mercredi 18 septembre 2024

La Maison des Soleils

Alastair Reynolds - La Maison des Soleils - Le Bélial’

 

 

« C'était un visage qui me contemplait comme à travers la visière d'un casque. Il n'était pas humain, mais je devinais qu'il l'avait été, dans un passé lointain. On aurait cru une figure sculptée sur une falaise et soumise à l'action des éléments pendant une éternité jusqu'à ce que ses traits ne soient plus que traces résiduelles. Les yeux seuls mesuraient dix mètres de large ; le visage, dix fois plus. La bouche était une crevasse noire dans le granit de sa chair grise. Le nez et les oreilles n'étaient guère plus que des monticules arasés sur un flanc de colline. La tête s'évasait au niveau du cou pour disparaître dans le corps immense que dissimulait le collier de raccord autour de la base du casque en dôme.

La créature a cillé, moins un clin d'œil qu'un événement astrono­mique, l'éclipse d'une binaire à période courte. Il a fallu quelques minutes aux paupières pour s'abaisser, et la même durée pour se relever. Les yeux, pourtant braqués sur moi, ne me regardaient pas ; ils restaient inanimés. »

 

La littérature de science-fiction offre une réponse audacieuse à la réflexion angoissée de Pascal, « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » : terrain de jeux sans limite, réinvention de l’Histoire, expériences de pensée sans borne appliquées aux sciences expérimentales ou molles (uchronie) bref elle oppose l 'infini de l’imaginaire à l' infini de l’Univers. Le curseur est poussé très loin avec un nouvel ouvrage des éditions Le Bélial’, La Maison des Soleils paru en VO en 2008 et signé Alastair Reynolds, un des maitres du Space Opera.

 

Aux alentours du trentième millénaire, L’Humanité décide d’essaimer dans la Voie Lactée. La Lignée Gentiane, dont l’ancêtre a mis au point la technique de clonage envoie mille d’entre eux dans les étoiles. Elle n’est pas la seule. Chacune explore les mondes, s’y implante, mais toutes se retrouvent tous les deux cent mille ans pour fêter « La Millième Nuit ». Le récit démarre six millions d'années plus tard. Nous suivons les pérégrinations d’un couple de la Lignée Gentiane en route pour le rassemblement festif. Prenant le chemin des écoliers il récupère un membre du Peuple Machine, une créature aquatique, récolte des informations auprès d’un gigantesque Gardien d’un non moins gigantesque entrepôt de données. Ces détours génèrent un retard de quelques dizaines d’années, une peccadille à l'aune de cette échelle temporelle … Sur place il constate avec effroi que la presque totalité des clones de leur Clan a été éliminée. Qui a pu faire cela et pourquoi ?

 

Les fringants Campion et Purslane sont à leur manière des survivants enjambant l’émergence et la disparition de civilisations. La Post-Humanité a réalisé d’impensables avancées technologiques, biologiques, maitrisant la combustion des astres, allongeant la durée de vie de ses membres. Mais six millions d’années … Les deux héros de l’histoire ont en fait vécu quelques dizaines de  milliers d’années de temps subjectif, le reste étant dévolu à la cryogénisation ; pour citer le Gardien « Vous êtes un ver des livres qui a foré des tunnels à travers les pages de l’Histoire ». Ces prodigieux humains ne se mesurent pas encore au Temps des étoiles, mais abordent sans complexe les vastes étendues des Temps géologiques. Adieu Braudel !

 

En dehors des pérégrinations des pittoresques Campion et Purslane, la narration s’offre un détour sur les origines de la lignée par l’entremise du personnage d’Abigail Gentian. On découvre ses jeux, une étonnante maison de poupée, Le Palatial, aux fonctionnalités surprenantes comme Le Livre Mentor de L’âge de diamant de Neal Stephenson. Ce n’est là qu’un des aperçus de cet ouvrage ambitieux à l’image de La Nuit du Faune de Romain Lucazeau, mais servi par des moyens narratifs supérieurs. Les deux cents premières pages m’ont émerveillé, avant de patiner entre les intrigues secondaires des chapitres 14 à 21. Mais j’avoue bien volontiers avoir été dépassé par ce livre hors du commun.


20 commentaires:

Anonyme a dit…

de quoi, cricri n'a pas encore posté ?

Anonyme a dit…

« Dans la pièce ténébreuse, à moins d’un mètre de moi, une forme pâle et lumineuse qui ressemblait à un corps humain mais ne paraissait pas faite de chair se dressait en se contorsionnant…Les pieds…la chose avait des pieds, mais ces pieds étaient privés de contours. Les jambes, le torse, les bras, n’en avaient pas davantage, ils n’avaient pas de limites définies. Ils se contorsionnaient, augmentaient de volume, et rapetissaient, non pas de manière spectaculaire mais continue. Un bras s’enfonçait dans le corps,était englouti à l’intérieur, puis en ressortait comme s’il se déversait au dehors.. les yeux s’étiraient jusqu’à n’être plus qu’un gigantesque œil gigantesque qui masquait tout le haut du visage, s’amenuisait jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’œil du tout avant que tous deux s’ouvrent à leur emplacement normal. Les jambes évoquaient une seule jambe, avant de redevenir deux. Jamais aucun élément ne cessait de trembler, de se tordre, de se contorsionner suffisamment. Longtemps pour que sa silhouette de départ, ses contours ormeaux, se dessinent… ». Dashiell Hamed, Sang Maudit…

Anonyme a dit…

Un. Astrophysicien jusqu’en 2004 en plus?

Christiane a dit…

Désolée. Je lis un autre roman présenté par Pierre Assouline.
"La ferme du Paradis" de Bernard Comment.
Une écriture qui m'émeut tant elle est fluide et juste. C'est doux, un peu triste. Ça commence dans mon quartier : la place "d'ener" Rochereau, la rue Froidevaux, la rue Daguerre...
C'est une rencontre insolite entre un homme et une femme, dans un café. Dehors, "il pleuvine. Une chaude pluie d'été."
Il leur faut une chambre. N'importe quelle chambre....

Donc, ici, Soleil vert ouvre un autre livre. "La maison des soleils"... Beau titre.
Alastair Reynolds.
Soleil vert cité cette réflexion angoissée de Pascal, « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » . C'est bien pour nous embarquer loin, loin de la Terre, loin du temps présent.

Je retourne au mon roman.

Christiane a dit…

D'enfer

Christiane a dit…

Soleil vert et la science-fiction : "elle oppose l 'infini de l’imaginaire à l' infini de l’Univers."
Dans le roman qu'il nous présente, d'Alastair Reynolds, "La maison des soleils", c'est d'un avenir éloigné qu'il est question, dans celui de Bernard Comment,, "La ferme du Paradis", il s'agit maintenant, d'un retour arrière, novembre 1686. Les fuyards, persécutés
de la Saint Barthélémy, voyagent sous de faux noms, vers la Suisse. "La vallée est emmaillotée d'une neige eclatante". Le titre du chapitre est énigmatique : "L'étranger est une occasion (Proverbe suisse) I : Les Huguenots..
Le vent est est mordant..
Qu'en est-il du roman d'Alastair Reynolds ? Il imagine pour ses voyageurs un "récit qui démarre six millions d'années plus tard. Nous suivons, (dit Soleil vert ) , les pérégrinations d’un couple de la Lignée Gentiane en route pour le rassemblement festif. Prenant le chemin des écoliers." La Voie Lactée...
Les corps sont très différents pour les deux écrivains. Charnels , humains, beaux et pudiques pour l'un, "chair grise. Le nez et les oreilles n'étaient guère plus que des monticules arasés sur un flanc de colline. La tête s'évasait au niveau du cou" pour l'autre.

Christiane a dit…

Les livres sont un formidable tremplin pour faire ressurgir un souvenir oublié. Ainsi page 43 je m'éloigne du récit en fixant un paragraphe jusqu'à ce qu'il révèle un pan de mon passé.
"Simon repasse la frontière dans cette Suisse où les idées nouvelles de 1848 ont triomphé, et s'arrête à La Chaux-de-Fonds pour y fonder une petite usine."
Ces lignes seraient dans importance particulière pour un autre lecteur. Pour moi, que de souvenirs. La ville, le musée, l'amie maintenant morte en évoquant de Gaulle.
Des fictions dont je m'évade souvent pour assembler des morceaux de vie.
Le langage est une caisse de résonance. Il faudra que je lise combien de livres pour savoir....

Christiane a dit…

C'est comme la rue Daguerre. Au numéro 86, la petite maison rose, où habitait la réalisatrice Agnès Varda. ..
Et la place Denfert-Rochereau où, dans ce roman, une femme refusait d'habiter car elle entendait le mot redoutable, Enfer. Celui-là même que Soleil vert interrogeait récemment évoquant Hugo et la Chute de Satan ou cette vision de Dante. Ces cercles où erraient dans la souffrance les oubliés de Dieu..
Parfois je ne peux lire rapidement un livre car ayant du temps pour l'accueillir, je le laisse remuer le passé. Mon passé. Mes souvenirs... devenir imprévisible. J'entends le froissement du temps sous l'aile des mots... Un livre qu'écrirait celui qui n'est pas cet écrivain.
Le passé respire avec ce qui nous manque comme si nous étions rêvés par ce qui n'est pas. Une lézarde dans la course des mots.
Un creux... Tous les mots y passent... Peut-être juste un deboîtement. Un enchevêtrement. Un glissement de la page à la pensée qui nous déleste du sujet du livre.
Où cela me conduit-il ?
Je reprends la pensée de Pascal citée par Soleil vert. Lire est aussi aller avec l'infini. Une ondée d'espace... où les mots se décolorent. Une oscillation qui ressemble à de l'immobilité. Lire en étant absente et présente.

Anonyme a dit…

Ce n’est pas une reprise, plutôt une variation sur le mot de Pascal, à moins que lire ne vous effraie, ce dont on n’a guère vu d’exemples antérieurement! Pascal place l’univers comme un tout silencieux et effrayant. Vous vous faites de la littérature un moyen d’atteindre l’infini…. MC

Anonyme a dit…

Vous ne jouez pas dans la même cour cette fois-ci.

Christiane a dit…

Exact. La reprise c'était pour le mot infini et ce qu'il m'inspire.
Mais vous parlez bien de l'effroi de Pascal.
Pour moi, pas d'effroi, juste cette plongée dans fin dans la littérature et parfois , par elle, dans d'étranges coïncidences.

Christiane a dit…

Qui sait... N'en pouvant plus de ne pas savoir ce qui se cache dans les maisons du soleil, je n'ai pu résister à ouvrir ce livre.
Il faut juste séparer ces deux mondes de fiction.

Christiane a dit…

sans

Christiane a dit…

Alastair Reynolds est un paysagiste fin. Son monde cosmique qui occupe les trente premières pages est d'une grande beauté.
Ainsi, page 23, le monde des Centaures, la treizième espèce humaine.
" Leur monde premier était une planète super-océane recouverte d'eau dont l'épaisse atmosphère bleutée contenait de l'oxygène. (...) Ils avaient un vague souvenir de leur origine."
Plus loin, le Centaure a marqué une pause, trois de ses sabots à plat, le quatrième effleurant le sol de la pointe."
Me voici repartie vers un autre roman tant aimé.

Christiane a dit…

C'est un roman americain de John Updike. Le Centaure. Un professeur , Georges Caldwell, enseigne les sciences dans un lycée en Pennsylvanie, moqué de ses élèves. Un d'eux lui tirera une flèche dans le pied. En boitant il ira chez Vulcain, bref, le maréchal-ferrant...
La mythologie n'est pas loin... Le final lui rendra son parcours fulgurant. J'avais tant aimé ce roman, les autres aussi du même écrivain. Le monde d'Updike, entre mythologie et réel, entre fiction et magie. Un tel amour de la vie. Une langue d'écriture parfaite.
Je suis heureuse que Chiron traverse le roman d'Alastair Reynolds. C'est bon signe....
Bon, je retourne à Bernard Comment.

Soleil vert a dit…

Et maintenant, la phrase mystère : "Adieu Braudel !" Que signifie t-elle ?

Christiane a dit…

"Ces prodigieux humains ne se mesurent pas encore au Temps des étoiles, mais abordent sans complexe les vastes étendues des Temps géologiques. Adieu Braudel !"
Soleil vert, les liens passionnants et difficiles à saisir que vous avez mis sous le nom de Fernand Braudel m'incitent à penser que les éléments fondateurs de ces historiens face au temps, à la sociologie, à la géographie, au passé , aux événements... sont balayés dans les romans de science-fiction et peut-être dans celui-ci.
Dans ce document, un très joli moment concernant les recherches de Braudel : l'homme n'a pas toujours mesuré le temps, il vivait accordé à l'alternance du jour et de la nuit. Puis vinrent les étoiles...
Qu'en est-il du temps, de l'humain, de la Terre (Méditerranée comprise !), de l'histoire des hommes dans cette fiction ? Je ne sais encre... On est ailleurs dans le temps (non mesurable : des milliards d'années ...) et l'espace et je n'ai rencontré aucun des personnages avec une montre ou un calendrier.
Nous sommes plus près de Bergson et Bachelard que de Braudel.
Mais pourquoi lui dire adieu ? Ce livre serait illisible sans toutes les questions posées au fil du temps par les historiens, les philosophes, les savants.
Le rêve, l'imaginaire, la poésie sont des vaisseaux spatiaux familiers... pour voyager avec vous.

Anonyme a dit…

Séquence explication : L'historien Fernand Braudel distinguait trois temps, celui de la civilisation, le temps long, le temps de la société, et le temps court celui des humains. Dans le roman de Reynolds,la distinction s'abriter, il b'y a plus que des trmos longs.SV

Anonyme a dit…

s'abolit

Christiane a dit…

Qu'est-ce que c'est un temps long dans cette fiction ?