samedi 25 janvier 2025

La Vieillesse de l’Axolotl

Jacek Dukaj - La Vieillesse de l’Axolotl - Rivages

 

 "L'horloge joyeuse du néant bat le temps 100 M, 200 M, 300 M... tandis que dans les lentilles fendillées du mecha rouillé se lèvent et se couchent les galaxies et les univers"



Une espèce d’onde neutronique venue de l’espace détruit toute vie sur Terre en vingt-quatre heures. Quelques humains ayant la technologie adéquate à portée de main au bon moment parviennent à scanner leur esprit et basculer dans une vie numérique. Une des sauvegardes de Greg, informaticien et héros du livre La Vieillesse de l’Axolotl, atterrit ainsi intact dans un serveur de Vladivostok. Comme d’autres, profitant de l’internet des objets, il parvient à se télécharger dans d’autres serveurs et même intégrer des robots militaires.

 

Le roman du polonais Jacek Dukaj conjugue les thèmes de l’apocalypse et du cyberpunk, dans une filiation à rechercher plutôt du côté de Schismatrice + de Bruce Sterling que Neuromancien de William Gibson. C’est sa première publication en France, chez « Rivages » (Payot), une collection ouverte à tous les horizons, à qui nous devons la bonne surprise de L’Ile de silicium. La nouvelle Humanité imaginée par  Jacek Dukaj s’oriente dans deux directions, le projet Génésis des B&B et ses successeurs, visant à recréer une vie organique, et la branche dite « Heavy Métal » résolue à approfondir l’expérience digitale.

 


Peu à peu « mechas » et « transformers » reproduisent les schèmes de comportement de leur existence antérieure. Des guildes surgissent et les antagonismes avec. Une espèce de nostalgie aussi, témoin le programme Morpheus, un générateur de rêves auquel a de plus en plus recours Greg. Les survivants communiquent par « emot »  (émoticônes ou émojis) mimant des soirées bars et des ingestions d’alcool inexistant. Au fil des éons, car qu’est-ce que le temps pour ces créatures mécanisées, les projets se délitent, une forme de résignation s’installe.

 

C’est en lisant les cinquante dernières pages que surgit - comme la vérité au fond du puit, pour reprendre une expression de Démocrite - le dénouement sur la destinée ultime, le drame de cette post humanité. Dukaj est passé à côté d’un grand roman, a côté de ce que qui aurait être la face noire du roman précité de Sterling, un nouveau Demain les chiens, au voisinage de La forêt sombre de Liu Cixin. En cause non pas le jargon cyberpunk, mais d’énormes raccourcis ; telle l’apparition de ce garçon, Indy, deus ex machina issu des mains de Vincent Cho alors que la recréation d’un biosystème relève du miracle. Qui sont les robots Father et Jenkins de cet enfant ? Qu’ont ou que n’ont pas réalisé ses successeurs dont on n'entend plus parler et dont l’un au moins s’est à son tour numérisé ? 


La Vieillesse de l’Axolotl résume les fulgurances et les insuffisances de la littérature cyberpunk, inlassable pourvoyeuse de néologismes. A cet effet le livre est doté d’une présentation originale. Le texte s’inscrit au verso, le recto comporte des illustrations et un glossaire.

mercredi 15 janvier 2025

Derrière le grillage 1

Guillaume Chamanadjian, Iuvan, Sébastien Juillard - Derrière le grillage 1 - Dystopia

 

 

 

« L’enfance, ce grand territoire d’où chacun est sorti ! D’où suis-je ? Je suis de mon enfance. Je suis de mon enfance comme d’un pays… »


Antoine de Saint Exupéry

 






Préface
NoirPunk de Chamanadjian > collages de 
Lise L.
Interface 1
CANT de luvan > dessins de 
Lia Vesperale
Interface 2
Kawaakari de Juillard > têtes de chapitre de 
Elvire De Cock
Postface

(Préface, Interfaces et Postface : Xavier Vernet)

 

 


Derrière le grillage est un projet littéraire soumis à un financement participatif comportant trois nouvelles ou novella et un paquet paratextuel préface/postface/interfaces que je prends la liberté de renommer récit introductif car il me semble que l’ami Xavier auquel je dois ce service de presse vient de franchir un pas décisif en se faufilant dans une trouée de grillage qui l’introduit désormais dans le Jardin statuaire des littérateurs il faut dire que son autobiographie à l’émotion contenue fruit d’un deuil interminable m’a rappelé un article sur Saint-Exupéry le journaliste avançait la thèse que Le petit prince ne s‘apparentait pas à une anomalie au sein d’une œuvre grave parfois sentencieuse mais que les thèmes de la responsabilité et de la solidarité proférés ad nauseam y compris pendant la seconde guerre mondiale reposaient sur une unique clef de voute le lien entre les hommes et que ne voulant pas se désavouer alors que tout se déliait sous ses yeux il avait restauré le lien fondamental indestructible celui de l’enfance voilà à mon sens la voie directrice de l’ouvrage cette annexe d’une zone pavillonnaire quelques box un bac à sable et un jardin au-delà c’est l’ Alamo et la cuisine des Tontons flingueurs de l’éditeur pas seulement l’ultime refuge mais aussi la (re)découverte d’un univers auquel il convie comme chef de bande toutes les plumes de son quartier

 

Microprocesseur fictionnel

les autrices et auteurs ne sont pas inconnus des «  Dystopiens » Iuvan en particulier a publié chez La Volte débutons par NoirPunk de Guillaume Chamanadjian mon texte préféré parce que le plus « classique » de cette anthologie fiévreuse il nous transporte dans un futur Gibsonien où Myriam est une cyber enquêteuse quasi clone du major Motoko Kusanagi figure de la franchise Ghost in the Shell elle travaille en freelance pour Europol et dans ses loisirs pour oublier son monde bientôt le nôtre couleur télé calée sur un émetteur hors service où l’on troque des kilowatts pour s’alimenter elle bascule dans un jardin virtuel (celui de Xavier Vernet évidemment) dont elle peaufine les détails quant soudain son contact dans le conglomérat la tire de son refuge pour la relancer sur un dossier mort-né celui d’un hacker nommé Yagami problème no 1 il a refait surface problème no 2 son nom est celui d’un personnage de fiction inventé autrefois par Myriam et quelques copains copines dans un ouvrage intitulé NoirPunk quel plaisir si comme moi le passage suivant réveille chez vous le souvenir nostalgique de Neuromancien « Le sifflement était caractéristique, on l’appelait le coil whine. Le gémissement des électrons qui se divisaient au sortir des câbles pour s’agglutiner dans des dizaines de circuits. Interrupteur sur « on », tension, stridulation. Les ventilateurs se mettaient en route. Avec la chauffe, le bruit devenait un chuintement. Quelques minutes d’attente, tympans saturés. » une excellente entame

 

je saute directement sur la novella de Sébastien Juillard qui transpose le jardin dans un espace en friche de Shinagawa un quartier de Tokyo rempli d’herbes folles de statues et de containers plusieurs histoires s’y déroulent celle d’une détective revenue sur les lieux quinze ans après le décès de son père (« […]mort dans un souffle d'éthanol incandescent, sur un tronçon d'autoroute réformé, où chaque vendredi soir, il s'efforçait de lisser, à 200 km/h, un pli au cœur que personne n'avait su voir »)  celui-là même qui avait loué un de ces réceptacles en acier pour en faire son atelier ou celle d’un artiste de l'ère Genroku à l’origine des sculptures voir celle de Takemura Ayame une jeune femme victime d’une amnésie au total étranges et fascinants récits sur l’impermanence des identités dans un monde où les progrès de l’ingénierie génétique redonnent vie au mythe ancien de la réincarnation je garde pour la fin Cant comme Cantos le long poème en prose de Iuvan où chamanes et druidesses pourfendent le langage dans un cryptolecte où je me suis parfois perdu me raccrochant en guise de bouée de sauvetage à Borges « Dans un poème ou dans un conte, le sens n’importe guère; ce qui importe, c’est ce que créent dans l’esprit du lecteur telles ou telles paroles dites dans tel ordre ou selon telle cadence. »

  

du très bon du bon de l’énigmatique un paratexte qui se fond dans le texte de l’autofiction qui croise de la fiction j’attends le tome 2


vendredi 10 janvier 2025

Apollo et après ?

Barry N. Malzberg - Apollo et après ? - Casterman

 

 

Harry M. Evans est le seul rescapé du premier vol vers Vénus. Joseph Jackson, chef de l’expédition et unique coéquipier de l’astronaute a disparu. Que s’est-il passé ? Placé en institution psychiatrique, interrogé par le docteur Forrest, Evans multiplie les versions. Seul dans sa chambre il réinvente son existence, refait indéfiniment l’expédition interplanétaire, dialogue avec des fantômes, relate les détails d’une activité sexuelle aussi débridée qu’imaginaire, parle à son double. Il souffre de symptômes dissociatifs. Pour faire simple son cerveau est en marmelade.

 

Décédé très récemment Harry Malzberg laisse une œuvre conséquente, mais mal connue, tout au moins dans l’Hexagone. La faute peut-être à la concurrence de contemporains brillant comme Ellison, Spinrad ou Delany qui comme lui ont secoué le cocotier de la littérature de science-fiction dans les années 60 et 70. Sauf erreur, le pitch du roman avait préalablement fait l’objet d’une nouvelle traduite sous le titre « Notes pour un roman sur le premier vaisseau atterrissant sur Vénus » et publiée dans Univers 01. Il inspirera peut-être quelques années plus tard La grande porte de Frederik Pohl, résumé ainsi par Denis Guiot « [une] conquête de l'espace à la Malzberg, sordide et dérisoire »

  

Cette vision d’une thématique à l’agonie est confortée par la conclusion d’un texte de présentation sur le rabat de la couverture : « Evans joue à cache-cache avec la vérité. Mais la seule qui compte est que l’espace n’est pas fait pour l’homme. L’espace rend fou. L’exploration des planètes est un mythe, un gouffre ruineux, un rêve absurde de technocrates. Apollo et après – Après ? Rien. ». Mais est-ce de cela dont il s’agit ? Certes l’œuvre a été publié en 1972, trois ans après le mythique atterrissage lunaire. Certes aussi soixante après l’Humanité piétine aux portes de Mars. Découvrons nous cependant dans cette histoire quelque élément matériel sur l’échec du vol, sur l'éventuelle détérioration progressive des rapports entre deux astronautes cloitrés pendant des mois dans une capsule, quelque chose de factuel ? Hormis le chapitre 58 qui sonne la fin des courses spatiales, rien.

  

A l’inverse on peut avancer que Malzberg propose un roman qui se réinvente à chaque page, laissant un instant entendre que Harry M. Evans en est l’auteur, exploitant une idée reprise la même année par Spinrad avec Rêve de fer. Quelles sont les limites de la littérature de science-fiction ? Ou plutôt, pourquoi réduisons nous celle-ci, nous et pas seulement des critiques extérieurs au corpus de l’imaginaire, à des schèmes préétablis ? Et si Malzberg avait, à sa façon, sur fond vénusien, tenté de rédiger Une saison en Enfer ?


samedi 4 janvier 2025

La Maison des Jeux - Le Maître

Claire North - La Maison des Jeux - Le Maître - Le Bélial’

 

 


New York, de nos jours : le troisième et dernier récit de La Maison des Jeux entraine le lecteur dans une partie de Risk opposant La Maitresse des Jeux à son plus ancien et habile adversaire, Argent. L'enjeu ? La Maison ! C’est l’épreuve ultime dont les deux premières étapes constituaient les prolégomènes. Les champions précédents Remy Burke et Thene, apparemment immortels mais pas invulnérables, font des apparitions fugitives à des moments clefs. Argent se déplace dans le monde, pas seulement pour se protéger mais pour activer des pièces qui lui sont, comme pour sa rivale, obligées sans échappatoire. La Terre est le plateau ultime ; dans cette bataille les coups portés ébranlent Etats et Nations et les hommes en paient le prix :

 

 « Elle [la partie]continua pendant trois ans.

Des gouvernements chutent et des économies déclinent. Des banques s'effondrent, des ordinateurs tombent en panne, des militaires se rebellent, des frontières se ferment, des contrats partent à vau-l'eau, des oléoducs s'assèchent, des satellites brûlent, des hommes meurent, le monde tourne et la partie continue.

Allongé seul sur une chambre d'hôtel bon marché à Addis-Abeba, un bol de cacahuètes et une bière vide à mon côté, j'effectuai l'inventaire mental de tout ce que nous avions détruit au nom de cette partie et le trouvai gigantesque. Pas seulement les pièces envoyées à la mort ou en prison, mais les vies brisées chaque fois que nous jouions un tueur, destituions un juge, déci­mions un gouvernement, ruinions une banque. Nous — elle et moi — étions les parents de l'agitation civile et du carnage. Les conséquences de nos actions étaient désormais si étendues que les experts commençaient à appeler le déroulement de notre partie «années d'automne» : l'espoir des années « de printemps» précédentes s'y effaçait devant la sauvagerie qui précède l'hiver. »

 

Sommes nous les acteurs de l’Histoire ou de simples pions ? La littérature de science-fiction propose en la matière un vaste achalandage d’explications en tout genre, hommes providentiels, phénomènes climatiques, épidémies, psychohistoire etc… Chez Claire North les Dieux ont quelques états d’âme mais pas au point de nous abandonner le libre-arbitre. Ainsi se conclut ce plaisant ouvrage.

mercredi 1 janvier 2025

Les Boutiques de cannelle

Bruno Schulz - Les Boutiques de cannelle - L’imaginaire - Gallimard

 

 

Aucun rêve, si absurde soit-il, ne se perd dans l'univers. Il y a en lui une faim de réalité, une aspiration qui engage la réalité, qui grandit et devient une reconnaissance de dette demandant à être payée.

 

 

Bruno Schulz est un dessinateur et écrivain polonais né à Drohobycz en 1893, mort assassiné en 1942 par un SS dans cette même ville devenue un ghetto. Il laisse deux recueils de nouvelles, une correspondance où figure entre autres le nom de l’ami Witold Gombrowicz et c’est à peu près tout. On a dit qu’il avait traduit Le Procès de Kafka, mais cela n’est pas assuré.

 

Les Boutiques de cannelle révèle un auteur vraiment original (merci Olivier de CSF) dont l’écriture s’apparente à un jardin d’herbes folles, une transfiguration du réel à la lisière du fantastique. Ces récits proviennent d’une autobiographie fragmentée dont Schultz a fixé la forme définitive ultérieurement. Lisibles séparément ils forment une chronique familiale dont le père, un « marchand drapier » tantôt décrit comme un fou, tantôt comme un démiurge, tient le rôle principal. Bruno Schulz a lu Kafka ; impossible, en parcourant « La visitation » et aussi « Les Cafards » de ne pas songer à une Métamorphose inversée où cette fois Gregor Samsa chasserait la figure paternelle toute puissante du grand pragois, l’acculant à la démence, à la maladie avant de l’effacer aux yeux du reste de la famille (1):

« Au fur et à mesure, ces disparitions cessèrent de nous impressionner et, lorsque après un certain laps de temps il réapparaissait, de quelques pouces plus petit, et plus maigre, l'événement n'arrivait plus à nous intéresser Nous cessâmes purement et simplement d'en tenir compte, tant il s'était éloigné de tout ce qui était humain et réel. Nœud après nœud, il se détachait de nous, point après point il effaçait les liens qui l’unissaient à la communauté des humains.

Ce qui restait encore de lui, ce peu d'enveloppe charnelle et cette poignée de lubies extravagantes, pouvait bien disparaître un jour ou l'autre sans que l’on s'en aperçût, tout comme le petit tas de balayures grises amassées dans un coin, qu'Adèle descendait chaque matin dans la boîte aux ordures. »

 

Le premier texte « Août » raconte une visite effectuée par la famille du narrateur enfant dans les faubourgs de la ville chez une de ses tantes. A la description des embrassements lumineux d’une place de marché et de la chaude pénombre d’une maison succède une excursion faubourienne au sein d’un monde végétal, sensuel, érotique :

« « L'enchevêtrement touffu des herbes folles et des chardons brûle en crépitant dans le feu de l'après-midi. La sieste paresseuse du jardin bourdonne du vacarme des mouches. Les chaumes dorés hurlent au soleil comme une nuée de sauterelles rousses, les grillons s'égosillent dans la pluie ruisselante du feu, les siliques pleines de graines explosent discrètement avec un bruit de cigales.

Vers la haie, la croûte épaisse des herbes se bosselle comme si le jardin s'était retourné dans son sommeil et que ses pectoraux robustes respiraient le silence de la terre. Là, le mois d'août dans son incontinence de femelle débraillée avait creusé d'énormes entonnoirs de bardanes, planté d'immenses feuilles chevelues, tiré de hideuses langues de viande verte. Là, ces mères-gigognes exorbitées se ballonnaient, largement accrou­pies, à demi dévorées par leurs jupons en furie. Là, le jardin soldait à vil prix le tout-venant de ses marchan­dises: le sureau, les grands plantains qui sentent le savon, l'alcool sauvage de la menthe, bref toute la paco­tille du mois d'août. »

 

Et plus loin chez Tante Agathe :

 

« Les lourdes tentures de velours bleu parsemé de fils d'or maintenaient la chambre dans l'obscurité, mais même ici l'écho du jour flamboyant, bien que filtré par l’épaisse verdure du jardin, jouait encore en reflets de cuivre sur les cadres des tableaux, les poignées de porte et les verres des encadrements. Tante Agathe se leva de son fauteuil, grande, épanouie, sa chair blanche comme mangée par la rouille des taches de rousseur. Nous nous assîmes à leur côté, faisant halte un instant an bord de leur sort, un peu gênés par la passivité avec laquelle ils se livraient à nos regards, et nous buvions de l'eau au sirop de rose, boisson extraordinaire, qui me semblait réunir dans son arôme et sa saveur l'essence même de ce samedi torride.

Tante Agathe maugréait. C'était là le ton général de sa conversation, la voix même de cette viande blanche et fertile qui paraissait déborder de son corps et éprou­ver la plus grande difficulté à se maintenir dans les limites d'une forme individuelle, prête à tout moment à se tronçonner, à bourgeonner, à se multiplier en famille.

On aurait dit que sa féminité se passait aisément de fécondation et qu'il eût suffi d'un arôme un peu masculin, d'une vague odeur de tabac, d'une blague un peu grivoise pour qu'elle se mît aussitôt à prolifé­rer luxurieusement. En fait, ses récriminations conti­nuelles contre son mari, ses domestiques, sa sollicitude harassante à l'égard des enfants, tout cela n'était que caprices de sa fécondité insatisfaite, prolongement natu­rel de cette coquetterie insupportable, hargneuse et larmoyante, dont elle harcelait sans cesse son mari. »

  

A côté de ces nouvelles fiévreuses on découvre des textes plus « classiques », une magnifique fugue du jeune narrateur dans la ville et les souvenirs (« Les boutiques de cannelle »), les promesses du futur (« La république des rêves ») :

« En ces temps reculé, nous avions conçu avec mes camarades l'idée impossible et absurde d'aller plus loin que la ville d'eau, jusqu'au pays n'appartenant à per­sonne sauf à Dieu, marche discutée et neutre où s'estompaient les confins des Etats, et où la rose des vents, prise de folie, tournait sous la voûte du ciel. Là, nous étant libérés des grandes personnes, nous allions établir notre place forte, proclamer une république des jeunes. Là, nous allions promulguer des lois nouvelles, une nouvelle hiérarchie de critères et de valeurs, mener une vie placée sous le signe de la poésie et de l'aventure, des éblouissements et des étonnements continuels. Nous croyions qu'il suffirait d'écarter les barrières des convenances, de quitter les vieilles ornières des affaires humaines, pour qu'une force élémentaire pénètre dans notre existence, une grande marée d'imprévu, une ava­lanche d'aventures romantiques. Nous voulions assujet­tir notre vie à un torrent d'affabulations, nous laisser porter par des vagues inspirées d'histoires et d'événe­ments. L'esprit de la nature est au fond un grand conteur. C'est lui qui est la source des fables, des romans et des épopées. Il y avait une quantité de motifs romanesques dans l'air. Il suffisait de tendre ses filets sous le ciel chargé de fantômes, de ficher en terre un mât que le vent faisait chanter, et bientôt autour de son sommet des lambeaux de romans pris au piège bat­traient des ailes. »

  

« La Nuit de la Grande Saison » plonge la ville et la boutique du drapier dans une espèce de nuit de Walpurgis. « La rue des Crocodiles » ressemble à une speculative fiction. Il y est question d’une rue dont les habitants, les mœurs, l’architecture semblent frappés de déliquescence et de perversion. S’agit-il d’une critique de la modernité ou d’une simple expérience de pensée, un territoire surgi d’une carte imparfaite ? Enfin dans « Les Oiseaux » le fantasque drapier et chef (?) de famille se découvre une passion pour l’ornithologie, passion qui envahit tout l’immeuble.

 

Quelle découverte, quelle écriture ! Une réédition avec un nouvel appareil critique, voir une retraduction de textes alourdis de quelques vieilleries, seraient cependant bienvenues.

 

 

 

(1)   Les amateurs de science-fiction et de fantastique de souviendront de L’homme qui rétrécit de Ray Bradbury et de « Black Country » de Joel Lane.

 

 

Table des matière (Source Noosfere)

 

1 - Maurice NADEAU, Présentation, pages 7 à 10, introduction

2 - Arthur SANDAUER, Préface, pages 11 à 30, préface

3 - Août, pages 33 à 43, nouvelle, trad. Georges LISOWSKI

4 - La Visitation, pages 44 à 52, nouvelle, trad. Georges LISOWSKI

5 - Les Oiseaux, pages 53 à 58, nouvelle, trad. Georges SIDRE

6 - Les Mannequins, pages 59 à 66, nouvelle, trad. Georges SIDRE

7 - Traité des mannequins ou la seconde Genèse, pages 67 à 72, nouvelle, trad. Georges SIDRE

8 - Fin du traité des mannequins, pages 73 à 80, nouvelle, trad. Paul ALEXANDRE

9 - Nemrod, pages 81 à 85, nouvelle, trad. Thérèse DOUCHY

10 - Monsieur Charles, pages 86 à 89, nouvelle, trad. Thérèse DOUCHY

11 - Les Boutiques de cannelle, pages 90 à 102, nouvelle, trad. Georges SIDRE

12 - La Rue des Crocodiles, pages 103 à 114, nouvelle, trad. Georges SIDRE

13 - Les Cafards, pages 115 à 119, nouvelle, trad. Thérèse DOUCHY

14 - La Bourrasque, pages 120 à 127, nouvelle, trad. Georges LISOWSKI

15 - La Nuit de la Grande Saison, pages 128 à 143, nouvelle, trad. Georges LISOWSKI

16 - La République des rêves, pages 147 à 155, nouvelle, trad. Thérèse DOUCHY

17 - La Comète, pages 156 à 176, nouvelle, trad. (non mentionné)

18 - La Patrie, pages 177 à 184, nouvelle, trad. Thérèse DOUCHY

19 - La Mythification de la réalité, pages 185 à 187, nouvelle, trad. Thérèse DOUCHY

20 - Stanilaw Ignacy WITKIEWICZ, Interview avec Bruno Schulz, pages 188 à 191, entretien avec Bruno SCHULZ, trad. Thérèse DOUCHY

21 - Lettre à S.I. Witkiewicz, pages 192 à 197, courrier, trad. Thérèse DOUCHY

22 - Lettre à Wiltold Gombrowicz, pages 198 à 205, courrier, trad. Thérèse DOUCHY


Pour aller plus loin