Lors d’une interview, Thierry Breton, ancien ministre, dirigeant successif de plusieurs grands groupes industriels français et accessoirement auteur ou co-auteur de thrillers technologiques, expliquait que la rédaction de Softwar et Netwar lui avait surtout permis d’apprendre à mettre un peu d’ordre dans ses idées.
Un conseil que nous transmettrons bien volontiers à Thomas Michaud, dont l’ouvrage Prospective et science-fiction tente de démontrer le rôle actif joué par cette littérature dans la genèse prospectiviste. L’auteur diplômé en sciences de gestion et en management fut expert auprès de l’autorité de régulation des telecommunications (ART). Conséquemment son champ d’étude englobe la période dite postmoderne, marquée par l’avènement de la société en réseau ainsi que le déploiement de la culture cyberpunk.
L’étendue des références bibliographiques étonne. Par contre l’enchaînement télégraphique et dense des idées exposées ne permet pas de dégager un plan d’ensemble de lecture et laisse le lecteur ballotté comme un kayakiste dans une rivière impétueuse.
Le parti pris de la postmodernité exclut Jules Verne, Robida (cité par Jacques Von Herp et Gérard Klein (1)) sans compter d’autres anticipateurs (2), qui furent des prospectivistes avant la lettre et auraient pu alimenter le débat.
On regrettera également l’absence de Brunner.
En fait Thomas Michaud déploie un panorama de l’imaginaire des sociétés post industrielles plus qu’il ne se livre à un exercice de prospective. Une post modernité de l’âge des réseaux caractérisée par le développement conjoint des NTIC et du courant cyberpunk. La réalité y rejoint rapidement la fiction. Prenez Neal Stephenson : le Metavers (Le samouraï virtuel) précède de peu Second Life. Dans l’âge de diamant (édition Poche p 347 à 349) le romancier décrit un système de transmission semblable au protocole Internet, lui-même dérivé d’un système de transmission par paquet.
L’auteur au travers d’une cartographie du domaine cyberpunk (3) montre la parenté idéologique de la science-fiction et des nouvelles technologies. Selon lui le capitalisme instrumentalise la science-fiction. Celle-ci comme toute contre-culture subit une période d’exclusion avant d’être disséminée dans l’idéologie dominante.
Comment s’introduit elle alors dans l’entreprise ?
Thomas Michaud fournit une explication, une version alternative du « procès en dissolution de la science-fiction ». En quelque sorte l’entreprise opèrerait une gestion de l’imaginaire en recyclant les matériaux délirants de la SF en concepts assimilables par les labos R&D.
Cela prête à sourire mais, souligne t’il, alors que France Telecom sort en 2004 une Live box, à peu près à la même époque l’écrivain Rudy Rucker imagine une lifebox contenant la personnalité numérisée de l’utilisateur. Quant à la bulle Internet des années 2000, elle ressemble fort à une intoxication New Age des opérateurs boursiers, rappelant en cela une observation de Clarke selon laquelle une technologie très innovante peut être assimilée à de la magie.
Quoiqu’il en soit, si les mécanismes d’appropriation des innovations de la science fiction par l’entreprise demeurent mystérieux, les échanges ont bien lieu : la maison communicante de Bradbury est l’ancêtre de la domotique, à l’inverse les robots d’Asimov ont surtout envahi les usines.
Pour compléter les propos de Thomas Michaud la perméabilité du réel et de la science fiction s’opère aussi par l’intermédiaire de personnages clefs. Le plus considérable, Robert Heinlein, participe aux projets Manhattan et Guerre des étoiles. Stanley Kubrick au cours du tournage de « 2001, l’odyssée de l’espace » échange des données techniques avec l’équipe de la NASA en charge du programme Apollo. On lui prête quelques photos de l’alunissage…
« En 1999, pendant la préparation du film Minority Report, Steven Spielberg a rassemblé une quinzaine de spécialistes en technologie, environnement, lutte contre le crime, médecine, santé, transports et informatique, lors d’une sorte de brainstorming géant : il leur a demandé de décrire au mieux ce que serait notre futur proche. Spielberg a ainsi convié dans un hôtel de Santa Monica des scientifiques du M.I.T. tels que John Underkoffler mais également des urbanistes, des architectes, designers comme Harald Belker, des inventeurs ou des écrivains tels que l’auteur de Generation X, Douglas Coupland. La direction suivie par ce think tank est simple : extrapoler les tendances actuelles de notre société en les poussant à leur aboutissement le plus logique (4)»
Enfin l’auteur livre quelques réflexions sur le prophétisme envisagé comme une variante de la prospective sous l’angle du thomisme. Elles laissent perplexe: « le manager est ainsi souvent une forme de prophète, qui doit présenter une vision du futur d’un marché, afin de structurer un secteur et réaliser la volonté et l’oeuvre de Dieu sur Terre ».
Pourquoi ne pas aborder le thème de l’apocalypse, point de convergence des religions monothéistes et de la science-fiction ?
Les pages consacrées à l’innovation sont les plus intéressantes du livre. Restent quelques incongruités consacrées à Ségolène Royal ou au casque de Dark Vador … Au lecteur de faire le tri.
(2) Voir la série d’articles de Frederic Jaccaud dans Bifrost
(3) On lui reprochera juste d’assimiler le film Passé virtuel au domaine cyberpunk sans rappeler que ce dernier est tiré d’un roman de Daniel Galouye, Simulacron 3 bien antérieur à ce mouvement.
(4) Le Cafard Cosmique
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