Hubert
Haddad - Mā - Zulma
« La lune
justement éclairait sa chambre tout autant que sa bougie. Posée en piles égales
sur trois étagères de bambou, sa bibliothèque valait pour lui amplement les
Trois Trésors sacrés: à commencer par les Notes de chevet et le Dit du Genji des
dames admirables, ou encore le Recueil des dix mille feuilles.
Et toute cette littérature des temps féodaux où les voyageurs, poètes et
moines érémitiques parcouraient des contrées de brumes et d'orages à travers
les guerres incessantes, les cataclysmes et les famines, laissant à peine une
fleur de lotus, surgie d'une tourbe immonde, rappeler l'univers à son néant
béatifique »
Hubert Haddad, auteur que
j’avais rapidement présenté dans Le Peintre d’éventail, aime poser sa
plume dans les contrées lointaines, au gré de sa fantaisie. Cependant il
n’appartient pas à la catégorie des écrivains voyageurs tels Cendrars ou Bouvier;
il est de ceux qui immerge ses lecteurs plus qu’il ne les dépayse.
Mā, inspiré de la vie d’un personnage célèbre, a
pour cadre l’archipel nippon comme l’ouvrage précité. Le titre exprime à la
fois l’idée d’espace, de durée, de séparation, de vide. Ce concept taoïste et
quelque peu rebelle à nos modes de vie modernes consuméristes et connectés
prend ici toute sa signification. Mā raconte l’histoire d’un ermite,
poète et mendiant qui choisit d’emprunter les chemins de l’oubli et d’organiser
son existence autour de rien.
Shōichi Taneda alias
Taneda Santōka vécut de 1882 à 1940. Son périple semble inspiré de celui du
Bouddha. Fils cadet d’une famille de riches propriétaires, foudroyé par le
suicide de sa mère, il délaisse femme, enfant et biens matériels pour s’aventurer
sur les routes en s’enivrant de saké et d’haïkus. Hubert Haddad rédige sa
biographie par le biais de Saori , une traductrice japonaise contemporaine.
Récemment divorcée et inconsolable, elle prend pour amant un jeune étudiant
dont l’allure pataude lui rappelle celle du poète vagabond. Avant de
disparaître elle lui lègue un manuscrit. L’intrigue bascule alors (trop ?)
brutalement des émois amoureux du jeune Shōichi aux pérégrinations de l’ermite
mendiant.
Hubert Haddad plonge le
lecteur dans un de ces jardins dont il a le secret. Itinéraire intérieur autant
qu’extérieur comme L’oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar, Mā évoque
le vagabondage de ces moines pèlerins immortalisés par Hokusai et Hiroshige. L’écriture
colle souvent au plus près des haïkus de Santôka et de son maître Bashô
« Traverser d’un pas de myope le brouillard des montagnes … »
- abondamment cités par ailleurs.
Moins attirant que Le
peintre d’éventail, Mā appartient cependant à cette catégorie de
romans que l’on aime refeuilleter à plaisir moins pour les péripéties que pour
la beauté du texte.
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