mercredi 9 mars 2022

L’équateur d’Einstein

Liu Cixin - L’équateur d’Einstein - Actes Sud

 

 

 

Après une trilogie remarquable, un autre roman et une novella, la collection « Exofictions » de l’éditeur Actes Sud entreprend la publication de l’intégrale des nouvelles de Liu Cixin « porte-étendard de la science-fiction chinoise ». La date de publication de ces textes n’est pas précisée ; on parle d’écrits de jeunesse pour quelques-uns d’entre eux, ce que semble confirmer leur lecture. On retrouve les thèmes chers à l’auteur, la foi en la science, la fragilité des destins individuels, la survie de l’espèce humaine. L‘influence des « Big Three », surtout Clarke, est prégnante. L’accomplissement Van Vogtien émerge aussi. Enfin certaines fictions (« Le feu de la terre ») recèlent d’incontestables éléments autobiographiques. L’équateur d’Einstein composé de 17 récits devrait être suivi d’un second tome.

 

« Le chant de la baleine », « Aux confins du microscope », « L’effondrement » évoquent des galops d’essais. Le premier récit raconte la surprenante proposition faite par un cétologue à un baron de la drogue incapable d’écouler sa marchandise. Passable. Dans le second, au cœur d’un accélérateur de particule, des scientifiques tentent de briser un quark. L’idée sera reprise dans « L’équateur d’Einstein ». Ici en tout cas, la montagne accouche d’une souris. « L’effondrement » met en scène l’hypothèse du Big Crunch et introduit une idée brillante. Si l’espace rétrécit, qu’en est-il du temps ?

 

On monte ensuite vraiment d’un cran : « Avec ses yeux » a obtenu le prix des lecteurs de Bifrost 2017. A l’ère spatiale, pour remédier à la nostalgie d’une Terre lointaine, les astronautes peuvent revoir celle-ci en temps réel par l’entremise d’une vision partagée avec un tiers. Le narrateur ajuste une de ces fameuses lunettes pour le compte d’une jeune fille. Mais où se trouve t-elle ? Liu Cixin trouve l’exacte point de rencontre entre technologie et émotion. Dans « Le feu de la terre », une autre réussite de l’écrivain, Liu Cixin se souvient des années que passa son père dans une mine de charbon. Le narrateur, fils d’un mineur mort de silicose, échappe au même destin et après de brillantes études supérieures décide de bouleverser de fond en comble le métier de la mine. L’extraction du charbon telle que la décrivait Zola voici 137 ans est une réalité quotidienne en Chine, premier producteur mondial. Le sort funeste du père et du fils s’inscrit dans la thématique chère à l’auteur des sacrifices individuels au profit d’une communauté. Longue nouvelle qui ne renouvelle pas fondamentalement le genre, « Terre errante » a fait l’objet d’une publication séparée. Le thème de la Planète vagabonde a fait l’objet de plusieurs romans chez Carsac ou Blish, et d’une série télévisée mémorable, Cosmos 1999. En préambule du magnifique « L’instituteur du village » Liu Cixin demande à ses lecteurs de ne pas se laisser troubler par le début du récit. C’est au contraire ce que nous allons faire car l’histoire de cet enseignant qui exerce son métier à l’extrême de ses forces et en est récompensé post mortem par un deus ex machina certes capillotracté, renvoie, au sein de notre référentiel hexagonal, à Samuel Paty, au discours de Jaurès sur les instituteurs et institutrices, à la lettre de Camus à son instituteur. 

 

Bien avant sa transformation en géante rouge, la luminosité du Soleil augmentera de 10 % dans environ un milliard d’année, provoquant l’extinction de la vie sur Terre. C’est un scénario similaire que raconte Liu Cixin dans « Le micro-âge ». Le dernier survivant humain revenu des étoiles dans l’espoir vain de retrouver un monde habitable fait une surprenante découverte. Sans pitié pour les destins individuels, l’écrivain, comme d’habitude, fait preuve d’optimisme pour la collectivité. Une fiction honorable mais pas crédible. « Fibres », pas loin dans sa conception d’Au carrefour des étoiles est un texte court et sans prétention là aussi honorable. Un couple de touriste, lors d’une balade dans le Temps, dévie la trajectoire d’un astéroïde … Cela donne « Destin » résurgence sympathique d’« Un coup de tonnerre » d’un certain Bradbury. Dans « Brouillage de toute la bande fréquence » les forces de l’Otan attaquent la Russie. Ce long récit militaire est dédié au peuple et à la littérature russe. Littérature dont on ne trouve aucune trace dans l’œuvre de Liu Cixin, à l’inverse de l’anglo-saxonne … Exercice d’admiration à Albert Einstein, « Le messager » ne soulève pas les montagnes. Le célèbre savant y reçoit la visite d’un voyageur temporel. « Le battement d’ailes d’un papillon », clin d’œil encore à Bradbury et à Ian Malcolm de Jurassik Park décrit les efforts sacrificiels d’un scientifique pour contrer une guerre par des modifications climatiques. Cette estimable fiction est suivie d’un fort texte.

 

« Le soleil de Chine » dont la toile de fond rappelle les innombrables iconographies maoïstes à la gloire du peuple chinois, évoque l’élévation (pour emprunter à David Brin) d’un personnage et d’une civilisation. Parti d’une modeste localité rurale, Shuiva entame une ascension sociale qui le mènera aux étoiles. L’idée des rebonds technologiques est tout à fait intéressante. Liu Cixin emprunte à Clarke l’idée de la voile solaire. Cette SF de « l’âge d’or », voire Vernienne, peut paraître caricaturale. Ses horizons semblent néanmoins plus attrayants que ceux promis par Houellebecq dans Soumission. Un extra-terrestre issu d’une civilisation infiniment avancée sur le plan technologique, et se présentant comme cryoartiste, entreprend de transformer les océans terrestres en cubes de glace. « La Mer des rêves » se divise en deux parties. La première aurait pu fournir à elle seule la matière d’une histoire apocalyptique percutante. Mais toujours optimiste dans le devenir de l’espèce humaine, l’écrivain bricole ensuite une fin rassurante. Dommage. On sait la Chine sur le fil rouge en matière de bioéthique. Le pitch de « L’ère des anges » oppose nécessité et expérimentation génétique. Voulant enrayer les famines récurrentes dont souffre son pays un biologiste africain de génie met au point un programme de reprogrammation du génome humain. On pense aux Diables blancs de Paul J. McAuley. Encore une bonne nouvelle, mais où l’auteur fait surgir des anges du coeur des ténèbres … Dans « L’équateur d’Einstein » des scientifiques tentent de reproduire les conditions du big-bang au sein d’un accélérateur de particules. Mais au moment de déclencher le processus, tout le matériel d’expérimentation disparaît ; un être étrange apparaît et prend la parole. Didactique, à défaut d’être réussi, la morale du récit fait ressurgir la vieille antienne, « La science explique le comment, mais non le pourquoi ».

 

Lorsqu’il n’est pas didactique et qu’il ôte les doigts de la couture du pantalon, Liu Cixin propose vraiment de bons textes, et ses meilleurs, conciliant poésie et science, abordent les rivages sturgeoniens.

 

 

 

Le chant de la baleine - 1998

Aux confins du microscope - 1998

L’effondrement - 1985

Avec ses yeux - 1998

Le feu de la terre - 2000

Terre errante - 2000

L’instituteur du village - 2001

Le micro-âge - 1998

Fibres - ?

Destin - ?

Brouillage de toute la bande fréquence - 2001

Le messager - 1999

Le battement d’ailes d’un papillon - 1999

Le soleil de Chine - ?

La Mer des rêves - ?

L’ère des anges - 1998

L’équateur d’Einstein - ?

 

6 commentaires:

Biancarelli a dit…

Votre chronique et le détail des nouvelles donne envie de les lire.
Je pense qu’on peut les lire de façon indépendante.

Soleil vert a dit…

Merci !
On peut en effet basculer dans l'émotion avec "Avec ses yeux" ou "L'instituteur du village", trouver dans "Le feu de la terre" une lointaine réminiscence de Zola, rêver avec « Le soleil de Chine », frémir de l'hypothèse scientifique soulevée dans « L’effondrement »

Le Maki a dit…

Je n'ai pas vu toutes ces références mais j'ai pris beaucoup de plaisir dans la majorité des textes même les anecdotiques sont plutôt bons. Les affinités faisant certains ne m'ont pas forcement plu mais je conseille ce recueil à ceux qui veulent découvrir l'auteur.

Soleil vert a dit…

Merci à toi !

Carmen a dit…

Une palette d’émotions en perspective. C’est noté merci.
Et l’auteur semble profondément humaniste .

Soleil vert a dit…

Oui, et avec des préoccupation sociales : la faim dans le monde, l'attention portée aux humbles, la crainte de la guerre ultime etc.

Comme d'hab, dans mes fiches j'oublie l'essentiel :)