Kij
Johnson - Un Pont sur la brume - Le Bélial’ Collection
une heure lumière
Un fleuve long de 5000 km sépare en deux l’Empire. Les
habitants ont pris l’habitude de le traverser à bord de bacs,
entretenant ainsi un lien commercial vital autant que précaire. L’exercice s’avère
périlleux non pas en raison de l’éloignement des rives mais à cause de la
présence d’une brume persistante épousant les eaux et abritant dit-on des
créatures mystérieuses, prédatrices ou géantes. Les autorités impériales chargent
Kit Meinem d’Atyar, architecte réputé, de construire un premier pont joignant
deux cités situées de part et d’autre, Procheville et Loinville. Au départ
sceptique, la population prend ensuite fait et cause pour le projet.
La narration prend appui sur le personnage de Kit Meinem
d’Atyar, présenté comme l’homme des structures, mais aussi comme un être secret
et sensible. Dans ce texte, Kij Johnson lance des ponts multiples, un récit
d’apprentissage, la naissance d’une relation sentimentale avec une batelière.
Rasali, c’est un peu l’Ondine de Jean Giraudoux, une jeune femme
familiarisée avec les caprices de la brume, avec l’informe et l’imprévisible.
Mais aussi un personnage à la fois pragmatique et fataliste.
Tous deux semblent avoir pris la mesure du Temps. La
réalisation de l'ouvrage enjambe les années, la traversée en bac du fleuve
obéit à des délais et des auspices connus de la seule compagne du héros. La
brume semble elle-même une métaphore du Temps, que l’on traverse sans encombre,
où l’on s’engloutit aussi. Le lecteur retiendra aussi l'image d'un personnage qui s'efforce de jeter un pont vers les autres. On aurait bien aimé apercevoir
les fameux Géants, mais ce texte inclassable procure bien des satisfactions.
Et pour le plaisir ce texte magnifique de Marcel Béalu :
« Et maintenant il y avait ce pont à traverser, ce
seul pont jeté sur le fleuve pour atteindre une rive invisible. Qu'allez-vous
faire au-delà ? dirait l'autre voix plus terrible encore. Car ce pont est
une frontière et cette autre rive un autre monde. Et pour passer du l'un à
l'autre je devais affronter les deux sentinelles qui se confondaient de plus en
plus au brouillard et à la nuit. D'où je venais je le savais, mais ce que je
voulais au-delà, comment le dire ?
Ainsi soliloquant j'approchai de
l'entrée du pont et me trouvai bientôt à deux pas des gardes dont la silhouette
grandissante et la complète immobilité commençaient à me rassurer. N'était-ce
pas de simples statues de pierre ? Combien j'avais eu tort de
m'effrayer ! Et plus grand tort encore sans doute de tant me soucier à
propos de l'autre rive. Tandis que l'avançais d'un pas allègre, sous l'effet de
ce nouveau courage, la brume tout à coup se dissipa pour faire place à la nuit
étincelante, et, dès que j'eus traversé le pont, les fantômes vinrent à ma
rencontre. »
7 commentaires:
Billet poétique qui semble né de l'actualité d'une photo sur un blog voisin.
Mais ici, on change d'univers. J'aime que cet itinéraire passe par la mémoire de Marcel Bealu. Sa librairie , "Au pont traversé" était un refuge en bas du boulevard Saint Michel, près de l'église Saint Séverin, pour les amoureux de poésie et d'insolite. J'aimais y passer de longues pauses, un livre en main. De plus c'était un poète diaphane dont l'écriture touchait à peine les livres. Il écrivait l'eau et ses sortilèges. Puis, excédé par le changement d'atmosphère du quartier, il a migré vers la rue de Vaugirard et a installé sa librairie dans une ancienne boucherie aux mosaïques bleues.
C'est dans ce climat que vous placez ce très beau livre de Kij Johnson - "Un Pont sur la brume" -
Ce que vous en dites donne envie d'ouvrir ce roman : "Dans ce texte, Kij Johnson lance des ponts multiples, un récit d’apprentissage, la naissance d’une relation sentimentale avec une batelière. Rasali, c’est un peu l’Ondine de Jean Giraudoux, une jeune femme familiarisée avec les caprices de la brume, avec l’informe et l’imprévisible.".
Le charme continue d'habiter votre blog, Soleil Vert. Merci.
Ce qui est surprenant c'est que la brume n'est pas vraiment de la brume. Elle a une consistance. Ils peuvent en prélever des échantillons. Leur bac se déplace dessus sans toucher l'eau.
C'est d'autant plus étrange que le roman commence par un fleuve qui paraît normal sauf qu'il sépare deux rives très éloignées lune de l'autre et que cette brume avale le paysage.
Et puis au détour d'une phrase on découvre deux lunes.
Rien dans les personnages et leurs activités ne laissent supposer qu'on a pénétré sans s'en rendre compte dans un roman d'un autre temps, peut-être même ailleurs que sur terre. Le caractère de Rasali est reèche mais c'est un personnage attirant et puissant pour Kit, le constructeur ingénieur .
J'aime assez que Kit , "commence à entrevoir l'architecture invisible du pont."
Ce doit être comme ça. Un regard capable de projeter une ligne dans la pensée ou sur papier. C'est un temps très bref de pressentiment. Il doit frôler l'image du pont. Un pont qui doit être au-dessus de la brume.
Au-dessus ?
Mais qu'est-ce donc que cette brume ?
"Cette chose n'était pas de l'eau ni quoi que ce soit d'approchant (...) Une écume seffilochant". presque sèche...
Oui, on voit cela parfois en bord de mer. Le vent la projette sur la grève mais c'est de l'écume pas cette chose....
Étrange aussi la distinction entre poissons de brume et poissons d'eau.
Où est-on ? Ils pêchent ces poissons de brume avec d'énormes hameçons. Leur peau, solide sert à recouvrir la coque des bateaux, des skiffs. Mais ce ne sont pas vraiment des poissons. Qu'est-ce que c'est ?
Et pourtant même si c'est un port avec des femmes, des hommes des enfants, on ne rame pas dans cette brume, on pousse les bateaux.
Ce qui est troublant c'est que l'étrange colle aux choses connues sauf... Et là, un détail vient préciser une différence mais sous une forme de question sans réponse.
Des étapes guettent le lecteur qui ressemblent à des charades. Le sens revient par des détails sans importance, gestes du quotidien, habitudes de vie. Comme une superposition de deux mondes , un normal et l'autre tout en étrangeté.
Peu à peu, la brume révèle son secret terrifiant. Que cache-t-elle qui décime les imprudents passagers des bateaux.
C'est vrai que ce roman fait penser aux contes du demi-sommeil de Marcel Bealu. Des petites touches qui progressivement installent une atmosphère d'épouvante... douce.
Page 42
"Des trous palpitaient dans la montagne de brume, d'autres s'ouvraient encore, d'autant plus sombres qu'ils étaient profonds. Et dans ces espaces, dans les ombres obscures au cœur de la brume, on distinguait du mouvement.
Les trous de refermèrent. Après une éternité, lentement, la brume s'aplanit, puis retomba (...)
"Partis", dit Rasali dans une sorte de sanglot. (...)
"Je n'ai vu que la brume, dit Kit. Il y avait un Géant ?" (...)
"Oui. J'ai déjà vu la brume bouillonner ainsi, mais jamais à ce point. Rien d'autre n'aurait pu la soulever de la sorte.
- Délibérément ?
- Allez savoir... Les Géants regorgent de mystères."
Je me souviens d'un autre pont...
https://editions-verdier.fr/2014/03/25/le-magazine-litteraire-octobre-2008-par-pierre-assouline/
Détourner le cours de l'Arno... Léonard et Machiavel... Un récit de Patrick Boucheron
Un mystère résolu : la chèvre. Je me demandais ce que faisaient des chèvres (animal) dans le chantier du pont !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A8vre_(outil)
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