Goran Petrović - Soixante-neuf
tiroirs - Zulma
Editeur dédié au domaine international, Zulma proposait en 2021 dans sa déclinaison Poche une réédition d’un remarquable ouvrage du serbe Goran Petrović Soixante-neuf tiroirs paru en 2000 en Serbie et traduit une première fois en France en 2003. Zulma qui semble emprunter les pas de la prestigieuse collection « Du monde entier » de Gallimard, délivre assez régulièrement quelques pépites : on citera pour exemple Epépé de Ferenc Karinthy ou les romans de Leo Perutz. La littérature de la terre natale de l’auteur, d’où émerge le prix Nobel de littérature Ivo Andrić, reste à découvrir, à l’image du romancier, peu connu dans notre hexagone, malgré quatre traductions et de multiples à l’étranger.
Le titre français qui n’a aucun rapport avec l'original - mot à mot « La boutique « À la main heureuse » » - donne néanmoins une indication. Il s’agit d’un roman à tiroirs, au nombre de dix plutôt que soixante neuf d’ailleurs, comportant une unité de lieu, la ville de Belgrade et un ouvrage Ma fondation d’Anastase Branitza qui constitue le fil conducteur du texte. L’action, le destin de plusieurs personnages, s’étale sur tout le XXème siècle depuis l’extraction de la Serbie de l’Empire Ottoman, en passant par son intégration dans l’ex Yougoslavie. Le cœur de l’histoire est constitué par l’odyssée d’Anastase Branitza. Fils d’un défunt officier serbe qui participa aux combats de l’émancipation de la Serbie, le garçon vit sous la tutelle voire la férule de l’avocat Slavolioub Vélitchkovitch, amoureux de sa mère. Anastase s’échappe de cet enfer disciplinaire par les livres et se découvre un don particulier. Son immersion dans la lecture atteint un tel degré que l’univers fictionnel se substitue au réel. Il émerge d’un récit balnéaire complètement trempé et les chaussures remplies de sable, provoquant l’ire de son tuteur. Adulte, il s’amourache d’une jeune fille qui le rejoint au fil de pages parcourues conjointement et simultanément, dans les paysages de l’écriture. Il rédige alors un livre conçu comme un Palais Idéal, Ma fondation, où se réfugient les deux amoureux.
Ce volume, au mystérieux pouvoir immersif, dont ne subsistent que quelques exemplaires, va passer au fil des années de main en main, celle d’un étudiant auquel un homme mystérieux va demander d’effectuer des corrections, puis d’une galerie de protagonistes. Dans ces histoires fascinantes qui se passent le relais tour à tour, coexistent le Temps des hommes et ce que Goran Petrović nomme « le Temps dans le Temps » c'est-à-dire celui des lecteurs. Une fiction peut-elle résister à l’épreuve du réel ? En restituant les destins d’Anastase Branitza et d’Adam Lozanitch, l’écrivain délivre deux réponses contradictoires dont l’une rappellera aux afficionados de Marguerite Yourcenar le souvenir de sa plus illustre Nouvelle Orientale. On ne saurait donc trop conseiller l’achat de Soixante-neuf tiroirs, hommage en dernière analyse aux livres et aux rencontres, amitiés et amours nés le temps d'une lecture.
30 commentaires:
Mon libraire aussi m'avait conseillé ce livre, mais je dois avouer d'emblée que je suis très loin de partager son enthousiasme. Le voisinage avec Epépé de Karinthy F., œuvre autrement plus forte, me paraît redoutable pour le roman de Goran Petrović.
Je crois comprendre pourquoi je n'avais pas apprécié ce texte (à la différence de Si par une nuit d'hiver un voyageur ou Le Marque-page et Le Club des tueurs de lettres de S. Krzyzanowski par ex., bien qu'ils ne soient pas tout à fait comparables) ; cela concernait la facette "immersion" (non le postulat, mais son traitement).
Sans doute vaut-il mieux laisser s'exprimer d'abord d'autres lecteurs (dont les commentaires m'éclaireront peut-être, d'ailleurs, sur d'autres aspects que j'aurais "ratés" ou sous-estimés…)
Je ne fais que passer et, bien entendu, si quelqu'un voit un inconvénient à ce que j'exprime ici mes réserves, je m'abstiendrai.
E.G.
Tous les avis sont ici bienvenus.
Ah, j'aime vraiment beaucoup le commentaire de E.G.
J'avais lu les vingt premières pages du livre sans rien connaître du savant découpage qui semble faire exploser le roman vers tant de pistes dont historiques et politiques.
J'étais sous le charme de cette demande extravagante faite au correcteur habitué à lire, annoter, voire corriger des manuscrits. Ici on lui demande de corriger les "coquilles" d'un livre déjà publié à compte d'auteur, et couvert d'une fine couverture en maroquin rouge. Cet homme mystérieux exige qu'aucune correction ne touche le texte.
Ce début insolite m'avait plu.
Immédiatement venait de la part de ce lecteur-correcteur une impression que d'autres lecteurs lisaient le livre en même temps que lui, qu'un lien pour l'instant non expliqué les réunissait dans un monde parallèle au réel.
Puis M.C. a coupé mon élan. Et pan sur le bec ! suggérant d'attendre la chronique de Soleil vert avant de parler du livre.
Je l'ai donc refermé et suis retournée à une lecture inassouvie du livre précédent de Kate Wilhelm, "La mémoire de l'ombre".
J'aime beaucoup les deux romans cités par E.G.
Je vais revenir, bien sûr au roman de Goran Petrović - "Soixante-neuf tiroirs", d'autant que j'aime le travail des éditions Zulma.
Pour l'instant je lis, espérant ne pas décrocher.
Chapitres 6 et 7 irresistibles
Menues corrections d'une fiche mal ficelée.
C'est très difficile de présenter ce roman. J'en serais incapable !
Je le lis avec plaisir (chapitres cités) mais je n'y comprends pas grand chose si ce n'est que par le lien de cette vieille dame excentrique et de sa jeune fille de compagnie je saisis un peu cette expérience vécue entre lecteurs lisant le même livre en même temps.
J'avais mis de longs extraits hier. Commentaire refusé car trop long...
Il y a sur Babelio une fiche d'une merveilleuse fluidité.
Je l'ai lue. Fluide comme la vôtre mais ni l'une ni l'autre ne rendent ma lecture plus cohérente. Je trouve les passages du réel à la fiction peu clairs. On ne sait jamais si on est dans le livre ou dans le réel.
Aussi je le lis pour l'instant comme une suite de scénettes charmantes mais pas encore incluses dans l'architecture du roman.
Le déclin de la vieille lectrice qui perd le sens des mots est bien triste...
Je retrouve notre lecteur dans un parc somptueux où il ne se passe rien. Lit-il ?
oui, c'est le parc du livre
Ce qui me déçoit, Soleil vert, c'est que ce roman ne parle pas d'écriture. C'est un défilé de personnages qui passent et s'effacent. Ils auraient en commun de lire le même livre et d'être dans le livre mais rien ne vient explorer l'acte de lire
Je trouve que le roman s'étire sans qu'aucune de ces rencontres ne m'interpelle sauf la délicieuse vieille dame des premiers chapitres .
Beaucoup de descriptions comme un décor de théâtre de marionnettes en attente d'une action.
La construction tient de l'empilage et le titre français convient bien...
Je ne sais si je vais aller au bout. Je ne trouve pas les chroniques enthousiastes du livre en rapport avec ce que je lis.
Page 114 soit un bon tiers du roman lu.
Le chapitre 30 (111/118) offre une analyse de la presse, des magazines, des lecteurs de ces journaux, de la foule, très intéressante. Même si le roman est en attente de l'ouverture d'une autre... boîte. Il se termine par une phrase inachevée : "Avant que tout, brusquement, ne fût arrêté par"
Ce correcteur devrait prendre un crayon, une gomme et réajuster la construction du livre.
Le chapitre 32 que le lecteur n'a pas vu venir explore magnifiquement ce pouvoir de dépaysement qu'offre la lecture. Cet Anastase Branitza est fascinant. J'adore ses voyages rêvés, ses rencontres, l'envahissement de son appartement par les livres et les journaux anciens. Sa malle ne contenait-elle pas que des livres... Je reviens au livre par ces deux chapitres cités. Je l'avais quitté après l'effacement de la vieille dame.
Nous sommes peu à peu dans les pensées du correcteur même s'il est très discret.
De page en page, Nathalie
Bouville et Anastase Branitza me rappellent les noms de plume conjoints d'un frère et d'une sœur, célèbres au dix-neuvième siècle et au début du vingtième : Jeanne-Marie Petitjean de La Rosière et Frédéric Petitjean de La Rosière, auteurs de romans d'amour populaire signés Delly !
Quelle mélasse sentimentale....
Houville
Bon, je saute ... jusqu'à la page 155. Nous y voilà !
"Un secrétaire e bois de rosé et de citronnier (...)
un vrai labyrinthe de compartiments secrets. Mais, si l'on ouvre chacun des soixante-neuf petits tiroirs dans l'ordre voulu, le double fond du soixante-dixième donne aussitôt un espace sans fin."
Il faut dire qu'Anastase Branitza, pour conquérir sa belle, s'est lancé dans l'écriture d'un roman épistolaire comportant quelques descriptions de meubles d'une rare beauté...
Hélas, après 1945, les meubles ont été pillés pour meubler les demeures des nouveaux dirigeants ! Le secrétaire en bois de rosé et de citronnier a été démonté et l'espace sans fin a été irrémédiablement perdu...
Ça c'est vraiment bien
en bois de rose
Il est vrai que Karynthi, dont j’ai lu le Merlin, c’est quelqu’un!
MC
Quelle surprise ! Page 190 la vieille dame revient et l'on comprend enfin son étrange besoin de lire en même temps que d'autres. Qui cherche t-elle à retrouver dans cette maison, ce parc, ces livres ? Et comme l'effacement progressif de des souvenirs est bienvenu...
Eh bien, quelle traversée tumultueuse que la lecture de cet étrange roman. Il s'y cache une mécanique d'horloger....
Ça c'est bien vous !
La quatrième de couverture :
https://www.lalibrairie.com/livres/reportage-celeste-de-notre-envoye-special-au-paradis_0-414443_9782916589107.html
J'aime beaucoup ce roman, maintenant. A partir du chapitre 50. Beaucoup de culture, de références, de remarques sur la lecture. Les personnages sont secondaires , le roman est surtout une stratégie d'écriture, un assemblage mathématique où chaque hypothèse conduit ay une réponse ou à une autre question.
M.C., page 207, une phrase qui me fait penser à votre façon d'intervenir dans les commentaires.
"Si différents qu'ils puissent paraître, les livres se rencontrent quelque part sur la ligne d'horizon. Si tu en lis un vraiment avec attention, en le comprenant à fond, c'est comme si tu en avais lu bien d'autres qui l'environnent."
Quand j'aurai démonter le casse-tête, je relirai pour la reconstruire.
Soleil vert, page 217, il est fait mémoire de la collection impériale des oeufs de Pâques de Fabergé vue à Saint Petersbourg par un personnage du roman.
Fabergé les eût-il conçus sans avoir observé longuement un oeuf de poule ou de pigeon ?
"Le cœur de l’histoire est constitué par l’odyssée d’Anastase Branitza. Fils d’un défunt officier serbe qui participa aux combats de l’émancipation de la Serbie, le garçon vit sous la tutelle voire la férule de l’avocat Slavolioub Vélitchkovitch, amoureux de sa mère. Anastase s’échappe de cet enfer disciplinaire par les livres et se découvre un don particulier. Son immersion dans la lecture atteint un tel degré que l’univers fictionnel se substitue au réel. "
Maintenant, la vie de ce personnage se déploie sur un fond d'Histoire contemporaine rude, terrible.
On comprend alors toute cette vie fictive.
Le chapitre 63 est impénétrable comme un buisson d'épines.
Cet écrivain semble se perdre dans les ramifications de son histoire...
Il y a des moments de grâce dans ce roman. Comme j'aime cette esquisse page 256.
"Des pieds chaussés de pantoufles frôlèrent le plancher. On entendit le grincement du lit. Puis on souffla la bougie, le rai de lumière vacillante s'évanouit. Il y eut un long silence..Puis Iéléna se mit à réviser en chuchotant."
Cette vieille dame est vraiment son plus beau personnage ainsi que la discrète Iéléna.
Voilà, j'ai terminé ce roman. Il ne m'a pas convaincue. L'auteur met "trop de tiroirs" dans sa commode en bois de rose, embrasse trop de destins, trop de périodes historiques, de conflits..
L'architecture du livre ne mène à rien ni pour l'écriture, ni pour le pouvoir de la lecture.
Cette idée de faire lire le livre à plusieurs lecteurs en même temps pour leur permettre d'apparaître dans la fiction est plus que hasardeuse.
Dommage.
Au fil de la lecture j'ai aimé certains passages, certains personnages mais il n'est pas à la hauteur des critiques enthousiastes que j'ai lues. C'est un avis personnel qui n'engage en rien l'avis d'autres lecteurs dont Soleil vert.
.
Je dois vous paraître indécise face à ce roman, c'est que cette lecture est obscure et je ne suis pas certaine de comprendre où l'auteur veut en venir.
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