Eileen Chang - La cangue d’or - Bleu de Chine
Sixte (ou Cao Qiqiao selon les traductions) est
l’épouse du deuxième fils Jiang. Cette famille issue d’une lignée de
« lettrés » c'est-à-dire de hauts fonctionnaires au service de l’Empire
et originaire de Pékin a déménagé à Shanghai au lendemain de la proclamation de
la République chinoise. Dans le huis clos que constituent les nouveaux
appartements moins spacieux, s’entassent et se confrontent belles sœurs et femmes
de chambre sous l’œil de Madame Mère. En ces années lointaines où les mariages
faisaient l’objet d’intenses tractations et la maternité constituait le seul
horizon féminin, Sixte est la moins bien lotie.
D’extraction roturière, elle n’a pu intégrer le clan qu’en épousant un
homme malade, affaibli par une tuberculose osseuse. Il lui a donné un fils Albe
et une fille Alme. C’est l’existence de cette femme au destin contrarié que
raconte La Cangue d’or en un court roman de moins de cent pages.
Le site chinese-shortstories, dans sa biographie de la
romancière Wang Anyi, dont Le chant des regrets éternels est un des plus
grands coups de cœur de ce blog, donne une des clefs de sa source
d’inspiration. Elle a pour nom Zhang Ailing alias Eileen Chang, une écrivaine
shanghaienne née en 1920, décédée en 1995 à Los Angeles, qui produisit ses
œuvres les plus marquantes, essentiellement de courts récits, dans les années
40. Un temps à Hongkong elle finit par s’exiler aux Etats-Unis où elle acheva
son existence. Aux abords de sa trentième année elle avait acquis une renommée
qui s’étendit à Taiwan et progressivement à la Chine continentale. Après avoir
obtenu la nationalité américaine, elle obtint un moment un poste universitaire
et traduisit, entre autres, ses écrits. Après sa mort, la nouvelle « Lust, Caution » fut adapté au cinéma par Ang Lee et obtint un Lion d’or à
Venise en 2007. Elle reflète les graves déconvenues qui marquèrent sa vie
sentimentale
Si Le chant des regrets éternels de Wang Anyi
est le roman doux-amer des illusions perdues, pendant oriental des Trois
sœurs de Tchekhov, La cangue d’or opère dans un registre plus sombre
mais voisin :
« Il [Jaspe, le troisième fils] était parti.
Les femmes de chambre aussi avaient été mises en fuite par les cris de Sixte.
Le prunelet dégoulinait le long de la table, s’écoulant goutte à goutte, comme
la nuit s’écoule de la lente clepsydre, une goutte, une autre goutte…une heure,
encore une heure, une année, un siècle. Qu’il est long cet instant silencieux.
Sixte restait debout, se soutenant la tête ; subitement elle fit
volte-face vers l’escalier, et, réunissant ses jupes, monta à l’étage, affolée,
titubante, se cognant au badigeon vert des murs, l’outremer de sa tunique
poissé de larges auréoles de plâtre. Elle voulait le regarder par la fenêtre
d’en haut, une dernière fois. Envers et contre tout, elle l’avait aimé. Son
amour lui avait été une intarissable source de douleur. Mais c’est bien pour
cela qu’il méritait sa nostalgie. Combien de fois pour se maitriser,
n’avait-elle pas lutter à en avoir le corps meurtri, jusque dans ses os, ses
muscles, ses mâchoires ? Elle seule avait eu tort, aujourd’hui :il
n’avait jamais été d’un bon naturel, elle ne l’ignorait pas. Si elle le voulait
à elle, elle n’avait qu’à feindre la naïveté, et supporter sa malignité.
Pourquoi avait-elle voulu le percer à jour ? N’en allait-il pas toujours
de même dans l’existence des hommes ? En définitive, où était la vérité,
où était le mensonge ? »
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Pour rendre hommage à l’auteure et à ce très beau texte, dans lequel la traductrice Emmanuelle Péchenard voit une filiation du Rêve dans le Pavillon rouge, la couverture a été ici scannée et modifiée pour atteindre ce bleu turquoise qu’Eileen Chang aimait tant, comme « une petite fenêtre ouverte sur le bleu de la nuit. »
88 commentaires:
Hâte d'avoir le roman pour élucider cette scène dont Sixte sort affolée, la robe tachée de plâtre, l'alcool renversé. S'agit-il dun viol ? Les servantes crient... d'un adultère ? d'une scène violente ?Jaspe étant le beau-frère . Mais il est écrit qu'elle l'avait aimé. Et la très fine illustration (photo du film) montre le désir de Jaspe.
Comment comprendre cette phrase : "Si elle le voulait à elle, elle n’avait qu’à feindre la naïveté, et supporter sa malignité."
Cette femme est très compliquée, certainement frustrée par un amour physique inaccompli avec un mari malade et non désiré. De plus tout ce monde là semble vivre dans le même logis. Un concentré explosif de désirs, de jalousies, de frustrations sous l'oeil de la doyenne !
Eileen Chang est très habile pour traduire les sentiments contradictoires de Sixte, son monde intérieur, ambigu, semble-t-il et passant facilement du désir au ressentiment, au doute, voire à la folie et à la cruauté.
C'est triste aussi d'apprendre qu'on retrouva Eileen Chang morte chez elle. Il semble qu'elle vivait seule en ses dernières années.
J'ai commencé à réfléchir à ce roman sous le billet précédent. Votre billet , aujourd'hui, répond à certaines questions que je me posais alors comme l'alliance dans le titre des ces deux mots cangue et or.
C'est très surprenant la couleur turquoise, variation entre le vert et le bleu dépendant de la dose de jaune ajoutée au bleu. La vôtre me rappelle une eau de lagon ou celle d'un lac de montagne. Une grande paix.
1- Le manuscrit du pain grillé.
En 1908, à la demande du Figaro, M. Proust compose une critique qui sera augmentée et publiée de façon posthume sous le titre Contre Sainte-Beuve. À la Recherche du temps perdu est souvent considéré comme le prolongement romanesque de la poétique développée dans ces pages. C’est ainsi qu’apparaît le premier passage qui lie l’émotion des sens à la résurgence du souvenir : le goût du pain grillé mêlé au thé. La toute première version de l’épisode de la Madeleine.
2- Le manuscrit de la biscotte. Dans ce volume, Proust hésite, rature, recommence. La forme évolue. Le gâteau est devenu une biscotte.
3- Le manuscrit des Petites Madeleines. Dans cet assemblage de notes diverses, que l’on peut considérer comme le manuscrit préparatoire de Du côté de chez Swann, on trouve enfin les Petites Madeleines. Deux écritures cohabitent dans ce cahier : celle de Proust et celle de son copiste, dans un dialogue unique et émouvant sur le travail même de l’écrivain.
Les trois versions manuscrites sont éditées dans un coffret de trois carnets Moleskine par les éditions des Saint-Pères. "Cet épisode est le moteur secret de "La recherche du temps perdu'", estime l'éditeur. "Ces trois cahiers permettent de retracer la généalogie de l'univers proustien", a-t-il ajouté.
Comme les milliers de pages d'"À la recherche du temps perdu", ces brouillons qui comptent au total 268 pages sont raturés et remplis de notes.
On y perçoit les hésitations de l'écrivain.
J'aime beaucoup la calligraphie sur la couverture. Que signifie-t-elle ? Et le sceau rouge en haut ainsi que le nom de l'éditeur ! (Bleu de Chine).
Gallimard :
Collection Bleu de Chine.
"Bleu de Chine", petite maison d’édition indépendante créée en 1994 par la sinologue et traductrice Geneviève Imbot-Bichet, rejoint Gallimard en 2010. Dédiée à la littérature chinoise des années 1930 à nos jours, son catalogue compte, aux côtés de grands noms de la littérature (Shen Congwen, Eileen Chang, Liu Zhenyun, Ge Fei), les écrits du prix Nobel de la paix chinois, Liu Xiaobo, ceux d’auteurs Hui (Chinois musulmans), du jeune blogueur Han Han ou de la Tibétaine Tsering Woeser, lauréate du Prix international Femme de courage 2013.
Mais....
http://www.chinese-shortstories.com/Actualites_4.htm
Le livre est disponible en occasion (épuisé)
Belle édition avec beaucoup de paratextes et des dessins dont ceux de l'auteure.
Auparavant je connaissais surtout les éditions Picquier, spécialistes de l'Asie.
Merci. J'ai trouvé. Arrivée prévue la semaine prochaine.
J'espère qu'il y aura des dessins !
Vous offrez par un lien un regard sur un très beau roman de Wang Anyi : "Le chant des regrets éternels". Ce que vous en dites est tentant. "Un des plus grands coups de cœur de ce blog". Je crois comprendre en quoi il se rapproche de "La Cerisaie" de Tchekhov. Une nostalgie... Quelque chose qu'il faut quitter... J'essaierai de le lire après "La cangue d'or ".
Chez Picquier editions, un très beau roman japonais de Hase Seishu, ”Le chien qui voulait voir le sud ”.
Je note celui chroniqué .
Merci pour ces nourritures littéraires que vous nous apportez.
Biancarelli
Oui, Biancarelli, c'est très beau et très étrange ce chien qui prend une pause près d'êtres un peu perdus dans leur vie, et qui reprend son chemin mystérieux vers le sud.
Heureuse de vous lire chez Soleil vert qui nous conduit à ouvrir des romans qui sont autant de belles expériences de lecture. Un monde parallèle à celui que nous connaissons et qui n'existe que par l'écriture.
Ce matin, je me suis réveillée en écoutant une très belle émission sur Matisse (F.C.). Extraordinaire chercheur de beauté et de bonheur, lui qui souffrait tant dans son corps.
Parfois quand le monde est trop sombre et agressif, je contemple un dessin ou une gouache découpée ou une toile de Matisse. Alors quelque chose de merveilleux se produit. Tout s'apaise. Les couleurs portées par le dessin clair et vertical, irradient. Il suffit alors d'oublier le trop de mots, partout, et de s'en remettre à la couleur. Elle nous prend par le coeur comme l'aube après la nuit.
Merci pour votre passage de météore.
La si belle émission sur Matisse :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/jean-helion-matisse-a-su-decrire-le-vivant-sans-l-assassiner-2403050
Je regarde "La danse" de Matisse et je pense à Soleil vert. Car Matisse a fait porter son effort sur l'intensité du bleu. Il disait que c'était " un beau bleu pour le ciel, le plus beau bleu des bleus... le vert de la colline et le vermillon vibrant des corps."
C'est une ronde qui inspire la joie de vivre. Une toile en trois couleurs.
Et son pendant, "La musique". Une grande Immobilité, un grand calme. Un violoniste à l'écart. Un joueur de flûte.
Et trois êtres qui écoutent, assis, les genoux relevés. Un dessin d'une maîtrise absolue. La plus haute sérénité.
Longtemps, je les ai contemplés au musée d'art moderne de Beaubourg, ces deux panneaux qui se répondent.. Aplats de couleur intense, souvenir de la luminosité de ses voyages en Afrique du Nord. Un dessin simplifié comme dans les icônes. Mais aussi un dessinateur exceptionnel. Puissance de l'arabesque au voisinage de la verticale.
Et puis il y a "L'atelier rouge". Une seule surface plane. Rouge uniforme et vibrant. Pas de perspective. Pas de modelé en trois dimensions et pourtant le volume est là. Mystère...
Rencontre avec Juan Gris avec qui il aime tant discuter des problèmes liés à l'exécution d'une œuvre.
Quel amour de la vie... sauf dans une toile qui m'a pétrifiée. "La Porte-fenêtre". Un grand rectangle noir au centre de la toile entre deux rectangles : un volet vert sombre, un pan de mur bleu. Quel vide, soudain. Accablement de la guerre... et de ses massacres. Nuit... Mort... Désespoir... Un univers secret, abstrait.
Heureusement, le papier découpé apparaît. Jazz... Découper à vif dans la couleur. Icare, l'homme oiseau dans son ciel de nuit étoilé de jaune...
Adossé dans son lit. Les murs sont couverts de formes découpées. Fleurs, oiseaux, feuilles, fruits... oiseaux... Un fusain au bout d'une canne à pêche. Une assistante met en place les formes découpées.
Même un nageur dans la piscine...
Et puis, la chapelle du Rosaire à Vence. Équilibre entre les formes et l'espace, une sorte de poème graphique. Couleur du vitrail, bleu, vert et or. Murs blancs, carreaux de céramique blancs aussi. Silhouettes si pures en lignes noires de Dominique et de la Vierge à l'enfant au milieu de nuages fleurs. Le visage du Christ sur le tissu de Véronique. Un chemin de croix stylisé. Un mince crucifix stylisé, épuré.
Matisse n'était pas pratiquant et pourtant quelle joie austère dans ce ruissellement de couleurs dû aux vitraux.
Joie ! Je l'ai reçu ce matin. Une belle occasion. Revendu par une bibliothèque du Vaucluse qui a fermé ses portes. Un très beau bleu en couverture mais votre teinte émeraude est inégalable.
Des croquis de Françoise Ged.
La cangue d'or est là. Dehors il pleut. la lampe douce est allumée. Joie.
Merci, soleil vert., une présentation d’Emmanuelle Péchenart qui a traduit le texte.
Merci, Soleil vert.
Oh, la belle découverte que ce texte d'H.G. Wells mis en exergue de la préface.(extrait de son roman "La Machine à explorer le temps", traduit par H.D. d'Avray)
"... il ne voyait dans les successives transformations de la civilisation qu'un entassement absurde destiné, à la fin, à retomber et à détruire ceux qui l'avaient construite. S'il en est ainsi, il nous reste de vivre comme s'il en était autrement. Mais pour moi, l'avenir est encore obscur et vide ; il est une vaste ignorance, éclairée, à quelques endroits accidentels, par le souvenir de son récit. Et j'ai conservé, pour mon réconfort, deux étranges fleurs blanches - recroquevillées maintenant, brunies, sèches et fragiles -, pour témoigner que lorsque l'intelligence et la force eurent disparu, la gratitude et une tendresse mutuelle survécurent encore dans le cœur de l'homme et de la femme."
Voilà qui pourrait nous parler des romans de science-fiction que vous avez choisis et certainement de ce roman d'Eileen Chang que je n'ai pas encore lu.
Oui, dans La cangue d'or, qui est tout sauf un roman de science-fiction, et qui date des années 1940 ,l'auteure dans sa préface cite, dans Wells (La machine à explorer le temps), un passage où il est question des civilisations qui naissent et s'écroulent. Il est vrai qu'entre la fin de l'Empire chinois, la seconde guerre mondiale et l'invasion japonaise il y a de quoi être perdu. C'est intéressant de voir les esprits de ces temps troublés s'accrocher à Wells pour comprendre l'incompréhensible.
BAV
Ah non, je n'ai pas compris. C'est une préface de l'auteur expliquant pour quelles raisons elle a choisi de placer en exergue ce texte d'H.G. Wells au recueil "Chuanqi /Contes et récits". Elle est datée de septembre 1944.
C'est là qu'elle évoque le bleu turquoise de la couverture mais aussi sa crainte que toutes les destructions de l'époque finissent par détruire la civilisation.
Elle y évoque une représentation théâtrale à laquelle elle assista. Et en particulier du rôle d'une femme qui lui fait écrire ces lignes émouvantes : "Dans les déserts du futur, parmi les décombres et les ruines, seule une femme pareille aux rôles féminins issus du "benghengxi" saura rester en vie, avec constance, à n'importe quelle époque, dans n'importe quelle condition, elle sera toujours chez elle."
Elle termine cette préface par cette pensée : "Et pourtant aujourd'hui, en cet automne aussi limpide et lumineux qu'un miroir, je devrais avoir le cœur en fête."
Nos commentaires se sont croisés !
Oui, il est intéressant "de voir les esprits de ces temps troublés s'accrocher à Wells pour comprendre l'incompréhensible."
Ce roman n'est pas de science-fiction, je l'avais compris, juste une fiction ... mais né dans ces années marquées par "la seconde guerre mondiale, la fin de l'empire chinois et l'invasion japonaise ".
Par lui, je vais essayer d'approcher cette femme et ce qu'elle ressentait.
La préface de d'Emmanuelle Péchenart suit celle de l'auteur. Elle présente la vie et l'oeuvre d'Eileen Chang, ce roman ("la triste histoire d'une femme qui se perd"), évoque sa mort ( la solitude de ses dernières années).
Des pages qui donnent envie de lire ce "récit le plus lu et le plus noir d'Eileen Chang" qui "se déroule, et se clôt sur lui-même, dans toute son implacable rigueur. Dans l'impeccable et pure clarté de la pleine lune ".
Ah, Soleil vert, je vais avoir besoin de vous. Figurez-vous qu'il manque une fin de phrase, une page ou plusieurs pages à ce magnifique roman. Me voici en rade au bas de la page 104 après une virgule. Que manque-t-il ?
La dernière phrase inachevée est : "L'aimer peut-être ne signifie pour eux qu'aimer plaisanter avec elle, mais si elle choisissait l'un d'entre eux,"
Auriez-vous la gentillesse de compléter cette phrase ?
J'ajouterai une page à cet ouvrage qui a perdu une aile en traversant la France puisquil vient du Vaucluse !
Voilà que votre suggestion : " Le livre est disponible en occasion (épuisé)
Belle édition avec beaucoup de paratextes et des dessins dont ceux de l'auteure." me conduit à une absence de mots. J'ai bien essayé d'imaginer au moins la fin de cette phrase mais rien n'y fait. Et arretez de rire, ce n'est pas drôle du tout !
Amicalement,
Christiane
A propos , êtes-vous certains que les dessins que vous avez vus dans votre livre sont de Eileen Chang ? Sur la première page du mien il est écrit : dessins de Françoise Gef.
Il y en a deux, au crayon. L'un représentant une rue, l'autre une maison en angle avec un grand mur vide percé d'une ouverture. Ils ne sont pas signés...
J'ai vérifié le nombre de pages annoncé : 105. donc il doit manquer juste la fin de cette phrase, peut-être deux...
l'essentiel de cette grande saga familiale est lu. En épousant ce mari pour faire une ascension sociale, Sixte se condamne à être méprisée par toute sa belle-famille et les servantes. Elle espérait, à la mort de son époux et de sa belle-mère hériter. Elle s'apercevra qu'il n'en sera rien.
Emprisonnée dans cette famille (la cangue d'or), elle entre en conflit avec toutes ces femmes méprisantes et devient aigre, méfiante, méchante, amère envers tous, tout en cachant son désir pour l'un de ses beaux-frères - un vaurien -, qui cherchera à la spolier. Quand elle s'en rendra compte, se placera cette fameuse scène où elle explose de colère et de dépit (citée dans le billet). Elle est devenue riche mais ces années de souffrance ont changé son caractère.
Ensuite, la chute sera vertigineuse puisqu'elle abîmera aussi les relations avec ses deux enfants dont elle sapera les chances d'être heureux et épanouis comme mue par une vengeance irraisonnée, avec une sorte de plaisir morbide. Une sorte de folie qui l'engloutit où elle se met à détester femmes et hommes, ne voyant que du mal en eux. (Comme dans cette scène où elle se trompe sur les intentions de son neveu qui saisit sa fille pour l'empêcher de tomber de sa chaise et qu'elle injurie dans un langage très cru en suggérant qu'il veut abuser de sa fille pour, l'épousant, profiter de sa fortune.) Il lui reste sa pipe d'opium...
Le roman commence par la fable de la lune et doit se terminer ainsi. les histoires reviennent, inchangées Le clair de lune d'il y a trente ans n'existe plus, les gens d'il y a trente ans sont peut-être morts mais les histoires continuent avec leur lot de souffrances, de ratages, d'échecs.
Je crois que le roman doit se terminer ainsi sur cette reprise :
"Shanghai, il y a trente ans, un soir de clair de lune...."
comme une larme...
Existence humaine fragile et incertaine mais une constante dans le retour des malheurs de ce monde.
Une haine née d'un déclassement social source d'autodépréciation, de jalousie, de ressentiment, de perversité.
J'ai apprécié l'écriture du roman. ainsi le dialogue des servantes au début qui décrit avec finesse la situation de cette famille. On se croit dans une comédie de Molière où les servantes en savent beaucoup sur leur maitres ! Beaucoup apprécié les détails des costumes, des étoffes, les paysages - parfois- car il s’agit plutôt d’un huis-clos.
Un chef d’œuvre.
- les servantes au début comme dans une pièce de Moliere, mais oui ! !!! ça m'a échappé, bien qu'ayant remarqué la théâtralisation
- dessin de l'auteure page 21
- fin du texte, je m'y emploie
fin du texte (votre vendeur vous a spolié):
"avec le temps, les enfants à naître, la vie est longue, son homme finirait sans doute par avoir du sentiment pour elle. Sixte tire le petit oreiller à volant de sous sa tête, et le presse conne visage, elle laisse une larme rouler le long de sa joue et sécher d'elle-même, trop lasse pour l'essuyer.
après la mort de Sixte, Alme, une fois les biens partagés, a quitté son frère et s'est installée de son côté. La fille de Sixte ne saurait avoir de difficultés à résoudre elle-même ses problèmes. Des rumeurs disent qu'on l'a vue en ville en compagnie d'un homme, ils se sont arrêtés devant un étalage, il lui a acheté un porte-jarretelles. Il est possible qu’elle l'ait payé de son argent à elle, toujours est-il que l'argent sortait de sa poche à lui… Bien entendu, ce ne sont que des rumeurs.
Le clair de lune d'il y a trente ans a sombré depuis long¬temps Les gens d'il y a trente ans sont morts, et pourtant les histoires vieilles de trente ans ne sont pas finies ... Elles ne finiront jamais."
La page 21 manque ! Je ne m'en étais pas aperçu !!!
Ah vous êtes génial. Merci pour la fin !!!
Eh bien je n'en étais pas loin de ce final, annoncé dans la première page du roman. En différents endroits on est informés que tout cela est un récit du passé mais pas que Sixte est morte
J'aime beaucoup cette aventure de lecture. Cette béance quand on est face à un récit dont il manque la dernière page.
Et puis j'imagine la main qui a dérobé les deux pages. Peut-être même le dernier lecteur qui a emprunté ce roman avant que le stock ne soit revendu à "recycle livres".
Si je comprends -mais n'approuve pas- le désir de garder le dessin , je ne comprends pas pour la dernière page...
J'ai écrit au vendeur. Il est possible qu'il soit de bonne foi car on ne voit pas la trace des deux parges manquantes. J'ai déjà acheter des livres (épuisés) chez eux et n'ai jamais eu de problème. C'est un site qui revend des livres venus d'un peu partout (bibliothèques, particuliers ...). Pourriez-vous mettre la photo de la page 21 ? Mon bonheur serait alors parfait.
Mil mercis pour votre gentillesse. Vous êtes extra.
Un vendeur à ne pas recommander.
Je suppose qu'au dos de la page 22 il y avait la suite de la liste des personnages. Effectivement le texte de la page 23 n'est pas raccord avec la liste de la page 21, mais là c'est moins important que la fin du roman.
J'aime imaginer que l'illustration manquante est proche de celui ou celle qui l'a dérobée et qu'elle lui apporte du bonheur....
Anonyme,
"Recyclé livres" brasse des milliers de livres. Je pense que ces travailleurs ne se sont dont pas aperçu de l'absence de ces deux pages. Le livre était en très bon état et l'envoi soigné.
J'ai découvert encore autre chose. La calligraphie de la couverture signifie "Cangue".
Et la première page contient le paragraphe que vous venez de citer, Soleil vert.
Même "la clarté de la lune (qui) illuminait la bordure de l'oreiller" mais là c'est celui de la servante.
Ce roman m'a vraiment plu. Il est remarquablement construit en miroir.
Voilà, c'est le moment que j'aime. Ce plus tard du livre refermé.
Cette larme à la fin. Toute la détresse d'un être qui a perdu sa vie en voulant arracher l'épine qui la blessait : être née loin de ce monde qui la fascinait. Puis en recevoir mille blessures.
L'auteur nous parle à travers son livre.
Je sens qu'Eileen Chang a été proche de Sixte malgré sa chute dans la perversion, la cruauté. C'est un livre qui fait mal. Eileen Chang avait quelque chose à nous dire d'inoui de l'emprise du désespoir sur son personnage, cette bascule qui transforme la souffrante en bourreau.
Je crois aussi que la fournaise historique qu'elle traversait abimait sa force de vivre.
C'est pour cela qu'elle souhaitait un coin de ciel de nuit par le bleu émeraude de la couverture de son livre. Un bleu à l'âme.
Reste la lune si belle dans cette nuit....
Un peu comme Paul Edel dans son dernier texte quand il écrit cette "Envie subite d’ensauvagement. Prendre n’importe quelle route de campagne qui mène à un sentier pour fuir ce monde qui a soif de désastres. La fugue(..)"
C'est cela la chance qu'offre l'écriture pour lui, pour elle.
Comme la peinture, les couleurs, le dessin pour Matisse. Mettre au monde, un autre monde tantôt chaotique, tantôt réparé ou imaginaire.
Quelle chance d'être lecteur ou de pouvoir contempler un tableau ou d'être attentif à une cantate de Bach. Ils nous font du bien. Merci
« Recycle livres » est en effet d’ordinaire une boîte sérieuse, qui n’a pas pour mission de transmettre des ouvrages incomplets ! Quelque chose m’échappe dans ce
Qui vous arrive, Christiane…. MC
Oui,MC. Une boîte sérieuse. Mais les feuilles du livre n'étant pas cousues , il s'avère facile pour qui le veut d'en subtiliser adroitement une page sans laisser de trace.
Je prends cela comme une surprise. Je savais que Soleil vert avait le livre donc qu'il pourrait me donner la fin. Cela aurait été plus compliqué s'il n'y avait eu personne pour m'offrir la fin. Mais sans Soleil vert, aurais-je lu ce livre ? Idem pour un film mal enregistré dont il manque la fin. Il a été chic et m'a donné ces quelques lignes qui sont comme un point d'orgue au roman.
J'ai beaucoup aimé ce livre au plus près de la vie chaotique de Sixte. C'est une belle étude des conventions de la famille chinoise, ces années là et de ce personnage. Aujourd'hui on a d'autres plumes qui expriment cette rancoeur, cette frustration de ne pas être né dans une "classe" supérieure...
Cela ne m'a jamais fait souffrir. d'être née dans une famille modeste. Elle était si chaleureuse et tellement inventive. Nous les enfants , nous étions si libres. Le monde était ouvert comme une forêt à explorer.
La lune est à tous les rêveurs...
Dans un article de L'Obs on peut lire ces mots de Pierre Haski :
"Bleu de Chine » dispose de plus d’une centaine de titres à son catalogue, des petits livres aux couvertures séduisantes, généralement des tableaux d’art contemporain chinois. Parmi les auteurs importants publiés par cette petite maison, malgré son incapacité à rivaliser avec les « gros » pour racheter des manuscrits, l’ancien ministre de la culture Wang Meng, Da Lai, le très Pékinois Liu Xinwu, Wang Anyi, le cinéaste Wang Chao ou encore l’écrivain d’avant-guerre Eileen Chang.
Pendant des années, Bleu de Chine a été un « one-woman-show », Geneviève Imbot-Bichet travaillant seule, avec un de ses fils pour faire la mise en page, et un réseau d’amis pour l’aider à faire vivre une maison d’édition indépendante et exigeante, avec des livres dont certains ne se vendaient qu’à quelques centaines d’exemplaires mais permettaient de faire découvrir l’étendue de la diversité de la littérature chinoise.
Geneviève Imbot-Bichet, une sinologue qui fut en poste à Pékin et connait parfaitement le monde de la littérature chinoise, restera la responsable de la programmation de Bleu de Chine au sein du groupe Gallimard - tout en s’occupant par ailleurs de la programmation de la « Maison de la Chine », à Paris."
Oui, de jolis livres à la couverture souple et belle, brochés et non reliés et cousus. Ce qui a permis à un lecteur indélicat de prélever ces deux pages.
Mais quel bonheur d'avoir lu ce livre. Celui-ci imprimé en 1999 à Nancy. Il y a 23 ans donc.
Merci à Geneviève Imbot-Bichet.
Sur la page du titre, deux tampons :
Le premier indique :
Exclu des collections Don du Conseil Général de Vaucluse.
Le deuxième : B.C.P. de Vaucluse INV 195743 COTE 895 1 CHA
Je ne crois pas qu'il ait été lu. Le livre se tient, serré. Pas de trace de pochette de fiche d'emprunt à l'intérieur la couverture.
Puis il a voyagé vers "Recycle livres", a été répertoriés et placé sur une étagère attendant qu'un lecteur le demande.
Il m'est arrivé très vite et soigneusement emballé .
Hier au soir, j'ai écrit la fin du texte sur la dernière page, celle de la table des matières puis j'ai écrit page 23 : illustration de l'auteur page 21 manquante.
Son aventure se termine peut-être ici.
J'espère que mes enfants le garderont le jour lointain où il leur faudra déménager les piles de livres de cet appartement...
Entretien avec Emmanuelle Péchenart la traductrice dEileen Chang (Zulma)
https://youtu.be/Fuhg4ZDnBQE
A la fin de l'entretien (très bref) , Emmanuelle Péchenart évoque deux nouvelles d'Eileen Chang qu'elle a traduites pour Zulma. C'est une femme qui a beaucoup de classe.
Ici l'annonce d'un livre autobiographique d'Eileen Chang traduit par Emmanuelle Péchenart :
https://editions-jentayu.fr/emmanuelle-pechenart/
Page 21 envoyée
Bien reçu. Quatre portraits magnifiques. Je suis heureuse. Merci.
Jouvence dans sa robe de mariée m'évoque "La blouse roumaine" de Matisse. Émouvante.
Le regard de Sixte est ambigu, celui d'Alme porte les luttes qu'elle a traversées et Jaspe est beau et froid.
Voilà un livre maintenant complet grâce à vous. C'est un grand bonheur. Merci.
La blouse roumaine de Matisse :
https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/Tf4mMLp
Ouvrage en mediatheque sous la côte Zhang Ailing.
Pour celles et ceux qui fréquentent les bibli.et qui voudraient la lire.Comme quoi.🙂
Merci, Anonyme.
C'est étrange l'entretien mis en ligne par Damien sur la RdL. On reconnaît la langue de L.F. Céline. Après avoir introduire le langage parlé dans la langue écrite, il ne peut plus parler sans se fondre dans cette langue qu'il a inventée. Même rythme syncopé. Mêmes invectives. Même insolence radicale. Même volontet de faire table rase en écumant la littérature avec une bordée d'injures. Même atténuation de sa virulence par la pitié qu'il veut inspirer. Il est devenu son écriture. Quel acteur !
introduit
Paul Edel et ses fantômes. Bouleversant. Allez voir.
Ce soir sur culture box "Biographie un jeu' de Max Frisch ( théâtre du Rond-point.)
https://www.theatreonline.com/Spectacle/Biographie-un-jeu/72729
"Vous avez inventé quelque chose ?… qu’est-ce que c’est ?
Il demande.
L’émotion dans le langage écrit !… le langage écrit était à sec, c’est moi qu’ai redonné l’émotion au langage écrit !… comme je vous le dis !… c’est pas qu’un petit turbin je vous jure !… le truc, la magie, que n’importe quel con à présent peut vous émouvoir « en écrit » !… retrouver l’émotion du « parlé » à travers l’écrit ! c’est pas rien !… c’est infime mais c’est quelque chose !… […] L’émotion du langage parlé à travers l’écrit ! Réfléchissez un petit peu, Monsieur le Professeur Y ! faites marcher un peu votre nénette !"
L.F. Céline
Magnifique ! Peut-on changer la passé ? Et s'ils n'avaient pas fait ce choix. Si Kurman et Antoinette n'avaient pas fait leur vie ensemble ? Si elle était partie à deux heures du matin au lieu de rester ?
Un vrai tourbillon, un vertige qui tourne comme les décors. José Garcia et Isabelle Carré sont extraordinaires. Frisch est un grand anxieux à se poser toutes ces questions... Du beau théâtre.
Kurman : « Biographie ! Je me refuse à croire que notre biographie, la mienne ou la vôtre, ou n’importe laquelle, ne puisse pas tourner autrement. Tout autrement. Il suffit que je me comporte différemment … Ne serait-ce qu’une seule fois … »
Antoinette : « À vrai dire, je voulais juste entendre une dernière fois votre vieille boîte à musique. Je suis fascinée par les boîtes à musique : ces personnages qui refont toujours les mêmes gestes, dès que ralentit le petit air … »
Cela me rappelle le texte de Borges mis en exergue au beau roman d'Eileen Chang.
C'est bien que Rose écrive à nouveau sa vie chaotique et que JJJ l'ait soutenue.
Ce n'est pas un étalage égocentrique et "geignard" c'est une tentative d'élucidation de ce qui est tu, oublié, enfoui. C'est une lutte. Bien sûr ce n'est pas de l'écriture littéraire, c'est un témoignage qui la laisse souvent epuisée avec des mots bredouillés. La RdL devient alors cet océan rageur où elle lance ses bouteilles. Pour elle pas d'éditeur mais des lecteurs grâce à un espace sans modération.
D'autres s'inventent des souvenirs pour faire de la littérature. C'est agréable à lire comme une fiction.
Hi, hi
Je viens de retrouver la phrase exacte de mon Harpagon :
"Il faut manger pour se nourrir, pas manger pour manger"
Oui, c'était sur le billet d'avant , une conversation vous était revenue d'un lointain passé. Un mari inconvenant apostrophant son épouse lors d'un dîner : "A la lecture de « Nourrir et manger », une anecdote personnelle m’est revenue à l’esprit. Elle a peu de rapport avec le présent texte, mais la mémoire support de la stupéfaction ne transige pas. Invité il a quelques décennies à déjeuner par un couple dont ma femme gardait alors l’enfant, la mère me resservit de la salade. Le mari s’interposa aussitôt : « pourquoi le ressers tu alors qu’il n’a rien demandé ? Il faut manger pour se nourrir, pas manger pour manger » L’interdit culinaire me rappela aussitôt et me rappellera toujours la fameuse injonction d’Harpagon « il faut manger pour vivre etc. »
Donc, vous pouvez enfin terminer cette citation d'Harpagon :
"Il faut manger pour se nourrir, pas manger pour manger"
J'ai toujours été étonnée de voir surgir à l'improviste la réponse à une question qui semblait perdue. Comme si, dans notre inconscient, un petit moteur de recherche continuait à fonctionner. Et soudain, comme une bulle remontée du fond de l'étang, apparaissent dans toute leur netteté les mots oubliés
Soleil vert vous êtes toujours où on ne vous attend pas ! Et c'est délicieux.
PS : pour mon pauvre livre effeuillé, le vendeur m'annonce un remboursement. C'est élégant mais un peu en porte-à-faux avec ce dialogue hilarant entre un lecteur comblé : vous et un autre dépité : moi ! Comme dirait une amie qui a eu vent de l'affaire : "presque une nouvelle !"...
Dans ces nouvelles fantastiques de Neil Gaiman réunies dans l'ouvrage "Des choses fragiles" , il y a donc cette nouvelle : "Nourrir et manger" .
Que s'y passe-t-il ? En quoi vous a-t-elle évoqué le souvenir de ce repas lointain. J'ai bien envie de savoir....
Ce ne serait pas plutôt « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger »? Ces nourritures me paraissent bizarres…. MC
Allons bon ! Une nouvelle partie ? Les dés sont lancés. Qui dit mieux ?
Les nuits étoilées de Van Gogh,un bel ouvrage de Jean Pierre Luminet,puisque vous évoquiez le bleu,là c’est du jaune de Van Gogh dont il s’agit.
"La bonne cuisine, c'est le souvenir"
Georges Simenon
Il faut manger pour vivre, et non vivre pour manger
dans L'avare et proféré dans une adaptation au cinema par Michel Galabru devant un Louis de Funès émerveillé. (je me souviens aussi de l'interprétation (1943 ?)de Charles Dullin)
Je l'ai écouté il y a peu. Il a retrouvé, je crois, la position des étoiles les nuits où il a peint. Tourbillons dor dans le ciel dont la poussière de lumière faisait danser le ciel
Galabru... Dullin. De Funès...de grands comédiens. Des hommes tristes.
Souvenir d'une lecture à l'Odéon...
Valère Novarina : "Le Théâtre des paroles",(1989)
« Louis de Funès entrait tout le temps en reculant et en repoussant le jour derrière lui. Comme font les grands acteurs intelligents. Il entrait toujours les yeux fermés et le pas décidé, comme un aveugle qui sait l’espace par cœur. Louis de Funès trouvait chaque soir son chemin dans le noir avec l’exactitude des grands égarés. »
C'était Dominique Pinon
Vincent Van Gogh écrivait à son frère Théo : " Toujours la vue des étoiles me fait rêver, aussi simplement que me donnent à rêver les points noirs représentant sur la carte géographique villes et villages (...) Si nous prenons le train pour nous rendre à Tarascon ou à Rouen, nous prenons la mort pour aller dans une étoile. "
La nuit étoilée... Le café le soir... La nuit étoilée sur le Rhône...
Autant de ciels embrasés où roulent soleils, lune et étoiles et cet autre soleil, le tournesol...
La nuit étoilée fut peinte alors que Van Gogh était interné dans une cellule du dernier étage de l'asile de Saint-Remy . De sa fenêtre il voyait les Alpilles et un champ de blé.
Il écrit à Théo : " ce matin j'ai vu la campagne de ma fenêtre longtemps avant le lever du soleil avec rien que l'étoile du matin, laquelle paraissait très grande." Jaunes, oui, citronnées, d'autres sont roses, vertes, bleues, violettes...
J'essaie d'aller du bleu de Chine d'Eileen Chang avec ses moires de vert émeraude aux nuits effarrées de Van Gogh.
L'écriture bleue d'Eileen Chang toute en retenue, une aération bleutée, triste. La touche de van Gogh bataille à coups de brosses et de couteaux avec la couleur, épaisse, rayée crevant la nuit. Eileen Chang interroge la lune blanche dans un ciel qui s'éteint. Quelque chose se finit dans son roman, acquiesce. Quelque chose de vulnérable. Elle est son songe bleu. Van Gogh essaie de percer l'obscure transparence de la nuit, s'acharne sur ses toiles et ses dessins, semant ses chimères dans le bleu de la toile. Tout vibre. Il projette de l'obscurité sur les soirs d'été. La mort enveloppe son geste de peindre comme la flèche noire de ses cyprès. Il semble emprisonné dans son esprit, dans son âme et aspire à se delivrer en peignant le cosmos. Un besoin de réalisme naïf face à cette immensité.
Comme cette église au centre de la toile entre deux chemins qui bifurquent dont avait parlé Soleil vert. Une église submergée par l'agitation du paysage et du ciel.
Éblouissement comme dans la nuit étoilée de Jean-François Millet avec ses étoiles filantes et ses météores.
Des ciels d'ombres si profonds.
Toutes ces rêveries nées de la voûte bleue des lectures de Soleil vert et d'Anonyme qui parle ici de Van Gogh...
effarées
Un aperçut de ce très beau livre :
https://books.google.com/books/about/Les_nuits_%C3%A9toil%C3%A9es_de_Vincent_Van_Gogh.html?hl=fr&id=CmCJEAAAQBAJ#v=onepage&q&f=false
aperçu
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Luminet
Ici un très beau dessin à l'encre de chine présentant un trou noir dans l'espace temps...
Livre commandé. Merci, Anonyme
De Eileen Chang et Zao Wou-Ki à Matisse ou à van Gogh, quel voyage... celui qui mène de l'encre à la peinture à l'huile.
Ses poèmes que Soleil vert a cachés dans son espace poétique en bas de page montrent la possibilité de ce dessaisissement, ce lieu où sa lecture se déploie.
François Cheng écrit qu'en Chine, "au commencement était le signe. Dans les mythes archaïques chinois, le Créateur ne se révèle pas par le verbe ou la parole ; il laisse des traces dont les humains s'inspirent pour créer des signes divinatoires ou linguistiques. Dès lors, le pinceau, et donc l'encre, devient l'instrument de passion de tout un peuple."
Ainsi de la trace à la calligraphie, des signes à l'écriture , Soleil vert a passé des heures sur une couleur qui avait fait rêver Eileen Chang : le bleu-vert émeraude. Et ce faisant il cheminait vers l'auteur dans une sorte d'abstraction mûrissant la chronique qu'il fera d'un de ses romans majeurs : " La cangue d'or".
Pour rappel, un des plus beaux poèmes de Soleil vert qui a à voir avec cette recherche du bleu-vert émeraude et cette écriture.
"Torri d'Itsukushima" de Jean-Louis Peyre, dans le recueil "Les voiles d'encre" édité par "L'arbre à paroles"
"Torri d'Itsukushima
Kanji rouge posé sur l'eau
Quelle main océane
Inspira ta calligraphie
La voûte de ton portail
Appelle un monde invisible
Envoûtant est le livre
Qui me lie à l'autre rive"
De rien.Merci pour ces commentaires immédiats.
C’est un beau livre,je pense qu’il peut intéresser aussi ceux qui aiment Bachelard.
Et Jean Pierre Luminet,reçu en dédicaces, est quelqu’un de solaire.
Suite à la perte de sa fille,il avait publié un livre de poésie Un trou noir .
Un libraire
Merci, libraire.
J'ouvrirai ce livre comme on entre dans l'imprévisible, comme je suis entrée dans l'oeuvre de Bachelard. Comme dans un labyrinthe de miroirs. Tenter la contemplation alors que toute l'actualité est à la violence, à la banalisation de l'emprise médiatique. Répondre par un effort d'attention. Lire, contempler, méditer, entrer dans une proximité.
Terrible la perte de sa fille...
Magnifique cette encre de Pierre Luminet
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/f4/LUMINET%27S_BLACK_HOLE_DRAWING-1982.jpg/440px-LUMINET%27S_BLACK_HOLE_DRAWING-1982.jpg
C'est intéressant, Soleil vert, votre dernière remarque. Vous écrivez : "ce très beau texte, dans lequelle vivent ces épouses. la traductrice Emmanuelle Péchenard voit une filiation du Rêve dans "le Pavillon rouge" (...)"
J'ai cherché à en savoir un peu plus sur ce roman chinois du XVIIIe siècle : "Le rêve dans le pavillon rouge", écrit en l'espace de dix ans par Cao Xueqin. Le « pavillon rouge » désignait le gynécée, appartements intimes des femmes de grande maison.
Dans le roman d'Eileen Chang, tout se passe aussi dans une maison où les personnages sont essentiellement feminins. Dans les deux romans, une sorte de prologue provoque un télescopage temporel. Dans "La cangue d'or", nous sommes propulsés non dans un très lointain futur mais dans un passé proche, trente années auparavant... sous l'immuable clair de lune qui, encadrant le récit, donnera une impression de possible répétition des histoires, des destins marqués par une illusion d'amour...
Le récit commence après, par un retour au passé : voici, raconté par les servantes l'histoire de cette maison dans laquelle vivent difficilement trois épouses...
Le récit du "Rêve dans le pavillon rouge" évoque d'une certaine façon celui de Sixte (ou Cao Qiqiao) commençant trente années plus tôt, une mise en abyme, qui permet de plonger le lecteur dans la souffrance de cette femme.
Qu'en dit Emmanuelle Péchenart ?
Dans la préface de "La cangue d'or", Emmanuelle Péchenart écrit : "Le texte emprunte beaucoup aux lectures classiques de l'auteur, à commencer par son roman fétiche : les personnages et leurs noms, leurs paroles et leurs gestes, ainsi que la façon dont ils sont mis en scène, rappellent en effet ceux du "Rêve dans le Pavillon d'or". La langue raffinée et pleine de sensualité, bien propre à l'auteur, ne laisse pas cependant de rappeler, elle aussi, ses goûts et sa formation littéraires classiques. Mais ces fils précieux ont été tissés sur un métier parfaitement contemporain : l'inspiration cinématographique, primordiale, et les techniques narratives utilisées par les auteurs modernes occidentaux anglais surtout, que Eileen Chang a lus assidûment. Voici les chemins à la croisée desquels se situe l'oeuvre (...)"
Je me suis demandée aussi qui était le narrateur de ce roman, quel lien il avait avec l'auteur.
Encore une fois je me reporte au prologue d'Emmanuelle Péchenart : ""La Cangue d'or", paru initialement dans une revue en novembre et décembre 1943, puis dans le recueil "Chanqi /, Contes et récits", quelques mois plus tard, puise dans les souvenirs familiaux ou personnels de son auteur : le décorum et la "face" défendus coûte que coûte dans cette famille traditionnelle contrainte à abandonner la demeure d'origine, l'opium, la claustration - que Eileen Chang a subie elle-même, enfermée et maltraitée par son père pendant plusieurs mois - ainsi que le personnage central inspiré de l'une de ses aïeules, sont autant d'émanations de sa propre histoire. Mais on aurait tort de voir une galerie de portraits ou d'antiquités, dans ce roman où de joue, dans l'intrigue, et dans la forme même, une lutte à mort entre la tradition et la modernité. "
Dans l'attente des "nuits étoilées" de Van Gogh de Jean Pierre Luminet, je feuillette "Vertiges" de W.G. Sebald. Quatre récits, des voyages entre l'Europe et l'Italie.
Récits où il s'interroge sur l'identité des écrivains. Ainsi, écrit-il, Beyle a créé Stendhal (une question qui occupe presque la totalité les trois premiers récits où il explore les aventures romantiques et militaires du jeune Beyle en regard à ses personnages mélancoliques.)
Le dernier récit se termine à Venise quand il décide de rentrer en Angleterre. Il y questionne par des affleurements émus ses souvenirs.
Il se réveille donc, un matin, dans sa chambre d'hôtel, écoute le vacarme de l'hôtel, de la rue, des voitures, des camions qui déferlent et écrit alors cette phrase qui pourrait aussi servir d'incipit à "La Cangue d'or" d'Eileen Chang :
"Au fil des années, j'en suis arrivé à la conclusion que la vie désormais naît de tout ce fracas, celle qui vient après nous et qui lentement nous mènera à notre perte, comme nous menons lentement à sa perte tout ce qui a été longtemps avant nous."
Un livre qui coïncide avec sa propre vie...
Merci, libraire. Je tourne lentement les pages des "Nuits étoilées de Vincent Van Gogh" de Jean-Pierre Luminet. Livre édité par Seghers.
Quel bel ouvrage ( choix des illustrations, mise en pages, qualité de l'impression) ! le format est sympathique. Livre léger, facile à tenir en mains.
Quant au texte que j'ai picoté avant une lecture complète, il me paraît passionnant.
Voilà une belle trouvaille.
Page 20, "Un jaune de Van Gogh est comme un or alchimique, un or butiné comme un miel solaire. "
En vis-à-vis "coucher de soleil sur les champs de blé ".
Je plonge dans cette masse vivante d'ocres et de jaunes éclatants. Des touches d'un vert bleuté et d'ocre sourd, au premier plan, sont avalées peu à peu par une marée de jaunes de plus en plus clairs. Le tout sous un ciel profond, bleu vibrant, parsemé dimperceptibles touches de vert tendre. Ce bleu radieux couvant un soleil juteux comme de l'or a boire. Entre les deux une frise compressée de la ville sombre et un couple paisible.
Ce n'est pas encore la nuit....
Je me régale. Merci.
closer dit sur la RdL :
"Hier soir, agréable dialogue entre André Comte Sponville et Eric Emmanuel Schmitt à la Grande Librairie. Je vois d’ici les grands intellectuels du blog tordre le nez: ACC est trop accessible pour être pris au sérieux comme philosophe; EEM plaît trop au grand public pour être honnête…
N’empêche, une conversation entre deux normaliens (oui, la rue d’Ulm) civilisés qui se respectent mutuellement, l’un « agnostique athée » et l’autre « agnostique croyant », est toujours bonne à prendre."
J'ai ressenti le même plaisir à écouter ces deux hommes échanger sur quelque chose d'aussi mystérieux que la foi.
EEM était très drôle avec son allergie à la bigoterie. Les deux étaient honnêtes et sincères et pleins d'humour..
Leur dialogue tapait juste dans nos consciences divisées. Ils avaient les mêmes refus pour les miracles et les superstitions.
C'était troublant et très fort.
Merci, Closer, pour cette remarque pleine de finesse.
Page 68, nous avons fait la même trouvaille, a peu près en même temps : ce petit livre intitulé "Van Gogh - La nuit étoilée - L'histoire de la matière et la matière de l'histoire". d'Albert Boime (1933-2008). Édité par Adam Bifo et traduit de l'américain. par Dominique Ferault.
Jean-Pierre Luminet m'apprend que c'est la traduction française d'un article publié en 1984 aux États-Unis .
Oui, ce livre est passionnant.
Jean-Pierre Luminet va plus loin car il est poète et philosophe. J'aime qu'il inclut dans son ouvrage de nombreux croquis préparatoires à l'encre sépia ou au crayon. Certains sont des courriers annonçant son désir de passer à la couleur. Il interroge beaucoup la nuit noire qui sépare l'éclat des étoiles. Il s'ouvre à son intuition artistique et détache aussi le dessin de l'idée de préparation. Revient aux lettres envoyées à Théo.
Passionné d'astro-physique, il n'en finit pas de rapprocher ces toiles ou croquis de constellations reconnaissables.
Jean-Pierre Luminet mène son enquête, retourne dans les lieux où ont été peintes ces toiles et page111, je me réjouis de lire :
"La Nuit étoilée est une peinture composite et en partie imaginaire, à l'instar d'une figure de rêve, avec essentiellement quatre éléments chargés de symboles qui participent à sa composition.
-les astres (...)
- la grande volute qui anime le ciel(...)
- le village idéalisé au clocher pointu mis à la place du champ de blé de l'asile, en référence aux paysages de maîtres hollandais comme Van Goyen et Van Ruysdael, et qui évoque sa terre natale
- le cyprès, totalement provençal, symbole de la nuit (...)."
C'est un livre attachant. J'aime l'odeur des encres et du papier. J'aime le toucher. Ces pages sont presque cartonnées. J'aime la liberté avec laquelle les tableaux sont présentés, tantôt en entier, tantôt coupés, tantôt posés près de photos actuelles .
Plus qu'un livre de peinture ou un livre d'astro-physique c'est une balade réunissant deux hommes au-delà du temps. Deux hommes qui se comprennent
Jean-Pierre Luminet évoque souvent Bachelard. Comme il raison.
Dans le dernier chapitre de La poétique de l'espace, page 169, Bachelard écrit : "L'immensité est en nous. Elle est attachée à une sorte d'expansion d'être que la vie refrène, que la puissance arrête, mais qui reprend dans la solitude. Dès que nous sommes immobiles, nous sommes ailleurs ; nous rêvons dans un monde immense. L'immensité est le mouvement de l'homme immobile."
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