samedi 19 juillet 2025

L’Opéra de Shaya

Sylvie Lainé - L’Opéra de Shaya - Hélios

 

                                                                                                     

Née dans un vaisseau spatial So-Ann bourlingue de planète en planète au gré des affectations, ne se posant jamais très longtemps. En ces temps futurs, l’Humanité essaime dans la galaxie. Elle se heurte à des mondes hostiles ou les domine complètement, détruisant les écosystèmes existants pour en édifier d’autres compatibles avec notre espèce. Comme tous les voyageurs la jeune femme caresse parfois l’idée de s’installer définitivement quelque part avant de retrouver l’habitacle spartiate du vaisseau. C’est alors qu’un jour un astronaute évoque devant elle le souvenir d’une escale sur Shaya, une planète bienveillante.

 

Voici quelques dizaines d’années que Sylvie Lainé publie des nouvelles toutes plus chatoyantes les unes que les autres. Celle-ci, une novella, a été plusieurs fois primée en 2015, et c’est grande honte pour moi de faire figurer seulement aujourd’hui au sommaire de mon blog une autrice qui me qualifia jadis de « copain au nom d’étoile ». Sa création, Shaya, évoque un autre nom, « Shayol », la terre des enfers imaginée par Cordwainer Smith où les vivants sont transformés en banques d’organes. Shaya en serait l’exacte opposée, une planète paradisiaque.

 

C’est ce que constate Anne-So sur place, sans trop se demander pourquoi elle a été sélectionnée pour sa féminité. L’accueil des autochtones est exceptionnel, la flore féérique, la faune exempte de prédateurs. L’écosystème y est en perpétuelle et rapide évolution, une sorte de loi naturelle là-bas car rien ne doit se figer. Seul Nico un humain dont elle tombe amoureux échappe à cette frénésie transformatrice. Les animaux qu’elle caresse, les plantes qu’elle effleure absorbent son ADN, sa singularité. Ce monde la désire.

 

Dans l’interview de Jerôme Vincent qui suit, Sylvie Lainé explique avoir voulu interroger « notre rapport au monde, aux autres, et à la nature ». La science-fiction par l’intermédiaire de ses floraisons imaginaires réactive subtilement nos doutes, nos angoisses en les transposant dans des espace-temps différents. Peut-on concevoir un ailleurs, une terre étrangère où les humains ne seraient ni prédateurs ni victimes, mais prêts à coexister, à échanger ?

 

En prenant appui sur les structures quelque peu archaïques d’un space-opera, le récit de Sylvie Lainé déploie une philosophie de l’imprégnation dont un de ses corollaires - la coexistence pacifique - subit aujourd’hui de furieux assauts idéologiques et militaires. Au moins avons-nous rêvé le temps de quelques pages, même si, nous le savons, les Paradis recèlent toujours un serpent.


19 commentaires:

Soleil vert a dit…

500 000 vues ... au bout de 14 ans tout de même

Christiane a dit…

Bravo , Soleil vert, c'est mérité. C'est beaucoup de lecteurs, donc des dizaines de romans chroniqués. Combien, au juste ? Pourriez-vous le dire sans oublier ceux qui apparaissent sous lien ?
Et toujours, accompagnant ces analyses fines, votre perception de notre monde comme dans ce billet.

Biancarelli a dit…

Félicitations SV pour ce parcours.
Mon fils a lu Le karma du chat de cette autrice. Je retiens L’opera de Shaya.

Soleil vert a dit…

Ca représente à peu près 600 chroniques, dont essentiellement des romans, une dizaine "d'articles" et un peu de bla-bla

Christiane a dit…

Des romans et beaucoup de nouvelles, un genre qui est souvent délaissé à tort. Elles ont la concision, les fins surprenantes, la virtuosité.
Quel plaisir ces chroniques qui m'ont fait découvrir tant de textes !
Oh, excusez -moi. L'orage arrive. Je rentre le linge qui séchait sur le balcon.

Christiane a dit…

Vous voyez dans ces romans de science-fiction, il manque l'odeur tellement agréable du linge qui a séché dehors surtout quand il s'agit de tissus de coton. Les draps, les taies d'oreiller, les chemises... Autant de bonheurs réconfortants quand pèsent les pensées.

Christiane a dit…

Le voici enfin l'orage qui tournait au-dessus des toits comme un faucon qui va sourdre sur sa proie.
La pluie fait des claquettes, chantait Nougaro.
Y a-t-il de ces gros orages sur Shaya ? So-Ann aimerait-elle ces rafales de pluie ?
La nuit attend sa féérie d'éclairs, de foudre et de tonnerre qui gronde. Les lumières des fenêtres s'allument une à une dans le ciel mauve.
J'aime qu'elle bourlingué de planète en planète.
Qu'est-ce que c'est une novella ?
Shayol donc, la planète infernale.
Et cette imprégnation inquiétante ? De quoi est-il question ? Shaya est-elle un piège ? Qu'est-ce que cette frénésie transformatrice ? Pour quelles raisons, Nico, le seul humain y échappe-t-il ? Les femmes de cette planète sont-elles des amazones ?

Christiane a dit…

Cette imprégnation a-t-elle à voir avec des substances sécrétées vers l'extérieur par ces êtres, ces plantes, ces animaux et qui seraient reçues par les visiteurs imprudents ?

Christiane a dit…

"Dans l’interview de Jerôme Vincent qui suit, Sylvie Lainé explique avoir voulu interroger « notre rapport au monde, aux autres, et à la nature ».

Cet interview est vraiment intéressant. Un écrivain mais aussi une belle personnalité pleine de paradoxes .

Christiane a dit…

Ce que j'ai retenu dans la lecture de cette novella ( nouvelle longue) de Sylvie Lainé est parfaitement analysé dans l'introduction de Jean-Marc Ligny.
"So-Ann croit avoir trouvé l'amour fou sur Shaya, une planète "idéale " - non détruite par l'homme et non hostile à lui, bien au contraire où les autochtones ont tellement le désir de plaire à leur invitée humaine - et tant besoin d'évoluer - qu'ils font tout leur possible pour "s'harmoniser " avec elle.
Mais voilà, ils ont leur propre culture qui n'est pas celle de So-Ann, et ce qui est un acte d'amour chez les uns peut être vu comme un acte barbare chez les autres...
Illustration parfaite de l'ambiguïté de toute rencontre et des sentiments qu'elle génère. (...)
Un texte pas aussi léger qu'il le paraît au premier abord. (...)
Sylvie Lainé a choisi de parler d'elle-même et de nous-mêmes, nous autres humains : comment se définir par rapport à l'autre, qu'attendre ou espérer de la rencontre, que donner, comment recevoir, comment aimer, qu'est-ce au fond que l'amour ? (...) L'enfer, n'est-il pas finalement en nous-mêmes ?"

Christiane a dit…

Page 9.
"Ceux qui sont nés sur un vaisseau trouvent-ils un jour leur place ?"
"Il n'y a que trente-sept planètes colonisées, et à vingt-huit ans elle en a déjà visité plus de la moitié."
Page 10
"Pour aller quelque part ailleurs. Loin."
C'est donc une migrante.
Ils attendent d'elle qu'elle fasse des efforts pour s'intégrer... s'adapter...
Le début de la novella rappelle les errances du Petit Prince de Saint-Exupéry qui va de planète en planète. Pour quelle raison, du reste ?

So-Ann est lasse " de ces planètes, de ces vaisseaux où l'on ne fait rien d'autre qu'attendre d'être arrivé quelque part. Toujours le même choix. Voyageur qui n'a de place nulle part, ou intégré dans un monde qui t'enferme."
N'y aurait-il que deux types de planètes ? "Celles qui sont hostiles à l'homme et celles où l'homme a tout détruit pour reconstruire son petit univers ?"

C'est dans cet état d'esprit que va apparaître la planète Shaya.

Christiane a dit…

Shaya... Des autochtones dont on sait peu de choses accueillent pour des séjours limités à deux ans des humains en nombre limité, choisissant hommes ou femmes sur des critères génétiques très stricts.
Leur conviendra-t- elle ?
Il semble que oui. Mais le premier accueil ayant lieu à l'hôpital est très inquiétant pour So-Ann.

Anonyme a dit…

« Un Amour de So-Ann, « si j’ose dire!

Christiane a dit…

Joli, monsieur Proust !

Soleil vert a dit…

Prochain livre, à moins que je n'intercale quelques lignes sur une revue, prochain livre disais-je, un recueil de nouvelles datant de 1979, rédigé par une autrice anglaise décédée en 1992. Ecriture vraiment haut de gamme, suave.

Christiane a dit…

Chic, j'aime cette forme d'écriture. Et si c'est du haut de gamme les lecteurs vont se régaler.
Si un article sort de votre plume, pourra-t-on le lire un jour ,?

Anonyme a dit…

Bon courage pour mardi, Christiane.

Pour le reste, ce n'est pas de la mauvaise volonté, ni du snobisme, mais probablement un manque de dispositions ; aucun déclic de ma part — par exemple, je suis tellement "allergique" à la métempsyc(h)ose que cela m'a en grande partie gâché un classique de la littérature italienne, Malombra d'Antonio Fogazzaro (héroïne insupportable et pas du tout fascinante pour moi). En revanche, j'avais été impressionnée par Si j'étais vous de Julien Green, (il faudrait que je le relise, c'est si loin et ce n'est probablement pas tout à fait le même type de "passage"), mais pour des raisons différentes.
Des commentaires de ce type ("ça me fait vaguement penser à tel ou tel livre, dans un (tout) autre genre" n'apportant rien à Soleil vert et à ses lecteurs, mieux vaut m'abstenir, sauf pour faire un petit signe de temps à autre.
e.g.

Christiane a dit…

Merci, pour mardi.

Pour la métempsycose je crois que l'auteur choisi par Soleil vert, Alex Landragin , s'est amusé. Cela finit par être un récit parodique tant il y a de transformations on finit par ne plus savoir qui est qui. Complètement surréaliste. A lire à deux cela doit provoquer des fous rires mémorables !
De plus , suivre la lecture qu'il préconise brouille encore plus la lecture.
Par contre, j'ai beaucoup aimé la façon dont il fait revivre Paris à travers les déambulations de ses personnages. J'ai abandonné le roman en route.

J'en ai profité pour lire cette novella qui n'est pas ce que l'on croit. Ce n'est pas idyllique, ce serait même tout le contraire pour cette migrante de l'espace qui cherche à se fixer quelque part dans la galaxie. De préférence avec des humains . Ceux qui restent la déçoivent beaucoup
Les êtres qu'elle découvre sur Shaya sont des moitié moitié... Enfin un peu d'humain dans du pas humain. Ils piquent l'ADN des humains qu'ils arrivent à leurrer pour arriver à leur fin par imprégnation.... et après, leurs captures, leur montre la porte de sortie ou pire, ils les..... Bref c'est glauque et ça ne m'a du tout fait rêver .
J'ai beaucoup aimé l'introduction et l'entretien à la fin du livre.
Cela éclaire.
Sylvie Lainé a un peu grossi ce qui se passe dans le monde, dans les rapports des gens. Elle est fine et pessimiste ou très naïve.
Fiction intéressante sauf pour les noms des personnages, nunuches, les couleurs pastel et certaines descriptions languides des végétaux et de la nature. Enfin, la fin réveille !
De belles nouvelles annoncées pour le prochain billet que je devrai pour lire.... sans problème !

Christiane a dit…

montrent