dimanche 14 novembre 2021

Lord Jim

 

Joseph Conrad - Lord Jim - Le Livre de Poche

 

                                                                                                       

 

 

« - Oui ! cette vérité si terrible est vraiment très drôle ! Lorsqu'il naît, l'homme tombe dans un rêve comme un homme tombe à la mer. »

 

 

Peut-être le plus complexe des ouvrages de Conrad, et aussi d’une lecture difficile, Lord Jim est le fruit d’un long murissement. Initialement il devait se présenter comme un roman court, inséré dans une trilogie comprenant Jeunesse et Au cœur des ténèbres. Insatisfait de la première ébauche ou conscient qu’elle appelait d’autres développements, l’auteur n’achèvera son travail qu’une vingtaine d’années plus tard. Si l’on s’en tient aux seuls personnages et au sujet, le texte ne connaitra pas la foisonnante descendance littéraire, cinématographique et tout bonnement symbolique d’Au cœur des ténèbres. Quant au romantisme de son héros Jim, c’est un qualificatif abandonné ne serait-ce que dans le domaine français depuis Flaubert. Néanmoins le Cantor de Némésis (Philippe Roth) ne renierait pas ces lignes : « Le temps devait venir où je le verrais aimé, res­pecté, admiré, son nom auréolé d'une légende de puis­sance et de bravoure, comme s'il avait été de la race des héros ».

  

L’admiration que l’on porte à cette œuvre vient (on est en 1900) de l’usage systématique de la déchronologie et de la narration indirecte. Les faits sont rapportés par des témoins, principalement Marlow et dans un ordre différent de leur apparition. La première partie raconte un naufrage et l’attitude lâche, honteuse des officiers maritimes. Un navire transportant plusieurs centaines de pèlerins sur la mer d’Oman à destination de la Mecque racle un haut fond. Le capitaine et quelques marins et mécaniciens mettent à l’eau une chaloupe (1) sans se préoccuper du sort des passagers. Jim, officier en second, reste paralysé par la peur avant de se jeter à la mer. Il apprendra plus tard qu’en raison de la faible voie d’eau et des excellentes conditions de navigation le bateau a pu être remorqué jusqu’à bon port en n’enregistrant qu’une seule perte humaine, un mécanicien victime d’une crise cardiaque. Le récit démarre sur la nouvelle vie de Jim dans les ports d’Extrême-Orient après que sa licence de navigateur lui ait été retirée. Le choix de bouleverser l’ordre du récit vient minorer l’évènement en lui-même pour en maximiser les conséquences (2).

  

La lutte avec le réel
Les deux cent cinquante premières pages se lisent comme le long ressassement d’une déchéance morale. Dans les romans de Conrad, les personnages affrontent un évènement fondateur. Ils en sortent magnifiés (Typhon) ou démolis (Lord Jim). L’écrivain évoque les puissances ténébreuses qui menacent nos existences, l’épreuve du réel comme les failles inopinées de l’esprit révélatrices de faiblesses insoupçonnées. La vie n’est pas telle qu’on l’imaginait dirait Finkielkraut. Jim est autant pétrifié que honteux. Grace à Marlow il trouve des emplois de commis maritime mais ne cesse de fuir de port en port dès la révélation de son identité. La deuxième partie le trouve dans un comptoir dans le Patusan, pays imaginaire inspiré de Bornéo ou Sumatra. Il se lie d’amitié à un peuple de pêcheurs, les Bugis tourmentés par le rajah local. Il prend fait et cause pour eux, devient un leader. Mais l’homme qui voulut être roi voit de nouveau la situation se retourner contre lui. Jim ou Tuan Jim comme le surnomment les Malais n’est pas un personnage antipathique. Comme le héros de Némésis, il attire les regards et suscite des soutiens, mais quelque chose le poursuit et entrave son action.

 

Comment demander à un homme de se débarrasser de ses rêves ? Lord Jim se situe dans la filiation du Don Quichotte de Cervantes. Conrad ou l’exploration du clair-obscur humain.

 

 

 

 

 

(1)   Douze ans avant un naufrage historique, l’auteur mentionne le nombre insuffisant de chaloupes du « Patna », cependant que le héros de son roman se félicite de ne pas naviguer en Atlantique Nord où dérivent les icebergs…

 

(2)   Le scénario du film Sully de Clint Eastwood démarre sur les enquêtes qui ont suivi le sauvetage miraculeux des passagers d’un avion qui a amerri sur l’Hudson. L’acte héroïque est minimisé au profit du récit d’un homme en proie à une administration.



6 commentaires:

Anonyme a dit…

Conrad est bien Le voyageur de l’inquiétude, pour reprendre un titre de Olivier Weber.
Ici plus que jamais.

Soleil vert a dit…

Oui, on est loin de Bouvier ou Tesson

Anonyme a dit…

Bonjour SV,

Avez vous publié une nouvelle chronique,elle ne figure pas dans la colonne de la blogo ,ne figure que le nom du blog.
Incident de Blogger?


Soleil vert a dit…

Bonjour,
Je m'en excuse, je suis responsable.
J'ai publié un doc que j'ai effacé au bout d'une minute.

Désolé

Anonyme a dit…

Ah vous m’avez donné envie de relire Nemesis du regretté Philippe Roth.

Soleil vert a dit…

Oui, parfois on rebondit d'une lecture à l'autre. Ainsi le prix Goncourt 2021 m'a donné envie de lire 2666 de Bolano. Reste à aller jusqu'au bout …