Robert Silverberg - L’Homme
dans le Labyrinthe - J’ai Lu
Tout homme est à la fois
le labyrinthe et le promeneur qui s'y perd.
Grégoire Lacroix
Olivier Girard, directeur des éditions Le Bélial’ remarquait
dans son éditorial du numéro 115 de la revue Bifrost l’absence persistante sur
les étals depuis de longs mois, de nouveaux ouvrages de science-fiction de
qualité. Seraient-ils parus, ajoute-t-il, qu’un nouvel obstacle se serait alors
dressé, en cas de succès commercial : voyez L’Anomalie, qualifié de
roman Oulipien par la critique. Pire, certains esprits imbéciles saturant les
commentariums de blogs prestigieux n’y vont pas de main morte : « L’Anomalie
n’est pas un ouvrage de science-fiction ». Gilles Dumay directeur de la
collection Albin Michel Imaginaire déclare également peiner à dénicher l’oiseau
rare alors que l’offre de fantasy ne cesse d’enfler. Cependant cette mauvaise
passe éditoriale incite le lecteur à chercher d’autres voies, à puiser dans le
stock existant, voir, dans mon cas, à revisiter les chefs d’œuvre du genre.
C’est ainsi que je me suis replongé dans L’Homme dans le
Labyrinthe de Robert Silverberg. Pour en parler il me fallut cependant
déroger à un de mes principes. Pas question en effet de doublonner une
chronique ou une étude de sensibilité équivalente et de qualité supérieure. Le
travail formidable de Rachel Tanner Mythe et Space Opera paru dans Bifrost
49 aurait dû me faire taire. Mais j’aime tellement l’ouvrage, que passant outre
mes insuffisances, je vais glisser quelques mots et réflexions interstitielles.
Ce récit de 1967 raconte les efforts de Richard Boardman, un diplomate de très haut rang pour extirper Dick Muller, un ancien collaborateur, du labyrinthe de la planète Lemnos où il s’est réfugié depuis neuf ans. Muller a conçu pour l’Humanité, comme l’Alceste du Misanthrope, non pas une « effroyable haine » mais un dégout au point « De fuir, dans un désert, l’approche des humains. » Ce dégout partagé, cette « puanteur » est consécutive à un sort, une manipulation chimique réalisée par les natifs de Beta Hydri IV, où Muller fut envoyé pour un premier contact. Dès lors tout humain mis en présence de ce dernier éprouve un sentiment de tristesse et de rejet causé par la mise au jour de la somme de ses turpitudes jusque-là enfouies au plus profond de son inconscient :
-
« Vous savez. J'avais toujours
bien supporté l'isolement. Quand je vivais avec les gens j'étais
gai et cordial. Je savais plaire et j'aimais cela! Bien sûr, je
n'ai jamais été aussi rayonnant que vous ! Vous êtes aimable, noble et
gracieux, Ned. Mais je tenais ma place. J'avais des amis,
des femmes, des relations. J'étais un homme parmi les
autres. En même temps, je pouvais partir en mission pendant un
an, un an et demi, sans voir personne, sans que cela me gêne. Après,
quand je fus rejeté pour de bon par la société, je me suis rendu compte
que j'avais besoin d'elle et que je souffrais de ma solitude. Maintenant c'est terminé. J'ai dépassé ce besoin. Je pourrais encore vivre un siècle tout seul sans éprouver le désir de voir quelqu'un. Je me suis entraîné
à considérer l’humanité comme elle me considère : quelque chose de morbide
qui rend malade, qui soulève le cœur et qu'il vaut mieux éviter.
Allez tous au diable ! Je ne dois rien à personne. Je n'ai aucune
obligation envers les hommes, pas même de les aimer. Je pourrais
vous laisser pourrir dans cette cage, Ned sans éprouver le
moindre remords. Je passerais deux fois par jour devant la
cage et je sourirais à votre squelette. Ce n'est pas que
je vous haïsse vous personnellement, ou vos semblables qui
peuplent la galaxie. Non. Simplement, je vous méprise.
Vous ne m'êtes rien. Encore moins que rien. Vous êtes de la
saleté. Vous voyez, je vous connais maintenant et vous me connaissez
vous aussi.
- Vous parlez comme si vous apparteniez à une autre espèce que la nôtre, dit Rawlins, hébété d’étonnement.
- Non, j’appartiens à la race humaine. Je suis le plus humain de tous les hommes parce que je suis le seul qui ne puisse cacher sa profonde essence humaine. La sentez-vous, cette merveilleuse essence humaine ? Toute sa laideur et sa puanteur ? Ce qui est en moi est en vous aussi. Allez voir les Hydriens, ils vous aideront à la libérer et à l'émettre, et alors vous verrez tout le monde vous fuir comme on m'a fui. Je suis le porte-parole des hommes. Je suis la vérité. Je suis l'esprit enfoui sous les crânes. Je suis tes tripes et les viscères de la pensée. Je suis ce tas d'ordures que nous prétendons ne pas exister, toute cette sauvagerie bestiale faite de désirs, de convoitises, de petites haines mesquines, de maux de toutes sortes, d'envies. Et pourtant, c'était moi qui me croyais un dieu. Hybris. Voilà, j'ai été rappelé à l’ordre et remis à ma place. »
C’est ici que nous devons quitter Molière pour aborder la
véritable source d’inspiration de Robert Silverberg. Lemnos, la
« puanteur » renvoient nous dit Rachel Tanner au Philoctète de
Sophocle. Philoctète, ancien compagnon d’Hercule, fut abandonné par les Achéens
sur l’ile de Lemnos car ses plaies provoquées par la piqure d’un serpent
puaient horriblement. Mais dix ans plus tard, sa présence est requise pour
vaincre Troie. Philoctète possède en effet l’arc d’Hercule. Pour le convaincre
de revenir chez ses semblables, le rusé Ulysse envoie le jeune fils d’Achille, le
naïf Néoptolème. Dès lors tout correspond, Boardman est Ulysse, Muller,
Philoctète, Ned Rawlins, Néoptolème.
Troie n’est pas à reconquérir dans le roman de Silverberg. Un envahisseur extra-terrestre hautement technologique menace d’asservir les colonies humaines. Boardman estime qu’il ne les perçoit pas comme les représentants d’une espèce intelligente mais comme des animaux domesticables. Muller et son don particulier pourrait les faire changer d’avis. Encore faut-il l’extirper de son labyrinthe, un édifice conçu par une civilisation disparue et truffé de pièges mortels interdisant l’accès en son centre. Mais Boardman, il le sait, est depuis longtemps déclaré persona non grata. Le diplomate tente une ruse et envoie au contact de son ancien collaborateur, Ned Rawlings fils d'un ami de Muller.
Les péripéties de cette histoire importent moins que les divergences
et les confrontations verbales entre les trois principaux personnages qui
évoquent le meilleur d’Anouilh (Beckett, Antigone). On peut d'ailleurs abandonner très provisoirement Philoctète et se dire que Muller est un
Alceste lassé du genre humain, Boardman est aussi un Créon pragmatique, sans scrupule,
n’écartant aucun stratagème pour faire triompher la raison d’Etat, et Rawlins,
dans ses échanges avec ce dernier, une Antigone idéaliste détestant le mensonge :
- Il a eu neuf années pour s’habituer à ce labyrinthe, Quels maniements a-t-il appris, et quels pièges a-t-il su utiliser pour se défendre ? (Il marqua une pause et reprit) : nous savons seulement qu'il a mis au point un système destiné à faire sauter tout le labyrinthe si quelqu'un pointait une arme sur lui. Non, je ne veux pas prendre le risque d'une action offensive. Il a trop de valeur pour nous. Il faut qu’il sorte de cet endroit de son plein gré, Ned. C'est pourquoi nous en sommes réduits à le tromper avec de fausses promesses. Je sais que c'est ignoble et que cela pue. Mais parfois, l'univers entier pue. Vous n'avez pas encore remarqué cela ?
— Il
n'est pas obligé de puer ! dit Rawlins violemment, élevant la voix. C'est la
seule leçon que vous ayez apprise pendant toutes ces années ? L'univers ne pue
pas ! C'est l'homme qui pue ! Et il pue de propos délibéré, parce qu'il préfère
puer que sentir bon ! Nous ne sommes pas obligés de mentir ! Nous ne sommes pas
obligés de tricher ! Nous pourrions choisir la franchise et la propreté...
Rawlins se tut
subitement. Il reprit plus doucement :
Je dois vous paraître solidement naïf, n'est-ce pas, Charles ?
— Vous
en avez le droit, répondit Boardman. C'est le privilège de la jeunesse.
— Pensez-vous
sincèrement que l'univers est pourri et qu'il a été créé par un esprit
malfaisant ?
Boardman toucha
le bout de ses doigts boudinés et courts.
— Ce n'est pas
exactement cela. Il n'y a pas une puissance du mal qui règle l'ordre des
choses, pas plus qu'il n'existe une puissance du bien. L'univers est un immense
mécanisme impersonnel. Son fonctionnement le conduit à exercer de temps en
temps une contrainte sur certaines de ses parties qui peuvent en souffrir et
disparaître à cause de ce qui leur paraît une injustice, mais l'univers
s'en fout, parce qu'il peut les remplacer, Il n'y rien d'immoral
dans ce rejet, mais on ne peut empêcher les parties lésées de penser que
cela pue. Quand nous avons envoyé Dick Muller sur Bêta Hydri IV, deux petites
parties de l'univers se heurtèrent. Nous devions l’envoyer là-bas parce que
notre nature nous pousse à essayer de découvrir toujours plus loin, et les
Hydriens ont agi de la sorte avec lui parce qu'ils obéissaient à des lois de
leur nature. Le résultat fut que Muller revint de Bêta Hydri IV en mauvais état.
Il avait été coincé dans la machinerie de l'univers et il avait été broyé.
Maintenant, il va y avoir un second heurt entre deux parties de l'univers, tout
aussi inévitable, et nous devrons jeter une nouvelle fois Muller dans les
engrenages de la machine. Il y a de grandes chances pour qu'il soit à nouveau
mis en pièces - et cela pue, je le reconnais - mais pour en arriver là, il faut
que vous et moi nous nous salissions un peu nos mains et nos âmes. »
Le Cosmos de Silverberg est impersonnel ; ses
engrenages renvoient au titre d’une pièce de Cocteau La Machine Infernale
là aussi inspirée du théâtre de Sophocle. Machinerie de l’Univers contre
machinerie du Destin … Sans dévoiler la conclusion du récit on n’imagine pas,
tragédie oblige, Muller renouer avec le genre humain : « J’ai
appris la vérité sur les hommes » dit-il. Le final tout en retenue en
évoque un autre, tout en pathos, celui de Dans le torrent des siècles de
Clifford D. Simak :
— Il
fallait qu'il continue de penser qu'il y avait quelques humains qu'il avait pu
aider, qu'il y avait quelques humains qui croyaient encore en lui.
Herkimer hocha la tête :
— C'était
la seule chose à faire, Eva. C'était ce que vous deviez faire. Nous lui avons
assez pris, assez pris de son humanité. Nous ne pouvions pas la lui rendre
toute.
Elle porta les mains à son visage, courba les épaules et
ne fut plus qu'une femme, une androïde, qui sanglotait, le cœur brisé. »
97 commentaires:
Oui, c'est beau la science-fiction.
Les personnages qui se croisent dans ces lectures diverses dessinent un homme solitaire volontairement. Ils construisent des barrages ofalctifs ou psychiques pour tenir à distance les autres dont il désespère.
A première lecture c'est ce que je retiens : un Alceste mélancolique.
Quel beau choix... Un livre qui me tentait et je n'ai pas été jusqu'au bout de ce désir. J'attendais un ambassadeur. Le voilage !
Ce billet n'est pas un billet mais une longue méditation sur la naissance d'un personnage, celui de Silverberg.
Celui-là, je vais prendre le temps de le lire de me souvenir des livres que vous citez, Soleil vert.
C'est un grand bonheur.
Mais il faut que je relise cette page.
"Tout homme est à la fois le labyrinthe et le promeneur qui s'y perd."
Grégoire Lacroix
Belle introduction !
On peut dire aussi que le labyrinthe est un lieu dont on ressort, perdu....
Mais dans ce tissage, le personnage de Miller apparaît en filigrane. Boardman (que vous comparez à Ulysse) n'est pas très honnête (d'après votre billet) envers Muller puisqu'il veut le sortir de sa retraite pour le mettre en danger afin d'arriver à ses fins.
Toutes ces tragédies écrites par des d'auteurs différents à des époques différentes cernent un même type de personnages. Un homme déçu par des pairs et qui n'a pas envie de les retrouver.
Un Robinson dont la vie est un naufrage mais qui veut rester dans son île ?
Un Robinson, non
Un Alceste pressé "De fuir, dans un désert, l’approche des humains."
C'est pour cela que j'ai écrit qu'il veut rester dans son île. Quant au naufrage, c'est sa vie. Vous laissez supposer qu'il est le rescapé d'un terrible engrenage mortel.
Merci de votre collaboration !
Sacrée bonne idée de s’y replonger.
M’a fait penser un peu à Clarke ”Rdv avec Rama ”.
Parle de l’isolement de l’humanité et de notre besoin sans fin les uns des autres.
On pardonnera à l’auteur un sexisme un peu trop présent mais ça va avec l’époque .
Exact : femmes ou/et cubes érotiques ...
Dernière version 29/07/24 19:30
C'est intéressant votre évocation de l'Antigone de Jean Anouilh. Il laisse le côté sacré de la tragédie
antique et choisit de la mettre en valeur par sa jeunesse, sa force de révolte. Elle est profondément libre et lutte contre l'injustice, résiste.
Je comprends mieux les raisons qui vous conduisent à relier le personnage de Ned Rawlins à Antigone. Il est manipulé par Boardman mais le dialogue que vous avez inséré dans le billet, très subtil , montre la confiance qui s'établit entre ce jeune idéaliste et Muller.
Y a-t-il une ressemblance psychologique entre le Minotaure et Thésée ? Et entre et Muller et Ned ?
Les deux veulent approcher le reclus par la ruse, l'un pour le convaincre de quitter le labyrinthe, l'autre pour le tuer et délivrer Ariane. Les deux reclus se ressemblent, tous deux rejetés par les hommes et trouvant leur survie dans un labyrinthe qui les protège et devient leur demeure. Donc Ned ne trahira pas. Boardman, c'est autre chose.
Hâte de lire le roman après cet immense travail d'approche que vous nous offrez.
Donc, il l'a mis dans une cage et parle enfin avec toute sa rage, son dégoût après ces années de solitude.
Il faut qu'il ait confiance en Ned , qu'il présente sa droiture pour remarquer sa beauté et le lui dire au milieu de toute cette colère.
Donc Ned est arrivé à entrer dans le labyrinthe, s'est fait piéger mais n'est pas mort.
S'il vous fait penser à Antigone c'est qu'il va remettre en cause les ordres de Boardman.
Hâte de lire le livre.
Comme d'habitude , Silverberg semble ciseler ses dialogues, fouiller la psychologie de ses personnages. Il fait du neuf avec un mythe.
Vous avez dit que ce personnage vous ressemble dans un commentaire , hier.
Hum !
pressente
C'est Rachel Tanner qui a tout vu
On peut la lire où ?
Pour revenir à la mythologie, les Grecs surent que la ville ne pourrait jamais être prise si Philoctète ne venait combattre au milieu d'eux.
Ils envoyèrent donc un ambassadeur le chercher à Lemnos, où il se trouvait, malade, triste, couvert de plaies, pour le convaincre de revenir à Troie.
Ulysse, rusé, choisit pour se faire, le jeune fils d’Achille, Néoptolème...
"Dès lors tout correspond, Boardman est Ulysse, Muller, Philoctète, Ned Rawlins, Néoptolème."
Oui. Tout cela est lumineux.
J'aime votre choix, Soleil vert : les relations de la mythologie grecque avec l'univers intersidéral, les astres , les constellations de la science-fiction. Encore que cette mythologie est l'univers des dieux de l'Olympe qui prirent figure humaine pour engendrer des fables.
l'Iliade est le monde des passages. Achille est sa forme accomplie.
Les Grecs furent attirés par les énigmes.
Ici , Troie semble remplacée par une planète menacée par des envahisseurs d'un autre type, le labyrinthe du Minotaure par une ville labyrinthe, déserte (?), où Muller s'est exilé.
Ce qui semble insupportable à ses pairs, la raison de sa solitude a peut-être à voir avec ce flot de paroles rageuses qu'il déverse sur le jeune Ned Rawlins, abasourdi. Le malheur de l'exil n'est-il pas de ne plus pouvoir parler ?
Vous avez choisi un autre dialogue (entre Boardman et Ned) où l'on décèle la droiture de ce dernier : "Nous ne sommes pas obligés de mentir ! Nous ne sommes pas obligés de tricher ! Nous pourrions choisir la franchise et la propreté..."
Ces personnages, ressurgis de la mythologie grecque viennent hanter l'univers intersidéral et semblent insuffler à Robert Silverberg un songe propice à ensemencer son écriture.
Œdipe répond à l'énigme du Sphinx : "L'homme". La réponse de Muller à Ned c'est aussi "L'homme"... Mais elle est emplie de dégoût.
Œdipe est le plus malheureux des héros. Muller et Ned Rawlins le seront-il aussi ?
Les légendes grecques s'ouvraient avec le mélange de la terre et du ciel.... comme elles le sont dans l'univers de Silverberg.
Muller serait-il le dernier des héros, abandonné dans cette ville-labyringhe ? Celui qui prolonge sa vie par un dernier voyage. Il n'y a pas d'Ithaque pour lui, pas de retour désiré. Il s'isole.
Quand il s'est agi de retrouver Achille pour l'attirer à Troie, Ulysse choisit la tromperie la plus lâche comme semble le faire Boardman qui dit à Ned (billet) : "et cela pue, je le reconnais - mais pour en arriver là, il faut que vous et moi nous nous salissions un peu nos mains et nos âmes. "
Zeus voulait la fin des héros. Il provoquait des guerres pour que la terre s'allège des mortels....
Les héros étaient tapis dans le ventre d'un cheval de bois traîné jusqu'à sous les murs de Troie. Si Muller accepte de revenir quel ruse sera le cheval de Troie ?
J'aime cette attente d'un roman grâce vos billets. J'ai le temps de rêver le roman, d'en précéder la lecture par les indices que vous laissez.
Vous êtes le Sphinx et moi Oedipe ! Silverberg, en écrivant cet homme du labyrinthe semble vivre le rêve qui l'a précédé. Les dieux exigent la conscience de la faute. On est en plein coeur du sujet. Les dons des dieux sont empoisonnés comme ceux des écrivains. Tout se passe sans témoin entre un lecteur et son livre.
Donc je cesse d'imaginer pour entrer dans ce que Robert Silverberg a créé.
Quelques pages pour situer Muller dans ce labyrinthe. Il est prudent. De déplace avec une arme. Chasse pour se nourrir.
Ce lieu est loin d'être sans danger pour lui. Toute une faune agressive l'habite aussi.
Lemnos et son labyrinthe "gigantesque ! Plusieurs centaines de kilomètres de diamètre !, entouré d'anneaux concentriques constitués de murs en pierre atteignant cinq mètres de haut"..
Une planète située à quatre-vingt-dix années lumière de la Terre.
Un ciel.
Des étoiles palpitent. Il leur a donné un nom.
Une étoile lointaine, il pense que c'est le soleil de la Terre.
Trois lunes dans le ciel. Donc "un triple clair de lune".
******************************
Puis un son inhabituel, jamais entendu en neuf ans. Un vaisseau spatial en approche. Sa réaction : la colère.
"Après neuf années, il n'était plus seul sur ce monde. Ils avaient détruit sa solitude."
Et page 13, nous sommes dans le vaisseau. (J'en profite pour complèter l'identité des personnages. Voilà donc les prénoms qui m'intriguaient. Charles (Boardman), Dick (Muller), Ned ( Rawlins).)
Silverberg réussit en huit pages à nous conduire ailleurs, dans une immensité inconnue. Des mondes lointains, inhospitalièrs....
Un Philoctete yankee, dégouté, qui ne connaitra pas le Pardon d'Oedipe à Colone, le tout avec forces tartines moralisantes.Vous aimez vraiment cela??? MC
Bonjour, MC.
J'en suis à la page 13. C'est trop tôt pour vous répondre. Je découvre...
En attendant page 22 une osmose entre les deux labyrinthes.
Rien que pour vous, cher râleur.
(Ah, question subsidiaire : l'avez-vous lu ?)
Donc. "Les douze premières expéditions sur Lemnos n'avaient jamais réussi à trouver un chemin dans le labyrinthe ; chaque homme qui avait tenté d'y pénétrer avait péri."
Seul Richard Muller avait réussi.
Ne gâchez pas mon plaisir.
Une gravure inouïe et un texte de J. Attali très intéressant.
http://passerelles.essentiels.bnf.fr/fr/image/72499ed3-68bb-440f-9cc3-e51a89e0cd1b-labyrinthe-crete-et-histoire-thesee-et-ariane-1
Je prends un bain de pied dans une eau fraîche, tout en lisant. Mon monde est parfait.
Vous avez choisi "Œdipe à Colone". Très interessant. La dernière pièce de Sophocle. Je la préfère à "Oedipe Roi". Dans cette pièce il y a une discussion à propos des pouvoirs de la ville pour chasser Œdipe et l’exiler définitivement.
On retrouve le vieil Œdipe aveugle sur la route.
J'ai lu deux romans d'Henri Bauchau extraordinaires. "Œdipe sur la route" et "Antigone".
Œdipe est encore sur la route mais c'est celle de la la connaissance de soi, libérée de la culpabilité et du remords. Antigone, qui l’accompagne jusqu’au bout, symbolise cette route de la réalisation de soi.
Henry Bauchau situe Œdipe sur la route, depuis son départ de Thèbes jusqu’à son arrivée à Colone. Son roman est entre les tragédies de sophocle, "Œdipe roi" et "Œdipe à Colone".
Borges, un autre voyant aveugle. Henry Bauchau qui l'admirait a ecrit à sa mort :
"J’apprends la mort de Borges. Je n’admire pas seulement en lui un des plus grands écrivains, un des plus grands esprits de notre époque, mais aussi l’homme qui a su faire face à la cécité avec tant de courage. Qui a pu rester voyant en devenant aveugle et découvrir, à la fin de sa vie, son Antigone."
Les réécritures sont une noria. J'aime leur chant d'eau vive.
.
Il y a surtout une formidable dimension de Pardon dans Oedipe à Colone! On le chercherait en vain ici, avec ce PhilOedipe déchainé! MC
On peut aussi le comprendre comme cela: "Or Donc, Le Dieu de la SF apparut à Silverberg, et lui dit: "Tartine-moi un Philoctète qui ne soit ni antique ni présent. Utilise la Cosmologie que tu voudras. Modifie le personnage comme tu veux, de telle sorte que seule, il faut bien une exception, , Rachel Tanner le comprenne. Mais tu as le temps, il faudra attendre trente ans. D'ici là, soit le plus elliptique, le plus illisible, le plus confus que tu pourras!" Il dit et s'évanouit, et Robert, frappé de cet ordre, s'exécuta avec le succès que l'on sait...
Parfois, vous me faites peur, MC. Quand la détestation vous submerge vous dites des sottises. Vous parlez comme un forcené. Vous n'aimez pas Silverberg. Cela vous autorise-t-il à écrire ces énormités.
Vous me décevez.
Vos certitudes vous rendent aveugle.
C'est comme le jour où vous souteniez, ici, que cette malheureuse fillette violée n'était pas juive. Vous vous êtes rattrapé en inventant l'histoire d'une autre enfant dont personne n'avait entendu parler sauf vous ! Tout ça pour continuer à ne jamais admettre que vous avez tort.
Pensez ce que vous voulez de Silverberg. Moquez-vous en votre for intérieur et épargnez les lecteurs de Soleil vert de vos délires.
Je ne vous salue pas.
Au chapitre deux, Silverberg dresse un portrait psychologique de Muller d'une grande finesse. "Il ne haïssait pas sa propre espèce ; il voulait simplement qu'on le laisse seul et en paix."
Ainsi on apprend que lorsqu'il avait quitté la Terre, il avait essayé de ne laisser aucun indice sur sa destination.
Dans le chapitre précédent, une conversation entre Ned Rawlins et Charles Boardman nous apprend que dans le passé Dick Muller était un homme d'honneur, un homme de bien. Et que maintenant son esprit est infesté d'horreurs qu'il déversera sur les visiteurs éventuels, "le trop-plein de tout ce qui s'est accumulé dans son âme."
Boardman se demande pour quelles raisons il accepterait maintenant d'aider la Terre ?
J'aime ce moment de la lecture d'un roman, celui où les personnages prennent consistance, où le lecteur commence à pouvoir imaginer ses actions, ses pensées. C'est une marque de Silverberg. Ses romans sont plus psychologiques que d'action bien que le bain du récit soit un bel espace de science-fiction. Rien n'y manque, ni les vaisseaux, ni les créatures étranges, ni les astres et étoiles tels qu'ils sont rêvés dans ces récits SF. C'est un dépaysement comparable à celui que nous offrent les récits mythologiques. Ds univers imaginaires où l'être humain est contraint de réfléchir, d'improviser, de s'adapter.
Je pense à Méliès, à Jules Verne, à toutes ces fictions qui rompent les amarres.
Qu'est-ce qui est arrivé à Muller pour le conduire ainsi à fuir la Terre et et les hommes ? J'aime deviner peu à peu....
ville-labyrinthe / quelle
Cette cité, ce labyrinthe où vit Muller depuis neuf ans porte les traces des occupants qui l'ont conçue et bâtie.
Ainsi l'existence d'eau qui ruisselle alors qu'il n'y a ni pluie ni orage. Cette invention inconnue qui la protège des dégradations et de l'usure. Pas d'érosion. Ce système de trappes coulissantes construites au pied des murs.
Muller pensait que sous la cité existait un système de machineries très efficace.
"Il était difficile d'imaginer des êtres capables de construire une ville pareille, destinée à survivre des millions d'années."
Ils avaient disparu des mondes connus de l'univers laissant cette "forteresse" bourrée de pièges, d'une diabolique ingéniosité qui leur servait de protection....
Muller pensait que l'univers était donc peuplé hors du système solaire....
Là on s'éloigne du labyrinthe de Knossos conçu uniquement pour y cacher et enfermer un monstre, mi-homme, mi-taureau, le Minotaure.
Encore heureux qu'on s'éloigne un peu de Cnossos! Mais que voulez-vous, à mes yeux, tout cela ne dépasse pas une série B de SF! Et je ne peux quand meme pas adorer tout ce que vous adorez parce que c'est la Bibliothèque De Soleil Vert! Sur ce point là, ce n'est pas la mienne, et c'est tout. MC
Lisez le MC
J'aime beaucoup l'approche difficile du labyrinthe par Boardman et Ned. Déjà, le survol qui permet de saisir la structure de la cité, une présence par le détecteur de masse, les tentatives prudentes d'envoyer un engin de sondage téléguidé qui va être détruit par le champ protecteur anti- missile et anti objets volants. Les intrus ne sont pas désirés.... Un engin blindé suivra. Détruit !
Comment faire sortir le misanthrope du labyrinthe si on ne peut y pénétrer ?
Trahi et démoli par la mission que la Terre lui avait confiée, le persuader de revenir pour une mission, identique, a peu de chance d'aboutir....
C'est là que Boardman a l'idée d'envoyer Ned et de mentir à Muller. Raison d'État !
Céder la place à l'homme puisque tous les robots ont été anéantis.
Cette évolution voulue par Silverberg est intéressante : retour à l'homme, plus fort que les robots mais plus dangereux car il peut manipuler par le mensonge.
Silverberg, de livre en livre, semble en colère, de plus en plus subversif, porté
à dénoncer le mensonge et les faux-semblants.
Ce roman présente un très beau personnage, Muller et son double plus jeune, probe mais naïf, Ned.
Sur fond d'une cité perdue dans les étoiles, on suit pas à pas, les problèmes de conscience des trois personnages. Ne pas oublier Boardman qui est très lucide et très conscient de la crasse qu'il s'apprête à faire à cet homme, qu'il estime, Muller, en l'utilisant pour une raison d'État même en l'envoyant vers une mort certaine. Il est lâche, il le sait.
J'aime bien l'itinéraire de Silverberg. Il fait exploser la science-fiction en lui insufflant une sensibilité nostalgique et révoltée. (Je pense à Albert Camus.)
Il fait de ce mythe grec la racine d'une douleur.
Un peu comme l'a fait Friedrich Dürrenmatt dans ce texte splendide : "Minotaure" (traduit de l'allemand par J-P. Clerc.)
Ainsi, son minotaure trompé par le masque de taureau que portait Thésée, crut avoir un ami. "Il oublia en dansant la malédiction. Il n'était plus qu'allégresse, amitié, légèreté, tendresse. Il dansait. Heureux d'avoir retrouvé les minotaures. (...) Le Minotaure se précipita dans les bras ouverts de l'autre, assuré d'avoir trouvé un ami, une créature pareille à lui (...) l'autre frappa et il abattit le poignard dans le dos d'une main si sûre que le minotaure était déjà mort quand il tomba."
C'est passionnant de découvrir la vie d'avant de Dick Muller. Ainsi un grand chapitre (3) nous conduit sur Terre et dans d'autres mondes où il vit heureux, voyage beaucoup, un peu comme ambassadeur . On apprend qu'il a été heureux en ménage . Puis ces fameuses vacances sur une planète, sorte de copie de la Terre. Une femme, près de lui, Marta. Pas seulement belle et sensuelle. Très sensée aussi.
Donc une vie simple et tranquille jusqu'à l'arrivée de Boardman qui lui demande de l'aide à propos d'un peuple inquiétant la Terre. Des créatures intelligentes et agressivesvivant sur Bêta Hydri IV. Accepterait-il de les rencontrer ?
Comment refuser alors qu'il est jeune, avide de gloire. Être le premier ambassadeur auprès des Hydriens...
Marta essaie bien de le dissuader. Elle sent un risque funeste dans cette expédition, lui demande de refuser. Il y va...
Il se souvient de son échec qui l'avait brisé et sa fuite d'infirme vers la planète morte.
"Maintenant, triste et sans joie", il vivait dans cette cité qui le protégeait avec dans ses bagages, ses cubes de lecture et de musique, ses cahiers de dessin, son magnétophone, ses médicaments.
Il avait fini par admettre son destin, à l'accepter.
Ah, je pense à L'Etranger de Camus. Muller aussi est étranger à la société des humains. Il vit en marge, solitaire. Il refuse de mentir. Une vérité encore négative. Il accepte de mourir loin de la Terre. Son choix. Son obscurité dans ce monde absurde.
Silverberg construit son roman habilement. Tout vient. Tout s'éclaircit mais lentement par petites touches précises.
Le roman est agréable à lire. Un beau travail de traduction offrant un texte souple, non bavard. Un ton qui sied au récit.
"L'homme dans le labyrinthe" est traduit de l'anglais (États-Unis) par Michel Rivelin.
Je l’ai lu, SV , et n’ai pas du tout été convaincu, je vous l’assure!
Ce roman est d'une profondeur inouïe, Soleil vert, profondeur qui conduit le lecteur loin de la science-fiction.
Ainsi ce très long chapitre réservé à cet échange entre Boardman et Ned. Boardman envoie Ned, hésitant, vers Muller pour le persuader - à grands renforts de mensonges - qu'il doit sortir du labyrinthe et le suivre.
On assiste à la révolte du jeune Ned devant cette trahison. La perversité de Boardman arrive à retourner tous les arguments de Ned par la raison d'État ou plus sournois il lui suggère que cet "univers est impersonnel. Que son fonctionnement le conduit à exercer de temps en temps une contrainte sur certaines de ses parties qui peuvent en souffrir à cause de ce qui leur paraît une injustice, mais que l'univers s'en fout, parce qu'il peut les remplacer. Il n'y a rien d'immoral dans ce rejet ..."
C'est écrit au cordeau. Efficace .
On pense à tant de situations, de dilemmes, de doutes.
Un aparté émouvant quand Ned pensait qu'il avait des grandes chances de trouver la mort comme les autres éclaireurs qui ont été sacrifiés. Cette pensée le soulageait car pensait-il, "c'était le seul moyen d'éviter les problèmes moraux. Aussitôt formulée, il repoussa cette idée avec horreur. Il fixa l'écran du récepteur.
- Allons-y, dit-il. Je suis fatigué d'attendre."
Les questions et réponses de Ned Rawlins révèlent l'attitude de l'homme, encore jeune, qui refuse les injustices et le mensonge et veut garder son entière liberté d'esprit, mais ses protestations sont empreintes déjà, de ce sens des limites. Il sent la déshumanisation de Boardman dont la vision réaliste et sombre va donner sa tonalité à la suite des évènements.
La fin justifie-t-elle les moyens ?
Je pense à ces lignes dans les Carnets de Camus à propos de la logique absurde de Caligula :
"Non, Caligula n'est pas mort. Il est là. Il est en chacun de vous. Si le pouvoir vous était donné, si vous aviez du coeur, si vous aimez la vie, vous le verriez se déchaîner, ce monstre ou cet ange que vous portez en vous. Notre époque meurt d'avoir cru aux valeurs et que les choses pouvaient être belles et cesser d'être absurdes."
Je pense au personnage de Cherea, celui qui refuse d'adhérer à la logique absurde de Caligula .
Ce chapitre de "L'homme dans le labyrinthe" est un chef-d'oeuvre de noirceur.
Il me semble que Muller va consentir à aider les Terriens mais qu'à la fin du roman il se détachera de sa part humaine et qu'il retournera dans son labyrinthe, sa planète... dans "la tendre indifférence du monde" ... comme Meursault
dans "L'Etranger" de Camus.
Camus n'écrivait-il dans Sisyphe : "L'homme absurde est le contraire de l'homme réconcilié."
Silverberg est un inquiet qui se heurte aux frontières de sa vie. Ses romans sont sa révolte, ses rêves.
Une plongée, aussi, dans le monde de l'enfant qui regardait la Lune et les étoiles avant d'entrer dans le royaume de la rencontre.
Ce qui est passionnant dans ce roman c'est l'inversion de la mythologie grecque.
Philoctete suite à la morsure du serpent dégageait des odeurs insupportables, d'où son exil forcé sur Lemnos.
Muller est aussi exilé sur une planète nommée Lemnos mais lui y va volontairement pour fuir les hommes. Pour ne pas leur nuire. Donc il doit encore les aimer.
Ses émanations ne sont pas des odeurs mais des pensées négatives qui éveillent chez ses interlocuteurs l'horreur propre aux vilenies cachées dans leur subconscient.
Il est soumis à cette horrible punition pour avoir eu trop d'orgueil. Il le dit à Ned. Il voulait être un héros, que l'on parle de lui, qu'on l'honore.
Je n'ai pas encore deviné pour quelles raisons les hommes ont besoin de lui. Que peut-il leur apporter ?
Il a un pouvoir maudit par cette calamité. Il peut faire du mal psychiquement aux autres sans le vouloir.... Est-ce cela ?
Silverberg est époustouflant. Il connaît sur le bout des doigts la mythologie grecque. Ici il mêle l'incarcération du Minotaure et celle de Muller puis les émanations putrides de Philoctete avec celles mentales de Muller. Il est vraiment doué.
Pablo sur la RdL évoquait l'hybris, cette démesure d'orgueil, ce nombrilisme, cet envahissement de soi par soi. Ici c'est vraiment le cas.
Tout ça est passionnant.
Oh l'orage arrive. Ça roule là-haut. De l'électricité rasante qui vient de gros nuages noirs. J'éteins le Smartphone.
Ned Rawlins a approché Muller et de ce fait "mis à jour ses propres démons" , les siens et ceux de l'humanité... "les larmes des choses.", dit-il.
C'est un passage très poétique dans le roman.
Ainsi il est face "à la fureur, l'abandon, la solitude, l'isolement, la désolation, la rage impuissante" et même la folie de Muller. "Un hurlement silencieux", dit-il.
Il sait qu'il ne risque rien car il a comme "regardé dans l'âme de cet homme."
Il dit à Charles - qui n'y comprend rien - : "c'est un homme bon". Il distingue ces émissions de son émetteur.
C'est un passage très obscur du roman qui me plaît beaucoup.
Viennent alors pour Ned et Muller l'apparition-disparition des cages.
A lire vos extraits, Soleil vert, j'avais cru que Muller avait piégé Ned dans une cage. Il n'en est rien. "Des barres glissent et disparaissent ou apparaissent dans le pavement".
Cette planète, Lemnos, désertée par ses occupants continue à être diablement réactive et semble décider qui elle épargne, qui elle tue à grands renforts de pièges sophistiqués si elle décèle un ennemi. Le fait qu'elle a épargné Muller et maintenant Ned, semble participer à un projet mystérieux.
C'est dans une de ces cages où ils sont tous les deux que se place ce flot de paroles hargneuses de Muller, que vous avez cité.
C'est là que je lis, dans les aveux de Muller : "Quand un homme veut dépasser sa condition les dieux se chargent de le broyer. Cela s'appelle Hybris. (...) Je me sentais un dieu. J'étais un dieu. (...) Vous voyez, la vérité a éclaté. Je n'étais pas un dieu. Seulement un pauvre homme mortel qui avait subi des désillusions à propos de sa déité. Les dieux (...) ont décidé qu'il faudrait que je me souvienne toujours de la bête misérable cachée sous la dépouille humaine. (...) Ils ont agi sur moi et je suis revenu sur terre. Héros et lépreux à la fois. Quand on s'approche de moi, on devient malade ...."
Et il termine par ces mots : "je m'excuse. Je n'ai plus l'habitude des hommes.... Je suis arrivé à aimer ma solitude." (p.171)
Ainsi peu à peu, le récit de Muller éclaire cette aventure fantastique imaginée par Robert Silverberg. Une aventure qui est à mi-chemin entre la science-fiction et la philosophie.
Vous avez bien choisi. La lectrice que je suis marche à fond !
Je viens de terminer ce fabuleux récit. La fin (que je tiens secrète) je l'avais devinée en relisant L'Etranger de Camus.
Ce Muller est attachant même dans sa perte d'humanité finale. Ned Rawlins est son double lumineux. Très très beau roman. Merci, Soleil vert.
PS : ne vous pressez pas d'aller sur Lemnos. Vos chroniques sont un chemin sûr vers les étoiles.
Je vais aller faire un tour chez Edel. Le seul interlocuteur qui m'intéresse à part vous. Enfin son blog, pas lui. Lui demeurera dans mes souvenirs un point d'interrogation.
Vous souvenez-vous, Soleil vert, des premières lignes de Caligula ?
Camus y répète un mot avec insistance : RIEN.
Ce sont des patriciens dans une salle du palais. Ils attendent... Ils s'énervent et répètent :
-Toujours rien.
- Rien le matin, rien le soir....
Rien ..."
Camus ose faire débuter cette tragédie par la répétition de ce mot.
Il me semble que Muller retournant sur sa planète Lemnos a laissé ce mot aux hommes.
Seul Ned le comprend :
- Il est au-delà de la haine. D'une façon ou d'une autre, il est en paix. Quoi qu'il soit devenu...
Étrange roman beckettien, camusien. J'ai aimé.
J'aime la façon dont Silverberg a supprimer la malédiction qui pesait sur son personnage. J'aime la liberté de celui-ci pour choisir son destin.
supprimé
Il y a autre chose : la transmission de pensée sans les paroles. Cela peut-être utile face à des étrangers qui ne comprennent pas votre langue et dont vous ne parlez pas la langue. Muller abasourdit ceux qui l'approchent non par les paroles mais par la transmission de pensée. Il serait un ambassadeur idéal s'il arrivait à communiquer sans la parole.
Cela me rappelle le film "Premier contact" dont nous parlions récemment .
Là c'était des signes. Mais je ne peux aller plus loin par respect pour des lecteurs qui ne connaîtraient pas le roman. Avant de lire la fin que je n'avais pas deviné, je calais sur les raisons de Boardman de s'entêter ainsi à convaincre Muller de venir avec eux de gré ... ou de force. Silverberg est prodigieux. De plus dans l'épilogue qu'il propose, il y a une grâce, comme un pardon des dieux qu'il avait offensés par sa mégalomanie, son orgueil..
devinée
"Premier contact", le film de Denis Villeneuve . (2016)
Il reste quand même une énigme. Si on comprend que Muller a cherché une planète inconnue loin de la Terre pour fuir les humains dans la première partie de sa vie. Il sentait qu'il leur faisait du mal en les approchant car il diffusait indépendamment de sa volonté des pensées horribles allant jusqu'au malaise, comment expliquer qu'une fois qu'il les a aidés, délesté comme par magie de cette malédiction, il choisisse la solitude et le retour à Lemnos plutôt que le retour au milieu des siens sur Terre.
Qu'est-ce qui peut être plus fort que l'autre pour l'homme qui n'est pas fait pour vivre seul ?
Cette planète n'est guère attirante, envahie par des bestioles carnivores, des dalles coulissantes ouvrant sur des précipices et autres joyeusetés.
Alors, que cherche-t-il dans ce projet de retour. Quelle joie, lassitude ou paix l'attendent au bout de son voyage. On n'est pas dans Œdipe à Colone. Il ne cherche pas un tombeau béni des dieux.
Il n'a pas d'enfant à qui transmettre un secret sauf peut-être ce fils spirituel, Ned Rawlins, qui pour l'instant ne fait pas partie de son projet de retour.
Il a fait une expérience incroyable avec ces êtres intelligents sans langage connu. Du moins eux l'ont fait.
Par deux fois des êtres venus d'ailleurs ont manipulé son cerveau. Les premiers en le rendant dans impossibilité de fréquenter les humains. Une sorte de punition. Les seconds en lui offrant une virginité absolue. Une sorte de pardon ou un hasard. Sa mémoire n'est pas effacée c'est le surplus pernicieux qui a disparu.
Alors ?
Déshumanisation ( cf, L'Etranger de Camus. Mais il n'est pas Meursault) ou autre chose...
Peut-être le temps de rencontrer sa vérité... Peut-être une rencontre avec une autre forme de vie intelligente... Peut-être le temps de lire, de s'imprégner de musique, du ciel aux trois lunes, des planètes inconnues... Soit le temps de l'accueil de l'étranger que certains nomment Dieu ou entité.
C'est un explorateur d'infini. Un roman inachevé pour le grand plaisir du lecteur.
J'ai regardé ces grands sportifs remonter la rue Lepic puis contourner Montmartre et se retrouver pile poil devant la Tour Eiffel, heureux. C'était beau ces hommes sur leur vélo. Parfaite osmose entre l'homme et la machine sauf quand un pneu crevait. Parfaite entente entre les partenaires. C'était beau et autour d'eux des gens heureux ... Toutes les nationalités rassemblées au bord des rues. Comme au bord des piscines. Ô ces grandes éclaboussures autour de ces hommes-poissons ! Et des sauts à en perdre la gravité et des combats sur tatami où deux se cherchent et... se trouvent. Et tout ça dans un Paris magnifié par les vues plongeantes. Et tout ça filmé au plus près des corps, des visages. Que d'efforts et de rêves pour en arriver là... Parfois toute une vie de travail dans les gymnases depuis l'enfance. Que viennent les jeunes dans les clubs !
L'autre dans la joie... On oublie les rides et les miasmes du politique.
C'était un oeil sur le monde , sur cette terre si belle quand le sport lui monte au cœur.
C'est mieux que la guerre et les bombes...
L'image qui me reste de Muller c'est un homme en paix, regardant les étoiles.
Est-ce que le destin est la fermeture de l'être sur lui-même ?
Ce que j'aime chez vous, Soleil vert, c'est que les commentaires ne sont pas considérés comme des textes définitifs. On peut avoir plusieurs opinions contradictoires, laisser des questions en suspens. Laisser passer du temps, revenir, achever ou prolonger une discussion
Car ce qu'on écrit est souvent incomplet, obscur. Les textes de Silverberg sont parfois difficiles à élucider. C'est une écriture tout-à-fait particulière.
Ce roman là, il m'a fallu aller jusqu'aux dernières pages pour en comprendre l'architecture toute en miroir, en symétrie.
Silverberg, particulièrement dans ce roman, choisit les traces et vestiges du temps passé ou présent (années 1970) pour inventer une archéologie du futur. Ici le labyrinthe, ses murailles circulaires, ses pavements, mais aussi des objets usuels - dont les ecrans, les vêtements, l'outillage.... - qui se mêlent aux inventions futuristes en matière de propulsion, de surveillance, de communication. Cela donne une épaisseur humaine mais aussi mythique aux personnages.
Le roman commence par cette planète, Lemnos, où vit Muller, les paysages qu'elle offre, le ciel et ses constellations presque familiers. On entre dans le récit par un crépuscule éclairé de "trois petites lunes qui papillotaient" offrant "un triple clair de lune" ! Il respire dans un air léger. On le découvre à l'affût ou marchant lentement en quête de son dîner, ("surtout des onguiculés, l'équivalent
des vaches et moutons terrestres qui se promenaient dans les galeries du labyrinthe, broutant l'herbe là où ils en trouvaient", revolver au poing. Presque une manière de tuer le temps tant le gibier est abondant.
Cette introduction est trompeuse. Où est-on ? Cadre presque familier jusqu'au son qu'il n'avait jamais entendu sur sa planète depuis qu'il y vit, neuf ans.et qu'il reconnaît : un vaisseau spatial... Et ce vaisseau survole la cité.
C'est une façon douce d'entrer dans cette fiction.
Presque : "Il était une fois..."
Pas encore de réponses en ce début de récit. C'est le temps des questions pour le lecteur. On lit en se questionnant. C'est une écriture qui part d'un questionnement. Comme un jeu où la fiction va peu à peu défaire les certitudes du lecteur, un assaut contre ses frontières. On plonge dans une sorte de flottement, presque, si on osait, dans un espace de jeu. Un monde d'illusions.
Silverberg met en relation deux réalités différentes par ce mélange du connu et de l'inconnu. On entre dans le mythe d'un homme qui a fui ses semblables et qu'un vaisseau recherche, entrant par effraction dans sa retraite. On guette un long récit. Certainement tragique. Un échiquier tragique qui va engager l'action dans des directions simultanées entre lesquelles les personnages devront choisir. Une liberté rendue possible par la littérature.
Bien sûr, chemin faisant, on trouve des références (mythes grecs, Sophocle, réécritures précisées dans le billet de Soleil vert, j'y ajoute des romans de Camus, de Kafka, de Beckett...) mais le récit que Silverberg nous conte est étonnant, surprenant, énigmatique, inattendu tout en étant d'une grande simplicité (lexique, grammaire).
Une caravane de mots pour traverser le temps et approcher l'honnêteté d'un humain traversé par des passions, des doutes, des failles et toujours prêt à se relever. Un être qui s'échappe vers sa liberté.
Je me relis. Beaucoup de "on" comme sujet. Pourquoi ? Si je les remplace par des "je", je reviens à moi et perds mon double : la lectrice que je suis qui n'est pas tout à fait moi.
Lire me place dans un entre-deux. Le pronom "on" nous rassemble la lectrice et moi. Parfois elle me quitte me laissant dans un jeu qui se ramifie hors la lecture. Un "je" muet qui ne parle pas. Un "je" qui regarde silencieusement
Je finis par me demander qui est cette lectrice échappée de moi. C'est un double qui me déserte pour entrer dans un livre. Un double qui se met du côté de l'auteur et me laisse en rade loin des mots. Un "je" qui se balade incognito dans les mots les pensées d'un écrivain, de quelqu'un qui écrit. Une sorte de voyage entre deux consciences.
Certains auteurs utilisent le pronom "tu". A qui s'adresse-t-il ? Parfois le "tu" renvoie à un "je" qui est le double de l'auteur. Comme si l'auteur se renvoyait la pensée, les questions, les constats.
Dans le domaine de la lecture, de l'écriture l'empathie traverse les identités.
Oui, l’empathie qui servirait à comprendre ce qui est est étranger au "je" .
L'énigme de la rencontre entre un "je" et ce qui lui est étranger. Ne pas interpréter mais développer une façon d'être dans le travail de l'autre que ce soit une écriture, de l'art, une musique, une parole. Effacer les frontières le temps d'un regard, d'une écoute. Puis revenir à soi, c'est à dire au "je".
Où pourrais-je aller aussi loin, Soleil vert, sans subir une moquerie ?
C'est ce roman qui a déclenché cela.
Ce personnage, Muller, est un être cloisonne, séparé, isolé dans sa propre sphère . Qui ne veut communiquer avec personne, qui s'est entouré d'un labyrinthe aux hautes murailles de pierres, sur une planète excentrée du système solaire et tout cela pour quelles raisons ?
Pour une faculté d'empathie négative qui , sur Terre, tourmentaient ceux qui l'approchaient et sur laquelle il n'avait aucune prise.
Ned, autre personnage, devine sa bonté, sa droiture également par empathie mais positive.
Drôle de symétrie... en opposition. Presque manichéenne. Mais dans ce roman, le Mal devient le Bien. Ce qui a été fait peut-être défait, même les malédictions. Deux choses ne changent pas : la vie et la mort. Ici, Muller ne revient pas sur ses pas. Il ne recherche pas le passé avec nostalgie. Il continue son chemin.
La question posée : comment rejoindre l'expérience de l'autre tout en garantissant son altérité ?
Muller c'est un être kafkaïen sur cette planète perdue au fond de l'espace. Tout entouré de murs, d'issues infranchissables. Il est dans son labyrinthe comme enfermé dans une carapace tel Gregor Samsa.
C'est par l'écriture que Silverberg lui donnera une issue pour échapper à tout cet enfermement.
Une écriture qui l'arrachera à la violence de sa situation de maudit.
Une écriture amère enroulée dans l'obscurité des pensées d'un d'exilé. C'est un survivant enfoui dans sa cachette.
Silverberg va lui apporter la lumière, le faire grandir comme un ange le ferait dans un autre lieu où il va presque l'endormir. C'est un passage un peu magique. Une séparation. Une nouvelle naissance psychique pour cet homme
Une histoire commence là dont le lecteur ne saura tien. Juste un indice, il rejette la civilisation terrienne. C'est une protestation presque muette, une lassitude. Il part. S'éloigne. Se met en route. Passe d'un monde à l'autre. Un nouvel exil volontaire. Une affirmation de sa vérité nomade. L'homme des origines....
Une trouée qui le mène vers sa planète. Libre.
Que signifie cette rupture avec la Terre ? Que signifie cette solitude ?
Y a-t-il un roman ou une nouvelle de Silverberg où est précisé le destin de la Terre et celui de ce vagabond des étoiles ? Ou bien, laisse-t-il inachevés ses contes ?
Muller... Est-ce une vie en voie de disparition, en train de s'effacer ?
Je renonce à ces exercices béats d'admiration...
MC
Pour les reportages sur les épreuves des JO, j'ai été très émue suivant des yeux cette course de renouer avec mes souvenirs : rue Lepic, Boulevard de Clichy, rue Lamarck, Montmartre. C'est la force et l'originalité de ces jeux, ces circuits dans un Paris connu et inconnu.
Lesedailles neemeuvent guère mais elles semblent apporter de la joie aux primés. Je pense aussi à ceux qui ne le sont pas mais qui auront eu la joie de participer aux épreuves. De toutes celles présentées je suis béate, admirative devant les nageurs, je souffre en regardant d'autres sportifs courir. Que d'efforts. Je suis surprise par la lisse populaire, cette ferveur bruyante où la joie semble comunicative. Et puis mon corps si souvent sédentaire bouge intérieurement quand les leurs bondissent, s'étirent, s'élancent dans l'eau.
communicative - les médailles ne m'émeuvent guère
la liesse
"Machinerie de l’Univers contre machinerie du Destin", ai-je écrit.
Rachel Tanner ne les distingue pas. Les Moires - ou Parques chez les romains - sont toutes puissantes et régentent selon elle la vie de l'Homme et celle de l'Univers.(cf Eschyle dans "Prométhée enchaîné".)
Merci, Soleil vert.vous revenez à Œdipe et cet oracle indiquant le lieu où il devait mourir.
Quand il disparaît en passant un seuil sacré , un chemin mystérieux s'ouvre devant lui.
Tout se passe à Colone, dans un bois consacré aux Euménides. (Les Érinyes, divinités vengeresses, y sont devenues les Euménides, "les Bienveillantes". )
Machinerie du destin dans le monde des dieux de l'Olympe ?
Machinerie de l'univers ? Je pense a Stephen Hawkins. A son nom si bien raconté dans cet article ( lien à venir).
https://www.parismatch.com/Actu/Sciences/Stephen-Hawking-le-destin-d-un-genie-planetaire-1483799
Hawking
J'aime quand ilhistoire de Stephen Hawkins commence par cette parole : "Vous vous trompez !"
(" la première fois. Il avait 21 ans. A la tribune, ce jour-là, le distingué Fred Hoyle, une sommité de la physique, expliquait pourquoi l’Univers avait toujours existé. Personne ne pipait mot quand, venue du fond de la salle, s’éleva une voix affirmée sortie d’un corps frêle : « Vous vous trompez !"
La suite de l'article montre un homme qui a vaincu ces machineries du destin pour explorer celles de l'univers....
Hawking !!!
Mais dans la machine univers, tout est-il calculable ?
Il reste toujours un point obscur.... le terrain de jeu de la science-fiction ou des mystiques...
Ce qui a changé c'est que l'homme n'est plus au centre de la Création. L'univers est devenu tellement vaste, tellement illimité.
Je me souviens d'une exposition à la BNF d'Erik Desmazieres, ce graveur créateur d’images vertigineuses en noir et blanc. Les thèmes qu’il privilégie sont comme un voyage dans les mondes imaginaires de Borges, Kafka ou Piranese qui l'ont certainement inspiré. Ses gravures à l’eau-forte ouvrent au domaine du fantastique que je retrouve dans la science-fiction. Que n'aurait-il fait de ce labyrinthe ?
"Vous revenez à Œdipe" Non, à Prométhée. Nous n'avons plus l'Œdipe Eschylien...
Non, à Œdipe avec la pièce de Cocteau "La machine infernale" qui fit d'Œdipe un personnage tricheur .
".Le Cosmos de Silverberg est impersonnel ; ses engrenages renvoient au titre d’une pièce de Cocteau "La Machine Infernale" là aussi inspirée du théâtre de Sophocle. Machinerie de l’Univers contre machinerie du Destin …"
Pourquoi évoquez vous Prométhée ?
A propos de la pièce de théâtre "La Machine infernale" écrite en 1932 .
Fasciné par le mythe d’Œdipe et le Sphinx, et particulièrement par l’œuvre de Sophocle "Œdipe Roi", Cocteau se lance dans une réécriture de grande ampleur, l’inscrivant dans le théâtre de l’absurde.
“Je rêve qu’il me soit donné d’écrire un Œdipe et le Sphinx, une sorte de prologue tragi-comique à Œdipe de Sophocle."
La machine infernale est ici celle du destin.
Au début de la pièce, "La Machine infernale", de Cocteau, on entend :
"Regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d'une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l'anéantissement mathématique d'un mortel."
Quand même, le point faible de ce roman : les personnages féminins, juste bons pour le repos du guerrier. Aucune épaisseur psychologique. Dommage !
Celles de Tchekhov dont si belles, si profondes. Un rêve de robes blanches dans une cerisaie, un verger d'une blancheur fantomatique...
Au plus fort de l’orage,il y a toujours un oiseau pour nous rassurer :René Char.
”L’heure des oiseaux ”de Maud Simonnot.Une belle découverte.
Libraire
Merci, Libraire. "Rougeur des Matinaux"... Ce poème de Char si juste, entre ces traces d'aube.
Donc un nouveau roman à découvrir, "L'heure des oiseaux". Maud Simmonot. Il y a peut-être une aube aussi... Pour qui ? Bien envie de le découvrir. Merci.
Oh, l'histoire se passe à Jersey. Magnifique !
"Quand même, le point faible de ce roman : les personnages féminins, juste bons pour le repos du guerrier. Aucune épaisseur psychologique. Dommage !"
Oui, toute une époque !
Oui... De toutes façons elles n'ont aucun rôle dans ce récit. Existe-t-il une nouvelle ou roman de Silverberg où un personnage féminin intéressant existe ?
Bonjour Libraire.
Vous me posez un problème avec ce roman que j'ai lu hier au soir. "L'heure des oiseaux" de Maud Simmonot.
Estime et agacement se superposent en moi à sa lecture. Peut-être à cause de la confusion des genres : un conte poétique et émouvant se superpose à une enquête réelle mais succinte sur cet orphelinat de l'île de Jersey qui a réellement existé où un scandale a été mis à jour puis étouffé : les maltraitances d'enfants placés par l'Assistance publique allant jusqu'aux abus sexuels.
J'écris "étouffé" car les habitants et les notables de cette île anglo-normande ont tout fait pour étouffer le procès et ses retombées désastreuses sur le commerce touristique de l'île. D'ailleurs l'orphelinat a été fermé. On ne sait ce que sont devenus les gamins qui étaient "emprisonnés là...
Conte émouvant et étrange. Je ne saurais mieux le comparer à ces boules de verre irisées qu'utilisaient les pêcheurs pour faire flotter leurs chaluts, ces grands filets de pêche .
Ainsi page 27, la narratrice, arrivée à Jersey se promène un matin sur le port, dépasse "les chalutiers au repos qui alignaient leurs boules en verre ambré".
Cette image représente bien pour moi ce récit. Elle aussi va à la pêche aux témoignages dans cette île de taiseux ou une sorte d'omerta semble lui faire barrage.
Elle cherche trouve des indices, quelques rares témoignages.
Pour que cette mémoire qui s'efface ne plonge pas dans l'oubli, elle met à son filet des boules de verre irisées. Dans chacune on peut voir ce qu'elle raconte un chapitre sur deux : les vies de Simon et Lily, et tant d'oiseaux, la forêt proche. Deux enfants qui se protègent et se consolent mutuellement, qui fuguent les jours où la surveillance est allégée pour aller dans la forêt proche pour cueillir des fleurs, rencontrer les oiseaux, découvrir la neige, échanger des paroles poétiques ( trop "jolies" peut-être car elles finissent par écraser la vérité possible d'un langage d'enfant.)
Les sévices qu'ils subissent, eux et les autres enfants sont esquissés. Le portrait du surveillant chef devient celui d'un ogre terrorisant ces petits.
Son enquête se poursuit. L'actualité s'y glisse, d'autres scandales similaires.
Découverte de ces lieux où des enfants sans défense ont étés abusés et volonté pour Maud Simmonot de se réfugier dans ce conte aux reflets miroitants où cette union de deux gamins semble résister au désespoir dans ce lieu lugubre.
Je continue dans le commentaire suivant.
Je continue, pour vous, Libraire.
Il y a des surcharges dans ce récit. Ainsi la narratrice serait la fille de ce Simon vieillissant, devenu pianiste obsédé par Les oiseaux de Messian).
(Je pense au film "Les Choristes", les oiseaux étaient les enfants de la chorale et là aussi un ancien enfant revenait sur ses pas pour se souvenir)Un Simon qui n'aurait jamais compris la disparition de son amie Lily (sa sœur ?) lors d'une fugue nocturne et qu'on aurait vite éloigné de l'orphelinat. Enfant perdu devenu pianiste.... (comment ?). Envoyant , des années plus tard, sa fille sur l'île de Jersey pour savoir...
Autre surcharge restant inexpliquée ( je relirai , peut-être ai-je raté une explication...). Dans sa quête de vérité la narratrice retrouve les registres de l'orphelinat. Pourquoi ne trouve-t-elle pas l'inscription de Lily ? Qui est Lily ? Le mystère s'épaissit de page en page...
Le mystère de l'identité de Lily l'emporte à la fin du roman et reste comme une béance.
Il y a plein de pistes dans ce roman, une plume évidente, une passion des oiseaux ( un régal dans ce récit), de beaux croquis de l'île de Jersey où passe comme un fantôme Hugo et Les travailleurs de la mer mais aussi une des horreurs de la dernière guerre mondiale. Et puis cet orphelinat où des enfants oubliés devenaient les prisonniers de fonctionnaires sadiques dans l'ignorance ou l'indifférence des habitants de l'île.
Il y a aussi cette vision de l'enfance pour Maud Simmonot, introduite par le poème de René Char mis en exergue. Qui est l'oiseau ? Lily, évidemment. Qui est l'oisillon vulnérable comme le petit de la mésange ? Simon.
Et cette énigme du féminin et du masculin qui parfois fusionnent dans un corps d'enfant et le conduisent à une quête solitaire d'identité... Influence des parents dans ce cas....
Voilà, cher Libraire, ma traversée dans ce livre de Maud Simmonot qui ressemble au Petit Poucet. Celui qui sème des miettes de pain dans la forêt pour retrouver son chemin. Miettes de pain picorées par les oiseaux... Il ne restera que la maison de l'Ogre et les bottes de sept lieues de la littérature.
Par moment la fiction l'emporte sur cette terrible actualité qui continue à être dévoilée chaque jour.
J'ai lu trois esquisses de roman : l'orphelinat (enquête), le conte, l'identité mystérieuse d'un des deux enfants.
Merci de vos conseils de lecture. Ce ne sont jamais des livres qui me laissent indifférente.
Je remarque que le roman est dédié à ses parents...
Superbe texte de JJJ sur la RdL et superbe réaction de Jazzi ( "on dirait du Kafka...."
"On me dit très occupé. C’est un bruit que je laisse courir, car il me permet d’éviter les importuns. La vérité et tout autre. Chaque matin, je passe quelques heures dans un bureau où j’ai été admis par faveur et où ma présence est complètement inutile. (...)"
Ah, merci, JJJ.
Vous m'avez donné envie de commander ce livre :
Adieu Kafka
De Bernard Pingaud (Gallimard).
Cette page est vraiment superbe pour qui aime Kafka et Jazzi a tapé en plein dans le mille !
Quatrième de couverture :
"A Vienne, dans les années trente, Max B. a pour collègue de bureau un certain Franz Klaus. Un jour F.K. disparaît, sans explication. Quelque temps plus tard, Max reçoit de Berlin un paquet de récits qu'il se résoudra à publier après la guerre, après l'annonce de la mort de Franz à Dachau."
Le parallèle est vertigineux... Max Brod et Franz Kafka...
Messiaen
Merci à vous Christiane.
Un podcast sur le sujet ”Traversées d’enfance avec Maud Simonnot et Lena Paul Le Garrec” sur rcf.fr
Merci beaucoup. Je viens de l'écouter. Dommage qu'il n'ait pas abordé le rapport de ces deux personnages de fiction avec l'enquête sur cet orphelinat qui a réellement existé. C'est comme si pour lui , le père de la narratrice avait vraiment existé, comme Lily.
Mais la fiction n'est-elle pas parfois un chemin pour rendre compte d'une vérité historique.
Il reste aussi cette énigme de cette enfant mi-fille ,mi-garçon...
De plus, comme on est sur RCF , il aurait pu évoquer ce même scandale d'abus sexuels commis dans certains internats où des religieux ont eu le même comportement condamnable envers des enfants qui leur étaient confiés. Et là, ce n'est pas une fiction...
Existe-t-il une nouvelle ou roman de Silverberg où un personnage féminin intéressant existe ?"
A première vue, non
A-t-il un lectorat féminin ?
Kadath dans la Fournaise me fait penser que non…
Shadrak ?
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