mercredi 4 juillet 2018
Stalker
samedi 15 janvier 2022
L’île habitée
Arkadi
et Boris Strougatski - L’île habitée - Denoël Lunes d’encre
Traduit en 1971, l’île
habitée appartient à la « trilogie des pèlerins », à laquelle se
rattachent Le scarabée dans la fourmilière et Les vagues
éteignent le vent. A l'image des autres opus des frères Strougatski le
thème de l’intrusion constitue le fil conducteur de l’ouvrage à tel point que
le lecteur découvre ou redécouvre, comme dans le précédent Il est difficile
d'être un dieu réédité par Lunes d'encre, un cycle de la Culture avant la
lettre.
Maxime, un Terrien membre du Groupe de Recherche Libre, débarque sur une planète inconnue en crashant son vaisseau à l’atterrissage. Il découvre un monde délétère : « L’air était brûlant et dense. Cela sentait la poussière, le fer rouillé, l’herbe piétinée, la vie. » Des hommes y vivent dans un pays nommé "L’île habitée", sous le joug d’une dictature qui entretient un état de guerre permanent contre des ennemis extérieurs et intérieurs. Les Pères inconnus annihilent toute velléité de résistance en balançant quotidiennement des électrochocs sur la population. Maxime, archétype de super héros tout en candeur, doté de capacités psychiques et physiques hors norme décide bien malgré lui de s’intégrer à ce monde.
Romans après
romans, Arkadi et Boris Strougatski élaborent des récits sur le thème de
l’intervention extra-terrestre dans une société rétrograde. Cependant on est
loin de l’hédonisme de la Culture, et le peu d’importance accordé aux éléments
science-fictifs rattache ces textes à des contes philosophiques. Dans Il est
difficile d’être un dieu, les dieux en question se cantonnent à un
rôle d’historien et d’observateur, au prix de douloureux débats moraux et du
renoncement. A l’inverse L’île habitée raconte l’itinéraire spirituel
d’un personnage qui passe du rôle de spectateur à celui de rebelle. Cet univers
de rouille, de radioactivité, de soldatesque aux cerveaux cramés évoque à la
fois Stalker et 1984, à ceci près que le célèbre roman de Orwell
décrit une oppression vécue de l’intérieur.
Enrôlé dans la
Garde, au début du récit, Maxime se lie d'amitié avec le caporal Gaï et sa sœur
Rada. Leur compagnie traque les opposants au régime. A l'occasion d'une
arrestation, il intègre sans hésiter un groupe de résistants dont l'objectif
est d'abattre l’une des tours émettrices des rayons dépressifs.
Personnage sans regret avec un profil de meneur, électron libre à la manière
des agents de "Circonstances spéciales" de la Culture, tout entier
tendu vers les objectifs qu'il se fixe au fur et à mesure de sa progression
dans la connaissance de son environnement, le héros de l'île habitée
semble tout aussi mystérieux aux yeux du lecteur que les Pères inconnus. A
l'inverse, comme d'habitude, les frères Strougatski agrémentent le récit de
personnages secondaires hauts en couleur, profilés comme des maniaco-dépressifs,
bref typiquement russes.
Des Pères inconnus,
au Petit Père du peuple, le pas est vite franchi. A la fois roman politique et
d'aventure, très linéaire dans sa construction, L'île habitée se lit sans
déplaisir, si ce n'est une pointe d'austérité qui l'apparente aux contes
philosophiques.
[Cette chronique
est une reprise d’une fiche de lecture parue dans Le CC]
mercredi 7 février 2018
Annihilation
jeudi 24 octobre 2013
7 secondes pour devenir un aigle
samedi 15 janvier 2022
Il est difficile d’être un dieu
Arkadi
et Boris Strougatski - Il est difficile d’être un dieu - Denoël Lunes d’encre
« Un être
qui s'habitue à tout. Voilà, je pense, la meilleure définition qu'on puisse
donner de l’homme » (Dostoïevski -Souvenirs de la maison des morts).
« « Le
propre de l’homme » disait Boudakh…c’est son étonnante faculté
d’adaptation » (A&B Strougatski-il est difficile d’être un dieu)
La Terre expédie
secrètement deux cent cinquante observateurs d'un institut d’histoire
expérimental sur la planète Arkanar. Parmi eux Anton Roumata, dissimulé sous
l'identité de Don Roumata, un aristocrate de haut lignage, Ses employeurs lui
interdisent toute intervention dans les affaires de l’état et bornent son
activité à la stricte relation des événements dramatiques qui secouent cette
monarchie féodale. A contre cœur, muni d’une discrète caméra, il assiste
passivement à l’irruption d’un dictateur dans l’ombre d’un roi falot, comme
jadis Hitler aux côtés du vieil Hindenburg : « Trois années
auparavant, il avait émergé des sous-sols humides de la chancellerie du palais,
petit fonctionnaire insignifiant, empressé, blême et même bleuâtre. Ensuite le
Premier ministre en place avait été brusquement arrêté et condamné. Plusieurs
hauts dignitaires étaient mort sous la torture, hébétés de terreur, sans rien
comprendre. Ce génie tenace et impitoyable de la médiocrité avait poussé sur
leurs cadavres comme un énorme champignon pâle. »Face aux exactions de
Don Reba, Roumata adopte une attitude de compromis et entame une résistance
passive, Un double jeu qui n’est pas sans danger…
Passé le prologue,
le récit débute par une incursion dans la forêt du Hoquet. Anton se rend dans
une cabane. L'endroit habité en permanence par le Père Kabani, un vieux savant
ivrogne, sert de base arrière et de salle de débriefing aux observateurs
terriens. Roumata dresse à son supérieur un tableau dramatique de la situation.
Le ministre de la sûreté Don Reba a décidé d'éliminer tous les lettrés et
scientifiques du royaume. Anton, fort de ses entrées au palais, tente
d'élaborer un plan pour trouver et sauver Boudakh, un médecin.
Les Strougatski ont abordé à plusieurs reprises le thème de l’immersion d'extraterrestres dans une société plus ou moins rétrograde. Ce roman s’inscrit en effet dans un projet littéraire plus vaste comprenant plusieurs romans, dont notamment Les vagues éteignent le vent. Sur le terreau un peu gris du monde féodal de Arkanar, Arkadi et Boris ont bâti un ouvrage remarquable, d’une hauteur de point de vue digne de celle d’un Orwell et balayant un vaste champ réflexif historique, éthique et moral.
L’intrusion de
Roumata dans Arkanar évoque bien entendu celles des agents de la Culture,
- le vaste empire informel imaginé par Banks .Ceux-ci s’efforcent de convertir
à leurs idéaux des mondes moins avancés technologiquement. Mais les Strougatski
ne partagent pas cette conception finaliste de l'histoire. Manipuler le cours
des événements ne conduit jamais au résultat escompté. Roumata précise
d’ailleurs ce point de vue à la fin du roman au cours de deux dialogues : avec
Arata le guerrier rebelle, auquel il refuse une assistance technologique, et
surtout Boudakh le médecin qui l’entraîne sur un terrain moral et théologique.
Boris et Arkadi s’inspirent en fait d’une scène des « Frères
Karamazov », en l'occurrence un réquisitoire prononcé par un évêque contre
le Christ ressuscité à Séville au temps de l’inquisition. L’église rejette le
Messie devenu inutile. Les hommes préfèrent le Mal et la souffrance à la
Liberté, car la Liberté est un fardeau trop lourd à porter. Sur la planète
Arkanar, la servitude imposée par le dictateur Don Reba s’accommode de
l’attitude non interventionniste et de l’impuissance de Roumata face à la
passivité de la population. L’esclave absout le maître, le moteur de l’Histoire
s’enraye.
Quelques éléments viennent aérer cette narration un peu austère. Les familiers de Don Roumata forment une galerie pittoresque : le baron Pampa sorte de Portos alcoolique et incontrôlable, Ouno le jeune garçon et Kira la femme aimée. Le dilemme éthique du Terrien partagé entre révolte et résignation, soucieux de conserver son intégrité morale, s’avère un puissant ressort dramatique. Des scènes humoristiques, la tentative de séduction de Dona Okana, alternent avec des intermèdes poétiques, la description de la forêt du Hoquet. Les romanciers ont choisi d'évoquer la Terre dans les pages évanescentes du prologue et de l'épilogue. Deux bouffées d'air, au sortir de l'horreur.
Rédigé au début des
années 60, le livre n’a rien perdu de sa lisibilité. Peut-être en raison du
mystère qui enveloppe la Terre natale utopique d’Anton Roumata. Les utopies
vieillissent, pas l’enfer.
[Cette chronique
est une reprise d’une fiche de lecture parue dans Le CC]
samedi 9 avril 2022
Au nord du monde
Marcel Theroux - Au nord du
monde - Zulma
Réfugiée à Evangeline, une ville
du nord de la Sibérie désormais déserte, Makepeace Hatfield vit une existence immobile
partagée entre la mémoire des siens et le dur labeur quotidien qu’impose sa
survie dans un milieu très rude. Autrefois son père, instruit dans la foi
quaker comme la plupart des soixante-dix mille colons venus le rejoindre, avait
entamé une nouvelle vie dans ces terres louées par le gouvernement russe, loin
d’un monde gangrené par la pauvreté et les dérèglements climatiques. Mais
l’espoir d’une refondation disparut lorsque la ville ne sut quelle attitude
adopter face aux attaques et tentatives de pillages de bandes armées. L’opposition
entre les pacifistes groupés autour de James Hatfield et les tenants d’une défense
sans concession se mua en violence. Désormais seule à bord au bout d’une longue
séquence de temps ponctuée de meurtres et de départs, Makepeace entasse livres
et souvenirs dans la demeure familiale.
Marcel Theroux est un romancier, reporter et documentariste préoccupé par les questions environnementales. Une incursion en décembre 2000 dans la zone d’exclusion de Tchernobyl et la rencontre d’une vieille femme solitaire qui cultivait son potager contaminé furent à l’origine de la conception d’Au nord du monde. Présenté comme un western de la steppe et de la taïga, ce qui n’est pas tout à fait faux et a le mérite d’attirer le chaland, l’intrigue pioche dans la veine des récits post apocalyptiques. Deux avant auparavant Michael Chabon avait planté le décor d’une communauté Yiddish exilée en Alaska. Mais Theroux trace plutôt sa route dans les traces de Cormac McCarthy et plus profondément dans le dernier tiers du texte, dans celles de Stalker.
Robinson d’un monde disparu, Makepeace voit son univers basculer lorsqu’elle surprend une jeune fille chinoise tenter de lui dérober des livres pour en faire du combustible. Elle prend sous sa protection l’adolescente engrossée par un pillard. Mais la mort de Ping et de son bébé la plonge dans le désespoir des dépositaires d’héritages intransmissibles. Apercevant un jour un avion, elle prend alors la route, car malgré tout « j’étais comme Papa. J’avais besoin d’un autre monde pour racheter le présent ».
Au nord du monde raconte l’histoire d’une survivance au sein d'une nature hostile mais non dépourvue de beauté, peuplée de rares communautés d'individus impitoyables. Les espoirs, les combats perdus ou gagnés, l’errance mentale de cette femme en quête de sa vérité prennent le lecteur aux tripes. Mais le roman va plus loin encore confrontant deux visions du monde, l’un happé par la course technologique, l’autre tenaillé par ses racines. Comme le suggère l’écrivain il se pourrait que le destin de l’Humanité résulte en un improbable mélange des genres et que nous soyons condamnés comme cette paysanne ukrainienne à subsister sur le terreau contaminé de nos fautes. Western ou science-fiction ne manquez pas de lire cet ouvrage.