samedi 23 avril 2022

Shadrak dans la fournaise

Robert Silverberg - Shadrak dans la fournaise - Le Livre de Poche

 

 

En 2012, Gengis Mao règne à Oulan-Bator sur un empire Mongol hérité des ruines de l’ancienne URSS et au-delà sur une Terre confrontée au chaos. Réfugié avec une oligarchie au sommet d’une Tour, il dirige, observe, contrôle le monde par l’intermédiaire d’innombrables satellites ou caméras. La population humaine a été réduite des deux tiers en raison d’une éruption volcanique gigantesque survenue en Amérique du sud, et des séquelles d’une guerre bactériologique qui condamne les survivants au « pourrissement organique », sorte de peste du futur.

 

Cependant le personnage principal du roman n’est pas cet avatar de Big Brother ou de Gengis Khan. Le rôle est dévolu à son médecin personnel Shadrak Mordecai, dévoué au point d’incruster dans son corps une multitude de capteurs qui le renseignent constamment sur l’état de santé de son patient, ou sur ses activités en cours. Pourquoi se doter d’un tel attirail médical ? Gengis Mao, est un vieil homme obsédé par la mort dont il repousse l’échéance à coup de transplantations d’organes. 

 

Deux consciences pour un corps unique, à l’instar de L’homme programmé, autre roman de Silverberg, voilà la première bonne surprise conceptuelle de ce livre. Le thème est dédoublé par la présence d’un jeune homme, Mangu, présenté au monde comme le successeur du descendant des khan, en réalité un pantin, futur réceptacle de l’esprit de Gengis Mao.


Cependant Mangu décède, et Shadrak apprend accidentellement que son propre corps va servir de pièce de rechange au dictateur mongol. Que faire ? Le confort moral du médecin vole en éclat, et le débat éthique et politique, second grand thème du roman, prend alors un caractère aigu : Gengis Mao est-il un mal nécessaire garant de l’ordre du monde et de sa survie, ou est-il un mal absolu ? Les affres de la fournaise évoquées dans le titre s’apparentent aux affres de la conscience, et renvoient (comme le personnage de Shadrak Mordecai) au texte biblique Le Livre de Daniel. A l'instar de L’homme dans le labyrinthe, Robert Silverberg réenchante et transcende une intrigue en transposant mythes et légendes dans un Futur inquiétant, peuplé du coup de personnages à la fois infiniment éloignés et infiniment proches, voix murmurantes, écho des souffrances et des espoirs sans âge.

 

Dans l’ouvrage, Shadrak/Silverberg envoie des baisers à l’Humanité via les écrans de contrôle de la Tour. Il en sera mal récompensé. Shadrak dans la fournaise ne fut pas une réussite commerciale. En professionnel de l’écriture, l’auteur cherchera d’autres voies. S’ensuivront Le cycle de Majipoor et une série de volumes inégaux, plus volumineux, moins personnels. C’en sera fini des romans courts et haletants de la première période, des flamboyances stylistiques de L’oreille interne ou du Fils de l’homme.

 

Sur le fond, ce livre qui brode sur la double thématique de l’identité et des inquiétudes éthiques préfigure Axiomatique de Greg Egan. Certains lecteurs seront déçus de la prédominance des interrogations spirituelles au détriment des péripéties (En cela le roman annonce La face des eaux). Ces errances en font paradoxalement tout le prix. Shadrak, comme Lawler, le médecin du texte précité, est tenté un instant par le néant et l’acceptation de son destin. Mais contrairement aux personnages des Monades urbaines ou au bâtisseur de la Tour de verre, il s’efforce de rompre son emmurement moral. Ces mouvements de l’âme humaine, que renforce le choix narratif du présent de l’indicatif, ne devraient pas laisser indifférent.

 

 

Fiche initialement parue dans Bifrost 49 et sérieusement replâtrée.

 

42 commentaires:

MC a dit…

Vous faites bien d’en rappeler l’existence. Je vous avoue quand même de sérieux problèmes avec la SF façon L h ds le Labytinthe et Monades Urbaines. Philoctete, oui, mais ,,ce n’est pas du théâtre, et est-ce encore de la SF ou la comète K Dick n’a -t-elle pas déréglé les instruments vers des interrogations mysticisme/gnostico / existentielles ? Les grands Priest ou les bons Robert Wilton me gênent moins. J’irai voir du côté d’ Oulan Bator,,,,

Soleil vert a dit…

A bientôt pour "Rendez vous Demain" de Priest

Christiane a dit…

Dans cette présentation, ces lignes me parlent : "Les affres de la fournaise évoquées dans le titre s’apparentent aux affres de la conscience, et renvoient (comme le personnage de Shadrak Mordecai) au texte biblique Le Livre de Daniel."
Le livre de Daniel ! quelle aventure !
Ces manuscrits trouvés en rouleaux dans des poteries, des cylindres d'argile de 10 cm de long et couverts d'écriture cunéiforme datant du 6e siécle av. J.-C. dans les grottes de Qumràn lors des fouilles archéologiques dans les ruines d'une ancienne tour. Ces ruines correspondaient à l'ancien temple de la ville d'Ur.
Daniel,jeune Juif, (encore un captif !) emmené en déportation, fait prisonnier par l'Empire babylonien. L'affrontement avec Nabuchodonosor. Il devait décrypter ses rêves et prédit la montée et la chute de chaque royaume qui devait apparaître. .. Puis la fosse aux lions comme il ne continue à prier son dieu. Dieu fermera la gueule des lions.
Puis le brasier dans la recension massorétique de la Bible pour les trois compagnons de Daniel qui refusent de se prosterner devant la statue d'or du roi.
"Alors les hommes furent liés,
avec leurs manteaux, leurs tuniques, leurs tiares, et ils furent jetés dans la fournaise du feu ardent."
Mais les hommes réapparaissent, marchant au milieu du feu. louant et bénissant Dieu, plus fort selon eux que les dieux païens babyloniens. (et c'est Dieu le héros de cette légende). Alors le roi les invita à sortir du feu.
Ces contes, les visions de Daniel médiateur d'un autre monde, un des livres d'un grand nombre d'apocalypses juives, une eschatologie cosmique et politique comme souvent dans la SF. On y trouve aussi des monstres, des anges, des bêtes sauvages.L'influence de ce livre ne s'est pas limitée au judaïme. Bel héritage artistique occidental ... (Francis Bacon, Michel-Ange, Rembrandt, Delacroix... Darius Milhaud en musique)

Christiane a dit…

La Bible et ces livres n'est-elle pas le premier livre de science-fiction comme toutes les légendes indo-européennes et récits mythologiques ? Avec des dieux qui exigent la conscience de la faute à travers le sacrifice. La fin heureuse de ces contes n'existe pas pour les héros...
Les monstres dans cette cosmogonie habitaient au centre de la terre ou du ciel. Les Grecs furent attirés par l'énigme. (Œdipe est le plus malheureux des héros. Il tue avec la parole...)
La longue chaîne des histoires précédant celles de la science-fiction est un éventail aux plus nombreux... plein de métamorphoses.

Soleil vert a dit…

Silverberg a aussi retracé l'épopée de Gilgamesh en deux volumes ("Gilgamesh, roi d'Ourouk" et "Jusqu'aux portes de la vie"):

«Je suis celui que vous nommez Gilgamesh. Je suis le pèlerin de toutes les routes du Pays et d'au-delà le Pays. Je suis celui à qui toutes choses ont été révélées, vérités dissimulées, mystères de la vie et de la mort, et de la mort surtout. J'ai connu Inann) dans le lit du Mariage sacré ; j'ai terrassé des démons et je me suis entretenu avec les dieux ; je suis dieu moi-même aux deux tiers, un tiers homme seulement.»

Christiane a dit…

Oui, c'est exactement cela. Vous avez toujours le mot juste. Gilgamesh...
(Il fallait lire "plis" de l'éventail pas " plus".)

Christiane a dit…

Je vais essayer de trouver ces livres.
Mythe babylonien. Les tablettes sumériennes de Ninive, le premier roman de l'Histoire;
Hubert Haddad a préfacé (en 2015) "l'épopée de Gilgamesh", traduit poétiquement de l'arabe et mis en musique par le chanteur, compositeur, écrivain Abed Azrié né à Alep en 1946 (voix gutturale du chanteur / récitant, accompagné par un orchestre oud, kanoun, viole de gambe, violoncelle, contrebasse, harpe, cithare, flûte, tambour... une merveille), livre disponible chez Albin Michel. H.H. aimait ce texte si connu au Proche-Orient. CD et DVD à l'Institut du Monde arabe ou visible sur le net.
Homme ou dieu ? plutôt dieu... sa tendresse pour Enkidou, son frère d'argile, le roi de la steppe. Ensemble, ils entrent dans la foret de cèdres pour affronter un monstre. Mais Gilgamesh et Enkidou ont tué le taureau céleste. Les dieux décident alors de faire mourir Enkidou. Celui-ci, "au moment de rendre l'âme, voit le royaume des morts. Il découvre la détresse des défunts qui ne sont pas honorés par les vivants et tombent dans l'oubli."
L'oubli, la seconde mort... Gilgamesh pleure son ami.

Soleil vert a dit…

>"La Bible et ces livres n'est-elle pas le premier livre de science-fiction comme toutes les légendes indo-européennes et récits mythologiques ?"

On peut aussi rattacher le genre à la branche homérique. De mémoire Robert Silverberg a rédigé "La Tour de verre", ouvrage mineur dans lequel il réinterprète à sa sauce le mythe de la tour de Babel.

>"En 2012, Gengis Mao règne à Oulan-Bator" (mon texte).

Le roman a été publié en 1976. Pour les gens de ma generation et au-delà, "2000" est un nombre magique. Alors 2022 ...

Christiane a dit…

Je relis : "Gengis Mao règne à Oulan-Bator sur un empire Mongol hérité des ruines de l’ancienne URSS et au-delà sur une Terre confrontée au chaos. Réfugié avec une oligarchie au sommet d’une TOUR, il dirige, observe, contrôle le monde par l’intermédiaire d’innombrables satellites ou caméras."

Vous me faites voyager dans le passé avec vos romans et nouvelles de science-fiction !

j'ai une passion pour cette tout de Babel ! Je ne peux oublier celle inventée par Pieter Bruegel regardée longuement au Kunsthistorisches Museum de Vienne, et, bien sûr sa dimension mythique et allégorique dans la Bible (Genèse).
(Les hommes la construisent pour être supérieurs à Dieu. Dieu embrouille leur communication et c'est la confusion des langues... "Le lieu sera dévasté pour toujours pour qu'il soit désert à jamais.")

Gengis Mao contrôle le monde du haut de sa tour... Il se prend pour Dieu. (Trône et puissance désirés par bien des dictateurs, même en dehors de la fiction...)
Effectivement, pour quelle raison les écrivains de science-fiction ne pourraient-ils pas jouer eux-aussi avec ces codes ?
La tour biblique y devient symbole de la décadence des mœurs et d'un état de surveillance, d'emprisonnements, d'une unification des langues (soit l'inverse du mythe) pour contrer les libertés individuelles, réduire en esclavage. Un monde de totalitarisme où sévit une incapacité à dialoguer avec l'autre, ou plus personne ne s'écoute. Un monde où tout va mal, un monde d'Apocalypse.
Cette fiction de Robert Silverberg "Shadrak dans la fournaise", reprend bien de ces mythes.
L'écrivain doit être un grand lecteur des mythes et épopées fondatrices. N'a-t-il pas écrit "La tour de verre" ? (roman chroniqué pas Babelio avec bien d'autres). Quel auteur fécond ce Silverberg ! Et quelle quête, il fait de ce sacré antique des fictions magiques plongées dans un monde futur presque contemporain.
Cette tour de Babel...
L'occasion de repenser à l'attentat du 11 septembre 2001 aux États-Unis contre les tours jumelles.
Je pense à d'autres œuvres, celle d'Anselm Kiefer , La Papesse, représentant une sorte de temple à étages, faite de terre, de plomb et de pigments et à ses livres géants en plomb indéchiffrables
à Borges, à la limite de la science-fiction dans ses nouvelles "La bibliothèque de Babel".
Aux gravures d'Erik Desmazières vues à la Grande Bibliothèque grâce à M.Court.
Babylone et Babel !
Il n'y a plus de dieu. on peut construire des tours de plus en plus hautes dans des lieux d'oppression, d'aliénation.
J'en ai vue une, inachevée évidemment, au Centre Pompidou. Une maquette en bois et métal.
Et "Metropolis" de Fritz Lang, n'est-ce pas une représentation de cette Babylone décadente avec ces ouvriers au crâne rasé comme les esclaves qui construisaient la tour de Babel ?
Vous lisant, évoquant ces auteurs de science-fiction, je retrouve Nabuchodonosor, ce tyran du Livre de Daniel, Gilgamesh, le roi d'Ourouk, 2500 ans avant J.-C. et bien d'autres...
Mais vous avez raison, pourquoi oublier Hercule, Prométhée et Homère ?
On peut recommencer longtemps les mythes des plus anciens récits.

Soleil vert a dit…

Au chapitre des tours aliénatrices (je risque de vous saouler …) :

-La tour des damnés de Brian Adiss:
https://soleilgreen.blogspot.com/2020/10/la-tour-des-damnes.html

- Les monades urbaines de Robert Silverberg: je cite Claude Ecken :
"Fin du XXIVe siècle. 75 milliards d'habitants. Des immeubles de mille étages abritant près d'un million de personnes... Personne, pourtant, ne parle de surpopulation. Au contraire, le mot d'ordre est : « Croissez et multipliez ! »
Voici trente ans, alors que le spectre de la surpopulation générait de pessimistes avenirs, Silverberg prenait le contre-pied absolu en peignant une société qui semble n'avoir d'autre finalité que de prospérer aveuglément, conformément au message biblique.
L'organisation pratique bannit le gaspillage : tous les déchets sont recyclés, la chaleur humaine est reconvertie en énergie. Les voyages sont désormais inutiles ; la géographie, d'ailleurs, n'existe plus. La promiscuité, inévitable, génère de nouveaux comportements bannissant les conflits. La sexualité y est, par exemple, très libre. Chacun peut pénétrer la nuit dans l'appartement de son choix pour y avoir des relations sexuelles, qu'il est de bon ton de ne pas refuser. Mais derrière ce vernis de paix sociale et de bonheur individuel on trouve des personnes en proie au doute, écrasées par une organisation totalitaire qui ne perdure que par l'élimination immédiate des déviants.
Jason, historien en proie à d'ataviques sentiments de jalousie, comprend que l'homo urbmonadus n'est qu'une illusion ; Michael, son beau-frère épris de grands espaces, découvre le rude monde des paysans ; l'ambitieux Siegmound nourrit des doutes préjudiciables à sa carrière. Les trajectoires croisées de quelques individus de la Monade urbaine 116 démontent les rouages de cette civilisation verticale qui n'est évidemment qu'une transposition radicale de quelques excès de notre société."

- IgGH de J.G Ballard

etc

Christiane a dit…

Un livre à la fois ! Je commence la lecture de "Shadrak dans la fournaise" car je ne comprends pas le cas de conscience posé à Shadrak à la mort du clone. et encore moins le transfert de l'âme du dictateur. Il faut que j'affronte cette histoire compliquée fixée en 2012, soit dans un futur en marche arrière. Je vous dirai comment se passe mon immersion dans ce roman.
C'est passionnant ce désir d'aller vers un roman que vous appréciez et auquel peut-être je ne vais rien comprendre ! Affaire à suivre...

Christiane a dit…

Bien, je commence. Ce gros dictateur adipeux survit grâce à des greffes. Son docteur attitré, Shadrak, veille à sa santé, protégé du pourrissement des habitants rescapés de la planète par un antidote. Lui, le dictateur et son entourage policier sont réfugiés en haut d'une tour en onyx.
Le docteur fait de la gym sur le balcon ce qui donne une pause aérée et belle au lecteur. J'aime assez ce souffle sur la plaine qui parcourt la Mongolie, de la Grande Muraille en direction du lac Baïkal.
J'aime aussi que ce docteur doit beau, de haute silhouette, bien bâti.
Enfin, rien de folichon jusqu'à ce clin d'oeil de R.Silverberg : l'accès à l'appartement du dictateur est conçu selon " un système diabolique. Dédale en personne n'aurait pu dresser barrières plus astucieuses autour du toi Minos."
Bien, je continue.
La date : lundi 14 mai 2012 place ce futur dans un passé. Nous serions dons dans un monde parallèle où le temps s'accélérer ait et où la population mondiale semble condamnée à mourir.
Je n'ai pas encore compris la fournaise de sa conscience... Trop tôt.

Christiane a dit…

Peu à peu le roman me happe. Étrange méditation.
En bas, la ville, les gens qui souffrent. Philadelphie et son visage familier, la ville natale du médecin, qui prend aujourd'hui des allures de légende. En haut , dans la grande tour du Khan, ces fonctionnaires qui les regardent sur des écrans. Les pontes du centre du gouvernement planétaire. Univers de consoles, d'écrans, de caméras de surveillance. Et le bloc chirurgical.
Voilà qu'apparaît Mangu, le fringant prince héritier présomptif de Gengis Mao, un jeune Mongol tellement naïf qui ne sera jamais ce qu'il croit devenir. Le féroce Gengis Mao est hanté par la mort.
C'est un roman oppressant. Je n'aime pas trop...

Soleil vert a dit…

courage …

Christiane a dit…

Oui, il en faut ! J'attends beaucoup du personnage de Shadrak. C'est pour lui que je continue. Je pense qu'il est important pour Silverberg.

Christiane a dit…

L'opération du foie : dégoûtant verdâtre. C'est insupportable et ça dure longtemps. Je tourne les pages rapidement. Aïe aïe aïe. Je ne suis pas certaine de tenir longtemps...

Christiane a dit…

Ah c'est chic, nos échanges antérieurs sont utile. J'ignorais que Shadrak était un des trois compagnons de Daniel jetés dans le bûcher. C'est bien que vous ayez donné la référence du Livre de Daniel. Heureusement qu'il y a ces passages pour que je retombe sur mes pieds comme un chat !

Christiane a dit…

C'est très étrange la façon dont évolue le roman. Ici pas de "don" d'organe mais du vol d'organe, du vol de corps, des fermes out les prisonniers sont pillés de leur corps.
C'est terrible.
Mêle les quelques rares scènes d'amour sont d'une sauvagerie inouïe. La méfiance dresse les uns contre les autres. Qui sera le cobaye ?
Vraiment Soleil vert, j'ai hâte d'avoir fini ce roman. Hâte de l'oublier. Ce sera comme un mauvais rêve.

Christiane a dit…

Voilà. Mi-temps du livre. Oui,Shadrak est dans la fournaise ! Il lui serait si facile de tuer le dictateur pendant l'opération et donc de sauver sa peau au cas où. Mais il est médecin et a fait serment de sauver des vies. Terrible problème de conscience. Le roman devient passionnant.

Christiane a dit…

Ah c'est superbe le questionnement de Shadrak, sa quetey spirituelle pour retrouver une paix intérieure, pour calmer la peur.
Je vais couper le roman en deux et je garderai la deuxième partie. Pour le début, je le résumerai...

Christiane a dit…

Ah, j'ai oublié, très belle idée que cette activité de charpentier....

Christiane a dit…

Magnifique, son choix de l'arbre, la voûte qu'il construit et surtout qu'elle reste en lui quand il doit la démonter, voûte sous la voûte du ciel étoilé.
Je crois savoir où le mène son personnage.
Le monde cache des êtres d'une beauté intérieure extraordinaire.
J'aime ce passage :
"Il est entièrement apaisé, son esprit est vide, tabula rasa. Il est guéri, son équilibre est retrouvé. Il sort."
Très beau roman en sa deuxième partie.

Christiane a dit…

Comme vous l'écrivez "ce roman ne devrait pas laisser indifférent". J'avais pressenti l'évolution de ce beau personnage, son chemin. Je garde les dernières pages pour demain. C'est extra.

Christiane a dit…

Maintenant je lis votre présentation entièrement. Je ne voulais pas trop savoir ce qui allait se passer dans le roman.
Rapidement je n'ai rien reconnu. Happée par l'atmosphère insoutenable de cette salle d'opération où on greffe le dictateur interminablement avec dans l'écriture une précision donnant la nausée.
Je l'imaginais gros, gras, dégoulinant. Il est sec, vieux et maigre. Cruel, égoïste, sans morale, effrayé par sa mort annoncée.
Shadrak, ce médecin, il m'a fallu longtemps pour le cerner. Quand son voyage commence, le roman se retourne. On est ailleurs, dans le Proche-Orient. Il est en route vers Jérusalem, parfaitement indifférent aux religions mais pas à L'Histoire.
Je ne sais à ce stade ce que devient le dictateur et ce qu'il deviendra lui-même.
Les deux femmes de ce récit m'ont laissée complètement indifférentes. Elles n'apportent aucune grâce, aucune tendresse dans le roman. En plus elles sont moches !
C'est étrange de lire un roman que sans vous j'aurais vite refermé.
Ce n'est pas du tout un monde imaginaire qui m'intéresse, qui m'émeut.
Et puis, de page en page, j'entre dans la deuxième partie du roman dans la quête spirituelle d'un homme qui, empli d'une paix intérieure, va vers ce qu'il ne connait pas de son avenir. Et là, je suis bien, dans un paysage que je connais, qui traverse le temps. Je retrouve les mythes qui ont structuré mon imaginaire. Je vais ne pas me presser pour lire ces dernières pages.
Vous voyez, Soleil vert, ce n'est pas une critique littéraire. Rien que les émotions contradictoires d'une lectrice qui aime vos chroniques et prend le risque de découvrir une littérature étrange. Vous pouvez effacer tout cela si ces remarques vous pèsent.
Bon, je retourne à ma lecture. Une cantatrice sur France musique arrache au matin les pensées de la veille, très politiques... La Traviata...quel programme !

Christiane a dit…

J'ai terminé la lecture de ce roman. Je n'ai pas aimé la fin. Il y a eu fugitivement pendant le voyage de Shadrak des pages qui m'ont enchantée. Puis la matière de l'imaginaire de Silverberg a repris le dessus et à nouveau je me suis désintéressée de l'histoire.
J'ai passé beaucoup d'heures à essayer d'apprivoiser cet imaginaire mais non, vraiment, aucune porosité.
Je suis heureuse que cette collection existe (postface) pour les écrivains qui la créent et les lecteurs qui l'aiment mais je préfère retrouver d'autres écritures, d'autres inspirations.
Mon plaisir à été, grâce à ce livre, de fureter dans les mythes anciens, de vérifier leur puissance dans la littérature .
Que de contradictions elle accumule qui se tempèrent les unes les autres.
Heureuse d'avoir fait ce voyage avec vous.
Besoin d'un grand bol de poésie. Je vais aller voir ce qui se passe chez Raymond !

Christiane a dit…

Les pages, en italique, ressemblant à ce qui pourrait être une sorte de journal du dictateur Gengis Mao sont un des seuls espaces où le travail de la pensée s'écrit. Les pensées de Shadrak sont trop volatiles, se transforment en sensations de paix ou de douleur. Ce livre donne la priorité à l'action autour des thèmes de la maladie, des antidotes, de la vieillesse accélérée par le pourrissement, aux transplantations. C'est assez morbide. Aucun but dans ces vies muselées par la peur, la méfiance. La science en son pire.
Le sourire de Shadrak, à la fin, tombe dans la cendre de ces vies.
L'Histoire est évoquée par des noms utiles pour le lecteur plus que pour les personnages qui n'en font rien si ce n'est une nostalgie.
Ce dictateur fou reste une énigme malgré sa courte généalogie, celle de Shadrak aussi. Pourtant un bref portrait familial ouvrait des pistes comme son voyage.
Les dates restent mystérieuses. Le temps se cogne au temps.

Christiane a dit…

C'est comme si Silverberg avait tourné autour d'un centre caché sans pouvoir l'approcher. Une épreuve dans laquelle son héros devait succomber mais elle dépassait ses forces. Peut-être l'a-til atteint dans d'autres romans. Son héros s'exclut de l'illimité.

MC a dit…

Eh oui...cet effet montagne russe est assez caractéristique de cet écrivain qui s'embourbe parfois. Son Gilgamesh est une édition qui n'est pas de poche.Il vaut mieux que vous le sachiez.

Christiane a dit…

Merci, M.Court. c'est le premier roman que je lis de lui. Je ne peux comparer. Mais l'univers de celui-ci est si froid. Un univers médical égoïste au service d'une oligarchie, du maintien en vie de ce vieil homme, le dictateur...
Les pays que nous connaissons sont survolés, sans âme, sans identité.
Le héros principal se dissout dans une errance sans fin et finit, pour se sauver par manipuler bassement celui qui voulait sa mort. Donc il prend les armes qu'il dénonçait.
Cette fiction ne m'a pas emballée. Rien pour rêver. Rien pour élever la pensée. Je me suis ennuyée. Parfois, une piste intéressante au début du voyage et puis rien. Ce monde est désolant. Les couples ne sont guère romantiques. Savent-ils aimer ?
Les dates choisies par l'auteur seraient-elles un indice que l'on est face à une fausse fiction mais une traduction fantasmée de notre monde contemporain dans ce qu'il a de plus menaçant ?

Soleil vert a dit…

Roman publié en 1976

Christiane a dit…

1976...
Dictature militaire en Argentine et au Chili :(tortures, disparitions,...)
assassinat de Salvador allende sur ordre de Pinochet...
Emeute de Soweto...
Raid d'Entebbe en Ouganda...
Catastrophe de Seveso...
Tremblement de terre au Guatemama... en Chine... Tsunami aux Philippines..;
Mort de Mao Zedong !

Merci, Soleil vert. Ces évènements éclairent le roman.

Christiane a dit…

Vous m'apprenez qu'un livre peut être la doublure de l'univers, du dégoût, de la peur. Comment se révolter contre cela ? Traverser le décalage. C'était donc cela la date.
Il aurait fallu inventer le remède : l'amour. Silverberg est resté en suspens, dévisageant l'abîme, jouant de la crudité du langage, l'exaspérant par cette nausée qui court dans le roman, gagnant tout, pourrissant tout. Utilisant la perversion de ce monde de fiction.
Quelqu'un est passé : Silverberg.

Soleil vert a dit…

Une autre piste :

https://www.quarante-deux.org/archives/klein/prefaces/lp27160.html

:)

Christiane a dit…

Je préfère la lecture de Gérard Klein que le roman de Silverberg. Cette lecture est prodigieuse mais je ne trouve pas ce qu'il a lu dans le roman.

Christiane a dit…

Mais je garde le passage qui m'a bouleversée : l'arche, le voyage jusqu'à Jérusalem, la mémoire des siens. Mais refusant Dieu, il continue son voyage jusqu'à se confondre avec celui qui est son contraire. Encore que le journal est déroutant.
Bref, je me suis battue avec ce livre, cet auteur. C'était difficile. J'ai su qui j'étais par mon écartement du scénario choisi par Silverberg. Mais comme c'est dommage qu'il n'ait pas rencontré Daniel... Il s'est débrouillé avec son dilemme, a trouvé une solution qui passe par la torture. Cela ne m'a pas plu.
Et vous, comment avez-vous traversé ce roman ?

Soleil vert a dit…

Je suis "fan" de Robert Silverberg. J'aime son écriture, ses tentatives d'exploration de la psychologie de l'homme du futur. Certains de ses ouvrages évoquent les grandes dystopies comme "Le meilleur des mondes".

Comme vous voyez mes lectures sont très "genrées" et elles peuvent vous rebuter. J'en profite pour vous remercier de ce pas de lectrice que vous faites en ma direction.

A mon tour alors; en dehors de mes lectures "marginales" nous pourrions nous retrouver sur 2, 3 nouvelles de Tolstoï, ou pourquoi pas un recueil de Carson McCullers qui traine dans ma bibliothèque. Ou alors proposez moi quelque chose.

Post-scriptum : Pierre Assouline a beaucoup apprécié nos échanges sur son dernier ouvrage.

Christiane a dit…

Mais j'aime être étonnée, découvrir un nouvel auteur, une nouvelle préoccupation du futur.
C'est bien que vous défendiez cet écrivain.
Pour moi, c'était une découverte.
Notre bel échange sur le roman de Marcel Theroux m'avait donné envie de me risquer dans ce roman de Silverberg et je ne le regrette pas. Silverberg est-il encore vivant ? J'aimerais lui écrire pour comprendre mieux ses personnages, sa façon de résoudre ce retour de Shadrak. Je lui demanderais pourquoi il a frôlé le Livre de Daniel puis s'en est éloigné. Je lui demanderai ce que c'est sur d'être un juif laïc.
C'est bien que Pierre Assouline ait lu notre dialogue sur "Le Paquebot".
C'est aussi un écrivain de l'entre-deux, entre ombre et lumière. Je l'apprécie beaucoup.
Il vient de chroniquer un drôle le de livre "La récitante" . Son billet m'a donné envie d'ouvrir ce livre. Je ne sais, ni lui, ni l'éditeur qui l'a écrit. C'est féroce et innocent, littéraire et diablement libre. Elle (La récitante) a un rapport à son corps fantaisiste, une parole drue, un œil ironique . Je me régale. Quelle belle charge contre le conformisme, quel amour des livres !
Pour les romans futurs, choisissez ce que vous aimez. C'est passionnant votre cheminement de lecteur. Je m'adapterai. A vous la muleta et le terrain qui vous convient. Lire, écrire... De la tauromachie...
Je vais relire "Shadrak dans la fournaise" dans quelques jours en pensant très fortement à ce que vous en dites vous et Gérard Klein.
En attendant je me repose dans ce petit bijou "La récitante" de ? Ève Marie des Places ( le cherche midi).

Christiane a dit…

Vous écrivez : "Gengis Mao est-il un mal nécessaire garant de l’ordre du monde et de sa survie, ou est-il un mal absolu ?"
Voilà une question intéressante que l'on retrouve dans son Journal et peut-être dans cette obstination pour Shadrak de garder Gengis Mao en vie. C'est là un problème politique invitant à ausculter les régimes autoritaires en cas de pandémie. Je pense à ce qui se passe en Chine actuellement.
Je pense aussi au voyage que Shadrak continue obstinément. Il se passe quelque chose en lui, un questionnement intime. Il se transforme loin des dieux et des mythes. Nu et pauvre (je veux dire sans pouvoir particulier, magique), lui en vérité avec cette lucidité et ce renoncement progressif a être libre pour peut-être peser dans ce gouvernement mais pas en raisonnant Gengis Mao, seulement en le faisant souffrir si il dérape. Étrange quand même..

Christiane a dit…

Ah, j'ai passé une bonne nuit grâce à vous et à Gerard Klein. J'aime que quelque chose me résiste dans la pensée de l'Autre qui m'importe. C'est vrai que ce roman, je ne le prends pas pour ce qu'il est. J'attends de lui ce qu'il n'est pas.
C'est une fable insensée et par cela même elle est métaphore. Quelque soit l'autre, son apparence, quelque soit le monde décrit, il faut être soi. C'est ce que fait Shadrak, même par rapport aux dogmes. Ce roman pose un problème moral.
J'écoutais ces deux derniers jours ce qui se dit sur Emerson et l'intellectuel américain qu'il met au monde loin de la romantique Europe éprise de beau et de sublime dans les dialogues étourdissants animés par Adèle Van Reeth dans son émission "Les chemins de la philosophie". Comment le scepticisme traverse la vie et nos pensées. Joseph Urbas est prodigieux. il explique, revenant à emerson, comment on peut avoir l'impression de perdre pied dans u n monde qui ne nous est plus familier, que nous ne reconnaissons pas où tout semble nous échapper. Et cette probabilité qu'alors surgit l'inattendu. N'est-ce pas ce qui arrive à Shadrak ? Silberberg est dans ce mouvement philosophique, écartelé. (Des hauts et des bas comme le dit Mr. Court). Il n'arrive pas à renoncer à la beauté, aux mythes. Sa culture est prodigieuse, ça se sent dans ce roman. Et il touille la bouillasse, le pourri, le mal, la corruption, la cruauté.
Vous évoquez le problème du double, deux en un. Et là, je vous suis. Que ce soit le "dauphin" présumé, Shadrak ou Gengis Mao, ensemble ils créent une sorte de Janus qui aurait trois visages, regardant tantôt le mal tantôt le bien, tantôt la guerre, tantôt la paix. Etant tour à tour courageux ou veule.
Pas très éloigné de cette humanité trouble qui ondoyait pendant l'Occupation en France, bien loin des glorieux Résistants et que n'en finit pas d'explorer Pierre Assouline dans ses romans et ses billets.
Des penseurs à contre-courant observant une humanité grise.
(Mais comme je résiste à ce monde de pomme pourrie !)
Dans le roman insolite que chronique Pierre Assouline "La Récitante", ce monde affleure par des artistes pensifs qui ont exploré cette humanité titubante, pathétique, sinistre : Bacon, Bellmer, Delvaux, Derain, Lucian Freud, Dali, Jean Rustin, Frida Kahlo... "des œuvres dures, qui montrent le corps humain tel qu'on ne veut pas le voir".
Mais dans ce face à face, la Récitante se trouve aussi face aux toiles de Bonnard, d'Hammershoi, de Cézanne, et surtout ce tableau de Pieter de Hooch, "cette porte entrouverte sur les briques d'une cour" d'une maison à Delft. souvenir... souvenir... Je suis restée longuement subjuguée au Rijksmuseum à Amsterdam devant un petit tableau proche de celui-ci "La ruelle" de Johannes Vermeer, absolument parfait.
Et dans ce roman, encore, cette remarque qui m'explique étrangement celui de Silverberg : "le romanesque, le sentimentalisme polluent l'existence comme le plastique, dont on retrouve des particules au sommet de l'Everest ou au coeur de l'océan Pacifique."
la liberté crée de la solitude..
Silverberg fait de même dans ce roman. Ne passez pas trop vite à un autre roman.

Christiane a dit…

Ce que dit Gérard Klein dans cette superbe analyse du roman de Silverberg : "Cet affrontement d'un pouvoir cynique mais somme toute nécessaire et d'un individu éthique mais pas jusqu'à la naïveté fournit à Robert Silverberg l'argument d'un de ses plus beaux livres bien qu'il ne soit pas l'un des plus connus. Le pessimisme de Silverberg quant aux collectivités humaines s'y exprime pleinement : la Terre a été dévastée par des guerres aussi imbéciles que nationalistes. «Quelle sorte de monde existerait aujourd'hui si j'étais mort il y a dix ans ?"

Christiane a dit…

La Récitante se referme sur une confidence douloureuse de la narratrice. Ai-je traversé une fiction ou une confession ? Je ne sais... Dans une langue d'expert (e) un récit saturé de culture ( littérature, musique, arts plastiques) des échappées érotiques où elle est de marbre et déteste les hommes. Un vide angoissant la place, jeune femme fragile puis moins fragile, dans des cercles de sexagénaires passionnés de littérature, d'écrits érotiques , de musique, d'art. Mais ils sont froids et cultivent un silence hautain.
Un univers aussi glaçant que celui de Shadrak. Deux fictions où le coeur bat à vide. Deux écritures qui comptent, mais une langue est traduite, l'autre n'en a pas besoin.
Je me demande ce que sont ces deux Nouvelles de Tolstoï qui vous taraudent... Carson McCullers ? Pourquoi pas ... Nouvelles ou roman ? C'est fort et vrai.

Christiane a dit…

https://www.franceculture.fr/emissions/carbone-14-le-magazine-de-l-archeologie/babylone

Chic. J'ai trouvé de quoi mieux comprendre Le Livre de Daniel !