les fictions
restantes ne m’ont pas passionné. Subjectivité du propos assumée.
SOMMAIRE
L'homme qui voulut être roi
la Porte des cent mille peines
l'étrange chevauchée de Morrowbie Jukes
L'amendement de Tods
La marque de la Bête
Bisesa
Bertran et Bina
L'homme qui fut
Les tambours du « Fore and Aft »

1 commentaire:
Harmonie du soir
"Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige,
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !"
Ce poème de Baudelaire pour exprimer ce que je ressens en lisant ce billet érudit.
C'est comme si deux voix éloignées l'une de l'autre ne pouvaient se répondre que par la beauté , l'une dans le passé, l'autre dans le présent.
Quel mystère que ce billet...
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