dimanche 8 septembre 2019

Léviathan 99


Ray Bradbury - Léviathan 99 - Denoël Lunes d’encre









A l’occasion de la sortie de Waldo, l’éditeur Le Bélial’ présentait Robert Heinlein comme l’un des Big Three de la littérature de science-fiction américaine de science-fiction. Au somptueux trio constitué par l’auteur de Révolte sur la lune, Arthur C. Clarke et Isaac Asimov on peut opposer, ou tout au moins en proposer un autre. Clifford D. Simak, Theodore Sturgeon et Ray Bradbury ont choisi de spéculer sur l’âme plutôt que sur la science. Appelons-les le cercle des poètes disparus : chacun d’eux a légué un ou deux romans légendaires et des nouvelles admirables.



Après pareil panégyrique, comment aborder l’inégal Léviathan 99 ? Ce volume rassemble deux recueils parus en VO, plus la nouvelle « La chrysalide » soit vingt-deux courts récits et deux novellas enrichis de deux préfaces Ils ont été rédigés entre 1946 et 2003. L’ensemble comprend des fictions de « l’âge d’or » et des textes récents plus personnels. Un chant du cygne en quelque sorte où l’auteur des Chroniques martiennes exprime son allégeance à quelques grandes figures littéraires ainsi que l’espoir d’être reconnu comme un de leur pair (« L’orient Express de l’Eternité »).



Cette parentèle revendiquée explique l’incroyable diversité des nouvelles de Léviathan 99. Ray Bradbury abolit les frontières entre littérature générale et littérature de l’imaginaire et au sein de celle-ci entre fantastique et science-fiction. L’une des surprises du recueil « Le jeune homme et la mer » raconte l’amitié de deux jeunes gens, l’un blanc, l’autre noir, dans le contexte racial des années 40. Bill soigne son bronzage, Walter essaye de blanchir sa peau. Il n’y a presque rien à raconter dans ce récit et c’est tout l’art de l’écrivain de bâtir un texte à partir de trois fois rien en suggérant beaucoup de choses. On pense aux paroles d’une chanson de Laurent Voulzy « Le soleil donne la même couleur aux gens ». Bradbury récidive beaucoup plus durement sur le thème du racisme avec « La transformation » dans lequel un petit blanc du sud aux idées bien arrêtées se retrouve dans la peau d’un noir. Apre et courte, cette nouvelle rappelle que l’élégiaque conteur martien sait aussi cogner.



En science-fiction « La chrysalide » émerge du lot. Des médecins essayent de comprendre la pathologie de M Smith. Tombé dans le coma sa peau se solidifie au point de ne pouvoir lui injecter des médicaments. Va-t-il mourir, est-il annonciateur d’une épidémie, va-t-il se transformer en monstre ? Une pépite classique issue d’Astounding. « Un peu avant l’aube » met finement en scène deux fugitifs temporels. A l’inverse « Des gouts et des couleurs » tombe à plat. Des terriens débarquent sur une planète peuplée d’araignées bienveillantes. Bienveillantes certes mais ce sont des araignées. Plus roboratif, « Mort d’un homme prudent » (pourquoi ne pas l’avoir titré plus simplement « Un homme prudent » ?) raconte l’histoire d’un romancier hémophile traqué par son ex et son nouveau conjoint. Un humour noir de bon aloi.



Les deux novellas ne laissent pas un souvenir impérissable. Au sortir du scénario de Moby Dick qu’il rédigea pour le film de John Huston, Ray Bradbury imagina de transposer le mythe créé par Melville, dans l’espace. Ce fut Léviathan 99 narrant l’acharnement d’un officier spatial à détruire une comète. On est loin du modèle … C’est la poésie qui sauve du naufrage Quelque part une fanfare. Un homme débarque dans une ville fantôme hantée par des immortels. Le récit peine à trouver son sujet. Présenté comme un hypothétique projet scénaristique de film, il laissera au cinéphile la vision imaginaire d’une Katharine Hepburn déguisée en Nerfiti…



Le reste du volume relève de la curiosité littéraire. Mention spéciale à Guillaume Sorel pour la belle illustration de couverture.

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