Ian McDonald - Le temps fut - Le Bélial’
Un bouquiniste découvre, en furetant dans le stock d’une librairie en liquidation, un recueil de poésie d’un obscur E.L. Un courrier s’y dissimule. Flairant une opportunité le jeune homme emporte le livre et étudie le contenu du manuscrit. Ses premières investigations révèlent une lettre d’amour datant de la seconde guerre mondiale d’un certain Tom Chappell adressée à Ben Seligman. Le premier aurait été impliqué dans un projet scientifique secret au sein de l’Unité Incertitude et aurait versifié à ses moments perdus, le second était photographe militaire.
De Ian McDonald l’amateur de littérature de genre attend beaucoup. Comme l’indique Le Bélial’ « l’écrivain […] délaisse volontiers les figures imposées […] pour s'intéresser à des cultures tour à tour familières et étrangères ». Si l’intrigue, malgré un dénouement original, ne brille pas par son originalité, toute autre en est la mise en œuvre. Le lecteur suit un double récit, d’une part l’enquête du brocanteur sur les réseaux sociaux et ses pérégrinations de librairies en librairies comme dans La neuvième porte, d’autre part les apparitions sporadiques des deux protagonistes. Il y a ce lieu mystérieux, central, Shingle Street, une voie pavée de galets au bout de laquelle se dresse la tour Martello, à l’instar de la zone X d’Annihilation de Jeff Vandermeer. Lorsque Ian McDonald pose sa plume quelque part il le fait à la manière d’un correspondant étranger façon Hemingway. Nous voici au cœur des massacres de Nankin, ou sur les hauteurs de l’Aventin à Rome dans un jardin d’oranger. Le véritable voyageur c’est l’auteur.
A son actif également une galerie de personnages et de milieux sociaux ou ruraux pittoresques comme les Fenlands. Comme chez tout maitre-écrivain de SF l’art de la description confine à la transfiguration :
« Shingle Street
J'ai vécu vingt ans dans cette rue de
galets. Je l'ai connue par toutes saisons et sous tous les éléments, j'en
connais toutes les nombreuses humeurs.
Je la connais balayée des vents d'est, quand ils
soufflent dans un ciel noir comme le jour du Jugement et semblent arracher la
terre comme si de la peau se détachait d'une mâchoire, quand la mer se rue sur
le rivage et entrechoque si fort les galets que je les entends depuis Ferry
Road.
Je la connais sous la neige, par ces rares journées
de gris indifférencié où les tournepierres sont fouettés par les fins flocons
blancs projetés depuis la Baltique, quand les cailloux sont recouverts d'une
couche de neige et prisonniers de la glace. Combien de galets entre Bawdsey et
Orford Ness ? Il y a des gens qui pourraient les compter, mais je n'en fais
pas partie.
Je la connais sous
la pluie, quand elle devient une rivière noire qui ondule, luisante comme un
chien en train de nager, et les bateaux, les filets, les cabanes, les rangées
de maisons et la tour Martello paraissent s'accroupir pour s'en protéger, pour
chercher un abri dans un terrain qui en est dépourvu.
Je la connais en
plein soleil d'été,
quand on dirait le ciel et la mer amarrés l'un à l'autre avec le monde entier
gisant épuisé entre eux, sans que rien
ne bouge, ni même ne
respire, quand le ciel est aussi pesant que les eaux de
marée et que la mer semble s'élever par le simple
effet de la géographie- Ces jours-là, Shingle Street est une large lame de fer
forgé, et le soir, les mouettes s'élèvent sur un vent qu’elles seules perçoivent.
Quelle que soit son humeur, je pars rouler en moto sur la
route de galets. »
Quelque chose me semble cependant absent de ce tableau presque idyllique :
l’émotion. Le temps fut raconte une histoire
d’amour qui tente de survivre aux aléas du Temps. Avec nostalgie Emmet évoque les
ouvrages d’Erich Von Däniken et autres Matin des magiciens et l’époque où
les ET semblaient surgir de chaque coin de rue : « Tout le monde a un téléphone
capable de prendre des photos et plus personne ne voit d’ovnis ». Cela
s’appelle le désenchantement, trop vite refermé par McDonald et qui
imprégnait par exemple dans sa totalité Les iles du soleil de Ian R. MacLeod. Pour cette
raison Le temps fut s’apparente à un brillant exercice de style mais il reste cependant - dans la collection « Une heure-lumière » - en deçà du
Fini des mers ou d' Un pont sur la brume.
2 commentaires:
"je pars rouler en moto sur la route de galets"
Ah quand même !
Le reste de l'extrait est sublime, je trouve.
Ah Ah bien vu !
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