Nghi
Vo - Les beaux et les élus - L’Atalante
Originaire de ce qui s’appelait à l’époque coloniale
française le Tonkin, la jeune Jordan Baker est
prise en charge par une famille de notables américains. Après Louisville, elle
intègre la jeunesse dorée des années 20 de New York, West et East Egg, et participe
aux fêtes les plus somptueuses dont celles données par un certain Jay Gatsby. Elle
fait la connaissance de Daisy et Tom Buchanan ainsi que de Nick Carraway.
Les lecteurs auront reconnu les protagonistes d’un des
romans les plus célèbres de Francis Scott Key Fitzgerald dont Nghi Vo, autrice
d’ouvrages de fantasy publiés essentiellement chez L’Atalante, offre une
relecture en introduisant un nouveau personnage. Si celui-ci intègre les codes
des années folles, il ajoute un soupçon de modernité à la narration de Gatsby le magnifique, non pas tant à cause de ses relations multiples et éphémères,
mais en raison d’une subtile distanciation envers les préjugés de l’époque bien
loin du tabassage en règle auquel aurait procédé un écrivain moins talentueux.
Le récit respecte les péripéties du roman modèle, en particulier
le triangle amoureux Gatsby-Tom-Daisy. Mais plus que l’histoire d’une relation
torrentielle, Les beaux et les élus réenchante le glamour qui imprégnait
Gatsby le magnifique. La prose de Fitzgerald ruisselle sur celle de Nghi
Vo :
« Chez Gatsby, l'horloge indiquait minuit
moins cinq à l'instant où l'on arrivait. Quand, venu de la grand-route, on franchissait
les portes de son monde, on se sentait enveloppé d'un tourbillon glacial, les
étoiles apparaissaient et la lune se levait sur le détroit. Aussi ronde qu'une
pièce d'or, elle semblait assez proche pour que l'on pût la mordre. Jamais je
n'avais vu de lune pareille auparavant. Ce n'était pas la pièce de dix cents à l'effigie de Mercure qui luisait à
New York, mais une lune de moisson venue tout droit des champs de blé du Dakota
du Nord, qui dispensait sa douce lumière généreuse sur les beaux et les élus.
Tout y débordait
d'argent et de magie, tant et si bien que personne ne s'interrogeait sur la
lumière qui envahissait le logis, de ses salles à manger à ses couloirs et
boudoirs isolés en passant par sa salle de bal. Sa texture évoquait le miel,
l'été dans un jardin à demi oublié, et elle éclairait sans éblouir avec une
abondance telle que l'on savait toujours qui l'on embrassait. Certains invités
s'extasiaient de cet étalage de magie, mais j'entendis aussi les domestiques
s'en émerveiller et je finis par apprendre qu'il s'agissait de l'électricité.
On avait fait courir à grands frais des fils dans toute la maison pour lui
donner vie d'une pression sur un interrupteur. »
Fantasy oblige, l’écrivaine
a incorporé quelques surprises, une boisson « démoniaque », et le
kirigami ou art du découpage, façon sorcier :
« Pincé entre mes doigts fins, le lion de papier se mit à frissonner comme sous une brise. Il se tortilla, il dansa, et bientôt ses quatre pattes découpées commencèrent à pédaler dans l'air, à le baratter pour y trouver prise, et l'animal se dressa sur ses postérieurs pour me griffer le poignet.
Il descendit en voletant et atterrit avec plus
de poids que n'aurait dû en avoir une feuille. Il hésita un instant,
apparemment aussi subjugué que nous par sa vie de papier, puis il réunit ses
quatre pattes sous son ventre et tourna plusieurs fois sur lui-même.
Soudain, ce ne fut plus seulement du papier et
le besoin d'amour désespéré d'une enfant. C'était le souvenir d'un lion
assassin et d'un pays lointain, c'était son souffle, son ressentiment et son
désir. »
Malheureusement, en ce qui me concerne, j’attendais des éléments fantastiques de la narration un effet de levier susceptible de propulser le roman dans autre chose. Au final, lassé des aventures interstitielles de l’héroïne, l’envie de replonger dans la création de Fitzgerald m’a pris. Mon explication est que Nghi Vo a abordé dans l’ile où Morel avait installé sa machine. Après avoir reprogrammé le dispositif, elle contemple désormais les hologrammes dérouler indéfiniment l’histoire de Gatsby Le Magnifique dans laquelle elle a inséré Jordan Baker.
34 commentaires:
Je vais revenir vers vous, Soleil vert mais Ed m'a harponnée avec son dernier billet sur "4321" de Paul Auster. Que de souvenirs...
Je crois que je vais commencer par relire Gatsby le magnifique.
Votre lien bleu ne s'ouvre pas.
Corrigé ! Merci
Joie ! En plus c'est un de vos billets ,!
C'est marrant, christiane a évoqué ce blog (que je n'avais pas visité depuis longtemps) dans un commentaire sur mon dernier billet, et je tombe sur un autre commentaire où elle mentionne mon article sur Auster. Merci à elle de m'avoir ramenée ici !
Bref, vos articles sont toujours aussi bien écrit. Je n'ai jamais été attirée par l'univers de Francis Scott Key Fitzgerald et aurais du mal à dire pourquoi, si ce n'est que tout ce qui brille me fait bâiller.
Chic, double retour : le printemps et Ed !
Bonjour Ed, et ravi de te revoir. Il y a un livre qu'on m'a envoyé en SP et que je n'ai pas eu le temps et la force de lire à ma grande honte. C'est Eutopia de Camille Le boulanger, une sorte d'utopie militante (il a meme modifié les regles d'accord grammaticaux privilégiant le masculin ! )Tu devrais essayer. SV
Correction conclusion
J'adore remonter vos liens. Ainsi celui donnant accès à l'invention de Morel D'Adolfo Bioy Casares . Vous proposez alors entre ces fictions le mythe de l’Eternel retour. ou des efforts vains de Sisyphe. Un thème dites-vous qui n’a pas bonne réputation. ..
Mais voir cette répétition infinie dans la réécriture de ce roman de Nghi Vo est bien mystérieux. Vous parlez d'hologramme... Est-ce dans la magie des découpages de papier font le tigre au début du roman ? J'avais bien aimer ce passage avant la guimauve qui a suivi...
aimé
Ce ne sont pas vraiment des corrections mais des suppressions concernant un regard plutôt négatif sur le roman de Nghi Vo. Peut-être inconsciemment une comparaison entre le sien et celui de Faulkner que j'ai encore bien en mémoire. Peut-être, lisant ce billet, je me suis tournée vers le personnage de Faulkner, Gatsby, et vers le narrateur, Nick qui raconte cette histoire depuis, je crois, un hôpital psychiatrique où il est aidé depuis la mort de Gatsby.
Toutefois des premières pages lues du roman de Nghi Vo, ce n'est pas de Gatsby dont je garde souvenir mais des découpages de Jordan qui s'ennuie dans sa chambre (chap. 2). Quand Daisy la rejoint, un lion de papier découpé réalisé par Jordan s'anime mystérieusement elle commence à sentir son souffle sur ses mains, quand il frissonne, se tortille, danse et griffe le poignet de Jordan puis s'enflamme. Les deux enfants , Daisy et Jordan anéanties par la vision fabuleuse versent de l'eau sur le lion. Les adultes entrant dans la chambre n'y comprendront rien
et regarderont Jordan d'une façon suspicieuse...
Ce basculement éphémère dans l'enfance de Daisy et Jordan est presque incongru. Quelques pages plus loin (chap. 3), on les retrouve adultes.
Là j'aime le roman de Nghi Vo car il me conduit ailleurs, au pays des rêves d'enfant, là où l'imaginaire se mêle si facilement au réel.
Ce n'était pas un tigre mais un lion. J'avais en tête une estampe chinoise où un tigre naissant de l'encre sur un rouleau de papier. Les images mémorisées viennent souvent se superposer à ma lecture. Comme si je réécrivais en peignant et quand je peins, souvent je superpose une couleur à une autre, une forme à une autre. Y a-t-il une ressemblance entre l'acte d'écrire et l'acte de peindre ? Que veut dire superposer ?
Jordan de par sa naissance est exclue progressivement de ce monde factice de l'entre-soi. Elle est peu invitée dans les familles, inimaginable en parti épousable. Elle vit dans une sorte de solitude où seule l'observation devient son activité préférée. Ce qui en fait une narratrice de choix dans ce monde tape-à-l'œil de paillettes, de fêtes alcoolisées.
Un autre solitaire : Gatsby qui donne ces fêtes mais reste souvent à l'écart.
https://images.app.goo.gl/FrgK1jYdmaS9jWAK9
La proximité confiante entre Daisy et Jordan va permettre d'affronter la grossesse imprévue de la très jeune Daisy.
C'est un passage pensé par une femme pour la douleur et le secret.
Le chapitre 5 ne pourrait exister dans le roman de Fitzgerald puisqu'il permet un tête-à-tête entre Jordan et Gatsby. Il est important car Jordan voir en Gatsby un espace vide. "Si cet espace était vide, c'était parce qu'il avait refusé de le remplir. Il s'était isolé, barricadé. (...) Une personne ne suffirait jamais à combler ce néant. Seule une histoire en serait capable."
Qu'est-ce que ça veut dire ?
Un autre siècle, aussi.
Page 79 :
"Il fallait prendre le métro à Wall Street, passer sous l'Hudson pour atteindre la station d'Henry Street, puis refaire le chemin inverse. (...)"
A nouveau des découpages de papier mystérieux. Jordan invente une Daisy possible pour participer au dîner familial pendant que la vraie continue de récupérer après son ivresse au fond de son lit. C'est là que Nghi Vo concentré le merveilleux de l'histoire.
Un rappel, selon elle, des sectes de decoupeurs de papier en Indochine. Une pratique vaudoue, un culte des ancêtres ?
Jordan est estomaquée d'entendre sa création s'exprimer...
Une apparition appartenant à l'adolescence de Daisy.. ce mélange de plusieurs vies d'un même personnage évoque d'autres fictions.
Dont "L’Anomalie" de Hervé Le Tellier.
Le fait que ces réincarnations fugitives sont en papier et finissent brûlées me laisse insatisfaite. C'est une invention bancale qui manque de la patte d'un Le Tellier, d'un Borges ou de Bioy Casares.
Le roman entre pas vraiment dans le surnaturel , il reste très enlisé dans une mise en scène d'une société futile, guindée où ces jeunes femmes cherchent à échapper aux conventions sociales de ce monde fragilisé par les remous de l'Histoire. Ce début de XXe siècle aurait pu être l'occasion, partant du roman de Fitzgerald , d'entrer dans une fiction plus captivante. La longueur du récit amollit l'intérêt du lecteur qui finit par se désintéresser un peu du livre.
Tout cela sur fond de prohibition...
Quelle déception que la fin de ce livre. Elle aurait pu s'arrêter à l'accident... Le reste est une cacophonie qui ôte toute lisibilité aux personnages, au décor, à son idée qui se voulait magique.
Votre commentaire ludique de 14h31 m'a davantage fait rêver.
Bon ! Retour à Fitzgerald ,indispensable.
Chantal (RdL) m'a incité à découvrir une BD. Pas ordinaire de Vinciane Despret et Pierre Kroll publiée aux Arènes : "Dieu, Darwin, tout et n'importe quoi" (Histoires Naturelles) irrésistible !
" - Merci d'être venu me voir
- Je suis partout
- Alors comme ça... vous dîtes que vous avez créé tout ça en 6 jours...
Et puis vous avez dormi le 7e jour...
C'est ça ?"
C'est le contenu des bulles de la première page. Deux scènes identiques, l'une sur l'autre, présentent deux vieillards barbus, assis dans des fauteuils club, de chaque côté du. guéridon où le thé est servi. L'un porte une auréole, l'autre , non. Seules les mains ont bougé entre l'image du haut et celle du bas. L'auréolé porte une sorte de vêtement long, l'autre une tenue d'intérieur. La tasse qu'il tenait a été reposée.
L'image à venir page 8 ? Délirante !
Une émeute d'animaux sauvages brandissant des pancartes sur lesquelles on peut lire une même phrase : "Non aux extinctions". A l'arrière chaos d'animaux préhistoriques et des affiches d'avis de disparition d'animaux imaginaires : Paruline Bachman, rat aux pieds blancs, hippotrague bleu....et dates des disparitions : 1857... Début du XXe siècle..
Des notices coupent régulièrement les planches dessinées pour faire état des textes évoquant les origines de la Création, autant les textes du Talmud que ceux d'un physicien Prix Nobel Ilya Prigogine et d'une philosophe, Isabelle Stingers. Darwin est évoqué ... "Rien n'est joué d'avance."
Un régal !
Sous le billet évoquant "Le Baron perché" de Calvino, MC, de retour évoque deux érudits du XVIIIe siècle par "un envoi à Walckenaer, érudit de l’époque 1820. ". Il s'interroge sur "Le lien entre Walckenaer et Kerleano . L’envoi paraît de l’auteur…."
Là, je ne pourrai pas grand chose... Peut-être e-g. ou Soleil vert ou un des passants, ici.
C'est un livre très sérieux illustrant avec humour (dessins et bulles) un véritable essai documentaire, note après note, sur l'évolution de la vie sur Terre. Passionnant !
Un passage que j'aime beaucoup dans le "Gatsby" de Fitzgerald, page 9.
"quand Tom Buchanan ferma les fenêtres de derrière. Prisonnier, le vent se coucha dans la chambre, et les rideaux, les tapis et les deux jeunes femmes descendirent lentement vers le plancher."
J'aurais aimé écrire cette lente descente du vent, des rideaux des tapis, des deux femmes réunis sous le verbe "coucher" et sous le mot essentiel, "prisonnier". Ce Fitzgerald est doué.
Je n'ai pas mis le début de la phrase, c'était moins bon.
Et là,page 24, une toile de Edward Hopper !
"et devant les garages, au bord des routes, où les rouges pompes à essence, toutes neuves, se dressaient dans des flaques de lumière."
Quel bonheur, quelle que soit l'histoire racontée !
Eh bien, celle-ci, ce n'est pas un cadeau !
"Sa femme était criarde, languide, belle et répugnante. "
Je ne sais encore pour quelles raisons ce passage, page 70, de Gatsby me paraît refléter quelque chose de notre actualité. Gatsby raconte ses souvenirs au narrateur.
"A présent, une fascination submergeait mon incrédulité ; ce récit, c'était comme si j'avais feuilleté à la hâte une douzaine de magazines."
Ce sont les aventures romanesques de Gatsby mais c'est aussi le fond de bien des prises de paroles sur les blogs, les réseaux, dans la Presse.
L'attente d'un récit qui fera du réel une vaste fresque imaginaire où chaque participant, se dédoublant, parfois grâce à un anonymat, un pseudo ou plusieurs, écrira sa vie comme un roman, utilisera une façon de s'exprimer qui pastichera celle d'un alter-ego porte-parole.
Dans ce roman de Fitzgerald , les personnages sont avides de récits mythifiant la réalité.
Le dialogue cru que met en ligne Paul Edel sur son blog - une fiction où "le roi est nu" - mine salutairement cette falsification, cette fuite du réel.
Chaque roman lu fait retour sur l'analyse que nous tentons de notre propre vie.
Il y a d'ailleurs une surabondance d'autobiographies éditées ces temps-ci.
Que révèlent ces confidences ? Quelle attente de quels lecteurs ? Quel règlement de compte en différé avec famille, ex, société ?
Contrastant avec cette pléthore de livres qui finiront souvent au pilon, il y a la lecture des classiques, la redécouverte parfois fantasmée des civilisations du passé, des écrits qu'elles ont laissés parfois avec condescendance parfois avec honnêteté.
Parfois tout est à l'envers comme dans cette phrase qui semble anodine, page 73.
"Un mort nous croisa dans un corbillard chargé d'un entassement de fleurs...."
Et le monde s'en trouve changé.
J'ai presque terminé le Gatsby de Fitzgerald. Je préfère nettement la fin qu'il propose à celle proposée par Nghi Vo dans sa réécriture inégale. Chez Fitzgerald uniquement ces liens torrides , amoureux, la jalousie, la mort accidentelle (?) de cette jeune femme renversée par une voiture et le dévoilement de ce que Gatsby avait inventé de sa vie. Par contre beaucoup de traces de racisme chez certains personnages.
C'est amusant car Nghi Vo a repris un personnage feminin, Jordan, mais en a fait une jeune femme vietnamienne adoptée et exclue de ce fait de cette société frivole du quant à soi.
Gatsby a tout tenté pour gagner l'amour de Daisy jusqu'à se dénoncer à sa place mais elle préfère le confort que lui donne Tom riche, raciste, jaloux, possessif, égoïste, superficiel. Nick est un peu dans les deux romans celui qui observe ce monde avec lucidité. J'ai préféré l'atmosphère du roman pessimiste de Fitzgerald que les transformations de papier de Nghi Vo. Il y aurait eu tant de beauté à vivre avec ces illusions de papier mais qu'elle idée de s'enliser dans le grand roman de Fitzgerald...
Christiane , la question est assez simple. La Bibliothèque de Kerleano appartenait jusqu’à une date récente aux Cadoudal. Je ne vois pas Walckenaer, prototype de l’érudit parisien , y séjourner. On peut donc penser à un don, mais le donataire, (un Cadoudal (?) n’a pas signé. Et le livre porte bien le cachet de Kerleano. Ce qui irait dans le sens du don, c’est trente ans plus tard un livre d’ Abd-El-Kader cette fois donné en sens inverse à Mr de Cadoudal, l’officier de Marine, par son éditeur! Reste aussi l’hypothèse Llorente, même s’il me paraît bizarre de chercher à toucher Walckenaer par un Cadoudal quel qu’il soit. Bien à vous. MC
Merci,MC
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