Chen Qiufan - L’île de
silicium - Rivages
Xiaomi est une « fille des déchets ». Ses parents
pauvres l’ont envoyé sur l’ile de Silicium dans l’espoir d’une vie meilleure.
Sur ce petit bout de terre chinoise, les habitants recyclent les plastiques et les
restes d’appareils électroniques venus du monde entier. Ils travaillent dans
des conditions épouvantables sous l’emprise de trois clans qui se partagent le
territoire et les bénéfices. Un Américain débarque sur l’ile. La société Wealth
Recycle qu’il représente, vise, derrière le paravent d’une promesse d’un recyclage
propre, des gains faramineux engendrés par la récupération de métaux rares.
Mais les plans des uns et des autres s’effondrent le jour où Xiaomi est infecté
par un virus issu d’un mécanisme que des membres du clan Lo tentent d’utiliser
contre elle.
Après l’île de plastique imaginée par Marguerite Imbert dans son dernier roman, voici, dans le cadre d’une rentrée automnale de l’imaginaire aux couleurs environnementales inquiétantes, le premier ouvrage publié par la toute nouvelle collection Payot & Rivages. L’île de silicium créée par le romancier Chen Quifan est une transposition homophone de la ville de Guiyu dans le Province de Guangdong connue, nous dit le traducteur Gwennael Gaffric (1), pour ses déchetteries électroniques. L’auteur est né non loin de là. Cette proximité jointe à une expérience professionnelle dans une multinationale chinoise spécialisée dans les services et produits liés à Internet et l’intelligence artificielle contribuent à conférer, au-delà d’un épilogue bien dans la mouvance science-fictionnesque, un réalisme étonnant voir prospectiviste au récit.
L’action quasi-mafieuse des trois potentats locaux chinois,
leur approche spécifique de la technologie liant expertise et recours aux
divinités traditionnelles, la pollution considérée comme un écosystème source
de prospérité, donnent lieu à des pages fascinantes quoique alourdies, comme le
remarque René-Marc Dolhen, par de « l’infodump encyclopédique ».
Le cruel cérémonial de la divination par les marées est une parenthèse
lovecraftienne forte. Le personnage de Xiaomi hérite de La fille automate
de Paolo Bacigalupi, de « La petite déesse » de Ian MC Donald et du
génie scientifique de Hedy Lamarr. Mais c’est peut-être le traducteur
Dang Kai-Zong, l’interprète de Scott Brandle, qui traduit le mieux les craintes
de l’écrivain, d’un monde prêt à basculer dans l’inhumanité.
Malgré la réserve mentionnée plus haut, L’île de silicium
est une réussite. Instructif, le roman laisse entrevoir en filigrane un
futur dans lequel la Chine et les USA, unis dans un pas de deux économique et
technologique, videront de la salle de bal tout le reste du monde. Pour en
revenir à la question environnementale, cinq ans après la parution du roman de Chen
Qiufan, la Chine a semblé mettre un frein à l’importation de déchets particulièrement
les plastiques. Le trafic a repris ailleurs.
(1) Mention à Gwennael Gaffric qui jongle avec maestria
entre le mandarin, le teochew et le hanyu pinyin !
10 commentaires:
Voilà un roman qui fait écho aux désastres de la pollution dont les déchets plastiques qui envahissent les océans et mettent en péril le monde aquatique. Je pense au film prémonitoire "Soleil vert".
On ne peut que s'interroger sur le sort de l'humanité qui aurait pu ne pas être et dont la présence récente dans l'univers est due à une infinité de hasards. Mais comme il aurait été dommage de passer à côté de cette merveille : un être humain, capable de penser, de créer, de parler, d'aimer. Mais aussi de s'autodétruire, de détruire le monde autour de lui, de détruire la terre.
L'inspiration de Soleil vert (le nôtre) se tourne vers la Chine, pays des cerisiers en fleurs, des kimonos, d'estampes et de beauté, pays de choix politiques redoutables, pays qui connait la pollution extrême dans ses grandes villes.
J'aime méditer en lisant les livres de François Cheng d'une écriture à la fois humble et hardie.
Dans "Cinq méditations sur la mort" (Albin Michel), il y a ce poème :
"Nuit, nuit, ténèbres sans borne. Que sait-elle
Du mystère de la lumière ? Que prévoit-elle
Pour le soleil et la planète Terre ? Et toi,
Qu'en as-tu vu, toi, le chantre élu,
L'éclaireur de notre insensée aventure ?
Poussière d'entre les poussières, vanité
Des vanités ? Vains, les abîmes sur lesquels
Nous nous sommes penchés ? Vaines les cimes
Vers lesquelles nous avons tendu ? Vains,
Nos défis face aux tyrannies, nos effrois
Devant les cruautés humaines ? Vains eux-mêmes,
Ces moments d'extase que nous avons dérobés
Au circulant souffle rythmique ? Y a-t-il
Une autre patrie que l'habitat terrestre ?
Un enfer autre que la terre nôtre ?"
C’est noté Soleil Vert.Ça me fait un peu penser aux decharges électroniques de Delhi,où l’on n’ose pas parler de pollution.
Je rejoins Christiane sur François Cheng,ayant lu”De l’âme ”.
Merci à vous deux
Je n’ avais pas vu votre.question sur « la même farine », Christiane! Cela vient tout simplement du latin : » ejusdem farinae . L’origine de la citation m’est inconnue…Bien à vous. MC
https://www.expressions-francaises.fr/gens-de-meme-farine/
J'avais trouvé cette explication intéressante.
Merci d'y revenir.
Je m'intéresse beaucoup à l'origine des expressions.
Ce roman est dit-on inspiré par la décharge de Guiyu en Chine, où se trouve le plus grand centre de recyclage de déchets électroniques du monde. Pas tout à fait, donc, un roman d’anticipation.
De plus ce sont des immigrés clandestins qui servent de main d'œuvre et travaillent dans des conditions effroyables sous la férule de ces chefs de clans. Doublement réaliste, donc.
Biancarelli (bonjour !) pensait aux décharges électroniques de Delhi. Je pense aussi aux chiffonniers du Caire.
Les déchets électroniques, toxiques sont une plaie de ce temps...
Soleil vert, qu'est-ce qui peut donner envie de s'enfermer dans l'enfer de cette lecture ?
Après le film "Soleil vert" où les déchets recyclés étaient des êtres humains, ce n'est pas très réjouissant...
Je lis, ces jours-ci, le roman-chronique judiciaire si subtil de Pascale Robert Diard "La petite menteuse"
Comment une adolescente, mise à l'index dans son collège par une sextape et des médisances, invente un viol pour s'attirer la pitié et la protection qu'on accorde à une victime et comment, tenaillée par la culpabilité, elle avoue tout au procès. Une avocate à ses côtés essaie de la comprendre et d'analyser la réaction des jurés et du public, se demandant pour quelles raisons on a voulu la croire, auscultant cette souffrance dans laquelle cette très jeune fille s'est enfoncée par ses mensonges et qui a envoyé un homme innocent en prison.
Je retrouve l'art de raconter un procès, de s'attacher à la vie, aux mobiles des accusés, à la parole des avocats, des juges, si chers à Pascale Robert Diard dans ses chroniques judiciaires ( journal Le Monde) mais là, elle devient romancière, un peu avec le regard de Simenon. Une fiction qui ressemble tant à la réalité comme dans le roman que vous avez choisi de chroniquer de Chen Qiufan. J'apprécie ces regards au plus proche de la réalité mais quand c'est trop difficile, je me souviens que vous êtes poète et je descends dans l'espace poétique sous la photo de Supervielle. Et là, le soleil est bleu.
Avez-vous lu la dernière écriture de Paul Edel ? Cette enfance qui lui saute au visage par la présence non souhaitée de son père. L'effroi, l'effacement de sa prise parole, la fuite. Magnifique et périlleux.
J'y cours.
Mais pour répondre à la question précédente, montrer les angles morts d'une société, d'une civilisation, permet parfois mieux de l'appréhender.
BAV
Mais le narrateur de cette soirée de promotion d'un essai est-il Paul Edel ?
"Longtemps je me suis couchée de bonne heure." Le narrateur est-il Marcel Proust ?
(je me suis couché)
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