samedi 5 décembre 2020

La science-fiction

 

Xavier Dollo & Djibril Morissette-Phan - La science-fiction - Les Humanoïdes associés

 

 



Caser l’histoire de la science-fiction dans les cases d’une bande dessinée est un sacré pari. L’entreprise s’avère périlleuse car complexe. Les personnages sont nombreux, les courants multiples. La galaxie jadis explorée par Sadoul et Stan Barets ne cesse de s’enrichir de nouveaux talents et de nouveaux vecteurs d’expression : films, revues, mangas, jeux de rôle etc. Xavier Dollo et Djibril Morissette-Phan se sont lancés hardiment dans cette course de fond. L’un est écrivain, éditeur et libraire, le second dessinateur franco-canadien. Félicitons les de ce travail titanesque qui relève autant de la compilation que du débroussaillage méticuleux et anticipons la conclusion : voici LE cadeau de Noël à (s’) offrir !

 

Après une petite et humoristique introduction d’Arthur C Clarke (1), un chapitre liminaire est consacré aux origines du genre depuis Homère jusqu’ à l’élaboration du Frankenstein de Mary Shelley inspirée par une mythique soirée dans la villa Diodadi. Suivent inévitablement des monographies de Jules Verne et Wells. Les pages consacrées aux pulps de la fin du XIXe siècle à 1929 -Weird Tales entre autres - sont instructives et permettent de redécouvrir à côté d’auteurs légendaires comme Merritt, Burroughs et Moore, le quasi oublié George Allan England. Le succès des pulps américains fournirait paradoxalement une explication à l’échec relatif du merveilleux scientifique français qui a droit de fait à quelques pages passionnantes. Un bémol, Ravage de Barjavel, illustrant la technophobie de l’époque (on pourrait citer La France contre les robots de Bernanos) a droit à trois pages … deux de trop à mon avis au détriment par exemple d’un Lovecraft.

 


L’énorme chapitre relatif à l’âge d’or américain des années 30 et 40 démarre par un hommage mérité à un auteur culte qui a influencé toute une génération d’écrivains : Stanley Weinbaum. Puis une petite cinquantaine de pages sont consacrées à l’écurie Campbell. C’est à mon sens trop long quoique fort bien scénarisé. Le patron d’Astounding Stories convie autour d’une bonne table dans sa maison biscornue (comment vous ne saisissez pas l’allusion !?), Isaac Asimov, Robert Heinlein, Théodore Sturgeon et le vieil Alfred qui n’a jamais eu autant d’exposition médiatique que ces derniers temps. Chacun évoque son parcours, l’écriture de ses romans.

 

Or les pages sont comptées ! Les auteurs évoquent les revues alternatives, édifient un panthéon pour Bradbury, Blish, Anderson, Leiber, Vance et consorts, rendent visite à Clifford D Simak assis dans son salon Carrefour des étoiles (une séquence géniale) avant de s’envoler dans la cabine du Docteur Who en direction de la SF britannique. La narratrice Judith Merril en dresse un exposé très structuré, avant de passer le relais à Rod Sterling (!) qui évoque trois très grands : Dick, Silverberg et Herbert. Même remarque que pour Lovecraft, dommage que Dick et Herbert (voir Banks) ne bénéficient pas d’une plus grande exposition. Quelques textes sur Dozois et Ellison, sur le cyberpunk et nous voici en page 200 à l’aube des années 80 soit pratiquement au terme du Sadoul ! Une simple vignette signale alors l’existence de Egan, Varley, Martin, Simmons, Wilson. Heureusement le remarquable panorama sur la SF féminine et l’aperçu sur les SF européennes, africaines et asiatiques apportent une bouffée d’air frais.


 

J’ai évoqué au début les multiples vecteurs d’expression de la science-fiction. Pour ne pas surcharger leur propos Xavier Dollo & Djibril Morissette-Phan ont imaginé différents fils rouges en bas de page sur les revues, les films, les séries TV, les mangas, les BD etc. En résumé vous retrouverez quasiment tous les auteurs notables, pas forcément dans la proportion souhaitée certes, mais ils sont là. J’ai cité à plusieurs reprises l’ouvrage du révéré Jacques Sadoul. Xavier Dollo & Djibril Morissette-Phan vont au-delà du panorama. Par les dialogues réels ou imaginaires tenus par les différents acteurs le lecteur saisit l’évolution de la littérature de science-fiction, participe à ses débats internes.

 

Outre une visite guidée, c’est aussi un album de famille d’où émergent parfois la couverture d’un livre oublié ou de lointaines figures, un témoignage de l’extraordinaire diversité du genre, comme ce fabuleux bric à brac de la page 136 qui dissimule le Rosebud du premier roman qu’on a jadis dévoré. Tout cela on le doit aussi au coup de patte de Djibril Morissette-Phan.

 

  

 

(1)   Ah les Egos des Big Three (Asimov, Heinlein, Clarke) …

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