André
Gide - Si le grain ne meurt - Folio
A Mme Moreau, à M
Fournier, professeurs de français au Lycée Chaptal.
Relégué au tréfond de ma mémoire, Si le grain ne meurt
d’André Gide vient de ressurgir au détour d’une conversation. Pourquoi Lui ?
Le Prix Nobel 1947 me semble aujourd’hui si éloigné du paysage culturel. Rouen,
bastion flaubertien se souvient-elle de Gide ? A l’heure où les romans
d’apprentissage fleurissent comme la vérole sur le bas-clergé, que reste-t-il
de ses textes émancipatoires ? Quant à moi, qui suis-je pour juger de son
œuvre ? Je n’ai lu dans mon enfance que quelques pages des nourritures
terrestres, quelques pages de son Journal, et un long extrait du
livre précité, me remémorant surtout les pages sur les joutes littéraires de
l’écrivain et de Pierre Louÿs à l’Ecole Alsacienne. Plus tard un professeur
tenta vainement de me convaincre des audaces narratives des Faux-monnayeurs.
Mais j’étais déjà parti à l’assaut du Nouveau Roman et d’une certaine
littérature de genre.
Ce récit
autobiographique, qui dans ses déclarations d’intention s’inspire des Confessions
de Jean-Jacques Rousseau, relate les premières années d’existence jusqu’au
mariage avec Madeleine (Emmanuèle dans le texte) et la mort de la mère en 1895.
C’est elle qui domine les débats dans la première partie enserrant son fils
dans les rets d’une éducation protestante, puritaine, le mettant doublement en
garde contre la fréquentation du Passage du Havre à Paris et – au décès du père
– de la bibliothèque paternelle peuplée pourtant essentiellement d’ouvrages
grecs et latins. Le géniteur, professeur de droit, ne pesait pas lourd face à
la famille Rondeaux dont l’arrière-grand père Rondeaux de Montbray fut maire de
Rouen et conseiller à la Cour des Comptes. André Gide bénéficia d’une aisance
financière qui lui permit grâce à ses précepteurs de surmonter une scolarité irrégulière
et d’acquérir de solides notions philosophiques, musicales, de lire l’allemand
dans le texte, de se passionner pour l’entomologie. C’est un enfant de
sensibilité nerveuse, migraineux et qui développera ultérieurement une tuberculose
lors de son départ en Afrique du Nord. Solitaire mais pas asocial, le jeune
Gide se découvre une passion pour les insectes dans le jardin familial normand et
la flore provençale des environs d’Uzès. Deux personnages bienveillants
émergent, la gouvernante Anna Shackleton figure maternelle qui mourut solitaire
au terme, pour paraphraser Flaubert, d’une vie de servitude et Albert Démarest
un cousin plus âgé à l’amitié vigilante. Le dernier tiers de cette première
partie est plus animée ; Gide fréquente quelques salons littéraires,
croise Mallarmé, De Heredia, Henri de Régnier et le fameux Oscar Wilde débarqué
on ne sait comment, avec lequel et Pierre Louÿs il formera un trio habitué des
lupanars européens et algériens. Lucide, - ne l’a-t-on pas surnommé le
contemporain capital ? - il se tient à l’écart de la vague antisémite de son
temps.
La bulle puritaine éclate
dans la seconde partie. Aux alentours de la vingtaine, il entreprend des voyages
en Europe et surtout part en Afrique du Nord. Découverte du monde, enthousiasme
de la jeunesse, l’écrivain murit ses premiers textes et se livre à des ébats
qui en cloueraient aujourd’hui plus d’un au pilori. Maman débarque bien à
Tunis, mais rien n’y fait. Gide est lancé. A la disparition de celle-ci il
épouse Madeleine, le personnage le plus elliptique du livre. Si le grain ne
meurt, biographie de la jeunesse de l’auteur est à compléter par
l’indispensable Journal. Il en reste surtout une langue :
« Il en est de même de ce bal, rue de Crosne, que ma mémoire s'est longtemps obstinée à placer du temps de ma grand-mère — qui mourut en 73, alors que je n’avais pas quatre ans. Il s'agit évidemment d'une soirée que mon oncle et ma tante Henri donnèrent trois ans plus tard, à la majorité de leur fille : Je suis déjà couché, mais une singulière rumeur, un frémissement du haut en bas de la maison, joints à des vagues harmonieuses, écartent de moi le sommeil. Sans doute ai-je remarqué, dans la journée, des préparatifs. Sans doute l'on m'a dit qu'il y aurait un bal ce soir-là. Mais un bal, sais-je ce que c’est ? Je n'y avais pas attaché d'importance et m'étais couché comme les autres soirs. Mais cette rumeur à présent… J’écoute ; Je tâche de surprendre quelque bruit plus distinct, de comprendre ce qui se passe. Je tends l'oreille, A la fin, n’y tenant plus, je me lève, je sors de la chambre à tâtons dans le couloir sombre et, pieds nus, gagne l’escalier plein de lumière. Ma chambre est au troisième étage. Les vagues de sons montent du premier ; il faut aller voir ; et, à mesure que de marche en marche, je me rapproche, je distingue des bruits de voix, des frémissements d'étoffes, des chuchotements et des rires. Rien n'a l'air coutumier ; il me semble que je vais être initié tout à coup à une autre vie, mystérieuse, différemment réelle, plus brillante et plus pathétique, et qui commence seulement lorsque les petits enfants sont couchés. Les couloirs du second tout emplis de nuit sont déserts ; la fête est au-dessous. Avancerai-je encore ? On va me voir. On va me punir de ne pas dormir, d'avoir vu. Je passe ma tête à travers les fers de la rampe. Précisément les invités arrivent, un militaire en uniforme, une dame toute en rubans, toute en soie ; elle tient un éventail à la main ; le domestique, mon ami Victor, que je ne reconnais pas d'abord à cause de ses culottes et de ses bas blancs, se tient devant la porte ouverte du premier salon et introduit. Tout à coup quelqu'un bondit vers moi ; c'est Marie, ma bonne, qui comme moi tâchait de voir, dissimulée un peu plus bas au premier angle de l'escalier. Elle me saisit dans ses bras ; je crois d'abord qu'elle va me reconduire dans ma chambre, m'y enfermer ; mais non, elle veut bien me descendre, au contraire, jusqu'à l'endroit où elle était, d'où le regard cueille un petit brin de la fête. A présent j'entends parfaitement bien la musique. Au son des instruments que je ne puis voir, des messieurs tourbillonnent avec des dames parées qui toutes sont beaucoup plus belles que celles du milieu du jour. La musique cesse ; les danseurs s'arrêtent ; et le bruit des voix remplace celui des instruments Ma bonne va me remmener ; mais à ce moment une des belles dames qui se tenait debout, appuyée près de la porte et s’éventait, m'aperçoit ; elle court à moi, m'embrasse parce que je ne la reconnais pas. C'est évidemment cette amie de ma mère que j'ai vue précisément ce matin ; mais tout de même je ne suis pas bien sûr que soit tout à fait elle, elle réellement. Et quand je trouve dans mon lit, j'ai les idées toutes brouillées et je pense, avant de sombrer dans le sommeil, confusément : il y a la réalité et il y a les rêves ; et puis il y a une seconde réalité. »
41 commentaires:
Pouvez vous nous éclairer sur le sens du titre ?
Pmp, idem... Les nourritures terrestres (ah !"Nathanaël, je t'enseignerai la ferveur") et deux mauvais romans, Isabelle et la Symphonie pastorale... Puis, plus jamais rien... La prof de français en 1ère nous disait qu'avec Proust, Gide et lui se rivalisaient le talent, mais aussi des mœurs, et on ne comprenait pas très bien ce qu'elle voulait suggérer. C'est plus tard que nous comprîmes pourquoi elle en pinçait tant pour Colette, de son côté.
Drôles d'exhumation, SV... Mais je suis un peu comme vous, au détour d'une conversation, je me dis, et si j'allais voir cet écrivain improbable ?... Et je le fais..., comme l'autre jour, avec Nathalie Sarraute, face à un imbécile qui se croyait intelligent.
Mais voilà, il y a toujours la flemme d'en mettre un CR pour les autres. Vous, vous avez la grâce régulière de cet acte gratuit qui nous surprend toujours et nous régale souvent. Bàv et merci (JJJ)
L'ecclesiaste : pour résumer, si le grain ne meurt pas il reste seul, s'il meurt il germe il devient blé.On peut supposer que pour réaliser ses ambitions assouvir ses passions, Gide a du clore lechapitre 1 de son existence .SV
PS : j'espère que MC ne m'en voudra pas pour le bas clergé :)
Rivaux en moeurs, j'aurais cité Julien green plus que Proust ah ah.SV
Est-il bien mort ce grain d'enfance pour donner quelle pousse ? Toute une enfance que vous décrivez bien sous la surveillance de la mère. Les jeux cachés. Les écoles. La naissance du désir plus tard.
Comme vous le dites, il n'aurait pu faire éditer les pages du voyage en Afrique du nord en compagnie de Wilde, aujourd'hui. J'ai eu du mal à les lire tant les garçonnets consommés sont oubliés par ces hommes à la recherche de plaisir. Insoutenable aurait dû être cette lecture de soi, même sous le mode de l'irréel du passé
Sans vous, c'est un livre que je n'aurais pas relu.
Le seul roman de lui qui m'a intéressée c'est "Les Faux Monnayeurs" par sa construction en abîme.
Il écrit bien mais ne m'émeut pas. A vouloir être classique, à accumuler les subjonctifs le lecteur est face à une langue bien écrite, travaillée , relue, corrigée, mais il manque quelque chose au-delà de ce désir d'autofiction, de justification.
J'aime bien la réaction de JJJ. , étonné face à un écrivain qu'il a éloigné des livres qu'il avait envie de lire, comme par oubli.
J'ai aimé qu'il se souvienne de sa lecture des Nourritures terrestres .
Pourtant votre billet est écrit au plus juste, retrace bien son itinéraire.
J'avais tenté la lecture du Journal. Écriture trop régulière, comme un rituel. Une lecture d'adolescence qui me faisait découvrir le fragment dans la durée. Cinquante ans de compte-rendus de ses rencontres, de ses réflexions, de ses lectures. Mais ce "Je" était-il sincère ? Il jouait à l'intellectuel et était considéré comme un grand écrivain.
Son oeuvre aurait dû être un chemin le conduisant à son origine mais il fait l'impasse sur ses doutes, ses interrogations dont elle est l'aboutissement. La réalité chronologique ne suffit pas , il manque une partie d'inconnu.
Une vie s'accomplit par la naissance, mourir c'est naître semble-t-il dire.
Son travail d'écriture est un réel effort qui accompagnait son désir de naître avec ferveur dans Les nourritures terrestres puis se calme, se discipline, se veut édifiant.
Il n'émet pas c'est vrai
il n'émeut pas c'est vrai c'est pourquoi je parle de sensibilité nerveuse.SV
Il n' y a pas d'affect SV
Oui, SV, c'est cela.
Il est protestant, ce qui peut expliquer cette absence d’ affect. Cela dit, le tournant public , c’est l’Immoraliste, et la comparaison avec Proust est accablante. Cf aussi les pseudo-explications « scientifiques » de Corydon. Pour souffrir du même problème, ils ne sont pas sur la même planète, ni n’ont la même envergure! On peut encore pardonner au Nourritures Terrestres d’exister, en un temps où Proust se limitait aux Plaisirs et les Jours, mais ce qui suit est dramatique.Exception faite peut-être des Caves du Vatican, lu il y a bien longtemps….
Andre Vide, en quelque sorte, malgré la biographie de Frank Lestringant.
merci pour l'Ecclésiaste... 0ui, sans doute Gide/Green (mais je connais encore moins icelui)... Et je viens de commettre une autre bévue à corriger. Sur le tard, j'ai lu PALUDES que je voyais cité partout depuis des plombes.. Anéfé, ce pas lu-de m'avait alors un brin réconcilié avec l'André, au moins cette pochade était marrante, un peu louf, et satirique en diable sur le milieu nombriliste des écrivains du monde, vu par un simplet. Alors que j'avais toujours pensé que Gide était pesant et chiant... Mais surtout, c'est la "théorie de l'acte gratuit", je me souviens maintenant qu'elle m'avait énervé grave quand j'étais djeune... Voilà ce qu'un lycéen du genre péteux, avait cru devoir faire : rendre sa copie blanche à l'examen pour donner à voir ce qu'était un acte gratuit, quand un autre avait (voulu) tué-er un inconnu dans le rue pour montrer qu'il en était cap' - Voilà en gros à quoi se résume pour moi mon gidisme, une sorte porte étroite dérobée dans une cave du Vatikan ! Brrr. (JJJ)
Ce qui est surprenant dans la première partie de "Si le grain ne meurt" c'est de lire à quel point il se déteste, se dévalorise. Le "moi haïssable" que sa mère a dû lui donner d'une morale protestante très stricte où le péché était celui du corps honteux.
Par contre cette même religion se passe des confessions et laisse une libre approche en matière de doute théologique.
Ce qui m'a étonnée également c'est qu'il ignore qu'il est protestant quand il entre à l'Ecole Alsacienne, pensant que tous les garçons avaient été éduqués religieusement comme lui. Les questions ironiques des autres élèves le laisseront ébahi.
Il a tangué toute sa vie entre puritanisme, culpabilité , recherche de pureté et tentation des sens et débauche.
La référence est évangélique : pas Qohélet, mais Jean 12
En effet, Jean. Pour le reste, insupportable pretention a s’impatroniser comme anti-Barres, lequel peut avoir ses jours, mais écrase le cher Andre lorsqu’il est inspiré dans le registre Prince de la Jeunesse.
Vous écriviez à la fin du billet présentant "Auto-Uchronia" de Francis Berthelot : "L' odyssée individuelle du narrateur (...) s’inscrit dans la lignée des Mots de Sartre ou de Si le grain ne meurt de Gide."
C'est bien d'avoir permis d'aller plus loin dans ce rapprochement.
Les mères et les milieux familiaux sont très différents. Le mal-être est semblable. La fiction de Francis Berthelot donne une amplitude à la souffrance jusqu'à une fin apaisée là où Gide cherche une cohérence par ses mémoires, une explication. Gide est plus torturé psychologiquement à cause de cette appartenance au protestantisme qui toujours le renvoie à la faute, sexuellement parlant, là où Francis Berthelot cible plutôt la société homophobe.
Ayant lu l'un et relu l'autre, j'ai été plus sensible à la vérité approchée par le roman dans la deuxième partie d'Auto-Uchronia qu'à la confession de Gide se camouflant derrière un style classique et une composition faisant l'impasse volontairement sur sa honte d'être homosexuel en racontant d'une façon désinvolte ses virées nocturnes avec Oscar Wilde à la recherche d'un adolescent prostitué sans remords. Gide ne cesse de mentir, de chercher l'excuse, l'approbation du lecteur et de ses pairs. Claudel s'en est éloigné.
La nouvelle revue, les égarements politiques ont fini de faire tomber le rideau. Il s'est même cru l'élu. ( Voir son journal). Il est devenu l'écrivain qui écrit dans une belle langue, nobelisable, étudié en philo.
Je préfère l'itinéraire de ce chercheur, Francis Berthelot , et son échappée dans la fiction.
Mais merci d'avoir permis par ce billet d'approfondir les problèmes des difficultés de l'autofiction.
Alors, passez-vous aux Mots de Sartre ?
Vous rappelez-vous de ce passage des Mots de Sartre ?
"On m’a relégué dans un coin en me recommandant de ne toucher à rien, on m’oublie, terrorisé par les fragilités qui m’entourent, par des étincellements poussiéreux, par le masque de Pascal mort, par un pot de chambre qui figure la tête du président Fallières ."(p. 197)
Par contre la promenade au Luxembourg racontée par Gide est un beau souvenir d'enfance, très lumineux dans le livre, "Si le grain ne meurt".
Chez Sartre , dans "Les mots", c'est le souvenir d'une solitude triste :
"Il y avait une autre vérité. Sur les terrasses du Luxembourg, des enfants jouaient, je m'approchais d'eux, ils me frôlaient sans me voir, je les regardais avec des yeux de pauvre : comme ils étaient forts et rapides ! comme ils étaient beaux ! Devant ces héros de chair et d'os, je perdais mon intelligence prodigieuse, mon savoir universel, ma musculature athlétique, mon adresse spadassine ; je m'accotais à un arbre, j'attendais."
oui, je pourrais y revenir
Et toujours dans "Les mots" de Sartre mais page 202, une autre ressemblance avec Gide, l'interrogation sur les religions et la sensation d'être un élu :
"Protestant et catholique, ma double appartenance confessionnelle me retenait de croire aux Saints, ay la Vierge et finalement à Dieu tant qu'on les appelait par leur nom. Mais une énorme puissance collective m'avait pénétré ; établie dans mon cœur, elle guettait, c'était la Foi des autres.(...) Je pensais me donner à la Littérature quand, en vérité, j'entrais dans les ordres. En moi la certitude du croyant le plus humble devint l'orgueilleuse évidence de la prédestination. Prédestiné ? Pourquoi pas ? Tout chrétien n'est-il pas un élu ? Je poussais, herbe folle, sur le terreau de la catholicité, mes racines en pompaient les sucs et j'en faisais ma sève. De là vint cet aveuglement lucide dont j'ai souffert trente années."
« Gide le faux-fuyant. Il est faux et il est fuyant. » Paul Claudel
Jean d'Ormesson écrit ce jugement lucide :
«Complexe, fuyant, dévoré d’inquiétude, écartelé par des extrêmes qui se touchaient en lui, Gide est un puritain sensuel. Ses maîtres , dans son enfance, le croyaient démesuré : il couvait sa ferveur comme une fièvre contagieuse…
Ferveur, inquiétude, fuite, disponibilité, acte gratuit, refus de tout choix : par un paradoxe qui n’en est pas un, notre littérature n’aime rien tant que d’accueillir des marginaux et de couronner des révoltés, ce rebelle s’inscrit avec éclat dans la plus haute tradition du classicisme français. Offrant le monde d’une main, la refusant de l’autre, chantre du dépouillement et du désir à la fois , c’est un janséniste enivré de bonheur. Il arrive à des mollesses symbolistes de gâcher parfois son style. N’importe. Par son inquiétude, toujours en éveil, par ses contradictions qui annoncent tout le siècle, par sa lucidité mêlée à tant de fièvre, par son intelligence qui ne fait jamais la bête parce qu’elle ne fait jamais l’ange et qui ferait plutôt le diable , il n’est pas indigne du titre que que Malraux, ou peut-être plus selon d’autres, André Rouveyre lui avait décerné : Le contemporain capital .»
Jean d’Ormesson Une autre Histoire de la littérature Tome 1
Étrange parallèle encore entre l'imaginaire de Gide et celui de Sartre concernant ce lien entre la mort et la naissance.
"Si le grain ne meurt ...." prophétise Gide.
Quant à Sartre, dans "les Mots", encore dans le dernier chapitre, "Écrire", , page 187, il écrit :
"Auparavant, je me représentais ma vie par des images : c'était ma mort provoquant ma naissance, c'était ma naissance me jetant vers ma mort ; dès que je renonçais à la voir, je devins moi-même cette réciprocité, je me tendais à craquer entre ces deux extrêmes, naissant et mourant à chaque battement de cœur. Mon éternité future devint mon avenir concret : elle frappait chaque instant de frivolité (...)"
Sartre ve plus loin car il n'est pas embarrassé par ces questions d'homosexualité. Il est tout à son interrogation sur ce moment d'enfance remémoré pour comprendre son désir d'écrire.
Sole vert , vous avez soulevé un lièvre en liant ces trois ouvrages, ces trois auteurs épris d'autofiction.
.
va -Soleil vert
Sartre a plutôt des amitiés de galopin déluré !
"Les travaux scolaires ne me laissaient pas le temps d'écrire ; mes nouvelles fréquentations m'en oterent jusqu'au désir. Enfin j'avais des camarades ! Moi, l'exclu des jardins publics, on m'avait adopté du premier jour et le plus naturellement du monde : je n'en revenais pas. A vrai dire mes amis semblaient plus proches de moi que des jeunes Pardaillan qui m'avaient brisé le cœur : c'étaient des externes, des fils à maman, des élèves appliqués. N'importe : j'exultais . J'eus deux vies. En famille, je continuais de singer lhomme. Mais les enfants entre eux détestent lenfantillage : ce sont des hommes pour de vrai. Homme parmi les hommes, je sortais du lycée tous les jours en compagnie des trois Malaquin, jean, René , André (...), nous courions en criant sur la place du Panthéon, c'était un moment de bonheur grave : je me lavais de la comédie familiale ; loin de vouloir briller, je riais en écho, je répétais les mots d'ordre et les bons mots, je me taisais, j'obéissais , j'imitais les gestes de mes voisins, je n'avais qu'une passion : m'intégrer. Sec, dur et gai, je me sentais d'acier, enfin délivré du péché d'exister (...)"
Le mot "péché" signifie deux sentiments très différents pour Sartre et Gide. Pourtant les deux veulent devenir hors de leur famille, s'émanciper. Idem pour le jeune Francis Berthelot.
C'est réjouissant de les suivre tous les trois dans leur entreprise : écrire et vivre.
Jean d’Ormesson Une autre Histoire de la littérature Tome 1
Le cher Jean avait exclu de son inventaire Rousseau me semble t-il
Mais Jean d'Ormesson avait dirigé en 2009, pour Le Figaro, une collection d’exception qui rassemblait ses choix d’œuvres majeures de la littérature française, pour constituer sa bibliothèque idéale où l'on trouve:
"Sentimental et passionné, Jean-Jacques Rousseau aime la nature par-dessus tout, et n’est à l’aise ni dans la société ni avec lui-même. «Je suis, écrit-il, emporté mais stupide. Mes idées s’arrangent dans ma tête avec la plus incroyable difficulté.» Rien n’est simple avec Rousseau. En Suisse, sous les attaques des pasteurs, lui est venue l’idée de rédiger un grand livre pour se défendre et se justifier. Il y travaillera plusieurs années à la fin de sa vie errante et persécutée. L’ouvrage ne sera publié qu’après sa mort sous un titre déjà utilisé par Saint- Augustin : "Les Confessions".
Ce qui frappe d’abord dans "Les Confessions", œuvre d’un homme tourmenté qui se débat contre les autres et contre lui-même, c’est la sincérité. Avec courage, avec orgueil, avec un besoin impérieux et presque maladif, Rousseau dévoile et déballe tout. Dans tout ce qu’il écrit, et sur quoi souffle souvent comme un vent de délire et de folie, règne un charme indicible. Il n’invente pas seulement une sincérité littéraire dont il fait un usage qui va jusqu’au scandale. Il invente aussi un ton nouveau, un souffle, une liberté, un sentiment inédit et profond de la nature. Dans ses Rêveries du promeneur solitaire comme dans ses "Confessions", passe un tourbillon encore inconnu qui ouvre des temps nouveaux et qui annonce le romantisme. Rousseau est l’individualisme, la rébellion, la révolte. Il est la nature et la sincérité. Il est la contradiction et la dissimulation. Il est le talent et la folie. Un peu du génie de ce monde s’est incarné en lui "
Les Confessions n’étaient pas à un programme quelconque, cette année là ?Ceci expliquerait ce rattrapage. MC
Et il a eu le prix Jean-Jacques Rousseau décerné chaque année pour une autofiction en 2016 :
Jean d'Ormesson pour "Je dirai malgré tout que cette vie fut belle". (éditions Gallimard)
C'est un homme courtois, drôle, espiègle même avec qui j'ai eu plaisir à échanger à propos d'un article paru dans Le point où il semblait ignorer la qualité de l'enseignement littéraire dans une banlieue que je connais bien. Il était un oisif, gâté par la naissance, traversant la vie en dilettante éclairé.
Sa fille fait un excellent travail dans le monde de l'édition.
J'aimais bien la façon dont il faisait l'acteur sur les plateaux teley où il aimait paraître. Il ne prenait pas beaucoup de risque vivant dans un autre monde.
Mais le croiser sur le quai Conti élégant et alerte, un peu reveury, même si on ne lui parlait pas c'était un bonheur.
Un représentant de l'Ancien Régime avec qui la conversation était pleine de charme. Ses livres d'ailleurs étaient une longue conversation douce et poudrée de passé.
Sartre vient Au crépuscule de Gide, encore dans sa gloire. De là à les mettre en parallèle, ils sont certes aussi faux l’un que l’autre!
Et les deux propheties concernent deux registres distincts. Le petit spasme solitaire de Gide ( la formule est de Guillemin) l’affirmation centrale d’un « filousophe », comme eut dit Hugo de Pierre Leroux…
Je m’en voudrais de ne pas rappeler , après 1947, les chasses garçonnières de Gide et Allegret en Tunisie, accompagnées de cette déclaration prud’hommesque; « le Nobel couvre tout! »
Et vous avez raison de le rappeler.
Voilà, Soleil vert, quelques développemens de votre lien entre ces trois romans. Et encore merci pour cet esprit de synthèse.
Parfois votre pensée manque de souplesse, MC. Ce ne sont pas les écrivains que nous comparons, leur œuvre, mais la façon dont ils racontent leur enfance, leur famille, comment le désir d'écrire est venu en eux. Trois écritures d'autofiction où l'imagination se mêle à la mémoire, où le mensonge volontaire devient parfois involontaire, trois désirs de vie différents. La sexualité particulière de Francis Berthelot se rapproche de celle de Gide, encore que celle Gide est plus compliquée car il est attiré par des adolescents. Pour Sartre ce problème n'existe pas. Il est seulement déçu par son aspect physique qui l'isole des autres enfants du jardin du Luxembourg. Est-il plus tard attiré par les femmes ? Pas sûr ! Il lui faut passer par l'intellect plus que par le sensuel. Les deux autres ont une sensualité brûlante mais orientée vers des corps de garçons puis d'hommes . Les femmes ne peuvent être que des amies.
Les mères non plus ne se ressemblent pas, pour Sartre c'est le grand-père qui oriente sa vie vers le mensonge littéraire puisqu'il écrit pour trouver une importance à ses yeux.
Les trois sont dans le mensonge, la fuite.
Francis Berthelot s'épanouira dans une fiction différente de sa vie, Gide tentera vainement de trouver une cohérence dans sa vie. Quant à Sartre... Que cet homme est compliqué !. Relire la deuxième partie du livre est édifiant.
C'est le lecteur, en l'occurrence SV, qui a eu l'idée lumineuse de rapprocher ces itinéraires.
Il faut sortir de la chronologie des oeuvres, des autres livres qu'ils ont écrit. Ici, c'est la naissance, l'enfance, la jeunesse puis les choix de l'âge adulte qu'ils racontent, qu'ils essaient de raconter sans le pouvoir tant ils sont écorchés par leur vie..
Ce livre fait du bien.
Voilà qui nous change de ceux sur les catastrophes climatiques, les crises migratoires,l’intelligence artificielle qui va nous dévorer.
Écrire sur ses parents,sur sa propre jeunesse,c’est déjà beaucoup.Et les livres de la bibliothèque familiale nous apprennent ce que nos parents n’ont pas eu le temps de nous apprendre.
Biancarelli
Bonjour, Biancarelli,
Cela fait si longtemps que je ne vous ai lu.
Ce qui me frappe dans ces récits d'enfance, évoqués ici, c'est qu'ils apparaissent avec des parcelles d'ombre, par fragments et que c'est l'écriture qui leur permet de revenir.
Ils semblent venir comme une menace, une peur, une panique, une honte parfois ou un enchantement, ce qui est plus rare . Une expérience précoce de la solitude malgré la présence affectueuse ou oppressante de la famille. Un passé indéfini, ouaté.
Bachelard dont les essais m'aident à déchiffrer la vie, écrit dans La Poétique de la rêverie : "A méditer sur l'enfant que nous fûmes, par-delà toute histoire de famille, après avoir dépassé la zone de regrets et tous les mirages de la nostalgie, nous atteignons une enfance anonyme, pur foyer de vie, vie première, vie humaine première. L'enfance que nous racontons, nous ne l'atteignons pas."
Juste, l'enfance...
Pour Gide et Berthelot, l'érotisme de l'adulte provoque la réactivation des impressions de l'enfance. Deux voix qui dialoguent, celle de l'adulte écrivain et celle tâtonnante de l'enfant. Il découvre comment l'enfant qu'il a été a été en contact avec la cruauté, le désir, la mort, la solitude. Sa lutte aussi contre celui qu'il ne voulait pas être, qu'il avait peur de devenir. Face-à-face périlleux .
Peut-être, dans le cas de Gide, en rajoute-t-il un peu.,.
Ou en ôte-t-il…
Et parfois, dans une fiction apparaît un personnage sans enfance, sans naissance, sans famille et personne ne s'étonne. Le temps semble différent, il passe (plusieurs aventures) et il ne passe pas car il ne semble pas vieillir, ni lui, ni son chien. Il n'est jamais amoureux. Le pourrait-il, lui qui est seulement dans les limbes de l'amitié. Pas de libido. On ne le voit jamais nu. Un corps asexué comme les poupons en celluloïd des années 50.Tintin traverse nos enfances avec notre âge effacé.. C'est assez mystérieux.
La ligne claire des dessins, l'aplat des couleurs créent un monde sans ombre où le jeune lecteur sait qu'il s'en sortira, lui et ses amis.
Le jeune lecteur... c'est nous quand nous ouvrons un livre d'Hergé, notre enfance enclose dans une boule à neige... Rosebud...
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