vendredi 29 novembre 2024

Moi ce que j’aime c’est les monstres - Livre deuxième

Emil Ferris - Moi ce que j’aime c’est les monstres - Livre deuxième - Monsieur Toussaint Louverture

 

 

 

Il aura fallu attendre cinq ans pour connaitre la suite des aventures de la petite Karen Reyes, jeune fille résidente d’Uptown à Chicago dans les années 60. Le premier tome a eu un grand succès commercial et a reçu une pluie de récompenses. On y laissait l’héroïne désemparée par la mort de sa mère, on la retrouve au sein de ce même quartier glauque, dans l’appartement du sous-sol qu’elle partage avec son frère ainé Deeze. Un frère protecteur, caïd et artiste, qu’Emil Ferris croque sous les traits hybrides de Tony Montana et Franck Zappa. Tous deux fréquentent les musées, ce qui nous vaut au passage de somptueux dessins, imitations de Courbet, du Caravage, de Goya, de Toulouse Lautrec à côté de crayonnés à la Crumb.


Ebloui une nouvelle fois par ce festival graphique où chaque page réserve une surprise on en oublierait presque l’intrigue, assez molle en fait. Karen enquête sur la mort de Mme Anka Silverberg, découvre son passé de déportée, apprend l’existence d’un frère disparu prématurément, sympathise avec Jeffrey Alvarez, un écrivain afro-américain de science-fiction engagé dans les luttes pour les droits civiques avant de tomber sur un tripot souterrain.

 

Mais ce n’est pas très important. Karen a depuis longtemps troqué le réel contre une vie imaginaire peuplée de gentils monstres. Pourquoi ? Le hachurage dit Emil Ferris est une façon de combler le vide, avant de lâcher par l’intermédiaire de son personnage : « L’art est une protection ». L’artiste n’a pu se rendre aux Utopiales. On aimerait la voir à l’œuvre, découvrir le secret de ses somptueux portraits. Un troisième, voir un quatrième roman graphique seraient en route.




D'après "Le sommeil" de Gustave Courbet








28 commentaires:

Christiane a dit…

Je recommence. Le précédent commentaire étant parti sans relecture et bourré de coquilles !

Je découvre qu'elle est passée par une épreuve qui aurait pu l'anéantir. Une piqûre d'araignée provoquant une paralysie des membres inférieurs et de la main droite avec laquelle elle dessinait. C'est sa fille , alors âgée de six ans qui lui a, avec du ruban adhésif, placé un stylo dans la main droite. Cela a été le début d'un désir de s'en sortir pour elle. Il semblerait que ce soit une artiste extrêmement douée avec ses stylos. Son premier manuscrit a été refusé 41 fois.
Enfin le premier tome est sorti, relié comme un cahier à spirale avec une couverture souple. Le deuxième suit donc. La couverture est moins réussie que celle du premier. Mais vous dites que la traversée vaut le coup d'œil.
Elle a passé son enfance et plus tard dans les musées observant longuement les tableaux exposés.
Cette femme est intéressante.
J'essaierai de voir ce travail à la librairie en haut de la rue Boulard , spécialisée en romans graphiques.



Anonyme a dit…

"Je découvre qu'elle est passée par une épreuve qui aurait pu l'anéantir." D'où mon allusion à Frida Kahlo dans le précédent article. SV

Christiane a dit…

Oui, j'ai vu cette toile dans votre billet concernant le premier tome. Mais je n'avais pas encore fait le lien. Merci. Ce billet est très profond qui parle beaucoup d'elle. Dans celui-ci son art est mis en valeur.
Ces deux femmes diminuées physiquement ont développé une créativité extraordinaire.
Je pense aussi à Joë Bousquet cloué dans son lit après une terrible blessure et qui laisse des livres que j'ai beaucoup aimés. Le meneur de lune, Lettres à Poisson d'or...
Parfois les aléas de la vie développent la créativité comme un bol d'air... C'est magnifique.

Biancarelli a dit…

Un sacré libertin Gustave Courbet.

Christiane a dit…

Eh oui... ses corps de femmes sont magnifiques. Il peint ce qu'il voit, les nus en vrai. Ici, elles dorment.... Ailleurs elles se baignent... Il y a aussi sa correspondance érotique échangée de novembre 1872 à avril 1873 avec Mathilde Carly de Svazzema, dame de la "bonne société parisienne", malheureuse et abandonnée par son mari. . Lettres pleines de fantasmes.
Enfin il a laissé tant de merveilles. Mes préférées les vues de Paris, les portraits. Il avait le goût de l'interdit, du secret. Il était assez sombre, fatigué, pessimiste.
Mais quel artiste. Que de beauté....

Christiane a dit…

Non, pas Paris, ça c'est Degas. Lui c'est plutôt Ornan, la côte normande, les forêts. Il s'est exilé en Suisse suite à la Commune de Paris. Il a eu pas mal d'ennuis, après....

Christiane a dit…

Ceci dit, même si les proportions sont justes, je préfère "Le sommeil" peint par Courbet que cette réplique d'Emil Ferris dont notre ami Soleil vert restitue la reproduction. Je trouve qu'elle est beaucoup plus convaincante dans les portraits figurant sur la page.
Courbet c'est un pinceau qui vibre sur la toile jusqu'à toucher par les couleurs et le travail délicat du pinceau cette chair laiteuse et douce où se pose la lumière.

Anonyme a dit…

Le Sommeil, peint comme les Demoiselles des Bords de Seine, pour le même commanditaire, l’ambassadeur d’ Égypte en France, grand amateur de beautés parisiennes, dont certaine « Vénus qu’ Ali pige » garde le souvenir. Difficile de faire oublier que Courbet fut aussi le peintre du Second Empire. Ce qu’en fait Ferris pour le Sommeil est carrément calamiteux. MC

Anonyme a dit…

On peut même se demander si l’album vaut la peine d’être lu…. MC

Christiane a dit…

Le sommeil / Gustave Courbet

https://www.petitpalais.paris.fr/oeuvre/le-sommeil

Soleil vert a dit…

"On peut même se demander si l’album vaut la peine d’être lu…. MC"
Dites, parler d'ouvrages que vous n'avez pas lu, ça devient une habitude, non ?

Christiane a dit…

Réponse méritée !

Christiane a dit…

Je reviens au film , "Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles" de Chantal Ackermann.
Il fait son chemin dans ma mémoire récente.
Il est construit sur la répétition. La vie quotidienne faite de répétitions. Mêmes gestes, mêmes enchaînements, souvent, dans nos vies.
Je me souviens avoir ressenti le même étouffement quand j'observais les rites minutés des communautés monacales. Rites sans lesquels tout se serait écroulé pour chaque moniale.
Donc, Chantal Ackermann filme la faille sur trois jours. L'héroïne est déstabilisée par des imprévus la renvoyant aux choix qu'elle a désappris à faire. Elle trouvait son équilibre précaire dans cette répétition qu'elle traversait en automate : se lever, aérer, préparer le petit déjeuner, courses, cuisine, passes dans la chambre - porte fermée pour les spectateurs -, toilette méticuleuse, retour du fils, etc. Tout pour séparer ses deux vies par une cloison étanche .
Puis les lumières se dérèglent. Elle oublie d'éteindre ou d'allumer, de poser le couvercle sur la soupiere- tirelire.
Et le pire, le ressentiment tabou : vivre un instant de plaisir lors d'une passe. Ce qui laisse à penser que là aussi elle se faisait automate, sans aucun plaisir physique, une activité brève suivie du jet de la serviette au panier et de la toilette méticuleuse de son corps et le récurage de la baignoire. Effacer....
Très peu de paroles. Le claquement des talons sur le sol, un visage inexpressif. Sacré jeu de Delphine Seyrig, parfaite dans sa composition. Une actrice qui a traversé le cinéma comme un fantôme....
Presque un film muet. Étrange.
Et là, Soleil vert, vous nous présentez une femme qui dessine abondamment avec des stylos au point d'en faire sa vie, la justification de sa vie. Au point d'insister auprès des éditeurs car elle veut partager ces dessins avec des lecteurs. Si l'histoire est mince c'est certainement qu'elle est un prétexte pour faire livre. L'histoire importante c'est son regard et cette répétition : faire écho par le dessin à tout ce qui l'habite, mémoire, observation et fantasmes.
Même si son rendu de toiles célèbres est insatisfaisant, il a le mérite de pointer le temps qu'elle a passé devant chaque tableau, comment elle greffe ce regard dans son histoire. C'est aussi son combat pour surmonter son handicap.
Oui, MC est incorrigible... comme s'il ne pouvait s'attarder que sur les livres qu'il a choisis. Très prudent avec les autres. Là, son allergie au croquis du "sommeil" de Courbet par Emil Ferris lui coupe l'envie de découvrir le livre.
Je me souviens d'amateurs, enfants ou adultes , carnet à la main, croquant dans les musées pour s'approprier une toile, sa construction, son mystère. Bien sûr que c'est souvent voué à l'échec pour un observateur extérieur mais pas pour celui qui , dessinant, fixe en sa mémoire un trait, une courbe, une composition.
De grands artistes se sont essayés à cette pratique avec le génie de se détacher du modèle pour y mettre leurs variations des expos sont offertes sur ce thème.
Continuez, Soleil vert. J'aime votre constance, votre "carnet de croquis" que sont vos billets, votre générosité : les offrir sans contrepartie.
Fin du road-movie entre Ackermann, et Emil Ferris. Je retrouve au Carsac du billet précédent.
Merci pour tout.

Anonyme a dit…

Je répondrais , SV, que, ainsi résumée, cette mythologie est bien trop américaine tendance idoles en voie de décomposition, pour me plaire, et que je ne vois pas l’intérêt de suivre cette héroïne .Ni de la faire figurer ici. Ce qui n’engage que moi, en effet…

Soleil vert a dit…

Les commentaires feront désormais l'objet d'une modération

Anonyme a dit…

Ce n’était pas le cas?

Anonyme a dit…

Christiane , il y a des copistes professionnels.

Anonyme a dit…

Relu Barbey: « Une Histoire sans nom »

Christiane a dit…

Oui, je sais. J'ai eu l'occasion d'observer longuement les travaux de l'un d'entre eux qui avait sa place réservée au Louvre, y posait son chevalet, s'aidant à l'occasion du zoom de son smartphone. Le résultat était tellement troublant qu'il vendait très bien ses copies en toute clarté.
Eh bien, je n'ai jamais été convaincue par ce travail où il manquait l'âme et la touche du peintre dont il tentait de capter le secret. C'était moins bon qu'une photo pour approcher l'oeuvre originale. Appliqué , mais sans esprit créatif de la part de ce copiste
Ici, c'est différent, semble-t-il c'est une femme, Emil Ferris, qui s'exprime par le dessin, jouant sur les stries superposées de ses stylos. Elle semble dessiner tout son monde virtuel ou réel. Les tableaux croqués au passage ne sont qu'une halte sur le chemin de sa fiction. Les petits portraits en noir et blanc, en haut à gauche, sont très intéressants ainsi que la façon dont elle amène les fonds obscurs. Même technique que la taille douce : croiser et superposer les traits pour creuser l'ombre. Rembrandt était fameux dans cet exercice.
Je ne crois pas du tout qu'elle cherche la ressemblance. Elle s'exprime surtout par ses dessins, l'écriture semblant un lien entre eux. J'ai hâte de vérifier par moi-même. Je crois que ce roman graphique réserve des surprises.

Christiane a dit…

Ce lien permet de découvrir d'autres regards sur cette artiste, tous positifs.
https://www.galeriemartel.com/artistes/emil-ferris/

Christiane a dit…

"Foisonnante épopée psychique, grand récit sur les émotions, les troubles de l’identité et les pouvoirs de l’imagination."
(L’Express)
Ce regard sur son livre , "Moi ce que j'aime c'est les monstres", semble se poser sur une oeuvre qui serait l'équivalent d'un Journal intime.

Christiane a dit…

Voilà, j'ai feuilleté le livre chez mon libraire. Premières impressions : c'est bien une sorte de Journal... d'une femme qui a un imaginaire inquiet, tourmenté.
Les dessins fort nombreux ne m'ont pas emballée sauf quelques plans, hors personnages, sur des paysages citadins, des mains, des chaussures, des cheveux, des nuages. Ses personnages sont souvent distordus, menaçants, très laids et ceux qu'elle aime ne sont pas très réussis.
Les tableaux qu'elle visite sont peu nombreux. Bien aimé son esquisse d'une gravure de Goya.
Le texte par contre mériterait d'être lu sans les dessins. Il y a là une exploration psychique digne du monde de Goya, de Spiderman aussi. Des cauchemars dont celui qui remonte à la Shoah. Toute la cruauté du monde est au rendez-vous.
Mais le livre est cher et je n'ai pas envie de pénétrer dans cet univers horrifique.
Le titre reste énigmatique...

Merci, Soleil vert de m'avoir permis de découvrir l'univers d'Emil Ferris. Je comprends que beaucoup aiment son univers, comme un reflet de tout le mal et la souffrance qui peuvent hanter les humains.
Je retourne au roman de Carsac.

Anonyme a dit…

Si vous aimez la manière noire, Christiane, ce Barbey la devrait vous ravir…

Christiane a dit…

Non, pas Spiderman mais Spiegelman ! Ayant une grande difficulté à communiquer, Art Spiegelman entreprend l’écriture de la vie des siens dans un roman graphique, Maus. Époustouflant. Grande expo à Beaubourg.
(C'est compliqué de relire le commentaire avant son éventuelle mise en ligne avec la modération car il disparaît dès qu'on l'envoie et la correction automatique du smartphone peut changer certains noms pour inscrire des noms plus connus....

Christiane a dit…

Pour Art Spiegelman, "Les personnages sont incarnés par des animaux qui diffèrent selon la nationalité, ou comme disait Hitler, selon la «race». Les juifs sont représentés en souris, les Allemands en chats et les Polonais en cochons. L’acharnement des Allemands contre le peuple juif, est donc symbolisé dans Maus par l’incontournable poursuite entre le chat et la souris.

Les dessins sont sobres. Les deux tomes sont en noir et blanc les hachures et les gris ont un rôle narratif important."
(Mémorial de la Shoah)

Son influence dans les derniers chapitres du roman graphique d'Emil Ferris est perceptible.

Christiane a dit…

Dans les nouvelles de Barbey d'Aurevilly ,les femmes sont souvent dangereuses, voire maléfiques envers les hommes . Leur féminité est ambiguë. "La vieille maîtresse" est un récit noir, sombre. Les nouvelles réunies dans "Les Diaboliques" sont effrayantes.
Écriture techniquement virtuose mais quel univers...
Non, je n'aime pas "la manière noire" en écriture, seulement en art..
Je cherchais juste par le dessin à comprendre pour quelles raisons les noirs et blancs d'Art Spiegelman attiraient mon regard et pour quelles autres raisons je prenais mes distances envers les dessins d'Emil Ferris.
Je préfère le noir et blanc dans le dessin, ce qui me rappelle la gravure.
La couleur me fascine quand elle est œuvre de peintre que ce soit aquarelle, huiles, acrylique, pastels. Le trait est alors secondaire comme dans la nature. L'œil se déplace d'une zone d'ombre à une surface colorée travaillée par la lumière et la frontière est douce, sensuelle, presque à deviner comme dans la toile de Courbet s'attardant sur les deux endormies.
Il faut un Matisse pour faire cohabiter couleur et trait. C'est très rare.
Mais je m'égare... Si vous me branchez sur l'art, on en n'a pas fini....
Bien amicalement.

Christiane a dit…

Une autre difficulté m'a empêché d'aller plus avant dans le roman graphique d'Emil Ferris, c'est le texte saturant les pages au point d'étouffer la lectrice que je suis. Un texte malmené par les bulles de la BD, qui oblige l'œil à chercher les mots dans tous les sens avec souvent une trop grande importance de dialogues sans lien.
J'ai un besoin vital d'une langue écrite classique avec la forme de la prose ou de la poésie versifiée. Ici, je fatigue.
De plus les nombreux dessins collant à ces bribes de texte ôtent toute espérance du vide, du blanc de la page.
Par contre j'ai apprécié ce qu'elle fait des tableaux choisis. Elle les intègre à son histoire, s'en écarte, les déforme, en fait une motivation pour les inclure à ses fantasmes assez violents.
Seuls les romans graphiques japonais que Soleil vert nous a présentés, m'ont comblée avec leurs dessins purs, jamais surchargés, les grands vide dans les pages, très peu de texte. Beauté spirituelle des personnages choisis, délicate présence de la nature. Un bain de philosophie, une retenue dans le dessin.

Anonyme a dit…

Un Prêtre marié est aussi un roman gothique, mais qui tient debout. Une Histoire sans Nom tient plutôt du bouquin janséniste…,avec rétablissement acrobatique à la fin Mais. Dans les deux cas, c’est la femme qui est en danger, et ne s’en sort pas. Oui j’entendais le terme de manière noire au sens artistique.