Angela Carter - La
compagnie des loups et autres nouvelles - Points
« Suivez-moi. Je vous attendais. Vous serez ma
proie. »
L'amour hors-normes, tel était le thème des
Imaginales 2025. Tel pourrait être aussi le leitmotiv de La compagnie des
loups, magnifique recueil de nouvelles d’Angela Carter paru en 1979,
traduit en 1985 et qui, malgré la renommée de l’autrice (demandez à Salman
Rushdie) aurait pu échapper à ma curiosité, sans la vigilance de lecteurs chevronnés et cinéphiles de surcroit, car le récit titre a fait l’objet d’une
adaptation cinématographique.
En dix récits, Angela Carter revisite quelques célèbres
contes de Charles Perrault et de Mme de Beaumont : Barbe-Bleue, Le Petit
Chaperon Rouge, La Belle et la Bête (objet de deux histoires), Blanche Neige et
d’autres comme le Roi des Aulnes ou Nosferatu. Inversant les polarités, cassant
les codes de la narration enfantine elle dévide son fil narratif sur le mode
fantastique et subtilement érotique, adoptant une posture féministe, miroir des
nouvelles de science-fiction de sa
consœur d’alors, James Tiptree.
Les promises se transforment en louves-garou, en félines.
Faussement consentantes elles rient aux éclats à l’annonce des dévorations,
leur substituent des empoignades nuptiales et éliminent le prédateur ou,
satisfaites, s’endorment dans les pattes du loup. Plongez dans les odeurs de
cuir et d’arum du « Cabinet sanglant » écho prolongé des vers
de Baudelaire « Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères/Des divans
profonds comme des tombeaux. » Peut-être préférerez-vous la forêt
automnale du « Roi des Aulnes » et ses broderies de feuilles
et d’oiseaux ou bien arpenterez-vous les forêts hivernales et lupines comme
dans « La Compagnie des loups » et ses tourbillons de rouge et de
blanc, blancheur des neiges et des chairs pales, rouge sang des jeunes filles
pubères.
Tout cela ne prendrait pas sans l’écriture d’Angela Carter
magnifiquement restituée en français par une traductrice homonyme d’une altière
speakerine de l’ORTF.
« Son cadeau de mariage refermé autour de ma gorge.
Un tour de cou de rubis de cinq centimètres de large, semblable à quelque gorge
tranchée extraordinairement précieuse.
Après la Terreur dans les premiers jours du Directoire,
les aristos qui avaient échappé à la guillotine adoptèrent la coutume
ironique de se nouer un ruban rouge autour du cou à l’endroit exact où le
couperet aurait dû s'abattre, un ruban rouge comme le souvenir d'une plaie. Et
sa grand-mère, séduite par cette idée, s'était fait faire son ruban à
elle en rubis; quel luxe dans ce geste de défi! Cette soirée à
l’Opéra revient encore aujourd'hui… la robe blanche; la frêle enfant qui
la portait; et l'éclat des joyaux écarlates autour de sa gorge, brillant comme
du sang artériel. Je le vis qui m'observait dans les miroirs dorés de
l’œil appréciateur du connaisseur examinant un pur-sang, voire
de la ménagère au marché, les pièces de viande à l'étal. Je ne lui
avais jamais vu, ou du moins n'y avais pas pris garde, ce regard auparavant,
dans sa pure avarice charnelle ; et qu'amplifiait encore étrangement le
monocle logé dans son orbite gauche. Quand je vis qu'il me
regardait avec concupiscence, je baissai les yeux mais, en détournant de lui
mon regard, j'aperçus mon propre reflet dans la glace. Et je me vis, soudain,
telle qu'il me voyait, mon pâle visage, cette manière qu'avaient les muscles de
mon cou de saillir comme un fin treillis. Je vis combien ce cruel
collier me seyait. Et, pour la première fois de mon existence innocente et
confinée, je perçus en moi-même des possibilités de dépravation qui me
coupèrent le souffle.
Le lendemain, nous étions mariés »
SOMMAIRE NOOSFERE
1 commentaire:
Quelle belle idée !
En réécriture de contes, je ne connaissais que "Les contes à l'envers" de Philippe Dumas et Boris Moissard (École des loisirs). Un régal !
J'ai hâte de découvrir les inventions d'Angela Carter pour cette "Compagnie des loups".
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