Carlos
Ruiz Zafón - La Ville de vapeur - Actes
Sud
Sous l’ombre tutélaire des grands noms de la littérature
espagnole ou de langue espagnole passés ou actuels comme Vargas Llosa, figurent
quelques romanciers de talent ; Carlos Ruiz Zafón est de ceux-là. Décédé
en 2020 l’écrivain ne s’offusquait pas de leur écrasante présence ; il se
promenait avec délice dans le jardin des Cervantes, Borges, et autres Márquez,
s’abreuvant même de leurs textes. Il était de Barcelone, comme James Joyce
était de Dublin ou Alaa El Aswany d’Alexandrie. Ses deux ensembles romanesques la
tétralogie Le Cimetière des livres oubliés et la trilogie du Cycle de
la brume en témoignent, comme son ultime publication un recueil de
nouvelles La Ville de vapeur.
Celles-ci empruntent quelques personnages à la tétralogie,
notamment David Martin. Le texte le plus remarquable « Rose du vent »
se lit comme une préquelle de L’Ombre du vent. Il raconte l’arrivée à
Barcelone d’un architecte muni du plan d’un labyrinthe sous la cité de
Constantinople dont l’empereur de l’Empire romain d’Orient lui avait confié la
construction. L’assaut des Ottomans mit fin à ce projet ; le concepteur
s’enfuit avec ses plans muni, cadeau de Constantin, d’un flacon contenant le
sang d’un dragon et d’un pendentif renfermant une larme du Christ.
La fiction la plus ambitieuse du recueil « Le Prince
du Parnasse » s’appuie sur quelques épisodes peu connus de la
biographie de Miguel de Cervantes, son voyage en Italie et quelques séjours à
Barcelone. Il s’agit d’un récit d’apprentissage express qui se focalise sur les
prémisses d’un écrivain maladroit fasciné par le succès théâtral de Lope de
Vega et, alors que les protagonistes assistent à l’enterrement du génial
romancier, sur le mystère entretenu d’une hypothétique troisième partie du Don
Quichotte.
A côté de textes « gothiques », quoique la
frontière soit mince, apparaissent des textes à connotation fantastique. Ils
ont pour personnage principal une héroïne entre ciel et terre, semblable en
cela, comme l’ont remarqué certains, aux figures féminines des contes
d’Edgar Poe. « Blanca et l’adieu » est le beau récit d’une
amitié amoureuse entre un garçon pauvre et une petite fille riche que tout
sépare sauf l’amour des contes. « Alicia à l’aube » reproduit
le même schème en plus tragique. Enfin le destin du personnage de « Sans
nom » n’est pas sans évoquer celui de la Fantine des Misérables.
Un des meilleurs textes « Une demoiselle de
Barcelone » raconte la mésaventure d’une petite fille, Laia, venue
accompagner son photographe de père pour un job peu ordinaire. Les parents d’une
fillette décédée demandent une dernière prise de vue de leur enfant avant la
mise en cercueil. La mère inconsolable se prend subitement d’affection pour Laia
en qui elle voit un substitut et demande à la revoir régulièrement moyennant espèce
trébuchante. La scène se reproduit jusqu’au jour où lassés, père et fille s’enfuient.
Laia vient de se découvrir un don d’incarnation qu’elle et son progéniteur
entendent mettre à profit. Enfin « Des hommes en gris » évoquent
les histoires de spadassin dont Jean-Philippe Jaworski s’est fait une
spécialité. Les autres récits ne déméritent pas.
- Blanca
et l'Adieu, 2021 ((es) Blanca y el adiós, 2020)
- Sans
nom, 2021 ((es) Sin nombre, 2020)
- Une
demoiselle de Barcelone, 2021 ((es) Una señorita de Barcelona, 2020)
- Rose
de feu, 2021 ((es) Rosa de fuego, 2012)
- Le
Prince du Parnasse, 2021 ((es) El Príncipe de Parnaso, 2012)
- Conte
de Noël, 2021 ((es) Leyenda de Navidad, 2003)
- Alicia,
à l'aube, 2021 ((es) Alicia, al alba, 2008)
- Des
hommes en gris, 2021 ((es) Hombres de gris, 2008)
- La
Femme de vapeur, 2021 ((es) La mujer de vapor, 2008)
- Gaudí
à Manhattan, 2021 ((es) Gaudí en Manhattan, 2002)
- Apocalypse
en deux minutes, 2021 ((es) Apocalipsis en dos minutos, 2020)
16 commentaires:
Il me semble que les deux derniers ne sont pas chroniques. Moins convaincants?
MC
Merci, Soleil vert, de me permettre de retrouver ce grand romancier. Je me souviens de l'ombre du vent...
La magie de l'écriture de Carlos Ruiz Zafón est intacte. Je viens d'avaler sans arrêt les deux premières nouvelles. Qu'est-ce qui fait qu'on ne peut s'empêcher de tourner la page pour lire la suite ? Qu'est-ce qui fait qu'on pressent pour l'avoir reconnu que ce ne sera pas une fin joyeuse, que la mort et la solitude viendront piper les dés mais que ce sera beau envoûtant plus fort que la mort et la solitude ?
Carlos Ruiz Zafón est un conteur né. Il ensorcelle son lecteur. Le fantastique naît dans un décalage du temps du récit contre le temps des prémonitions du narrateur. Lui, il sait et nous raconte, à sa façon, ces grands mystères.
Ah, je me réjouis de savoir lire. Depuis toujours dans ma mémoire, ouvrir un livre est assurément le geste au monde qui m'est le plus familier. Livre fermé, j'accepte de patienter mais... pas trop !
MC : oui. En fait il y a deux façons de parler d'un recueil de nouvelles ; un survol rapide ou une énumération. Je préfère la premiere. SV
MC: oui. En fait il y a deux façons de parler d'un recueil de nouvelles, l'énumération ou le survol. Je préfère la seconde. Imaginez un recueil de cinquante nouvelles. SV
Dans la nouvelle " La femme de vapeur", remarquable torsion du temps. Deux mois suffisent pour une éternité. La nouvelle commence un soir de juillet et se termine en août. Entre ces quelques semaines, le narrateur aura vécu avec les habitants de l'immeuble chaleureux pour lui qui sort de prison.
La chute de la nouvelle est étonnante : ils sont tous morts des années avant sa présence dans l'immeuble fragilisé par ce bombardement qui les avait tous tués.
Retour en prison mais aussi retour la nuit de la belle jeune fille qui l'invita à entrer dans l'immeuble, partagea langoureusement ses nuits, disparaissant au matin et de nouveau présente dans les nuits du prisonnier, bien que morte, semble-t-il....
C'est un vrai parcours de lecture, un pari, où la mort n'est qu'un article de journal et une photo effacée par un présent onirique qui reprend le fil de l'histoire.
Il n'y a que dans la fiction que de tels prodiges sont possibles ou dans l'art. Je pense à Guernica où Picasso a éternisé l'instant de l'horreur. Arrêt sur image.
Il est certain que certains lecteurs se pinceront pour se réveiller en hurlant : Ce n'est pas possible, c'est n'importe quoi !
Dans les années 70 c'est Annie Saumont qui me révéla l'écriture exigeante des nouvelles et l'attente du lecteur quant à leur pirouette finale.
Dans ce recueil, des nouvelles courtes ont un rouage subtil lié au temps différent. On y entre dans le présent ou dans le futur avant de deviner que l'ogre du passé va tout engloutir.
J'aime beaucoup cette écriture dé-raisonnable, libératrice, fantastique.
Nos nuits savent nous offrir ce chamboule-tout. Il suffit de rêver....
Annie Saumont définissait la nouvelle ainsi : "un texte court avec une intensité dramatique forte, une chute définitivement fermée et des événements qui ne se racontent pas tous ; il revient au lecteur de reconstruire les passages manquants. Ce sont donc des œuvres qui ne permettent aucune erreur, où chaque mot n’a qu’une place possible, celle qu’il occupe. "
C'est aussi l'excellence des nouvelles de Carlos Ruiz Zafón.
Et Annie Saumont inventa la poudre…. Oui Sv,,j’ai bien lu.
https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2017/01/31/mort-de-l-ecrivaine-annie-saumont_5072348_3382.html
Eh oui, Annie Saumont .
Et la traduction de "L'attrape-coeurs" est tout à fait convaincante . Mais revenons aux nouvelles. Je l'avais écoutée en librairie. Pour sûr, ce n'est pas une oratrice. Elle est timide, parle peu, bredouille même. Mais la lire c'est découvrir sa force, son métier. Elle sait mettre en scène un quotidien dont elle rabat les cartes en quelques pages jusqu'à jubiler dans les derniers mots qui laissent le lecteur pantois. Une belle découverte cette Annie Saumont.
Cela n'enlève rien à tant d'autres écrivains qui se sont lancés dans l'écriture de nouvelles : Italo Calvino, J.D. Salinger, Musil, Maupassant, Woolf, Ballard et tant d'autres...
Cet anonyme narquois n'a même pas signé son commentaire. .. bah, je me passerai de sa con...descendance.
Et quelques autres...
https://dequoilire.com/top-33-des-meilleurs-recueils-de-nouvelles/
Je n'ai peut-etre pas signé, mais c'était reconnaissable! Qui donc peut hair Annie Saumont, sinon moi? MC
Et pour quelles raisons ?
J'ai, d'Annie Saumont, une nouvelle que j'aime beaucoup. "Autrefois, le mois dernier".
Éditée en 100 exemplaires pour les membres de l'association "Les éditions du Chemin de fer".
On m'a offert ce joli livret de 66 pages dont une page sur deux est occupée par une photo. J'y tiens.
C'est un adolescent qui raconte quelques jours de sa vie, sur la montagne où il vit avec sa mère.
Une fille vient passer quelques jours pour se reposer...
Un récit initiatique où le jeune homme quitte son enfance .
"Autrefois je faisais des bateaux. Je creusais le bois avec mon couteau. Autrefois, le mois dernier. Je ne jouerai plus jamais. Je m'allonge au bord du torrent le visage au-dessus de l'eau. La fille s'étend près de moi. Elle m'embrasse dans le cou puis elle dit, Rentrons."
Celine Duval, artiste plasticienne a donné des photos en noir et blanc de sa collection personnelle qui alternent avec le texte. Elle a constitué un fonds iconographique de sources variées. Ici, tous les clichés choisis offrent des personnages populaires, années 50. Le cadre est un village de montagne.
Pour le lecteur, cette ambiance d'un passé proche, quelques décennies, va bien avec le mot "autrefois".
L'écriture est un long monologue un peu brouillon quant au temps, alternant l'évocation de cette rencontre, le dialogue écrit avec la mère qui est sourde et de brèves notes délicieuses du printemps sur la montagne. Un récit d'une grande pureté.
Je viens de lire "Rose de feu" de Carlos Ruiz Zafón
Ce monstre qui s'échappe des entrailles de l'inquisiteur cupide quand il a avalé le contenu du flacon.
"Ils entendirent ensuite craquer la peau et les membres de Jorge de León et sa voix, hurlante d'épouvante, se transformer en rugissement, celui de la bête qui se dégageait de ses chairs et se décuplait à vue d'œil dans un fatras sanguinolent d'écailles, de griffes, d'ailes. Une queue hérissée d'arêtes coupantes comme des haches se poursuivait sur le dos du plus grand serpent qui fut (...)"
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