vendredi 5 décembre 2025

L’Homme qui voulut être roi

Rudyard Kipling - L’Homme qui voulut être roi - Folio

 

 

 

A la fin des années 90 je fis une balade au Rajasthan, excursion touristique fort prisée des français. Dans cette région rurale du Nord de l’Inde, entre deux visites d’anciens palais somptueux quoique défraichis et parfois reconvertis en hôtels, on croisait une population parfois misérable et une paysannerie étonnante. Je me souviens de femmes vêtues de saris colorés qui surgissaient des champs comme des apparitions divines antiques. A Samode je dégustai un thé servi avec un sucre dont l’emballage portait une inscription en langue française. Je ne me souviens plus que de son signataire, un certain Allard. Quelques décennies plus tard, Olivier Litvine, ancien patron de l’Alliance Française de Pondichéry, me rappela l’existence hors du commun de cet aide de camp du Maréchal Brune qui après Waterloo quitta le pays et offrit ses services au maharaja Ranjît Singh dans le royaume du Penjab. Il mit sur pied une armée régulière, se frotta victorieusement aux ennemis du Rajh y compris Anglais. Il vécut et fut enterré à Lahore. « Ses appartements au fort de Sheikhupura, nous dit Olivier Litvine, ne sont pas ouverts au public, mais nous avons pu les visiter avec le département d’archi du NCA de Lahore, ancienne Mayo School of Industrial Arts dirigée par le père de Kipling, John Lockwood située devant le canon Zam-Zammah, sur lequel Kim est perché au début du roman de Rudyard. « Who hold Zam-Zammah, that ‘fire- breathing dragon,’ hold the Punjab »

 

Cette longue digression passée, remarquons que la quête de Dravot et de son compagnon s’inspire d’une autre entreprise couronnée, elle, de succès, celle de James Brook, soldat anglais qui fonda une dynastie dans l’Etat de Sarawak au sein de l’ile de Bornéo.  Pour en venir au recueil « L’Homme qui voulut être roi » et les huit nouvelles qui l’accompagne réservent une mauvaise surprise au lecteur de cette édition. Parue en 1973 elle souffre d’une traduction plus que centenaire qui alourdit l’écriture caillouteuse de Kipling. Il eut été élégant, comme on l’a vu ailleurs, de décliner en folio le travail effectué pour La Pléiade, hors paratexte évidemment.

 

Trois récits ont retenu mon attention, la nouvelle éponyme qui domine de la tête, des épaules et du reste du corps les autres textes, puis « L’étrange chevauchée de Morrowbie Jukes », « La marque de la Bête » et peut être pour la curiosité « La Porte des cent mille peines », confessions d’un fumeur d’opium. Point n’est besoin de présenter « L’Homme qui voulut être roi » passé à la postérité cinématographique grâce au film de John Huston. Deux ex sergents de l’armée britannique envisagent de s’emparer du Kafiristan, un royaume imaginaire dans le Nord Est de l’Afghanistan. Ils présentent leur projet à un journaliste médusé, arguant d’un droit naturel à la conquête du trône d’une terre inexplorée, s’exprimant à l’aune d’une volonté irrésistible. Sur place quelques coups de fusils facilitent les choses et la présence d’une loge maçonnique à laquelle appartiennent Daniel Bravot et Peachey Taliaferro Carnehan semble achever la quête. On pardonnera à Kipling ce deus ex machina tant l’épopée emporte tout sur son passage et parce que la figure des deux protagonistes principaux symbolisant la dualité de l’hubris et de la prudence à l’œuvre dans l’esprit humain, est inoubliable. Dans ce récit comme dans les autres Kipling fait l’éloge de l’impérialisme britannique. « L’indigène » y est renvoyé à sa caste ce qui ne nuit pas à une certaine forme d’humour : « Les Etats indigènes furent créés par la Providence afin de pourvoir le monde de décors pittoresques, de tigres et de descriptions ». Il y a tant de morceaux de bravoure dans cette nouvelle (la recension d’ intrusions de fâcheux dans la salle de rédaction par exemple) que l’on s’étonne de tenir dans les mains une épopée de seulement soixante pages et tout ce quelle peut contenir de vérité humaine.

 

En matière de colonialisme, l’histoire racontée dans « L’étrange chevauchée de Morrowbie Jukes » opère un renversement inattendu. Un ingénieur anglais bivouaquant dans une région désertique du Penjab est pris d’un accès de fièvre. Délirant, énervé par les aboiements de chiens errants il se lance à leur poursuite et finit par tomber dans un cratère de sable dont il ne peut s’extirper. Surprise, les lieux sont habités par des morts vivants ou pour être plus précis par des individus que l’administration indienne a déclaré morts. Rescapés des crémations ils forment une communauté, une sorte de cour des miracles. Morrowbie Jukes y retrouve un ancien télégraphiste et exige son aide. Mais Gunga Dass lui signifie rapidement la perte de son statut de Sahib. Pour survivre, l’ingénieur va devoir remettre à plat certaines conventions sociales, tout au moins provisoirement …Une histoire subtile. Je me suis remémoré en lisant « La marque de la Bête » Le chant de Kali de Dan Simmons. Venu en Inde pour affaires le dénommé Fleet prend part à une soirée de Nouvel An. Le personnage s’enivre considérablement. Rentrant chez lui, il fait un crochet et pénètre dans un temple dédié au dieu Hanuman. Il écrase son cigare au front de l’idole. Les prêtres grondent quand soudain un lépreux se jette sur Fleet. Quelque chose alors s’empare de son esprit …

 

Récits de bataille, récits d’autre temps, les fictions restantes ne m’ont pas passionné. Subjectivité du propos assumée.

 

  

 

SOMMAIRE

 

L'homme qui voulut être roi

la Porte des cent mille peines

l'étrange chevauchée de Morrowbie Jukes

L'amendement de Tods

La marque de la Bête

Bisesa

Bertran et Bina 

L'homme qui fut

Les tambours du « Fore and Aft »


1 commentaire:

Christiane a dit…

Harmonie du soir
"Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige,
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !"

Ce poème de Baudelaire pour exprimer ce que je ressens en lisant ce billet érudit.
C'est comme si deux voix éloignées l'une de l'autre ne pouvaient se répondre que par la beauté , l'une dans le passé, l'autre dans le présent.
Quel mystère que ce billet...