Franz Kafka - La Métamorphose - Folio classique
Gregor Samsa, représentant de commerce de son état, se réveille un matin dans sa chambre, affublé d’un nouveau corps. Une carapace recouvre son dos et de multiples pattes se sont substituées à ses bras et jambes. Le constat de l’incongruité et de l’horreur de la situation n’envahit pas son esprit dans un premier temps. Le jeune homme sort d’un rêve agité et savoure quelques instants son immobilité forcée. A l'image d'un Bartleby, il la salue même comme une trêve dans sa lutte quotidienne pour sauver sa famille de la précarité et assurer un avenir convenable à sa jeune sœur. Mais l’arrivée de son patron, le fondé de pouvoir, mécontent de son absence matinale, et les réactions de rejets de son entourage vont replacer la monstruosité au cœur du drame.
J’ai découvert ce court roman au cours de ma scolarité. De
mémoire mon enseignant avait mis au premier plan un film sorti quelques courtes
années auparavant, Johnny s’en va en guerre, odyssée tragique d’un
soldat amputé de ses quatre membres et privé de la parole, de la vue, de l'ouïe
et de l'odorat, n’ayant que la sensibilité de peau comme moyen de
communication. Ce thème du corps étranger, du corps prison repris en 1997 dans Le
Scaphandre et le Papillon semble aujourd’hui sans intérêt. Car c’est bien
d’un drame familial dont il s’agit.
La préface de Claude David, dans cette édition bon marché, complétée/supplantée dans quelques jours par une vague de réédition des œuvres de l’auteur à l’occasion du centenaire de son décès, résume bien l’état des réflexions à ce jour : un dispositif scénique, calquant la disposition de l’appartement des Samsa sur celle des Kafka, l’inversion du regard porté sur le monstre, rôle désormais dévolu au trio père-mère-sœur, quelques allusions sexuelles ou freudiennes comme le tableau de la dame au manchon et l’apparition de la mère effrayée et demi-nue, le père dominateur etc. L’édition scrupuleuse des écrits de l’écrivain dont sa correspondance permet d’établir la genèse de la création de La Métamorphose incluant des textes antérieurs tels Préparatifs de noce. On ne saurait reprocher au travail de Claude David que quelques notes de bas de page, sans doute destinées à un jeune public cœur de cible de ce volume vendu à un prix très modique.
Rien n’interdit d’élargir le cercle de lecture du récit, de se débarrasser provisoirement de l’adjectif kafkaïen pour céder à l’émotion devant le destin d’un être puni pour on ne sait quel méfait par des Dieux grecs dont les victimes peuplent la faune ou le ciel, et dont la mort pour ainsi dire sacrificielle conditionne l’émergence d’un nouvel espoir pour ses proches. Respectant un protocole induit par la structure en trois parties de La Métamorphose, Gregor Samsa, ce frère lointain d’Elephant man, franchit les portes successives de l’exclusion, l’univers professionnel, l’univers familial, l’espace vital tout en ne cessant de porter toute son attention sur ses bourreaux au détriment de sa survie.
Rien n’interdit de pousser encore plus l’exploration, d’abandonner le carré vertueux de l’exégèse où toute création artistique cristallise un parcours, des rencontres, des influences pour considérer ce court roman non comme un point de chute, mais comme un point de départ dans des dimensions dont les clefs d’entrées échoient à quelques rares élus. Alberto Manguel dirait plus simplement que certains livres s'affranchissent de leur date de publication et éclairent le présent. Franz Kafka disparait en 1924, « victime vraisemblablement de malnutrition ainsi que de tuberculose » dans un sanatorium près de Vienne. Autrement dit il meurt pratiquement d’inanition comme son personnage. Ce faisant il échappe, écrit Pierre Assouline « au second acte de la catastrophe civilisationnelle. Il ne saura pas que ses trois sœurs mourront dans des camps de concentration auquel son oncle n’échappera qu’en se donnant lui-même la mort. Les quatre femmes qui avaient été ses amies de cœur seront exterminées dans des camps nazis. Son propre frère et ses meilleurs amis également. Un entourage comme une hécatombe. »
Les Dieux cependant ne sont pas rassasiés. Dans le numéro 669 de la Revue historique 2014/1, une étude de Johann Chapoutot Éradiquer le typhus : imaginaire médical et discours sanitaire nazi dans le gouvernement général de Pologne (1939-1944), relate les observations et mesures prises en 1941 à Varsovie par les autorités sanitaires allemandes au sein du Gouvernement général de Pologne (Pologne occupée non annexée au Reich). Le Dr. Joseph Ruppert « affirme que l’expérience de la Pologne « dépasse de loin nos anticipations les plus folles. Tenter d’exprimer par des mots ce que nous avons vu est inutile […]. En un mot : saleté, saleté et encore saleté ». Le pire est à trouver dans le « Judenmilieu », véritable « cuve d’incubation pour la vermine, la saleté, la maladie », où ne vivent que des insectes et des criminels, où les enfants sont décrits, par un jeu de mots intraduisible, comme un « élevage de pustules » ». La solution définitive sera trouvée en 1942… Heureusement pour le lecteur, grâce à Max Brod et contrairement aux vœux de Kafka (!), le récit de l’existence de la "vermine" Gregor Samsa et d’autres écrits ont miraculeusement survécu.
72 commentaires:
Il est extra ce billet. Je ne m'attendais pas à cet angle d'attaque. Superbe ! La punition des dieux... Nous en parlions il y a peu. La tuberculose de Kafka, la citation de Pierre Assouline. Encore un autre chemin.
Le souvenir du soldat amputé, quel à-propos de votre prof !
Et bartleby, ça c'est très subtil !
Alors, j'ai lu et relu ce livre et n'ai jamais pensé à tout cela.
Je l'ai lu comme une histoire vraie et irréelle bien sûr. Une sorte de rêve où l'on croit que c'est réel mais dont on peut se réveiller.
D'abord on ne voit pas la métamorphose se produire. Il est déjà ça au réveil. Il semble surtout préoccupé par son travail où il va être en retard.
Je me souviens aussi que les gens de sa famille ne pensent pas à Gregor mais à cette bestiole immonde et comment s'en débarrasser.
Je me souviens encore que peu à peu il oublie qui il a été. Il ne se sent même pas mourir.
Et puis comme un acrobate ivre il cherche sans arrêt son équilibre, à se redresser.
La voix aussi est importante. Au début il cherche à s'imiter puis sa voix devient animale. Enfin il s'installe dans une vie d'insecte, tantôt au plafond, tantôt sous le divan. Attiré par les choses pourries.
Le coup de balai à la fin est très proche de la fin du "Guépard" le roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, quand Concetta jette par la fenêtre la dépouille empaillée du chien de son père, qui est devenue poussiéreuse et qu'elle fait un vol plané par la fenêtre pour atterrir dans la cour où on brûle les vieilles choses.
Don Fabrizio, ce prince sicilien, m'a longtemps fait rêver surtout interprété par Burt Lancaster dans l'inoubliable film de Visconti...
En ces temps du trop de morts et de repli sur soi, voilà un roman qui glisse en nous comme une potion mortifère.
J'adore votre bibliothèque !
Avant de retourner au billet précédent, une petite citation du Guépard (p. 240) :
"Comme toujours, les considérations sur sa propre mort le rassérénaient autant que celles sur la mort des autres l'avaient troublé ; peut-être parce, en fin de compte, sa mort était en premier lieu celle du monde entier. »
Bravo pour cette chronique.
Je voulais juste rajouter, on peut constater au fur et à mesure des rééditions,combien le texte se modifie, je n’ose pas dire se métamorphose, de vermine,on passe à cancrelat,pour finir par insecte dans une traduction de 2000.
Les billets mis en lien de Jean-Marie Jadin et de Pierre Assouline dont très profonds qui nous parlent de l'homme qu'il était et de son œuvre. Les dessins de Kafka dans celui de P.A. sont extraordinaires.
Et votre billet est une vraie conversation. Merci, Soleil vert.
Ouvrant le lien "Bartleby", je vous ai laissé un commentaire sous cet excellent billet .
Merci
Il est bon aussi de relire les journaux de Kafka non ceux lissés et censurés par Max Brod qui avait coupé tout ce qui était scandaleux (notamment la fréquentation des bordels), enlevé des noms de gens connus, remanié la chronologie et l’orthographe, supprimé des répétitions qu’il jugeait inutiles, et rayé du texte originel quelque quatre-vingts passages.
Or, depuis 1990, nous avons la possibilité de les relire dans leur écriture originelle . Il y avait Le Journal traduit par Marthe Robert (1954), il y a maintenant la traduction de Robert Kahn où les douze cahiers, écrits entre1910 à 1922, sont accessibles dans leur vérité avec les phrases incomplètes, la ponctuation désinvolte, un aspect brouillon, une écriture désordonnée car il écrivait pour lui.
Nous découvrons ses peurs, ses hantises, sa solitude, son humour, ses problèmes avec sa famille.... La vie saisie sur le vif.
Un beau face-à-face avec La Métamorphose.
L'évènement c'est la réédition aujourd'hui - 16/05 - des Kafka en Poche avec la traduction des Pléiade.
Merci. Voilà une bonne nouvelle.
Qui est le traducteur ?
Jean-Pierre Lefebvre ?
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2022/08/10/kafka-ecrivain-dechire/
Jean-Pierre Lefebvre ?
oui en folio
En Poche c'est différend
Source :
https://actualitte.com/article/117062/auteurs/un-kafka-plus-authentique-que-jamais-en-poche-chez-folio
Le 16 mai 2024 ? Mais c'est aujourd'hui que cette traduction sort en Folio !
C'est fascinant comme la langue de Kafka passionné toujours les traducteurs. Comme c'est mystérieux la traduction... Ce n'est pas seulement un travail, c'est tout un art. Être au plus près de sa façon d'écrire et trouver les mots justes, le rythme, la forme en français. Exercice d'autant plus difficile qu'il écrivait pour lui, par éclats, avec des trous, des ratures en cheminant dans sa vie, en découvrant son écriture. En tentant de trouer le silence en mettant des mots pour traduire ses sentiments, ses pensées. Car il y a aussi une traduction de soi à soi pour se comprendre et se préciser par les mots ou le dessin. Ceux offerts par Pierre Assouline dans son billet sont tout à fait extraordinaires. Le corps comme une lettre. Curieux alphabet.
La Métamorphose est une traduction. Mettre à jour sous la forme de cet énorme insecte handicapé ce qu'il découvrait en lui.
Vous voyez, Soleil vert, vos billets font clarté avec le temps. Une toile jamais terminée. On y revient, on découvre, on se reprend. C'est chaotique, incertain, puissamment évocateur d'un travail secret de la lecture. Il nous faut approcher les livres de ces écrivains à pas de loup pour à peine les réveiller, les saisir dans leur sommeil et voir tous ces mots, leurs rêves profonds monter au jour comme une aurore
Un étrange poète infirmier, assistant social dans un hôpital psychiatrique pendant plus de trente-cinq ans, écrit.
Il s'appelle Jean-Louis Giovanni, écrit des choses sur les mots dans un de ses recueils , fait de notes dispersées "Lair cicatrise vite" (éditions Unes).
Quelques extraits :
"Les mots forment une lisière, guère plus.
Il n'y a pas d'issue en toi.
Le bord comme seule certitude.
Derrière nous l'espace se referme. Sans cette certitude, aucun pas ne serait possible.
Les mots sont sans épaisseur, sans consistance... et tu continues à parler et à écrire ?
Les mots n'ont pas de sol interne, aucun appui. On parle uniquement pour respirer.
Tu parles, aussitôt ça de précipite en toi.
Toutes ces formes qui glissent en nous pour avoir un visage.
Silence des mots.
Tout est bruit autour.
Difficile d'occuper entièrement son corps et de s'y tenir.
Paroles, phrases... l'air les dissout.
Les mots nous sont prêtés. Seulement prêtés.
Pourquoi demander aux mots de nous garder en eux ?"
Je pense à Kafka, à Beckett, à Bram van Velde, à Bartleby, à Herman Melville, à Italo Calvino....
Vous écrivez : "Rien n’interdit d’élargir le cercle de lecture du récit "
On peut aussi se demander où mène cette impuissance verbale érigée ici en dogme…. MC
Je parle du poème!
Oui, j'avais compris.
Cet homme a fondé avec Raphaëlle George la revue "Les cahiers du double". C'est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages offrant une poésie de fragments interrompus. Il analyse son rapport au monde, à l'espace, à son corps, au langage en prose ou en poèmes où il mélange fantasmagorie et biographie.
Il a été lauréat du prix Georges Perros en 2010 et a été président de la Maison des écrivains et de la littérature en 2012.
Je l'ai connu lors d'une soirée à l'Ecole vétérinaire de Maison Alfort. Les élèves de troisième d'un collège proche avaient travaillé avec lui à partir des vitrines du musée insolite installé dans l'Ecole , musée digne de la science-fiction ! Les résultats étaient superbes .
Je ne trouve pas que ces extraits du livre ne signalent qu'une "impuissance verbale érigée en dogme". Mais à chacun son chemin vers l'écriture des autres...
https://wwwnew.vet-alfort.fr/domaine-d-alfort/musee-fragonard/infos-pratiques
Je copie un extrait du texte car le lien, malgré deux essais, ne fonctionnant pas je l'ai supprimé.
"(...) L'amphithéâtre d'honneur de l'Ecole nationale vétérinaire d'Alfort est comble en ce lundi soir, 12 novembre 2018. Des élèves de 3ème du lycée Paul Bert et des lycéens d'Eugène Delacroix de Maisons-Alfort sont présents avec leurs enseignants et des parents.
La thématique retenu : "le corps humain et l'animal. "Au cœur de cette résidence, le musée Fragonard, que l'artiste a découvert avec ce début de collaboration, a été particulièrement mis en avant. Les élèves de 3ème, réunis dans le grand amphithéâtre, ont écrit dans le cadre d'ateliers des petits textes en prose. Tous racontent la façon dont ils ont vu et ressenti ce cabinet de curiosités.
A la tribune, chacun lit son texte avec émotion.(...)"
Et pour l'école vétérinaire, le lien semble ne pas fonctionner !!!
J'essaie celui-ci...
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mus%C3%A9e_Fragonard_de_l%27%C3%89cole_v%C3%A9t%C3%A9rinaire_de_Maisons-Alfort
J'ai fait un lien avec les textes de ces élèves car presque tous évoquaient des... métamorphoses tant ils avaient été étonnés par les éléments exposés dans le musée.
L'impuissance verbale selon Aragon :
y a des choses que je ne dis à Personne Alors
Elles ne font de mal à personne Mais
Le malheur c’est
Que moi
Le malheur le malheur c’est
Que moi ces choses je les sais
Il y a des choses qui me rongent La nuit
Par exemple des choses comme
Comment dire comment des choses comme des songes
Et le malheur c’est que ce ne sont pas du tout des songes
Il y a des choses qui me sont tout à fait
Mais tout à fait insupportables même si
Je n’en dis rien même si je n’en
Dis rien comprenez comprenez moi bien
Alors ça vous parfois ça vous étouffe
Regardez regardez moi bien
Regardez ma bouche
Qui s’ouvre et ferme et ne dit rien
Penser seulement d’autre chose
Songer à voix haute et de moi
Mots sortent de quoi je m’étonne
Qui ne font de mal à personne
Au lieu de quoi j’ai peur de moi
De cette chose en moi qui parle
Je sais bien qu’il ne le faut pas
Mais que voulez-vous que j’y fasse
Ma bouche s’ouvre et l’âme est là
Qui palpite oiseau sur ma lèvre
O tout ce que je ne dis pas
Ce que je ne dis à personne
Le malheur c’est que cela sonne
Et cogne obstinément en moi
Le malheur c’est que c’est en moi
Même si n’en sait rien personne
Non laissez-moi non laissez-moi
Parfois je me le dis parfois
Il vaut mieux parler que se taire
Et puis je sens se dessécher
Ces mots de moi dans ma salive
C’est là le malheur pas le mien
Le malheur qui nous est commun
Épouvantes des autres hommes
Et qui donc t’eut donné la main
Étant donné ce que nous sommes
Pour peu pour peu que tu l’aies dit
Cela qui ne peut prendre forme
Cela qui t’habite et prend forme
Tout au moins qui est sur le point
Qu’écrase ton poing
Et les gens Que voulez-vous dire
Tu te sens comme tu te sens
Bête en face des gens Qu’étais-je
Qu’étais-je à dire Ah oui peut-être
Qu’il fait beau qu’il va pleuvoir qu’il faut qu’on aille
Où donc Même cela c’est trop
Et je les garde dans les dents
Ces mots de peur qu’ils signifient
Ne me regardez pas dedans
Qu’il fait beau cela vous suffit
Je peux bien dire qu’il fait beau
Même s’il pleut sur mon visage
Croire au soleil quand tombe l’eau
Les mots dans moi meurent si fort
Qui si fortement me meurtrissent
Les mots que je ne forme pas
Est-ce leur mort en moi qui mord
Le malheur c’est savoir de quoi
Je ne parle pas à la fois
Et de quoi cependant je parle
C’est en nous qu’il nous faut nous taire. »
Poème d'Aragon aimé, tant lu et relu. Quelle puissance...
(C'est le dernier cadeau de MaC, jean Philippe Goldschmidt. Il en avait cité quelques strophes avant de disparaitre... Et pour cause... Tous ces mots en lui jamais dits qui pesaient sur son cœur.)
"L'impuissance verbale"...
Pierre Assouline l'avait repris dans le beau billet qu'il lui consacra.
Merci, Soleil vert, pour ce cadeau inestimable qui pose tant d'interrogations sur les mots, le langage, la difficulté de dire, de se dire.
"Je n’utilise pas les mots ; je n’en ai jamais cherché aucun. Ce ne sont pas des outils. Devant le langage, les sensations sont de l’ordre du toucher : quelque chose parle, là, derrière l’oreille. On ressent la matérialité de tout. Les mots sont comme des cailloux, les fragments d’un minerai qu’il faut casser pour libérer leur respiration. Tout un livre peut provenir d’un seul mot brisé. Le mot est fermé, enveloppé, secret, enfoui : quelque chose doit apparaître de dedans — de l’intérieur du mot et pas du tout de l’intérieur de l’écrivain. Les mots en savent beaucoup plus que nous — mais il faut les prendre avec amour entre ses mains et les porter à son oreille. Les mots sont au sol, incompréhensibles et comme des noyaux. Je les ramasse, j’écoute dedans ; je les brise : apparaît une phrase, une scène, toute la construction respiratoire du livre."
Valère Novarina, "Devant la parole, Le débat avec l’espace", Éditions P.O.L, 1999, pp.59 et 60.
Pour évoquer une autre métamorphose, très belle, je savoure un film vu sur Arte en Replay : "Dieu et le chameau" de Stefan Sarazin et Peter Keller.
Ben, un jeune juif orthodoxe de Brooklyn, doit arriver coûte que coûte à Alexandrie pour permettre la célébration de la fête de Pessah où il manque un convive. Sa présence en est clef, car grâce à lui, ils seront dix et sans cela, cette communauté cessera d’exister et sera obligée à léguer son patrimoine à l’État égyptien.
Après mille et un malheurs, Ben se retrouve perdu dans le désert
Un Bédouin à la recherche de son chameau lui sauve provisoirement la vie... mais ils sont condamnés à traverser le désert à pied et à s'unir pour survive...
Un puits, un chameau , les moines d'un monastère, un Dieu qui n'a pas de nom...
Et pour finir une... métamorphose... inouïe qui fera basculer la fable vers la fête..
survivre
Oui. Je trouve l’ Aragon plutôt indigeste, n’étant ni rime , ni rythmé, mais chacun son goût…. MC
Après tout, il fut un temps où il pouvait écrire n’importe quoi, n’ayant pas de lecteurs mais des thuriféraires…
Il ne s’en est pas privé, d’ailleurs: Persienne, Hourra l’ Oural…
Ah , la poésie « aragonisante »…
" Je suis en effet comme de pierre, je suis comme mon monument funèbre, et ici il n’y a pas de place pour le doute ou la foi, pour l’amour ou pour la répugnance, pour le courage ou la peur en particulier ou en général, mais il reste seulement un vague espoir qui n’est pas meilleur que les inscriptions sur les pierres sépulcrales (…). Mes doutes sont en cercle autour de chaque mot et je les vois avant la parole, mais que dis-je ? Je ne vois pas du tout la parole, je l’invente ». (15 déc.1910, Journaux, dans Kafka, 1972, p. 140-)
Ou si on préfère à la traduction de Marthe Robert celle de Lefebvre :
"15 XII 10
(...) Car c'est comme si j'étais en pierre, mon propre tombeau voilà ce que je suis, sans la moindre brèche pour le doute ou la foi, pour l'amour ou l'aversion, pour le courage ou la peur en particulier ou en général , ne vit qu'une vague espérance, mais pas mieux que les inscriptions sur les tombeaux. Quasiment pas un mot que j'écris ne s'accorde avec l'autre, j'entends le tintamarre des consonnes qui s'entre- frottent et l'accompagnement des voyelles qui chantent comme des nègres d'Exposition. Mes doutes font cercle autour de chaque mot, je les vois plus tôt que le mot, mais voyons, je ne vois pas du tout le mot, c'est une invention. Car ce ne serait pas encore le pire, il faudrait simplement que je puisse ensuite inventer des mots propres à chasser l'odeur du cadavre dans une autre direction, et qu'elle ne me saute pas illico au visage ou à celui du lecteur."
Kafka commence la rédaction de son Journal en 1909 elle se poursuivra jusqu’en 1922.
Dans ce deuxième cahier (1910)se mêlent des fragments de récits et des méditations sur l'écriture de soi. La ponctuation a disparu, les phrases sont parfois inachevées. Kafka semble écrire rapidement sous forme de notes. Le texte est brut plus que dans la première traduction qui n’intégrait pas les dessins de Kafka. D’autre part, plusieurs passages plus dérangeants avaient été évacués par Max Brod, le premier éditeur du Journal de Kafka.
Ces extraits sont en harmonie avec les textes poétiques cités de Giovannoni, Aragon, Novarina.
Jean-Louis Giovannoni
Lefebvre ou Laurent Margantin.
Dans ce Journal, ces notes qui se suivent, c'est comme une lutte où Kafka, interroge son écriture, ses contraintes, celles qu'il s'inflige lui-même. L'écriture est comme une prison pour kafka. Ce Journal sert d'introspection où il se découvre déchiré entre celui qui souffre et celui qui tente de verbaliser cette douleur. On est très proche de l'emprisonnement de la carapace qui l'enserre dans La Métamorphose et qui le fait disparaitre.
C'est aussi un acte de résistance, écrit en cachette, dévoilant les pensées intimes de Kafka, inconnues de lui-même. Une terreur secrète. Il veut dire ce qu'il ne sait pas dire, ce qui fait de la rencontre des mots un événement presque maléfique. C'est presque une confession où son inconscient se dévoile. Ces cahiers éclairent, ô combien, son oeuvre romanesque.
Merci, Soleil vert pour le concerto no 3 de Rachmaninov. Émotion.... Vous dîtes tant avec vos choix de musique....
Merci aussi à vous, Rose, pour ces précisions sur un autre blog.
Le dernier paragraphe de votre billet, Soleil vert, rappelle une réalité effrayante, celle du nazisme (avec cette étude de Johann Chapoutot dont cet extrait de la revue historique 669 concernant "L'imaginaire médical et le discours sanitaire nazi dans le gouvernement général de Pologne (1939-1944), relatant les observations et mesures prises en 1941 à Varsovie par les autorités sanitaires allemandes au sein du Gouvernement général de Pologne.)
Terrible...
Le vocabulaire cité, des nazis cataloguant les enfants du ghetto est insoutenable et donne une profondeur redoutable à la métamorphose de Gregor Samsa.
C'est un billet grave qui rappelle le sort de sa jeune sœur Ottla, assassinée par les nazis.
Le 5 octobre 1943, Ottla se déclara volontaire pour accompagner en Suisse un groupe d’enfants provenant du ghetto polonais de Bialystok, et internés à Theresienstadt. Mais leur train fut dérouté vers Auschwitz, où, dès leur arrivée, les enfants et leurs accompagnants furent gazés.
Bien que Kafka est mort en 1924, il pressentait ce qui allait venir, ces êtres humains abandonnés, dégradés, torturés , au point d’être jetés aux ordures... ou au feu.
Kafka, en voyageant par son écriture dans sa solitude, a pressenti ces atrocités que l'homme peut faire subir à l'homme.
Je relis "Lettres à Milena". Ces lettres de Kafka sont déchirantes. Il écrivait : "Tu as un regard pénétrant (...), tu as le courage de ce regard et avant tout la force de voir plus loin que ce regard."
Elle fut déportée à Ravensbrück en 1939. Elle mourut en mai 1944 avant l'ouverture du camp...
Margarete Buber-Neumann, son amie, parlait de littérature avec elle dans le camp... Elle , lui parlait de Franz Kafka.
Dans "La Métamorphose" je lis :
"Grégoire de traîna lentement vers la porte avec sa chaise..."
Il n'arrive pas à franchir la porte. Milena non plus ne put franchir la porte du camp.
Margarete écrit : "Le 10 juin 1944, le camp apprit le succès de l'invasion de la Normandie. Mais je fus incapable de partager la joie générale. Je passais mes jours à me tourmenter et mes nuits à pleurer. A quoi bon vivre puisque Milena était morte ?". Elle écrira "Ravensbrück".
Mais je n'oublie pas d'autres camps, d'autres atrocités...
Ainsi Chalamov dans les "Récits de la Kolyma" :
"Comment peut-on tracer une route à travers la neige vierge ? Un homme marche en tête : suant et jurant, il se déplace à grand-peine et s'enlise constamment dans la neige molle et profonde. Il s'en va loin devant, et des trous noirs et irréguliers jalonnent sa route."
L'infini neigeux de Kolyma...
Comme dans "Le Château " de Kafka : "K. restait toujours dans sa neige ; il n'avait pas tenté d'en retirer ses pieds qu'il eût fallu y replonger un peu plus loin ;(...) K. resta seul au milieu de la neige qui l'enveloppeait."
Des mémoires, des traces, des témoignages, de fictions, des récits, qui devraient aider à comprendre ces embuscades du présent....
Nous vivons dans une actualité de flammes et de ténèbres... La souffrance continue ..
Un très beau commentaire de Damien sur Aragon qui relève le niveau saumâtre de certains échanges duels sur la RdL.
Encore que ce texte polémique et transgressif d'Aragon : «Avez-vous déjà giflé un mort ? » datant de 1924, paru dans l'opuscule "Un cadavre" des surréalistes", est d'une violence inouïe envers un homme, Anatole France, qui vient juste de mourir.
Pour quelles raisons, Damien a-t-il éprouvé le besoin de citer un extrait de ce texte dans une page de commentaires succédant à un billet ému de Pierre Assouline concernant la mort de Bernard Pivot ? A-t-il pressenti la querelle qui suivrait entre deux commentateurs quant à leur style, leur lisibilité, leurs sources ? Un bien grand mystère... Mais les oeuvres citées "Théâtre/Roman" ( les reflets et les doubles....), "Le mentir vrai" sont belles.
J'y ajouterais volontiers quelques romans dont "Aurélien", "Blanche ou l'oubli ", un essai sur l'art "Henri Matisse, roman".
Aragon ? Une œuvre déroutante, Un écrivain hanté par des questions sans réponses sur l'amour, l’infini du désir , la jalousie, l’art , l’Histoire... Le réel insaisissable Et, surtout, justement, cette question qui le taraudera concernant la perte de soi-même : « Quel est celui qu’on prend pour moi ?» ou , "Et si j’avais été je ne sais qu’importe mais pas ce que je suis." , usant avec une sorte de masochisme du meurtre du double.
Damien suggère un début de réponse... quand le vieil homme apparaissait masqué ou quand MC., évoque une poésie "aragonisante".
J'aime que de cette oeuvre vertigineuse, Soleil vert a choisi un poème répondant à ce cri :
"Je crie et je crie et personne n’entend n’a jamais entendu ce que j’écris à en crever Personne ».
Pour rose, en souriant !
https://www.academie-francaise.fr/apocope-vous-avez-dit-apocope-0#:~:text=Ce%20qui%20est%20curieux%2C%20c,retranche%20une%20partie%20du%20mot.
N'est-ce pas la page des métamorphoses....
J'avance a vitesse d'escargot sur moon palace mais ça vient.sv
Bien sûr. C'est un gros roman ! Je l'ai mis en attente le temps de me plonger dans certains cahiers du Journal de Kafka.
Il faut d'ailleurs atteindre les derniers cahiers pour lire son combat avec l'écriture.
Non, pas Blanche ou l’ Oubli, obèse roman sauvé par quelques trucs modernes! MC
Et qui plus est roman de fin de carrière!
Oui... Non... Oui... Non... Oui... Non...
Blanche ou l'oubli...
Oui, une rupture amoureuse sur fond de débâcle (1940). Oui, un dernier roman tout foutraque où l'homme qui cherche à se souvenir d'une rupture amoureuse fort ancienne se bat avec sa mémoire, la remet en cause en permanence. Oui, roman obèse. Mais
L'Education sentimentale n'est pas loin, ni la vie amoureuse de Flaubert. Souvent cités. Un peu Les antimemoires de Malraux. Même un des personnages, Marie la Noire prend la parole pour le contredire. Ça explose de partout. C'est à la limite de l'illisible. C'est un dernier roman. Après il n'écrira plus et quinze ans plus tard il mourra. Débâcle de l'écriture. Débâcle de l'Histoire. Comme un feu d'artifice désespéré dont les fusées partent dans tous les sens. Comme dans le film Un singe en hiver d'Henri Verneuil ou Gabin et Belmondo pas mal imbibés
tirent un feu d'artifice énorme explosif sur la plage pour émerveiller la petite Marie. Nuit de Chine contre Nuit dans la vie d'Aragon . Une débâcle de la littérature. Magnifiquement insupportable...
"Ce qui est respectable chez les gens âgés n'est pas ce vaste passé qu'on baptise expérience, c'est cet avenir précaire qui impose à travers eux l'imminence de la mort et les familiarise avec de grands mystères.'"
"Un singe en hiver" Antoine Blondin.
"Ce sont des funambules persuadés qu'ils continuent d'avancer sur le fil alors qu'ils l'ont déjà quitté, provoquant les cris d'admiration ou d'effroi qui peuvent précipiter leur chute."
Pas Aragon mais toujours Antoine Blondin dans ""Un singe en hiver" d'Antoine Blondin .
"(...) et puis, par en-dessous, la souffrance, car vous souffrez, je l’ai bien compris. De quoi ? De la soif… Ne me dites pas le contraire: l’alcool c’est le salut dans la fuite, la liberté, l’état de grâce… et pour finir une belle saloperie. Sait-on jamais ce que c’est ? Ce va et vient aux abîmes est un trajet solitaire. Ceux qui remontent de ces gouffres se sont cherchés sans se rejoindre. Seule, la cruauté du jour rassemble leur troupeau errant. Ils renaissent douloureu-sement et se retournent : la nuit a effacé la trace de leurs pas."
"Un singe en hiver" , le roman de Blondin mis en dialogue par Audiard pour le film de Verneuil avec Gabin et Belmondo inoubliables dans les rôles de Quentin, ivresse et songe , et Fouquet, jeune père paumé. Deux solitaires désespérés réunis le temps d'une rencontre éphémère pour le meilleur.
Encore un lien invraisemblable ! écrirait JJJ. Mais qui puis-je, si au fil de ma mémoire, un roman, un film et un autre roman se rencontrent et dialoguent ?
Soit, « Blanche ou l’Oubli » est un chef d’œuvre dont on ne saurait dire du mal.Cela dit, la comparaison avec le Malraux des Antimemoires passe,elle, très mal, lui qui l’exécuta d’un féroce mais pas injustifié « Aragon est un c… »..Je ne garantis pas non plus que l’éthylisme blondinesque ait quelque chose à voir là dedans. Mais comme exemple de carrière ratée, l’exemple est parlant. Serait-ce qu’ Aragon aussi, dans certaines de ses œuvres… passons. MC.
Et quant à Paul Edel, il est pour cette fois ,au dessus de mes forces de le lire !
Eh bien la plume virevolte à trois heures du matin !
Pourtant, dans ces Antimémoires Malraux renverse toutes les règles connues dans l'écriture de mémoires dont la continuité chronologique ainsi que des va-et-vient désordonnés entre des époques parfois très éloignées. C'est une écriture de soi très particulière poétique et un peu mythomaniaque , de l’autofiction, soit un récit dont il serait le héros et qui serait partiellement inventé. Il juxtapose des éléments appartenant à la fiction et au réel.
C'est en cela que je comparais les deux ouvrages et peu importe qu'il ait porté ce jugement sur Aragon. Je parle de deux autofictions.
Par ailleurs mon pas de côté vers Blondin n'est pas ce que vous suggérez.
Dans un commentaire de Paul Edel sur la RdL (2016) :
"(...) Qui a dit mieux que ce Blondin dandy l’amitié parfaite avec le premier venu (par exemple son lecteur qu’il réveillait dés les premières phrases complices avec une tape délicate à l’épaule ..) et dans la solitude des bars à carrelage auvergnat au moment où l’on met les chaises sur les tables ?alors que lui Blondin veut mettre les tables sur les chaises…
Blondin semble être le frère cadet, un peu Arlequin en goguette, rescapé du suicide brutal d’ Alain, le héros du « feu follet » de Drieu La Rochelle.
D’abord ôtons lui cette réputation de paresseux . On oublie les 2OOO articles parus dans la presse, avec Tour de France du temps des Bahamontes.. et de Louison Bobet , et rugby compris.
Bernard Frank se moquait des amis de Blondin, tous fanatiques qui le voyaient plus grand écrivain qu’il n’était..: « on n’a pas le droit de dire que c’est un auteur charmant, il est mieux, il est bien plus, il est l’époque à lui tout seul. C’est Giraudoux moins les procédés, Lesage moins les longueurs, Swift moins le grinçant, Charlot moins les moustaches. »(...)"
A la mort du grand écrivain Ernest Hémingway, un des plus beaux textes fut publié dans un journal sportif, L'Equipe, celui de l’écrivain Antoine Blondin.
HEMINGWAY PARMI NOUS par ANTOINE BLONDIN
« Les camions de la nuit qui défilent sous les fenêtres des amants, le chuchotement des arbres douteux, le fracas lointain de la bataille ouvrent les pages inoubliables de L’Adieu aux armes. Nous les évoquions, l’autre jour, au spectacle de cette perpétuelle montée en lignes que représente une course cycliste. Dimanche sonnait aux églises, il était midi et demi, heure locale. Au même moment, Ernest Hemingway se tirait un coup de fusil en plein visage, comme on dynamite un rocher, ignorant qu’à des milliers de kilomètres quatre amis inconnus lui faisaient une place à leur côté. La coïncidence est accablante. (...)
C’était un vieux rêve des journalistes sportifs, nés baladins, correspondants des guerres courtoises où s’est réfugié le fond de violence de l’adulte civilisé, que de compter Hemingway parmi eux. Sa petite casquette en galette, sa barbe capricieuse hérissée en oursin, ses poches déformées par les crayons, la pipe, peut-être la brosse à dents, lui donnaient la silhouette d’un patron de la corporation descendu d’un vitrail en Plexiglas ; il était notre bon oncle d’Amérique. Nous l’avions nommé, sans qu’il s’en doutât, suiveur honoris causa.(...)
La vie des écrivains ne devrait pas nous intéresser. Elle est leur second métier et on ne leur en demande pas tant. Sauf à l’accomplir elle-même comme une œuvre d’art particulière, ils la subissent ou ils la rêvent. Leur royaume n’est pas exactement de ce monde dont ils ont manifesté clairement l’intention de s’évader. Hemingway était l’exception, ses livres répondaient au tumulte par le tumulte et rendaient coup pour coup. Son punch le désigne pour longtemps comme le chef de file d’une littérature d’invasion.
Entrant aujourd’hui dans le Tour de France par la porte démesurée de l’absence, il a suivi l’étape avec nous. Il me semblait l’apercevoir dans le baquet d’une voiture, tel que je l’ai rencontré jadis, au palace de Madrid, clochard de luxe, traînant des sandales sur les tapis de haute laine, la cravate nouée en ficelle sur une chemise plus chiffonnée qu’une serpillière. Il était escorté du matador Aparicio, jeune millionnaire intermittent qui avait l’air d’être son valet d’armes et lui portait ses stylographes avec un visage triste. Hemingway, carnassier aux lèvres fendues pour le sourire, avait le droit d’être gai. Dans cette voiture imaginaire, il souriait donc et dodelinait de la tête aux prémices de la bagarre. Il sentait l’embuscade à l’approche des sapins, quand les ombres de la Chartreuse basculent sur la plaine et que les coureurs, l’un l’autre se chevauchant, prennent leur élan pour quelque marelle définitive. Puis il se dressait, en abordant aux premiers lacets du Granier, vieux loup de terre flairant la guérilla retrouvée. Sur une accélération, sa casquette s’envolait : nous la lui ramassions. Il buvait au bidon en matière plastique qui corrige l’acidité du citron par une arrière-saveur goudronneuse. (...)"
C'est dommage. Ce billet de Paul Edel :"Raconter sa vie", exprimait les désarrois ressentis devant l'impossibilité de suivre une chronologie dans une tentative de se réapproprier le passé et de se connaître à partir de cette mémoire mouvante qui fuit comme de l'eau entre les doigts quand on veut la saisir..
Aragon semble se heurter à la même impossibilité dans son roman complexe "Blanche ou l'oubli".
Ou celle de Marthe Robert :
"Car je suis de pierre, je suis comme ma propre pierre tombale, il n'y a là aucune faille possible pour le doute ou pour la foi, pour l'amour ou la répulsion, pour le courage ou pour l'angoisse en particulier ou en général, seul vit un vague espoir, mais pas mieux que ne vivent les inscriptions sur les tombes. Pas un mot - ou presque - écrit par moi ne s'accorde à l'autre, j'entends les consonnes grincer les unes contre les autres avec un bruit de ferraille et les voyelles chanter en les accompagnant comme des nègres d'Exposition. Mes doutes font cercle autour de chaque mot, je les vois avant le mot, allons donc ! le mot , je ne le vois pas du tout, je l'invente. Ce ne serait pas encore là le pire, mais il faudrait que je puisse inventer des mots propres à chasser l'odeur de cadavre dans une autre direction, afin qu'elle ne nous saisisse pas aussitôt à la gorge, moi et le lecteur."
15 décembre 1910.
Lettres de Kafka à Milena Jesenskà , traduites par Robert Kahn . Le studio son de la "Parole Errante" propose une lecture de certaines de ces lettres par Stéphanie Béghain :
https://audioblog.arteradio.com/blog/223950/podcast/223968/lettres-de-kafka-a-milena-jesenska
Sur Arte , un superbe film documentaire disponible en Replay. "Kafka, cet inconnu illustre".
Réalisé par Pavel Šimák • Écrit par Pavel Šimák
France • 2024 • 52 minutes
Dans ce film beaucoup de documents dont la dernière lettre écrite à ses parents la veille de sa mort. Une belle approche de son roman "Le Château". Des photos de Prague, de ses proches de lui. Un commentaire intelligent de son biographe .
Pour le tableau, ne s’agitait-il pas du Combat de Carnaval et de Carême? Aussi très fidèle à ce qui avait lieu alors, même si l’a touché du Maître est là…
Je suppose que ce commentaire est en rapport avec nos recherches sur Bruegel et la mort. Oui, c'est cette toile.
Alors oui, ce n’est pas la même.
Désolé : « même si la touche du maître est là «
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