C. J. Cherryh - Les Adieux du
soleil - J’ai Lu
Rédigé à l’époque de Forteresse des étoiles, et un peu avant le premier volume du cycle de Chanur, autre pilier de son œuvre, Les Adieux du soleil apparait comme un hommage à La Terre mourante de Jack Vance, aux Ailes de la nuit de Robert Silverberg, voir aux romans de La Fin des Temps de Michael Moorcock. En un sertissage de six nouvelles sur la trame d’un Temps infiniment lointain et sur fond d’un soleil « agonisant », « lépreux », l’autrice raconte l’odyssée de personnages au cœur de quelques anciennes capitales. Presque méconnaissables mais hantées par un âge d’or révolu elles sont les têtes de chapitre et les véritables héroïnes du recueil.
Deux récits survolent l’ensemble, « Neiges d’antan
(Moscou) » et « Les fantômes vinrent à
sa rencontre (Londres) ». Aux confins du monde, Andrei
Vasilyevitch Gorodin aime s’échapper de la cité de bois érigée sur les ruines
de l’ancienne Moscou, pour pratiquer la chasse. L’océan de neige qui encercle
Moskva l’effraye et l’attire en même temps :
« Lentement, furtivement, il leva les yeux. Il vit
les capricieuses nuances célestes glisser aux faîtes des toits, s'épanouir en
corolles éblouissantes, plus éblouissantes que n'importe quelle œuvre humaine.
Là était la vraie beauté. Les hommes n'étaient que des infirmes condamnés à se
mouvoir dans un monde d'illusions grossières et stériles, sous le poids d’une
fatalité contre laquelle le travail le plus acharné ne pouvait pas grand-chose.
Il n'avait qu’un désir: enfourcher son poney, franchir la porte et galoper vers
le nord pour se fondre au cœur de ces merveilles qu'il ne comprenait pas mais vers
lesquelles tendaient ses plus profondes, ses plus ferventes prières. Galoper
sous la beauté sans merci du soleil. Jusqu'à la mort. Jusqu'au loup. »
« Neiges d’antan » qui lorgne sur « Construire
un feu » de London plutôt que sur Récits d’un chasseur de
Tourgueniev est un conte où Beauté et Mort s’entrelacent poétiquement.. Plus
proche de nous, géographiquement parlant, « Les fantômes vinrent à sa
rencontre (Londres) » - traduction romancée de « The
Haunted Tower » mais le traducteur devait être un fan de Marcel Béalu -
évoque le triste destin de Bettine Maunfry, maitresse du maire de Londres et
amante malheureuse d’un homme qui l’a instrumentalisée pour dérober des documents
compromettant l’édile. Les fantômes d’Anne Boleyn et d’Élisabeth Ire viennent insuffler un esprit de révolte à la jeune femme embastillée dans la sinistre
Tour... Un texte que n’aurait pas renié Robert Silverberg et à la thématique
somme toute d’actualité.
Moins brillant mais bien construit « Vertiges (New York
City) » emmène le lecteur au sommet d’un gratte-ciel dans un New York saisi
d’une fièvre de construction Urbicandesque. Des intérêts privés opposés
mettent en danger la vie de travailleurs funambules. Un cran en dessous, « La
mort en ce palais (Paris) » et « La longue marche (Pékin) »
ont pour thème commun la réincarnation. Dans l’un, un jeune homme choisit le
rompre le cycle des réincarnations et donc son immortalité au profit de l’amour
et la mort. Dans le second les habitants de le Cité Interdite, seul vestige de
Pékin, se préparent à affronter une armée dont les généraux incarnent la
mémoire de tyrans passés. Enfin j’ai été imperméable à « La règle du jeu (Rome) » (« Nightgame » que
vient faire Renoir ici ?) et à ce personnage Maitre des rêves d’une
cité entièrement dévolue à la fabrication de ses songes qu’elle exporte dans l’Univers.
De ce recueil au charme suranné subsistent au moins deux
nouvelles coup de cœur dans une édition illustrée par le Michel-Ange des
mauvais genres, j’ai nommé Frank Frazetta, dont on appréciera ici le travail
dans son intégralité.
SOMMAIRE
-
Prologue
-
La mort en ce palais (Paris)
-
Les fantômes vinrent à sa rencontre (Londres)
-
Neiges d’antan (Moscou)
-
La règle du jeu (Rome)
-
Vertiges (New York City)
-
La longue marche (Pékin)

31 commentaires:
Oui, Bealu a écrit quelque chose titre comme ça…Jamais lu Cherryl ni Vance. Pas le temps, ou titres trouvés qui m’ont semblé médiocres.( Vance)Ceci malgré la c pub d’un collègue…
c'est un choix original pour du Cherryh. Loin des séries à rallonge, j'ai toujours été étonnée par ce recueil qui est un des rares vrais "roman-mosaïque" (puisque ce n'est pas un fix-up).
Cet ensemble élégiaque est assez représentatif d'une époque et d'une approche (Delany, Zelazny) qui marquait sans doute la fin d'une certaine insouciance.
D'une façon logique (à cause de sa structure), c'est une livre qui a vite sombré dans l'oubli et a eu visiblement une carrière commerciale assez décevante (le seul hc connu est une édition club, même Walther qui a pillé le fond DAW ne l'a pas sélectionné pour le CLA).
Il est d'ailleurs royalement ignoré dans les études sur l'autrice (y compris dans le livre de Carmien, le seul qui lui est consacré).
Malgré cela cela, je me suis toujours demandé quelle a été la genèse exacte de ce projet (une commande ?). Je n'ai jamais trouvé de réponse pour les raisons évoqués plus haut.
Oui,ce recueil ou roman mosaique comme tu le dis si joliment, tranche avec "Forteresse des étoiles" publié lui au CLA. J'en avais lu qq pages sans plus mais ça tranchait avec les space opera délirants des ainés. Amicalement SV
https://actualitte.com/article/37098/ensables/l-experience-de-la-nuit-de-marcel-bealu-1908-1993-experience-limite
A propos de Marcel Bealu....
De Bealu, je recommande La Mort à Benidorm . Plus peut-être que l’ Araignée d’Eau.
"L'araignée d'eau" je connais, pas l'autre, merci.
Ça me fait toujours plaisir quand je vois son nom cité quelque part.
Mes souvenirs lointains, c'est la Librairie du Pont traversé et des heures à bouquiner tranquille dans la librairie.
Plus tard il est parti vers Vaugirard. (Une ancienne boucherie, je crois, dont il a gardé la façade et ses céramiques)
Je n'étais plus sur Paris. Il a dû en avoir assez des changements du quartier : restaus et bars... et beaucoup de foules sans grand intérêt pour la littérature et le silence.
Bonne soirée.
”Journal d’un mort” de Béalu,un mort qui s’obstine à vivre.
Quelle étrange idée... Je sais juste que Georges -Arthur Goldschmidt a écrit une préface pour cet ouvrage qui se présenterait comme des petits poèmes en prose .
C’est normal, Christiane, La Mort a Benidorm est une plaquette éditée chez Fanlac, à tirage réduit.Plus que les Messagers Clandestins, cependant , qui auraient été tirés à 1000 exemplaires par le Terrain Vague. Si la Mort mérite le titre de nouvelle fantastique, c’est surtout par la manière dont Bealu joue avec les Nerfs du Lecteur. Les Messagers clandestins reprennent le principe des nouvelles très breves des débuts…
Vous semblez bien connaître ses écrits. C'est impressionnant d'imaginer que ce passeur de livres, ce passionné de lecture, écrivait, cherchant un chemin dans des domaines surnaturels, oniriques.
Je ne retrouve plus le titre d’un de ses maîtres recueils! En revanche, je vois dans une nomenclature un volume de Contes Fantastiques chez Marabout.!
Des contes fantastiques ! Décidément, ce blog aimante les amateurs de fantastique, lecteurs , poètes et conteurs.
Qu'est-ce que le fantastique ? Une torsion du réel, une abolition des frontières séparant les rêves de la réalité ?
Où commence-t-il ? Est-ce dans le voisinage du mot "impossible" ?
En plus chez Marabout ! Soleil vert les a peut-être....
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/entretien-avec-roger-caillois-8-12-1ere-diffusion-30-06-1970-7729748
Des haricots sauteurs ont donc séparé Caillois et Breton ....
Hélas non! 5 livres sur au moins une vingtaine , c’est peu!
https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=25826034
120 contes !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marabout_Fantastique
Pour le régal des amateurs. Tous les auteurs de littérature fantastique édités chez Marabout.
https://www.bdfi.net/collections/pages/mar_bmf.php
Et maintenant toutes les couvertures !
Qu’est ce que le fantastique? On peut voir Todorov ( Tzvetan!) là dessus… Ce n’est pas la plus absurde.
Dans le livre de Mario Vargas Llosa, "Lettres à un jeune romancier" (Gallimard) que vous (?) m'avez conseillé, il y a une des lettres qui m'a beaucoup intéressée . La septième, "Le niveau de réalité", c'est-à-dire, "le rapport existant entre le plan de réalité où se situe le narrateur et le niveau de réalité où s'écoule le récit". En particulier quand l'un appartient au monde "réel" et l'autre au monde "fantastique". Surtout dans le cas où ce narrateur de situe sur un plan réaliste, c'est-à-dire à l'opposé de ce qu'il raconte, voire en contradiction. L'histoire qu'il transmet le "déconcerte, le stupéfie autant que nous les lecteurs". C'est vraiment le cas dans les romans lus dernièrement de Sabato, de Brion, de Richaud, peut-être de Bealu...
J'aime assez que nous alternions la plongée dans les contes, les romans et l'analyse des procédés de l'auteur.
Ce n’est pas moi qui vous l’ai conseillé. MC
Alors c'est un autre anonyme. Peu importe... les lettres m'ont plu.
Anonyme17 novembre 2025 à 12:47
Oui de même que chez Mario Vargas llosa, Flaubert influença l’œuvre de Sabato pour exprimer ses obsessions.
Je conseille ”Lettre à un jeune romancier ”de Vargas llosa pour en savoir davantage sur cette influence.
(C'était là, sous le billet précédent.)
C’est bien ce labyrinthe d’anonymes… MC
Lecture: Matin ; Les Temos Difficiles de Dickens, et , ce qui est plus dans vos cordes, SV, le trentième volume des Aventures de Perry Rhodan, sous la raison sociale Scheer et Dalton! L’Amiral arkonude tient la plume dans l’ Agonie d’ Atlantis. Pour le reste, tres Fleuve Noir SF!
Oui, je n'y prends pas goût. Ça transforme la relation, accroît l'indifférence. Reste les choses écrites qui "nous touchent de loin comme des balles perdues", écrivit Supervielle dans un poème que j'aime, "Les amis inconnus".
C'est l'ère d'internet, où meurent nos souvenirs d'une lettre trouvée dans la boîte aux lettres, d' une écriture reconnue sur une enveloppe. Un temps d'émotion avant de l'ouvrir délicatement ou follement. Un temps où se lovait le geste ancien d'une plume gorgée d'encre glissant sur le blanc du papier. L'odeur de l'encre, le buvard, la lettre postée...
Maintenant, un clavier, quelques mots tapotés, un message envoyé, parfois relu et effacé comme si rien n'avait été dit d'essentiel, comme si certains dialogues étaient vains. Les expéditeurs n'ont plus de visage, plus de grain de voix, plus de regard .
Et le rouleau tourne écrasant les échanges du billet précédent sous une pierre tombale qui s'appelle l'oubli. Certains disparaissent. Des blogs meurent, deviennent inaccessibles avec le temps.
"La Ronde" de Max Ophuls....
https://lesvoixdelapoesie.ca/lire/poemes/les-amis-inconnus
Un poème qui m'habite...
Ça me disait quelque chose! J’aime beaucoup Supervielle, dont il y a ici Gravitation, Oublieuse Mémoire, et les Amis Inconnus! ( plus la nouvelle Le Petit Bois!)
Tout de même, cette Rhodannerie! Il y a même un Capitaine Urssaf!
MC
Mais ça se lit!
Idem
Enregistrer un commentaire