Marcel Theroux - Au nord du
monde - Zulma
Réfugiée à Evangeline, une ville
du nord de la Sibérie désormais déserte, Makepeace Hatfield vit une existence immobile
partagée entre la mémoire des siens et le dur labeur quotidien qu’impose sa
survie dans un milieu très rude. Autrefois son père, instruit dans la foi
quaker comme la plupart des soixante-dix mille colons venus le rejoindre, avait
entamé une nouvelle vie dans ces terres louées par le gouvernement russe, loin
d’un monde gangrené par la pauvreté et les dérèglements climatiques. Mais
l’espoir d’une refondation disparut lorsque la ville ne sut quelle attitude
adopter face aux attaques et tentatives de pillages de bandes armées. L’opposition
entre les pacifistes groupés autour de James Hatfield et les tenants d’une défense
sans concession se mua en violence. Désormais seule à bord au bout d’une longue
séquence de temps ponctuée de meurtres et de départs, Makepeace entasse livres
et souvenirs dans la demeure familiale.
Marcel Theroux est un romancier, reporter et documentariste préoccupé par les questions environnementales. Une incursion en décembre 2000 dans la zone d’exclusion de Tchernobyl et la rencontre d’une vieille femme solitaire qui cultivait son potager contaminé furent à l’origine de la conception d’Au nord du monde. Présenté comme un western de la steppe et de la taïga, ce qui n’est pas tout à fait faux et a le mérite d’attirer le chaland, l’intrigue pioche dans la veine des récits post apocalyptiques. Deux avant auparavant Michael Chabon avait planté le décor d’une communauté Yiddish exilée en Alaska. Mais Theroux trace plutôt sa route dans les traces de Cormac McCarthy et plus profondément dans le dernier tiers du texte, dans celles de Stalker.
Robinson d’un monde disparu, Makepeace voit son univers basculer lorsqu’elle surprend une jeune fille chinoise tenter de lui dérober des livres pour en faire du combustible. Elle prend sous sa protection l’adolescente engrossée par un pillard. Mais la mort de Ping et de son bébé la plonge dans le désespoir des dépositaires d’héritages intransmissibles. Apercevant un jour un avion, elle prend alors la route, car malgré tout « j’étais comme Papa. J’avais besoin d’un autre monde pour racheter le présent ».
Au nord du monde raconte l’histoire d’une survivance au sein d'une nature hostile mais non dépourvue de beauté, peuplée de rares communautés d'individus impitoyables. Les espoirs, les combats perdus ou gagnés, l’errance mentale de cette femme en quête de sa vérité prennent le lecteur aux tripes. Mais le roman va plus loin encore confrontant deux visions du monde, l’un happé par la course technologique, l’autre tenaillé par ses racines. Comme le suggère l’écrivain il se pourrait que le destin de l’Humanité résulte en un improbable mélange des genres et que nous soyons condamnés comme cette paysanne ukrainienne à subsister sur le terreau contaminé de nos fautes. Western ou science-fiction ne manquez pas de lire cet ouvrage.
59 commentaires:
Ai-je bien compris ? Quand Ping et son bébé meurent, ce qui pousse au désespoir Makepeace c'est qu'elle se croit la seule survivante sur cette terre. L'avion, alors, lui prouve qu'il y a au moins un autre survivant. C'est un peu la colombe qui vient annoncer au bateau perdu de Christophe Colomb sur les mers , qu'ils approchent d'une terre habitable, donc de la vie.
En fait, au départ, Makepeace vit seule comme Robinson. Elle n'a pas la certitude d'être la dernière personne vivant au monde. Elle vit dans un temps immobile. L'arrivée de Ping et de son bébé lui offrent une perspective, elle revit. Leur disparition la ramène à son statut de survivante. Mais au moment de se suicider elle aperçoit un avion et part dans sa direction. Elle rencontrera d'autres communautés pas forcement accueillantes.
Merci pour cet éclaircissement.ces fictions du futur laissent souvent apparaître un monde désolé out errent quelques rares survivants.
Le goût de la solitude de fondé au milieu des autres pas sans les autres.
Qu'est ce qui nous fait vivant. Dans la fiction le réel est rêvé par les mots. Le temps, toujours à partir de ce qui est.
La pensée tourne. Tous ces possibles réclamant des repères.
Je pense à votre billet précédent et à Zweig. Des stèles de buée...
Comme dans le roman de Pierre Assouline que nous évoquions ou les nouvelles de Stefan Zweig. Le passé dans la SF devient comme un cri d'autrefois. Des chutes interminables. Les souvenirs brûlent.
Que de glace, ici. La glace c'est la mort comme dans La chute de Satan de Victor Hugo. Ce cratère de glace
Cela nous conduit au dernier vers du poème de Raymond...
Ce lieu imaginaire infernal est également décrit dans La Divine Comédie de Dante Alighieri. L'enfer y est décrit comme un lac gelé.
Comment sont écrits les paysages dans ce roman de Marcel Theroux "Au nord du monde" ?
Pas si différents au fond de ceux de Tesson (Dans les forêts de Sibérie) ou de ce qu'en rapporterait un trappeur. Impressionnante est le description de la ville de Polyn, sans doute inspirée par Prypiat. Un lieu dont la beauté quadrilatérale éclate sous une neige débarrassée de la présence humaine.
Hors lecture, j'ai appris que la zone boisée autour de Tchernobyl était surnommé "La forêt rouge" par les ukrainiens, en raison de la perte de chlorophylle occasionnée par les radiations. Souvenez vous de "la Guerre des mondes" de Wells et de la végétation rouge martienne. Nous sommes devenus les martiens de notre propre monde.
L'écriture silencieuse des neiges et des glaces conduisent ces écrivains exilés jusqu'à leur royaume intérieur.
Des aubes hivernales éclairent le passé mort dans ce roman que vous presentez.
Transparence...
Âme numide déchirée par la perte de cette femme vagabonde...
Élan obscur qui la pousse en avant dans ces paysages antérieurs à la nuit qu'elle explore "Au nord du monde".
Aucun oiseau ne siffle dans ces glaces que vous donnez envie de découvrir.
Rouges comme la boue. Rouges comme la braise. Gris comme les cendres...
Comme dans le film Stalker de Tarkovsky (1979) cette ville fantôme de Prypiat. Je me souviens d'un univers de boue et d'ombre.
Totalement évacuée, Prypiat, après Tchernobyl car hautement contaminée. Tout y est resté figé. Rouilles et végétation sauvage. Maisons éventrées par les pillages. Jouets d'enfants abandonnés.
Vous avez raison, "Nous sommes devenus les martiens de notre propre monde."
Y a-t-il une espérance dans ce roman ?
Il y a une espérance individuelle, en l'occurrence la résilience de l'héroïne. Elle donne naissance à un enfant in fine.
Le message est différent pour les collectivités humaines réduites à un mode de vie frugal.
Makepeace est une battante dure, réaliste et qui constate qu'au delà du Bien et du Mal l'attitude des hommes reflète leurs implacables conditions de vie. Néanmoins au fond d'elle même subsiste le rêve d'un ailleurs meilleur.
Un enfant ? Mais où a-t-elle trouvé un homme pour que ce soit possible dans cette terre désertée ? L'aviateur ? Ce n'est quand même pas une redite de Noël !
Un indien de passage … mais le sujet n'est qu'effleuré
Légère mise à jour le 11/04/22
Superbe mise à jour qui permet d'entrer dans l'attente de ce roman. Mille mercis.
J'aurai le roman demain. Je vous en reparlerai. Vous avez bien donné envie de le lire. Merci.
Ce roman que vous chroniquez et les éléments historiques proches évoqués posent la question du sens de la vie ici et maintenant, de la fin possible des dernières vies sur terre au-delà des destins personnels. Une lézarde dans l'espérance mais, le germe que nous sommes....
Grand merci pour cette découverte que je vais me procurer au plus tôt.
Débat très nourri et très intéressant.
Vraiment ravie d'avoir lu les 67 premières pages du roman de Marcel Theroux "Au nord du monde". On ne dirait pas qu'il est traduit de l'anglais (Stéphane Roques) car la langue est fluide, vivante. J'aime que ce récit soit à la première personne : ça crée des liens.
Le récit de Makepeace est captivant. C'est elle qui mène la barque de cette fiction, à son rythme.
C'est très rassurant le fait qu'elle habite la maison où elle a grandi. Tant d'objets familiers placent ce personnage dans un monde qui ressemble au nôtre. Enfin, un peu seulement...
Le dévoilement du sexe féminin de Ping arrive comme une surprise en miroir. Pour la narratrice, ce petit bout d'être humain emmitouflé n'était pas forcement une femme. Et puis, y penserait-elle ? elle dit elle-même avoir "dû lutter contre les côtés féminins de (sa) nature" pour survivre. Le passage au sauna leur révèlera un face à face joyeux, émouvant.
Ah, au fait, il y a des oiseaux, et plein d'autres bêtes, des poissons dans le lac, des caribous gardés là-bas par les Toungouse. Mais que d'hommes que d'hommes !
Le bi-plane, c'est une drôle d'affaire puisque les six passagers meurent dans l'accident et l'incendie.
Je suis attristée de la mort de Ping et son bébé.
Bien envie d'aller plus avant.
Je vous laisse.
Encore une remarque. Le temps passe dans ce récit. On le sait souvent en début de chapitre. On passe au temps passé. On apprend ce qui s'est passé sans détails superflus. C'est bien.
Marcel Theroux est né en Ouganda. Il a deux prénoms français Marcel et Raymond; Il écrit en anglais (britannique). Son personnage féminin est très crédible. Il campe bien cette femme obligée de tuer pour survivre mais ayant gardé sa douceur, son émotivité. Le langage lui donne une fraicheur d'adolescente mais un tempérament de guerrière. (Raté pour le prénom !)
J'aime beaucoup les romans édités par Zulma, ces couvertures toujours en harmonie avec l’atmosphère du roman (couleurs et formes subtiles : de bons graphistes). Ici, ces bleus et blancs comme autant de glaçons. Littératures du monde entier.
C'est Hubert Haddad qui m'a fait découvrir cette maison d'édition. (Prix Renaudot pour "Palestine". Je crois qu'ils ne sortent que 12 livres par an.
Bref, merci, Soleil vert.
Un peu d'actualités, c'est l'heure. Puis retour au livre.
J'ai chroniqué deux Hubert Haddad ici
https://soleilgreen.blogspot.com/search?q=Hubert+Haddad
Bon appétit (diner + lecture) !
Y a-t-il un moteur de recherche quelque part dans votre blog ? J'ai redescendu quelques mois mais ce n'est pas commode .
Merci pour ce lien Hubert Haddad
. Merci aussi pour ces vœux de bonne soirée.
Je fais une pause lecture pour écouter en Replay la deuxième émission sur Kafka et les femmes.LSD la série documentaire. Excellente. Hier Félice Bauer, aujourd'hui Milena. 17h en semaine.
Pour ce que vous avez dit de Tesson (Dans les forêts de Sibérie), je pensais aussi quand elle se penche sur ce passé de prisonniers à Olivier Rolin, ses écrits sur la Sibérie et le grand roman "Le météorologue".
Bonne soirée.
1-"Y a-t-il un moteur de recherche quelque part dans votre blog"
Oui, tout en haut à gauche, à droite de la lettre B
2- La solitude absolue :
https://soleilgreen.blogspot.com/2017/05/seul.html
C'était un des livres de chevet de Paul-Emile Victor
Mais oui bien sûr. La version Web que je n'ai pas sur le smartphone mais sur l'ordinateur ! et j'ai vu tout en haut près de la lettre B l'espace recherche que je n'avais pas vu.
Je vais ouvrir ce lien de solitude.
J'ai terminé l'audition de LSD / France Culture. Milena, quel personnage lumineux et pourtant 4 ans à Ravensbrück... Quant à Kafka, mon dieu qu'il était compliqué avec les femmes ! une peur de la chair de la nudité qui devait rendre presque impossible une union charnelle avec cet homme envoutant, tellement intelligent, profond et fin. Je crois que Milena l'a profondément aimé.
Pour Hubert Haddad, chic ! deux livres que je n'ai pas lus.
Je ne connais que l'excellent "Le monstre et Chaos" (le ghetto de Lodz), le poignant "Palestine", l'étrange "Théorie de la vilaine petite fille" et son bel essai sur Julien Gracq "La forme d'une vie". Et beaucoup de rencontres littéraires et artistiques.
Merci pour la présentation du récit de Richard Byrd "Seul". Un naufragé volontaire au cœur des glaces.
Pour en revenir au roman de Marcel Theroux "Au nord du monde", je suis un peu décontenancée par les aventures multiples de ce personnage. Le roman prend alors la forme d'un feuilleton où chaque nouvelle aventure est très différente de la précédente dès qu'elle ferme sa maison et part sur les routes. Beaucoup de violence, de cruauté, de fanastisme sur son chemin où elle essaie de sauver sa peau, de survivre. Quelle noirceur quand elle est déportée enchainée. La suite demain...
Je vois que sous "articles anciens" sont regroupés des écrivains et des livres que j'aime. Un beau chemin à explorer !
Christine l’ Admirable, de l’excellent Sylvain Pinon recensé aujourd’hui. A elle seule un personnage photo-chrétien et hors normes dans un monde pas loin de celui dépeint par Ginzburg.dans la Nuit du Sabbat. Laquelle vient de sortir en poche…
MC, vous voulez évoquer l'essai d'Esther Pinon et de Sylvain Ledda à propos des Contemplations de Victor Hugo ? Oui, formidable. Je me souviens de notre échange sur La fin de Satan. Mais quel est le rapport avec "La nuit du Sabbat" de Carlo Ginzburg dont nous avions longuement parlé ? D'ailleurs, je me souviens plutôt d'un autre ouvrage de lui "Le fil et les traces".
"Or, près des cieux, au bord du gouffre où rien ne change,
Une plume échappée à l’aile de l’archange
Était restée, et pure et blanche, frissonnait.
L’ange au front de qui l’aube éblouissante naît,
La vit, la prit, et dit, l’œil, sur le ciel sublime :
— Seigneur, faut-il qu’elle aille, elle aussi, dans l’abîme ? —
Il leva la main, Lui par la vie absorbé,
Et dit : — Ne jetez pas ce qui n’est pas tombé."
Cette plume blanche échappant à l'enfouissement ténébreux de Satan, c'est tout le génie de Victor Hugo.
Mais cela n'est il pas en rapport avec le billet précédent de Soleil vert à propos du roman de Pierre Assouline et du naufrage du paquebot ? Et de l'évocation de La fin de Satan ? Je suis un peu perdue... Bon, je retourne dormir. Vous me direz.
Bon, c'est mieux le matin. Mes idées sont plus claires. Je comprends vos citations d'ouvrages par rapport à ce terrible univers noir, hostile et sauvage dans lequel évolue Makepeace. Nous pensions à Stalker et à l'univers de glace et de nuit de la chute sans fin de Satan.
Quand vous êtes là , Hugo n'est pas loin, surtout son oeuvre poétique hallucinée, magnifique et Carlo Ginzburg, sans vous, qui l'aurait évoqué chez Pierre Assouline ?
Je crois me souvenir, qu'étrangement au milieu de vos recherches littéraires vous êtes assez féru de science-fiction.
Ce blog littéraire de Soleil vert offre une réflexion de qualité couvrant les vastes domaines réputés contradictoires de la littérature. C'est un blog de lecteur passionné.
Vous allez me faire rougir ...
J'ai toujours eu en horreur les classements hâtifs et comparatifs des différentes expressions de la littérature quand elle est de qualité. Ainsi ce roman qui me conduit loin de mes lectures habituelles (Essais divers dont ceux sur l'art - poésie - philosophie... Littérature dite classique - biographies - romans historiques...). Ici, j'en retrouve souvent la présence guidée par votre liberté de lecteur. Un grand merci ainsi que pour cet espace de commentaires.
Je regarde en différé "Un été à la Garoupe". Eluard et sa femme Nusch, Man Ray, Picasso, Dora Maar... 55 minutes de bonheur. Man Ray filme ses amis. Antibes 1937. La plage de la Garoupe. Une pellicule couleur aux tons fanés. Un délice enchanteur.
Le réalisateur F. Levy-Kuenz y mêle des photos, des clichés surréalistes. Le commentaire en voix off est un plaisir supplémentaire. Documentaire rare, disponible en replay...
Voues êtes ici chez vous Christiane (j'y veillerai); espérons que certaines lectures ne vous rebuterons pas trop.
Biancarelli : merci de votre fidélité
C'est gentil et tellement agréable d'échanger sur les livres. J'ai bien avancé dans le roman de Marcel theroux. Je comprends mieux dans la partie 3 votre évocation de Tchernobyl et de Stalker. Le roman prends du sens et le personnage de Makepeace est vraiment intéressant. Je ne regrette pas du tout cette lecture. Elle nous fait traverser d'une façon très réaliste les maux de notre époque (guerres - écologie - replis sectaires - comportements de groupe féroces...). Ce n'est pas vraiment de la SF plutôt une méditation ay travers une fiction bien écrite.
Deux citadelles dans ce monde des blogs si souvent injuste, la vôtre et celle de Raymond Prunier.
Voilà je viens de refermer le roman. J'ai lu les deux postfaces, celle de l'auteur, Marcel Theroux et celle inattendue et grave de Haruki Murakami.
Savez vous, Soleil vert, j'ai au cours de ma lecture pensé ressentir le roman différemment de vous. Et pourtant vous avez dit l'essentiel avec cette force de ne pas dévoiler les rebondissements de l'histoire, totalement imprévisibles.
Ce qui est étonnant c'est qu'on rencontre au fil des pages de cette fiction : notre monde.
Cette héroïne tellement fragile au début, tellement endurcie à la fin ne trahit jamais son goût de l'infini, ses valeurs humaines, sa lucidité. Elle accepte des faiblesses, ses déceptions, la médiocrité de beaucoup d'êtres rencontrés. Elle se lance, tombe, se relève, avance un pas après l'autre quand c'est trop difficile.
Elle tiendra dans sa main une orange, ne pourra la manger tant elle en a rêvé.
Très très beau livre qui me laisse contrairement à Haruki Murakami non un poids d'angoisse mais une confiance absolue en l'être humain.
La rencontre vraie avec Galina, cette grand-mère tellement indépendante, débrouillarde, sa fierté calme, son choix de vie sidérant, extraordinaire, c'est un beau mobile pour écrire une fiction.
Merci mille fois pour avoir partagé cette trouvaille rare.
Tout ça avec des mots... Incroyable !
Non pas Esther, Sylvain. Le personnage de Christine, magistralement étudié, baigne aussi dans les eaux d’un pré-christianisme à vestiges chamaniques , d’où la référence à cet ouvrage la de Ginzburgc qui jusqu’à présent n’était pas en poche.Theroux est un auteur beaucoup plus connu ailleurs qu’ici.et plus Western que SF, si tant est que celle-ci n’envahisse pas celui-là par le biais de l’uchronie. Eh non, je ne parlais pas de la fin de Satan pour une fois! J’espère que l’un et l’autre êtes allés à ArtParis, qui fut de haut niveau…. Bien à vous. MC
Je viens de lire votre méditation sur "La mélancolie du futur". Peut-elle éclairer ce roman de Marcel Theroux "Au nord du monde" ?
La mélancolie semble gagner Makepeace seulement quand elle est retenue loin de chez elle, prisonnière de longues années, dans un camp de prisonniers et plus avant dans le temps quand elle pense à Ping ou à son enfance. Mais elle ne sera pas suffisante pour retenir sa fille à qui elle souhaite à la fin du roman de prendre elle aussi la route ("fiche le camp d'ici"), comme elle l'avait fait. Mais on ne sait plus trop pour quelles raisons puisque sa route, à elle, lui aura apporté plus de souffrances, de désillusions que du bonheur et un sentiment de culpabilité envers sa fille pour le monde qu'elle lui laisse.
Reste les rêves énigmatiques symbolisés par les avions et cette parole mystérieuse, à la fin du roman : "Ping rentre chez elle"... Je ne les ai pas complètement élucidés.
La femme âgée (enfin, 60 ans c'est encore très jeune...), Galina, rencontrée par l'auteur lors d'un de ses voyages, vivant avec sa fille dans une maison abandonnée à l'intérieur de la zone d'exclusion qui entoure la centrale nucléaire de Tchernobyl, semble par ses choix avoir liquidé tout regret du passé et refuse de s'apitoyer sur son sort. Est-elle mélancolique ? Elle semble vivre hors du temps, modestement et courageusement, au présent. Un échec de la civilisation ?
"Je viens de lire votre méditation sur "La mélancolie du futur". Peut-elle éclairer ce roman de Marcel Theroux "Au nord du monde" ?"
Difficile à dire. C'est une tenace.
En littérature générale, je viens de retrouver le Kierkegaard de Marguerite Grimault (Ecrivains de toujours au Seuil) dont la bio correspond bien à ce terme. Dans sa romance ratée avec Régine Olsen, j'ai trouvé un écho avec un épisode de ma jeunesse.
Mais, M.C., qui est cette Christine ? Qui est ce Sylvain ? Pourquoi les évoquer ici. Je suis désolée, je ne comprends pas votre pensée.
S'agit-il de Christine Spengler, photographe de guerre comme Robert Capa, dont elle dit : «Il photographiait plutôt la douleur des victimes. Et je suis pareille. Je me suis toujours intéressée aux victimes et particulièrement aussi aux hommes et aux femmes… Ma spécificité à moi c’est de refuser absolument le sensationnalisme. C’est pour ça que je n’ai jamais voulu photographier en couleur parce que le noir et blanc est beaucoup plus dramatique et parlant».
Je sais qu'elle expose tout près, au musée de la Libération. Photos qui ne nous changeront guère de l'actualité terrible en Ukraine.
C'est une supposition. Des Christine il y en a tant...
"D’où provient alors la mélancolie ?
Pour Pierre Fédida, cette forme de dépression grave serait la cicatrice d'une séparation initiale.
Représenter, écrire permettent en quelque sorte d’assigner une figure absente.
Or le thème de la séparation est central en SF : exil, dépossession de soi, quête d’identité, royaumes disparus, métamorphoses...
Les quelques voies explorées dans ce dossier déclinent à leur façon cette quête symbolique des origines, quête dont on sait depuis «Voyage au centre de la Terre» qu’elle est sans espoir."
Soleil vert, ces lignes de votre dossier sont à l'origine de la question que je vous posais sur la mélancolie dans ce roman de Marcel Theroux "Au nord du monde".
J'ai ouvert plein d'articles de votre blog évoquant des livres, des auteurs que j'apprécie ou des romans que je n'avais pas du toit compris comme "Kafka sur le rivage" d'Haruki Murakami. J'ai découvert Michel Bernanos, fils de Georges Bernanos. J'ai lu avec plaisir vos billets sur Philip Roth, Patrick Modiano, Fernando Pessoa, Pierre Michon, Yukio Mishima, Jim Harrison, F.Scott Fitzgerald, Virginia Woolf, ... heures de bonheur. Merci.
Essayez
https://soleilgreen.blogspot.com/2015/05/le-chant-des-regrets-eternels.html
Il s’agit de. Christine de St Trond, très haute figure du courant des Béguines après Marie d’ Oignies.Un personnage de saga primitive qui mêle christianisme et chamanisme, passe plusieurs jours régulièrement dans la Meuse, monte dans les clochers ou fuit dans les bois quand elle juge qu’´on la dérange, fait le Voyage de Dante, entre enfin pour des rites non décrits dans les Tombeaux des morts. Personnage atypique même si le béguinage n’est postule pas l’entrée dans un Ordre, et qui se caractérise par des techniques d’extase qui la rattachent à des forces très primitives, tout en affichant un christianisme anti clerc, et hostile à toute récupération posthume. Un personnage de saga des premiers siècles , et qu’ il n’est pas déplacé d’évoquer ici.
Cette fois c’est passé !
Wang Anyi - Le Chant des regrets éternels - Picquier Poche
Là nous sommes pleinement dans la mélancolie. Quelle beauté dans l'évocation de ce roman. Je vais le lire. Merci, Soleil vert.
Le Kierkegaard de Marguerite Grimault (Seuil) me rappelle un grand souvenir de lecture et de méditation mais c'est très loin dans la passé. Vous me donnez envie de le relire.
Donc Sylvain Pinon est le biographe de cette femme Christine de Saint Tron.
Eh bien voilà, je comprends mieux votre premier commentaire !
Le roman de Marcel Theroux met en scène un personnage féminin très différent. Une jeune fille seule survivante dans sa maison, dans une ville désertée par tous ses habitants, dans un futur qui ressemble au passé de notre monde, quelque part dans les confins de la Sibérie.
Une survivante courageuse qui prend la route dans l'espoir de retrouver un peu de l'humanité disparue. Des épreuves très crédibles dans un monde de violence tribale avec beaucoup de régression dans l'attitude des clans rencontrés de la part des hommes.
Contrairement aux béguines que vous évoquez, Makepeace n'a pas choisi de vivre dans un monde exclusivement féminin. Elle rencontre même et surtout des groupes d'hommes dont un qui ne lui sera pas indifférent.
Le monde où elle évolue a été ravagé par des épidémies, des guerres, des pratiques d'esclavage. Elle cherche à ne pas désespérer de la vie, se bat courageusement tantôt avec des armes, tantôt avec la ruse. Beaucoup de laideur dans les villes abandonnées. Beaucoup de beauté dans la nature et mille et un petits détails la rattachant à ses souvenirs d'enfance paisible et heureuse.
Quelle beauté aussi la mort du cygne magnifiquement interprétée. Un beau point d'orgue à l'évocation de cette fiction. Un roman chinois... Je crois que je n'en ai pas lu depuis longtemps.
Comme l'écrit A Biancarelli, l'échange est ici constructif sauf peut-être l'intervention de MC sur un livre étranger à ce débat sur le sens du livre de Marcel Theroux et longtemps difficile à comprendre.
"Elle tiendra dans sa main une orange, ne pourra la manger tant elle en a rêvé."
Allusion à Cavafy et aux destinations illusoires ?
https://soleilgreen.blogspot.com/2019/08/pause.html
C'est vraiment le voyage rêvé dans ce poème de Cavafy. Votre dialogue avec A. Biancarelli sous le poème est tout aussi beau.
Quant à l'orange. Pour moi, un des passages essentiels dans le roman.
1- Makepeace en rêve dans son dénuement. Elle imagine son parfum.
2- Beaucoup plus tard on lui offre une orange quand elle travaille dans le jardin de la villa. Elle est tellement heureuse qu'elle la respire longuement, dit son parfum, hésite puis renonce à la goûter comme si c'était devenu un objet sacré.
C'est aussi pour ces moments de bonheur rare que j'aime ce roman.
Oui, elle ralentit ses gestes, son désir pour -comme Cavafy- traverser lentement l'attente et le désir de la beauté du monde, ici, un rêve d'orange devenu réalité.
Page 89
"Une seule fois dans ma vie, me suis je dit, j'aimerais bien goûter une orange. Ce mot là "orange". Il paraissait d'une beauté incroyable. Je me suis demandé à quoi ressemblait un ciel orange et j'ai essayé d'imaginer son parfum : quelque chose entre le caramel et la fraise, je suppose."
Page 358
"J'ai d'abord cru qu'ils m'avaient laissé une pomme, mais j'ai vite compris ce que c'était. La première fois de ma vie que j'en voyais une. Une orange. J'ai gratté la peau avec mon ongle et elle a libéré un parfum qui semblait être un mélange de fleurs, de menthe et de sucre roussi. Au bout d'un moment ça sentait aussi les embruns. Mais je n'ai pas pu me décider à la manger."
C'est beaucoup plus tard que je ne le pensais. Autre captivité près de la ville de Polyn qui ressemble tant dans la réalité à Tchernobyl abandonnée aux ronces.
Et comme vous avez raison ! Dans le poème de Cavafy- "Ithaque", ce passage :
"Mais ne hâte en rien ton voyage.
Qu’il dure des années, cela vaut mieux ;
que tu sois vieux en abordant sur l’île,
riche de ce que tu as gagné en chemin,
sans attendre de richesse d’Ithaque.
Ithaque t’a offert ce beau voyage.
Tu n’aurais pas sans elle pris la route.
Elle n’a plus rien à t’offrir."
Et encore, dans le même poème :
"procure-toi de la bonne marchandise
nacre, corail, ambre ou ébène,
et des parfums voluptueux de toutes sortes,
le plus possible de parfums voluptueux"
Cette quête de l'orange est un parfum. La découverte de l'orange un autre parfum tout aussi voluptueux.
Sur les solitudes glaciaires, le Pays des Fourrures ,son iceberg détaché, et surtout les Aventures du Capitaine Hatteras. C’est du grand Jules Verne inspiré .
Là oui. C'est très juste .
Les Aventures du Capitaine Hatteras
Les derniers mots, formidable. Et (je me répète c'est l'âge) c'est Didier Decoin qui avait attiré mon attention sur ce livre.
Oui, un cas de folie monomaniaque très crédible, ce qui n'est pas toujours le cas de la folie romantique vernienne, avec en plus la mythologie du Pole inviolé comme lieu sacré en arrière plan. J avais eu l occasion d'en parler un peu quand Bruno Fuligni était venu présenter son "Ile à Eclipses" à la revue ou j'ai parfois l honneur d'écrire. Je recommande ce livre, si d'aventure on ne l'a pas lu…
En revanche, l'échec est patent dans le Sphynx des Glaces, titre admirable mais suite ratée du Gordon Pym. J avoue que le squelette de Pym retrouve sur le gigantesque aimant qui se trouve au Pole sud sonne plus comme une parodie de Poe, parfaitement involontaire, que comme une réussite.
Un beau cas de voyage solitaire et initiatique, même si ici l'initiation sonne le glas de la guilde, c est celui du héros du Monde Inverti de Christopher Priest, quoi que ce dernier ait pu écrire de moins bon par la suite; Ou je me trompe, Soleil Vert, ou c est un classique.
Bien à vous, en priant pour que ces mots ne se dématérialisent pas comme précédemment.
MC
Folie oui, mais roman de la Volonté plus forte que tout.
Priest, je l'ai beaucoup lu et je viens d'acquérir son dernier opus Rendez vous demain.
Après Le monde inverti il a infléchi son travail de romancier vers la "métafiction". Exemple vous lisez une histoire et à la fin vous apprenez qu'elle est racontée par un personnage (mise en abyme). Il s'appuie sur des thématiques de science-fiction pour démonter l'ordonnancement du récit. Par exemple le thème des univers parallèles offre la possibilité d'infirmer la compréhension d'une intrigue en suggérant une version différente etc.
Il en use avec des bonheurs divers. J'ai aimé Wessex Project, qui est construit selon un point de vue voisin de la Stratégie Ender. Beaucoup moins cette histoire peu claire d'attentat, beaucoup l'Archipel du Rêve et sa suite, qui est ce que l'on peut écrire de plus intelligent dans la filiation de Ballard, et pas du tout cette histoire gémellaire façon Maitre du Haut Château. En revanche, oui pour les temporalités superposées de l'Adjacence. Je crois que le Prestige, sur la fin, tire en longueur. Mais, ces réserves faites, c'est un Maitre au même titre que Charles Robert Wilson avec des moyens différents.
Bien à vous.
MC
Enregistrer un commentaire