Lavanya Lakshminarayan - Analog/Virtuel
- Hachette - Le Rayon Imaginaire
Analog/Virtuel est le premier roman d’une jeune
auteure indienne traduite et publiée dans une nouvelle collection de l’éditeur
Hachette, le Rayon Imaginaire, dédiée à tous les secteurs du genre. L’appellation
s’inspire du prestigieux et défunt Rayon Fantastique codirigé jadis par
Gallimard et Hachette. Après quelques ronds dans l’eau (une réédition du Frankenstein
de Mary Shelley et un juvénile de Robert Heinlein) sortent deux titres
prometteurs Les dix mille portes de January de Alix E. Harrow orienté
fantasy et le présent Analog/Virtuel. Un mot sur l’emballage. La qualité
de papier est correcte, par contre les dessins de couverture tentent à s’estomper
au bout de quelques jours de manipulation du livre.
Devenue Apex City, la ville de Bangalore au sud de l’Inde
est désormais coupée en deux par un bouclier énergétique. Les « Analog »
une sous-humanité tente de survivre dans l’espace qui leur a été alloué. Les « Virtuels »
bénéficient de tout le confort et de toute la technologie moderne au prix d’une
pression sociale intense. Une entreprise, la Bell Corp dirige la cité. Elle
impose à ses habitants-salariés la tenue impérative d’objectifs et le respect
de normes comportementales. Qui améliore sa productivité peut espérer rejoindre
l’élite des « vingt-pour-cents », qui échoue est rétrogradé, menacé d’expulsion
chez les Analogs voir « moissonné » autrement dit éliminé. Le monde
des Virtuels ressemble au notre, digitalisé à l’extrême, noyé sous les réseaux
sociaux. La réussite s’y mesure aussi au nombre de « followers ». Qui
ne suit pas le mouvement court à sa perte.
Paré de tous les atouts d’une dystopie moderne, Analog/Virtuel
recycle intelligemment tant par la forme que par le fond quelques vieilles recettes.
Plus qu’un fix up, le roman reprend la technique du récit mosaïque inauguré ou
popularisé par John Brunner dans Tous à Zanzibar. La multiplication des
voix narratives révèle les facettes d’un univers complexe autant qu’elle autorise
l’avancée de plusieurs intrigues. La description de sociétés antagonistes, parfois
sœurs, est une thématique bien connue de la littérature de science-fiction.
Sous le saint patronage de Jonathan Swift citons pêlemêles, Les dépossédés
d’Ursula Le Guin, Un cas de conscience de James Blish, L'effet Lazare de
Frank Herbert et Bill Ransom, Pollen de Joelle Wintrebert. Hasard des rééditions,
l’Omega de Robert Sheckley présente également d’étonnantes similitudes. Son
récit oppose un bagne spatial régi par des lois criminelles où l’espoir de
survie consiste justement à les outrepasser, à une Terre conformiste. Le
conformisme ou pour reprendre les termes du livre de Lavanya Lakshminarayan « l’alignement »
est le moteur comportemental essentiel des citoyens de Virtuel ; effort perpétuel
qui n’autorise aucun relâchement allant jusqu’à l’insoutenable lorsqu’une « vingt-pour-cent »
enceinte est mise en demeure de s’orienter vers une grossesse ex utéro autorisée
par GestaPod.
« Je souris. Je fais des progrès. Bientôt je n’aurai
plus à remettre les pieds dans le monde réel ». Le soulagement de
cette femme qui s’efforce de remonter la pente de la Courbe Bell (une sorte de
courbe de Gauss) renvoie à une observation de Lacan : l’épreuve du réel
est toujours une épreuve de l’horreur. S’y substitue l’hyper réalité du code au
sein du virtuel (Baudrillard - L’échange et la mort) matérialisé par une
pléthore de néologismes : BE-emoji, OmniPod, IntraAurics, BellCoins,
neoAcousta, InstaSnap …L’invention des BE-emoji traduit la volonté d’abolir le
langage, sommé précédemment d’abandonner sa fonction de perception du réel. Le
chapitre le plus émouvant, « Bienvenue dans la machine »
raconte une promenade pédagogique en train au cœur du monde Analog. Sous la
surveillance d’un « édu-bot », la guide Teresa déroule un script
vantant aux enfants les bienfaits de Virtuel et dénonçant les horreurs d’Analog.
Il s’agit de son avant-dernière mission, un droïde remplacera désormais les
guides. Tout se passe parfaitement. Mais voilà Teresa a une sœur, jadis
scientifique de haut niveau, expulsée du Virtuel en raison de l’échec
catastrophique d’un projet. Tournée vers la vitre, la guide tente de l’apercevoir.
L’exercice s’avère périlleux, débiter un discours convenu, tout en s’efforçant de
faire barrage aux flots d’émotions, de pensées qui remontent à sa conscience et
de garder une expression neutre. On n’est pas loin de la Doublepensée, inventée
par Orwell.
Cet ouvrage très riche s’inscrit aussi dans une mouvance
dystopique illustrée par quelques auteurs français. Cleer des Kloetzer
mettait en scène une entreprise conçue comme une Entité toute puissante. L’impératif
de consommation dicte le quotidien de Bonheur ™ de Jean Baret. Au chapitre
des doléances on regrettera l’absence d’une table des matières.
Merci aux potes de CSF pour leur contribution
12 commentaires:
A quand le.Lendemain de la Mac
Si cela continue on va peut-être redécouvrir Le Lendemain de la Machine, de Francis. L. Rayer….
Peut-être en effet…
La tristesse du réel, la magie du "réseau" vous l'aviez déjà dans Neuromancien : "Le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors service... "
Jamais pu relire ce bouquin . J’ai essayé l’an dernier .et Tout avait si prodigieusement vieilli ….
Un livre que je ne lirai pas mais ces lignes son attachantes : "Un mot sur l’emballage. La qualité de papier est correcte, par contre les dessins de couverture tentent à s’estomper au bout de quelques jours de manipulation du livre."
Un regard sur Soleil vert lecteur et sur l'objet-livre !
C’est un problème réel avec certains livres. La « Christine l’Admirable » de Sylvain. Pinon, dont j’ai parlé ici incidemment,achetée il y a quelques mois s’est très vite flétrie quant au
Papier et à la reliure, Bien à vous. MC
Le probleme tient moins au papier qu’à la médiocrité du brochage imprimé. Il est solide, mais la couverture ne tient pas ou pour être exact, s’use très vite…
Bonjour, est-ce que ce livre, bien décrit, aurait un air de famille avec Brave New World ?
En lisant votre analyse, j'ai tout à coup pensé à un film très vieux et peu connu en Europe, Punishment Park; mais cela n'a probablement rien à voir; je ne me souviens plus du réalisateur
bonne journée et belle observation de la pleine lune d'aujourd'hui; ici elle va se lever sur la mer je vais descendre à Guarajuba pour assister.
et merci pour le webb
Claudio Bahia
Ce livre se situe bien sur dans la lignée du Meilleur des mondes avec ses pratiques eugénistes, le parcage des "sauvages".
Bien vu !
Profitez de ce séjour brésilien et merci de ce message.
SV
bonjour Christiane, au sujet de Moby Dick, et vous qui aimez les livres, je vous suggère, "la véritable histoire de Moby Dick" avec en sous-titre , le naufrage de l'Essex qui inspira Herman Melville; JC Lattés (2000), 350 pages, il y a des photos, des gravures, de nombreuses explications sur les baleiniers et les Quakers. Vous devez probablement trouver ça chez une de vos nombreuses et riches bibliothèques. à l'époque ça coutait 125 FF TTC.
Claudio Bahia
Merci Claudio. Oui, ce film magnifique a réveillé quelques souvenirs que je préfère laisser dans les brumes du passé.
C'était au temps où j'écrivais sur la RDL des petits commentaires qui m'ont valu bien des méchancetés.
J'ai tourné la page et c'est bien ainsi.
D'autres lectures, d'autres partages...
Mais j'ai beaucoup aimé découvrir ce film de Ron Howard.
Moi j’ai découvert hier par hasard qu’il existait une adaptation ( british!) des Triffiths avec Nicole Maurey…C’est un roman de SF des années 68-70 qui annonçait un romancier de valeur, sur le Thème de l’invasion extra-terrestre. Il a donc été filmé sous le titre Le Jour des Tryffiths…Quelqu ´un l’aurait-il vu?
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